mardi 31 mars 2020

Séance du 01/04/2020 CALM (Cours A La Maison) TL2: 1h30

Bonjour,Je vous invite vraiment à me poser des questions sur le cours d’hier. Certaines et certains d’entre vous l’ont fait en me posant des questions auxquelles je vais essayer de répondre, mais je souhaiterai auparavant insister sur le fait 1) qu’il faut vraiment vous poser d’abord la question du sujet 2) qu’il y a nécessairement un rapport avec l’oeuvre de Nietzsche que nous étudions parallèlement. Pour être encore plus direct, j’ai posé une question susceptible de vous amener à convoquer et à réfléchir à ce que l’on pourrait considérer comme la thèse essentielle de Nietzsche. Dans « Vérité et mensonge au sens extra-moral ».

        Considérez que le cours d’aujourd’hui est une sorte de remise de celui d’hier  et d’avant hier qui essaie de l’éclaircir, de vous aider à répondre à cette question même si vous choisissez le texte. Je vais essayer de répondre aujourd’hui à 5 questions:
1) Pourquoi la science se définit-elle comme effet de contrainte?`
2) Que désigne le critère d’économie?
3) Pourquoi la réalité n’est-elle définissable que négativement?
4) Pourquoi une hypothèse est-elle une fiction? Qu’est-ce que cela implique par rapport au sujet?
5) Quelle est la vision de l’art défendue par Hegel?

   
1) Ce qui tente de connaître la réalité est la science et il fallait définir celle-ci. Ce qui caractérise la science est finalement l’esprit de méthode, de rigueur. Un « scientifique ne pense pas » en un sens. Qu’est-ce que ça veut dire? Non pas qu’il soit stupide, mais il n’est pas là pour dire: »je pense que … », ni pour prendre position. Un scientifique n’a pas d’idées au sens où il ne défend aucune thèse idéologique. Il n’est pas homme politique, défenseur d’une cause religieuse ou philosophique. Il dit ce qu’il conclue au terme d’un raisonnement, d’une observation ou d’un raisonnement. Il dit ce qu’il ne peut pas ne pas dire étant entendu qu’il ne fait que suivre la démonstration ou la constatation d’un fait évident, incontournable. C’est cela: l’effet de contrainte dont j’ai parlé. On ne peut pas contredire un scientifique parce que lui-même n’affirme que ce qu’il peut prouver. Il énonce des propositions qui ne sont jamais « les siennes », alors que Baudelaire peut dire que ce poème est le sien, au sens fort du terme: personne n’aurait pu l’écrire à sa place. Au contraire, le scientifique énonce ce que toute personne suivant le même raisonnement logique ou faisant la même expérience conclura aussi évidemment que lui. Le scientifique c’est le sujet transcendantal kantien par excellence: tout en lui est universel, cristallin, transparent. Tout est prouvé.
   

        Peut-être faut-il revenir aux cinq critères qui définissent ce qu’il faut que soit une proposition pour être scientifique, tout en ayant bien présent à l’esprit la question du sujet:
- La cohérence interne: une proposition scientifique est nécessairement logique. Elle ne peut être contradictoire en elle-même. Ici l’effet de contrainte est purement celui de la cohérence à soi de la thèse défendue.

- La conformité avec la réalité observable. C’est l’effet de contrainte du réel qui nous intéresse le plus: ce que le scientifique énonce ne peut pas être en contradiction avec les phénomènes observables. Il semble donc qu’il soit tout le contraire d’une fiction.

- La prédiction: comme il s’agit de rendre compte du réel, la science étudie les lois qui s’exerce dans le déterminisme naturel: si telle chose se produit, c’est parce que telle cause la déclenche.

Nous répondons aussi ici à la 2e question:
2) Le principe d’économie: considérons la thèse de Darwin sur l’évolution des espèces. Pourquoi est-elle scientifique, au-delà de la rigueur des raisonnements de son auteur? Elle se base sur un minimum de principes. Elle s’efforce d’examiner les espèces du point de vue des simples conditions de leur survie, sans multiplier les postulats. Elle parvient à se débarrasser d’un certain nombre d’a priori (venant notamment de la religion) et définit les espèces comme des flux vitaux ayant à s’adapter à leur milieu. Plus une théorie au contraire se donne des postulats, moins elle est scientifique puisque les postulats sont des a priori à partir desquels on peut développer des chaînes de raisonnement. Disons que la scientificité d’une théorie se mesure à ce qui en elle tient de la pure déduction. Evidemment il ne pourrait peut-être pas exister de thèse scientifique sans postulat, sans point de départ, mais une fois posé ce principe, la suite doit être simplement déduite avec un maximum de rigueur, c’est tout.
    

- La falsifiabilité: une proposition est scientifique si elle prend le risque d’être réfutée. Avancer que Dieu existe est une thèse religieuse qui n’est pas réfutable. Au contraire, la science n’avance que des thèses qui sont susceptibles d’être contredites par un raisonnement ou par un fait (expérience). C’est là une idée défendue par Karl Popper. Nous pouvons insister sur ce critère. Popper essaie de trouver un critère distinguant  une proposition scientifique d’une proposition politique, religieuse ou philosophique. Si, par exemple, je dis que Dieu existe, je suis croyant et ma proposition n’est pas falsifiable, cela veut dire que je ne peux pas énoncer une expérience qui permettrait de prouver la validité ou la non validité de ma thèse. Et c’est la même chose pour la politique. Par exemple nous avons vu que l’écroulement des régimes communistes n’était pas la preuve que le marxisme était une théorie économique non viable parce que finalement le marxisme n’a jamais été appliqué jusqu’à son terme par aucune économie réelle. On peut toujours discuter la politique, l’économie, la philosophie. La science non! Aucune proposition ne peut être énoncée sans être falsifiable, ce qui veut dire « testable ».

4) Je vais profiter de la référence à Popper pour répondre à la question 4, parce que quelque chose de fondamental pour le sujet se produit par rapport à la falsifiabilité. De prime abord, on a tendance à considérer que ce critère répond plutôt « non » à la question. Croire en Dieu, c’est croire à quelque chose que l’on ne peut prouver (on peut l’éprouver mais pas le prouver). Par conséquent, Dieu peut être considérer par un athée comme une fiction. La science, au contraire, ne dit rien sans être passé par la réalité observable du phénomène qui donc ne peut être fictif. Mais le rôle de l’expérience et notamment la place que ce protocole a pris dans la science moderne (voir le texte de Kant) a souligné le rôle anticipateur de l’idée du scientifique. Et cela change complètement la donne. Prenons l’exemple du vaccin: c’est une idée très audacieuse qui peut sembler logique mais qui suppose que le chercheur envisage d’inoculer la maladie pour s’en prémunir. Or avant d’être testée, cette idée est bel et bien « une fiction ».  On pensait d’abord que l’expérience et la falsifiabilité étaient des garanties interdisant le scientifique d’avoir recours à la fiction et nous nous rendons compte au contraire qu’en fait l’hypothèse est une fiction. Allons même plus loin: est-ce que le scientifique va vraiment se satisfaire du résultat négatif de l’expérience? Non bien sûr il va corriger sa théorie jusqu’à ce que le réel cède et finalement nous pourrions envisager de regarder notre réalité comme étant le laboratoire du scientifique, à savoir le lieu dans lequel non seulement il teste ses idées mais aussi celui où il finit toujours par les imposer. Faire une expérience, c’est finalement mettre en place et en marche un processus au terme duquel de la fiction va devenir de la réalité, ce qui change tout à notre sujet.
  

3) Pourquoi la réalité ne peut-elle se définir que négativement. Il fait préciser que ce que je vais développer ici est plutôt à placer au début de la dissertation. Vous avez bien réalisé qu’en fait dans une dissertation on part souvent de définitions que l’on va compliquer au fur et à mesure pour finalement se rendre compte que des notions de prime abord incompatibles sont plus proches que nous ne le pensions auparavant. C’est ce qu’il va falloir faire par rapport à la distinction du réel et de la fiction. Mais ici, justement on est seulement au début et il faut insister sur ce qui de la réalité est contraire à la fiction. Et nous pouvons insister sur tout ce que cette notion de réel a de résistant, d’incontournable. La réalité, c’est ce qui s’impose à nous sans que l’on puisse faire autrement puisque C’EST la réalité.  Cette notion est très proche de celle d’existence. Le réel c’est ce qui s’oppose au possible. 500 € désigne une somme d’argent donnée, représentable, comptable pour l’esprit humain. Ce n’est pourtant pas la même  chose de penser à la somme de 500€ et d’avoir réellement cette somme dans la poche. On peut toujours approcher le réel pour la fiction, on ne parviendra pas à appréhender par la pensée ce qui fait que le réel ajoute à tout ce qu’il contient cette dimension d’’exister vraiment. La pensée peut se faire une représentation de tout ce qui existe mais pas de ce fait que cela existe. C’est en ce sens que la réalité est fondamentalement négative: elle est ce qui résiste à la pensée, ce qui résiste à la capacité de concevoir des faits comme seulement possibles.
   

5) Que veut dire Hegel quand il écrit: « le besoin universel de l’art est donc le besoin rationnel qu’a l’homme d’élever à sa conscience spirituelle le monde extérieur et intérieur pour en faire un objet dans lequel il reconnaît son propre moi ». Prenons des exemples concrets: Hegel considère que l’art est une création, c’est-à-dire que l’homme peignant tel paysage par exemple crée par ce paysage quelque chose qui avant lui n’était pas. Mais de quoi s’agit-il? Le paysage n’était que là, il ne revêtait aucun dimension spirituel générale, signifiante, abstraite. L’oeuvre d’art est une création qui permet à l’homme de donner à la nature une valeur idéale spirituelle, supérieure. C’est comme si grâce à lui la réalité devenait un idée. Pensons à toutes ces oeuvres qui sont devenues des idées, des idéaux: la Joconde, la liberté guidant le peuple, l’hymne à la joie de Beethoven, etc. Nous vivons dans une réalité sensible mais, grâce à l’artiste, telle ou telle séquence de cette réalité sensible devient intelligible, spirituelle, élevée. L’artiste est un créateur qui rend éternel et figé des instants fugitifs et leur insuffle ainsi une dimension supérieure.

Il ne faut pas hésiter à me poser d’autres questions que nous pouvons traiter en cours.
Voici celles que je vous pose pour la fin de semaine:

1) Pourquoi est-il impossible d’approcher des oeuvres littéraires sans leur reconnaître « un effet de réel » (il est impossible de répondre à cette question sans lire tout ce qui a été dit ici sur Pierre Bourdieu). Donnez des exemples
2) En quoi consiste la révolution de la science moderne (Galilée) selon Emmanuel Kant?
3) Selon Merleau-Ponty, qu’est ce qui distingue le scientifique de l’artiste? Etes-vous d’accord avec lui? Pourquoi?

Séance du 01/04/2020 CALM (Cours A La Maison) 1ere 3: 1h

Bonjour à toutes et à tous,
       
J’espère que vous allez bien, ou, en tout cas, suffisamment bien pour supporter ce nouveau cours sur les représentations du politique et le rôle de la fiction. La semaine dernière, nous avons parlé de Platon et de Machiavel, du fait que le philosophe grec justifiait l’utilisation de la fiction en utilisant une comparaison avec la peinture (de même qu’un peintre peut représenter un très bel homme sans affirmer par là que cet homme existe, la philosophie, peut réfléchir au meilleur régime possible sans pour autant affirmer qu’il existe) alors que Machiavel, au contraire, critique cet usage de la fiction en politique qui constitue, selon lui, le domaine qui par excellence doit appréhender l’humanité telle qu’elle est et non qu’elle que l’on voudrait qu’elle soit.

        Nous allons reprendre le mouvement même de cette opposition en faisant intervenir un troisième auteur: Spinoza, mais avant, j’aimerai, une fois encore relier la question qui nous occupe à notre situation actuelle. J’espère vraiment que ces incursions dans le temps présent ne vous gênent pas et il me semblerait vraiment contre-productif de ne pas installer de temps à autre notre réflexion dans ce qui se passe étant entendu que cela peut vraiment nous aider à saisir l’essence de la politique, ce qui la constitue « vraiment ».
          
         Or les conditions actuelles et le contexte nécessairement mondial de la pandémie éclairent indiscutablement d’un jour nouveau la notion même de « politique », parce l’idée même de collectivité, de cité, de vie sociale n’est plus en conformité directe avec l’isolement de notre quotidien. Lorsque Aristote dit que « l’homme est un animal naturellement politique », il veut dire qu’il est un animal qui ne peut naturellement vivre qu’en cité. "Politique" ici veut dire "sociable", et conséquemment  « social ». Chacune et chacun de vous perçoit bien, je pense, que votre rapport au lycée, aux cours, aux enseignants, en ce moment n’est pas qu’une question de « notes », d’évaluation, de transmission de connaissances. Au-delà de cela, quelque chose du politique se joue dans l’effectivité et la continuité de ce lien, c’est que la France reste un Etat dans lequel l’Education est un service public, offert à tous les citoyens. En temps normal, la présence des autres et des institutions est tellement évidente et continue que nous ne nous représentons pas vraiment ce qu’induit le fait de vivre dans un Etat. Le confinement change cette donne et le fait même que ce rapport de chaque citoyen avec les institutions soit, en ce moment, sommé paradoxalement de se matérialiser par des moyens dématérialisés  nous fait voir le politique sous un autre jour, à savoir que le politique n’est pas une question de personnes, mais de structures.
            
La question de savoir si les personnes qui aujourd’hui sont aux commandes de l’Etat sont à la hauteur de ce qu’implique le maintien d’un service public dans le domaine de la santé, des infrastructures, de la communication, de l’Education est une bonne question qu’il faut (ou qu’il faudra) se poser, mais l’Etat est finalement tout le contraire d’une question de personne, c’est tout simplement l’idée d’administration d’un territoire donné selon des lois. L’Etat est avant tout un concept juridique et en cela il se distingue du concept de « Nation » qui décrit une identité culturelle, un « peuple ». Très concrètement, le fait qu’en cet instant vous soyez en train de lire ces lignes, c’est de l’Etat, à moins que vous ne lisiez ces lignes que par pur plaisir (ce qui serait très gratifiant pour moi évidemment mais pourrait favoriser une vision utopiste du rapport entre l’état et le citoyen qui nous empêcherait de voir qu’il faut de l’Etat parce qu’aucune action humaine ne peut se concevoir isolément à l’échelle du monde). Derrière l’effet de contrainte des lois dans un Etat, il y a tout simplement la volonté qu’une action humaine dans le monde puisse exister, qu’elle ne soit pas « rien ». Or jamais cette vision du politique ne s’impose davantage à nous que lorsque nous faisons l’expérience d’une pandémie, c’est-à-dire d’un danger qui menace l’humanité, et qui par conséquent fait paradoxalement « prendre corps » à cette notion d’humanité et d’action humaine.   
            Cette conception du Politique qui dépasse totalement de la question des personnes politiques est celle de Hannah Arendt pour qui elle désigne finalement ce « miracle » du commencement d’un geste humain dans le monde, dans un milieu de forces et d’éléments naturels. Ce terme de « miracle » est bel et bien utilisé par elle dans son livre « la crise de la culture ».
             

                    Hannah Arendt affirme que « la liberté humaine est la raison d’être du politique » et que l’action humaine dans le monde est ce qui doit sans cesse lutter contre ce qu’elle appelle des « processus ». De quoi s’agit-il? D’un enchaînement de causes et d’effets au sein duquel la possibilité d’une prise d’initiative des hommes est broyée. Imaginez un enchaînement de rouages dans lequel chaque mouvement de telle roue est causé par le mouvement de celle qui la précède et l’entraîne et vous aurez idée de ce qu’est un processus. Ce que nous vivons en ce moment est un processus, à savoir que la contagion du covid 19 suit un développement qui, par bien des aspects, est rationnel et prévisible, voire inéluctable (par « inéluctable », il faut simplement entendre « logique » et évidemment aucunement qu’il va précipiter la fin de l’humanité). Ce n’est pas du « hasard », c’est du pur déterminisme en ce sens que, comme dirait le mérovingien de Matrix: telle cause produit  tel effet. On sait bien que dans le film Le mérovingien s’oppose à Morpheus qui lui croit dans la liberté humaine, presque de façon irrationnelle. Nous avons donc en ce moment à lutter pour que de l’initiative humaine demeure et c’est bien cela que décrit le politique.
          
                 
(Là où cette pandémie est encore plus intéressante, dés lors que nous pouvons nous mettre à distance de la tragédie humaine dans laquelle elle consiste, c’est lorsque qu’on réalise que ce processus a, en réalité, une origine humaine. Tous les virus ayant entraîné une pandémie depuis plus de trente ans: Sida, Ebola, Saar et maintenant Covid 19, ont en effet une origine animale. Cela signifie qu’elles sont provoquées par le fait que certaines espèces animales sont délogées de leur milieu naturel du fait de la déforestation. Ce qui est responsable de toutes les morts dont nous faisons chaque jour le décompte, c’est l’absence de contrôle des politiques d’urbanisation et de déforestation dans des pays où existaient des zones de nature vierge. La prise en considération de cette vérité crée une ligne de conduite, celle d’inscrire du politique, c’est-à-dire de la prise d’initiative humaine dans un processus de destruction provoqué par de la présence humaine, situation que Hannah Arendt n’envisageait même pas mais qui n’enlève rien à l’intérêt de ses analyses, bien au contraire. La liberté de l’Homme contre le déterminisme des processus, c’est finalement ce à quoi il faut absolument nous déterminer, c’est la raison d’être du politique aujourd’hui, et surtout ce qui suppose un bouleversement complet de la pratique politique, notamment dans le rapport de l’Homme à la nature. Il n’est plus question pour le politique de laisser une place à l’écologie mais à l’écologie de réfléchir à une nouvelle politique, de revenir à la conception de Hannah Arendt du politique en y intégrant cette nouvelle donne que les processus à combattre sont ceux là même que notre existence a provoqués. En d’autres termes: que la liberté de l’Homme s’effectue contre les processus, c’est ce qui s’impose à nous du fait même de la responsabilité de l’Homme dans le déclenchement du processus)
          
Pour revenir à notre cours, on pourrait dire qu’en un sens, jamais la politique n’a été davantage mis en demeure d’être autre chose que de la fiction. Pour autant il faut se méfier de deux choses:
- Il est possible que la fiction désigne une modalité d’approche typiquement humaine d’un problème ou d’une question bien réelle.
- La fiction et la réalité ne sont peut-être pas deux notions aussi opposées et distinctes qu’il peut le « sembler » de prime abord
            Dans le duel qui oppose, au delà des siècles Platon et Machiavel, Il ne fait pas de doute que Spinoza est plutôt du côté de Machiavel, pas nécessairement du point de vue du portrait du Prince ou du souverain tel que le brosse Machiavel mais plutôt dans le regard que le philosophe doit porter sur le politique. On trouve, en effet, dans la traité théologico-politique, cette critique sans appel de la philosophie:

        « Les philosophes conçoivent les affects qui se livrent bataille en nous, comme des vices dans lesquels les hommes tombent par leur faute, c’est pourquoi ils ont accoutumé de les tourner en dérision, de les déplorer, de les réprimander, ou, quand ils veulent paraître plus moraux, de les détester. Ils croient ainsi agir divinement et s’élever au faîte de la sagesse, prodiguant toute sorte de louanges à une nature humaine qui n’existe nulle part, et flétrissant par leurs discours celle qui existe réellement. Ils conçoivent les hommes en effet, non tels qu’ils sont, mais tels qu’eux-mêmes voudraient qu’ils fussent : de là cette conséquence, que la plupart, au lieu d’une Éthique, ont écrit une Satire, et n’ont jamais eu en Politique de vues qui puissent être mises en pratique, la Politique, telle qu’ils la conçoivent, devant être tenue pour une Chimère, ou comme convenant soit au pays d’Utopie, soit à l’âge d’or, c’est-à-dire à un temps où nulle institution n’était nécessaire. »

                   
Demain nous étudierons ce texte. Il est vrai que la référence à l'actualité a pris beaucoup de place dans la séance d'aujourd'hui, mais si faire de la philosophie signifie s'enfermer dans des problématiques anciennes sans l'appliquer aux évènements du présent, je ne vois pas bien l'intérêt de sa pratique. Quelque chose de ce que nous vivons nous permet de voir la fibre nue des institutions, de l'Etat , de la société du vivre ensemble, précisément parce que nous ne vivons plus ensemble. Margaret Thatcher, l'une des dirigeantes les plus engagées dans l'ultra-libéralisme économique a dit "There is no such thing as society", c'est-à-dire "il n'existe pas de Société" ou encore: les hommes sont reliés par des liens familiaux mais pas par des liens sociaux. Si elle avait raison, alors en ce moment nous ne serions plus reliés par rien. Nous sommes aujourd'hui mis en demeure de lui donner tort. Ne nous refusons pas ce plaisir!

lundi 30 mars 2020

Séance du 31.03.2020 CALM (Cours A La Maison) TES1: 2H

Bonjour à Vous,

J’espère que vous allez bien et que vous êtes en forme parce que je vous propose aujourd’hui un cours assez consistant dans lequel il ne sera question que du prochain sujet à me rendre pour le 10/04 (je rappelle qu’il n’est pas facultatif): « Ne peut-on tenter de connaître la réalité qu’en créant des fictions? »
 Je procéderai comme si nous étions en temps limité devant un sujet et mon but est seulement de vous aider dans la compréhension du sujet ainsi que dans l’utilisation des références possibles.
 
Cette photo n' a aucun rapport mais ça relaxe un peu nos neurones

1) Comment aborder le sujet?
        Il convient d’emblée de prêter attention à la double opposition du sujet: Connaître/ Créer d’une part et Réalité / Fiction d’autre part. Le verbe « tenter » pointe seulement deux évidences:
Affirmer que l’on connaît le réel est une affirmation insensée, impossible à tenir
La science est probablement la discipline qui « essaie » le plus, c’est-à-dire qui inscrit sa démarche non pas dans une vérité auto-proclamée mais dans des propositions provisoires qui ne cessent de se soumettre elles-mêmes à des tests.
            Dans l’esprit de la plupart des gens, connaître la réalité suppose qu’on la découvre, pas qu’on l’invente. La réalité est toujours « déjà là ». Nous naissons dans un monde qui était là avant nous et qui le sera après.  Nous réalisons bien que parfois nos sens nous trompent sur ce qu’elle est, mais ce n’est pas pour autant que nous envisageons la possibilité que notre perception soit partie prenante voire décisive, déterminante, provocatrice de ce fait qu’« ’il y ait » du Réel. Cela signifie que la connaissance est plutôt définie comme la relation d’un sujet passif face à une réalité antérieure, à une nature effective. Le biologiste essaie de percer à jour la réalité du Vivant, étant entendu que cette réalité préexiste à la discipline qui essaie de le connaître. Comme nous le verrons: à partir de Galilée selon Emmanuel Kant, ce rapport va s’inverser et nous pouvons, à compter de la science dite « moderne » (Descartes, Galilée, Bacon, Torricelli, etc) envisager la possibilité que ce soit le savant, le chercheur qui soit actif dans la connaissance du réel plutôt que l’inverse. Cela doit nous questionner sur le rôle de la fiction dans la science dite moderne.
       
               En effet, connaître signifie donc, dans un sens premier, « observer avec rigueur », ne pas extrapoler, ne pas « broder », « s’en tenir aux faits ». Connaître, c’est justement « ne pas se raconter d’histoires », ne pas imaginer mais simplement « constater », dans une posture non seulement passive mais aussi suspensive. Le scientifique s’oppose donc à l’artiste de prime abord    parce  qu’il n’est vraiment pas question pour lui d’écouter son instinct créateur, de laisser son inspiration lui dicter ses actes et qu’au contraire il pratique une sorte d’ascèse de l’observation stricte,  de scepticisme de méthode. Le scientifique est celui qui dit: « j’y croirai quand je le verrai, quand je l’aurai testé, que je l’aurai expérimenté, et ne me laisserai pas influencer par des intuitions, par des rumeurs, par des éventualités plus ou moins fantasmagoriques ».
        Pour le dire clairement la science nous apparaît comme la discipline la plus exigeante en terme de preuve, de démonstration, de rationalité. Tout ce qu’elle avance est prouvé, soumis à des tests draconiens, appuyé par des raisonnements convaincants parce qu’absolument dénués de toute idéologie, de toute subjectivité, de toute imagination, de tout arbitraire. C’est donc précisément parce que le scientifique ne croit en rien, n’invente rien, ne « crée » rien qu’il maintient sa discipline et sa pratique dans le cadre de ce qu’elle doit être. Voilà ce que nous pensons dans une toute première approche: le scientifique s’efforce de connaître la réalité parce qu’il n’est pas un artiste mais parce qu’il réprime en lui tout élan créateur, toute expression singulière de soi alors qu’au contraire l’artiste s’évade du réel, se libère de tout effet de contrainte venant de la réalité et crée à partir de rien des musiques, des tableaux, des romans.
         
Ce qu’il faut bien comprendre ici, c’est que tout ce qui vient d’être dit est évidemment totalement faux, parce que l’artiste ne crée jamais à partir de rien et parce que le scientifique est beaucoup plus intuitif et créatif qu’on pourrait le croire de prime abord. Il faut pourtant partir de cette vision simpliste caricaturale qui est bien celle du sens commun le plus primaire à tous égards sur cette question. Cela va nous aider à problématiser: qu’il faille créer des fictions pour connaître la réalité est une thèse très paradoxale, non seulement parce que celui qui s’efforce de connaître le réel est le scientifique et qu’il pratique une discipline qui nous apparaît comme le contraire absolu de l’Art, mais aussi parce la réalité est le contraire de la fiction.
        Le réel produit un « effet de contrainte ». Ce terme est vraiment crucial, il désigne précisément cette acceptation, cette effet d’évidence incontournable « de ce qui est ». Or c’est finalement bien cet effet qui définit le plus efficacement la science que ce soit
d’un point de vue purement logique: 2=2 =4, c’est vrai et d’autre part, 
d’un point de vue expérimental: le résultat d’une expérience est incontournable pour un physicien, un chimiste
Du point de vue de l’observation dans l’astronomie, l’astrophysique
        Le scientifique ne semble jamais dépasser du cadre de ce qui est, de ce qui se produit réellement, alors que l’artiste nous apparaît comme une force créatrice qui ne s’impose aucune limite. Il faut bien s’imprégner de ces deux images pour ne pas dire « stéréotypes », précisément parce que nous allons être nécessairement amener à les discuter, à les remettre en cause et peut-être à les inverser totalement.
        Nous disposons donc d’un bon angle de vue pour aborder le sujet: il faut d’abord insister sur tout ce qui nous surprend en lui, nous interroger sur cet effet de surprise, et découvrir à quel point il nous étonne parce qu’il pointe vers cette idée reçue selon laquelle le scientifique ne fait pas travailler son imagination mais son entendement, ses capacités de raisonnement logique, d’observation stricte du réel, de limitation à ce qui se passe effectivement alors que l’artiste s’évade du réel et lâche la bride à une imagination. Une fois posé ce lieu commun, nous devons nous efforcer de réaliser tout ce qu’il a de simpliste, de complètement faux et étroit. Peut-être n’existe-t-il pas de plus grand observateur que l’artiste, en fin de compte, et inversement pas de plus grand créateur, pas d’esprit plus imaginatif que celui du scientifique. Que serait la science sans la fiction? Comment un grand romancier (qui fait des fictions)  pourrait-il travailler sans un sens très aiguisé de l’observation (du réel)?

2) Des définitions
        Comme dans tout sujet, quand ça se passe bien, il y a un moment où l’on a l’impression de comprendre  où la personne émettrice du sujet veut nous faire aller (et évidemment il faut y aller). Se pourrait-il que nos facultés de perception, de réalisation « de ce qui est réellement » passe par l’art de forger des fictions? Se pourrait-il que nous ne puissions connaître le monde, l’univers, le vivant qu’en échafaudant des hypothèses, qu’en faisant des simulations, qu’en inventant de toutes pièces des représentations, des romans, des modèles, des oeuvres?  Se pourrait-il que notre rapport au monde soit à ce point falsifié que nous ne voyions jamais plus prés de le connaître que lorsque nous lâchons le bride à notre esprit de création le plus libéré, le plus audacieux?

        Qui tente de connaître la réalité? Le scientifique. Qui crée des fictions? L’artiste. Il n’est pas possible de traiter ce sujet sans le rattacher à ces deux notions.
        (Pour être clair, il va falloir, contrairement à d’habitude, que vous travailliez ces notions par vous-mêmes, en me posant des questions, en vous aidant des cours ou des articles de ce blog, mais il est impossible de traiter ce sujet sans saisir la portée de ce dialogue et peut-être de cette substitution des rôles entre l’artiste et la scientifique. Cela va nous imposer un travail de définition assez rigoureuse (donc vous voyez: je vous aide un peu en fait!) Sur les notions de science,  de réalité, d’art, de fiction.
ATTENTION:  Il est vraiment hors de questions qu’une introduction sur ce sujet consiste dans la définition de ces 4 termes. Ce serait trop long et ferait passer à la trappe le vrai travail d’une introduction qui consiste à problématiser le sujet. Si nous faisons ce travail maintenant c’est parce que cela peut nous aider à problématiser, mais il n’est pas question d’entrer autant dans le détail des définitions dans votre introduction. Nous sommes toujours dans la phase « brouillon » et rien ne vous empêche d’utiliser soit des définitions minimales dans votre introduction si elles vous aident à poser le problème, soit à refaire ce travail de définition en plus développé, après votre intro  mais il faudra absolument le relier au sujet. Le SUJET, toujours le SUJET!!!!
         
La science se caractérise par un effet de contrainte, comme nous venons de le voir. C’est important et cela doit être évoqué dés l’introduction. Un chercheur n’est pas quelqu’un qui défend une idée gratuitement, idéologiquement. Il ne dit pas ce qu’il pense, il dit ce qu’il ne peut pas ne pas penser parce que cela s’impose soit à la vue, soit à l’entendement. Ce n’est pas quelqu’un qui dit « je pense que…. ». Tout ce qu’il avance est précédé par une démonstration de telle sorte que rien n’est avancé sans être la conclusion d’un raisonnement, d’une expérience, d’une observation rigoureuse. Il ne « croit » rien, il « conclue », il « déduit », il tire les conséquences de….
        Si nous souhaitons approfondir l’esprit de la science, il nous faut réfléchir aux critères à partir desquels une thèse peut être dite « scientifique ». Considérons ces cinq arguments à partir desquels une proposition « est » scientifique:
- La cohérence interne: il est impossible qu’une théorie scientifique se contredise elle-même.
- La conformité avec la réalité observable. Ici par contre, nous parlons des sciences dites expérimentales. Une proposition ne peut être scientifique que si elle correspond à ce qui se produit dans la réalité. Nous retrouvons ici l’effet de contrainte d’un fait qui s’effectue dans le réel.
- La prédiction: une thèse scientifique s’efforce de relever des lois dans la nature et, par conséquent d’être capable d’anticiper sur un phénomène si telle loi présumée dans la nature prévoit tel ou tel fait. Si en effet, le phénomène se produit, la loi semble « valide ».
- Le principe d’économie: une thèse est scientifique quand elle prend le parti de réduire au maximum le recours à des postulats ou à des principes. C’est aussi ce que l’on appelle le rasoir d’Ockham.
- La falsifiabilité: une proposition est scientifique si elle prend le risque d’être réfutée. Avancer que Dieu existe est une thèse religieuse qui n’est pas réfutable. Au contraire, la science n’avance que des thèses qui sont susceptibles d’être contredites par un raisonnement ou par un fait (expérience). C’est là une idée défendue par Karl Popper.

            Comment définir le réel maintenant? Est réel tout ce qui « s’effectue », tout ce qui est concret, matériel, physique, factuel. Ce n’est pas parce qu’un évènement, ou un résultat semble « devoir » se réaliser qu’il se produit en effet. Il y a dans le réel l’idée d’une effectuation qui n’est pas celle de la conclusion ou de l’aboutissement logique. Ce qui se produit c’est ce que l’on aurait pu prévoir mais toujours avec ce plus, avec ce supplément de justesse qu’en effet, cela s’est produit. Il est toujours en deçà ou au-delà de ce que l’esprit humain peut en concevoir.  L’expression « connaître la réalité » est donc assez ambigüe: s’agit-il de connaître toutes les « composantes » de la réalité? On se représente alors une liste, peut-être sur le modèle du tableau périodique des éléments de Mendeleiev, censée rendre compte de toutes les réalités physiques, mais ce qui constitue la réalité c’est précisément toutes les combinaisons de ces éléments et plus encore le fait qu’elle ne s’effectuent pas sur un « tableau ». Nous semble réel ce dont on peut faire l’expérience mais en même temps rien ne semble plus déterminant dans les sciences expérimentales que les démentis que la réalité inflige à des théories. C’est d’ailleurs bien ce que nous retrouvons dans cette définition philosophique du réel: « Le réel est un concept ontologique qui désigne ce qui existe en dehors et indépendamment de nous. Il se définit par rapport à celui de réalité empirique, qui, lui, désigne ce qui existe pour nous grâce à notre expérience. »
          
       Or c’est le sens même de la falsification pour Karl Popper, à savoir qu’une proposition n’est scientifique que dans la mesure où elle est énoncée dans une forme susceptible d’être invalidée par une expérience et si elle l’est, la théorie est en effet invalidée. Ce qui signifie selon Karl Popper que la scientificité d’une proposition se caractérise par sa capacité à faire l’épreuve d’un réel réticent, négatif. Plus une thèse résiste à une expérience vraiment susceptible de la mettre en échec, plus elle peut être considérée comme valide. Au moment où le physicien ou le chimiste conçoivent une thèse, celle-ci n’est qu’une fiction, mais on la fait passer à l’épreuve du réel par l’expérience et nous connaissons un peu plus le réel une fois que l’expérience a tranché. C’est donc dans une sorte de duel, de « vis-à-vis » constant avec la réalité que se joue le caractère scientifique d’une thèse, ou d’une proposition. Il est vraiment difficile de définir « le réel » autrement que « négativement ». On ne peut que l’approcher, que l’utiliser à titre de « notion régulatrice » dans la confrontation de laquelle quelque chose se décide de la science. Le réel c’est ce qui résiste à l’esprit humain parce qu’il n’est pas théorique ou conceptuel. Nous pourrions peut-être nous le représenter comme une mise en demeure à l’égard de laquelle l’Homme ne semble de prime abord ne pas pouvoir  adopter d’autre posture que celle d’un observateur, d’un « scribe" écrivant sous la dictée, d’un témoin passif subissant la réalité comme le décret d’une puissance souveraine qui lui échappe. Nous verrons que cette considération va évoluer, voire s’inverser avec l’apparition de la science moderne et de l’importance de l’expérimentation scientifique mais cela n’enlève rien au fait que le réel se définit par la puissance d’un effet de contrainte, d’un grand « dehors » qui se manifeste à nous comme une puissance étrangère et hostile résidant à toutes nos tentatives d’assimilation.

        « Fiction » vient du verbe latin « fingo » qui signifie façonner, forger de toutes pièces. Est donc fictif, non seulement ce qui n’est pas réel mais aussi ce qui est créé, ce qui construit par un esprit ou tout simplement une prise d’initiative humaine. Evidemment c’est dans le domaine du langage qu’il est le plus intéressant de penser et d’appliquer cette notion de fiction car après tout, comme Nietzsche ne cesse de le répéter dans « Vérité et mensonge au sens extra-moral ». L’homme forge la fiction des concepts: des noms généraux de « fleur", de « chien », de  « feuille », etc et il perçoit le réel au travers de ce crible fictif, de telle sorte qu’il nous est difficile de savoir si ce que nous percevons est fictif ou réel. Il y a bien quelque chose de réel derrière ma perception de la fleur, mais que ce soit une fleur, c’est-à-dire une idée générale de fleur, c’est finalement impossible puisque cette catégorie est un produit de mon entendement. Le réel, pour Kant, c’est finalement ce dont l’Homme ne peut avoir de perception « pure », en soi, mais ce dont la rencontre  sensorielle est pour lui l’occasion de constituer un monde de phénomènes, d’objets, de choses construites par les catégories de notre entendement humain.

           
Définir l’art est quasiment impossible tant les conceptions et les regards varient suivant les auteurs. Nous pouvons néanmoins affirmer que trois possibilités se dessinent:
Soit l’art réside dans la capacité d’imiter la nature comme Platon et Aristote le soutiennent bien qu’ils le conçoivent très différemment. Cette imitation présente assez peu d’intérêt pour Platon qui ne reconnaît pas de place attitrée pour les artistes dans sa vision de la cité idéale, de la République alors qu’Aristote défend l’idée selon laquelle l’oeuvre d’art a trois fonctions: thérapeutique, pédagogique, cathartique.
Soit l’art est une création dans laquelle l’homme investit et libère une puissance spirituelle qui le caractérise en propre. L’homme est la créature qui donne à la réalité sensible, par l’oeuvre une valeur et une dignité spirituelle sans égal:“le besoin universel de l’art est donc le besoin rationnel qu’a l’homme d’élever à sa conscience spirituelle le monde extérieur et intérieur pour en faire un objet dans lequel il reconnaît son propre moi”. C’est là la thèse de Hegel
Soit l’art est un certain mode perception qui consiste à percevoir la réalité brute. C’est la thèse de Bergson, de Hegel et aussi de Paul Klee: « l’art ne reproduit pas le visible, il rend visible » Il faut reformuler cette idée et l’appliquer à tous les arts: « l’art ne reproduit pas le perceptible, il rend perceptible; »
            Toutes ces conceptions de l’art sont intéressantes mais il est évident que par rapport au sujet, la dernière prend un relief tout particulier car le propre de l’art est de créer des fictions, mais, si l’on en croit la troisième définition, l’oeuvre ferait percevoir, non pas quelque chose de fictif mais le réel même.
        Il faut évidemment avoir en tête l’oeuvre que nous sommes en train d’étudier, mais considérer que la difficulté de la philosophie de Nietzsche, ainsi que son originalité plaident en faveur d’une utilisation « tardive », tout simplement parce que les thèses qu’il défendrait sur ce sujet sont « ultimes ». On peut dont y penser comme une forme d’aboutissement mais quelle serait globalement sa position sur ce sujet? c’est assez simple: puisque la moindre perception est pour l’homme l’occasion de métaphoriser doublement la sensation (l’image et le nom) il va de soi que la réponse Nietzschéenne est positive. Tenter de connaître la réalité c’est utiliser cet intellect trompeur qui nous abuse en nous faisant croire que nous le comprenons au fur et à mesure que nous ne faisons qu’en constituer des versions de plus en plus abstraites et conceptuelles. Il importe au contraire que nous assumions notre statut de porteur et de créateur de métaphores notamment par l’Art.

3) Idées, références, exemples  et auteurs (équivalent du brouillon)

        Dans cette partie, je vous propose finalement l’équivalent d’un brouillon dans le cadre d’une épreuve de philosophie en temps limité. Cela signifie que j’évoque pêle-mêle, des éléments dont il vous appartiendra de vous servir ou pas dans l’ordre que vous aurez choisi en fonction de votre plan. Faites donc très attention à ce point. Je suis sûr que ce qui va suivre est dans le sujet mais je n’interviens pas dans votre plan, dans la construction de votre dissertation. A ce moment de l’année et compte tenu de tout ce que nous avons fait méthodologiquement, vous êtes censé savoir comment on fait un plan (même si je peux vous aider mais individuellement)       
        Dans « Les règles de l’art » du sociologue Pierre Bourdieu, on peut trouver ce passage qui évoque « l’effet de réel » des oeuvres de fiction, des romans de la littérature. Cet extrait est un peu difficile mais il contient des propositions qui sont au coeur de notre sujet. Comment se fait-il que nous comprenions mieux, par exemple les rouages de notre société en lisant un roman de Balzac, de Maupassant, de Zola plutôt qu’en lisant certains travaux sociologiques,  écrits par des spécialistes des sciences humaines? Comment se fait-il que des écrivains qui ne font que raconter des histoires aient étrangement cette puissance capable de nous révéler les ressorts du réel alors même qu’ils ne racontent que de la fiction?
    

« [L]’œuvre littéraire peut parfois dire plus, même sur le monde social, que nombres d’écrits à prétention scientifique […] mais elle ne le dit que sur un mode tel qu’elle ne le dit pas vraiment. Le dévoilement trouve sa limite dans le fait que l’écrivain garde en quelque sorte le contrôle du retour du refoulé. […] Pour dévoiler complètement la structure que le texte littéraire ne dévoilait qu’en la voilant, l’analyse doit réduire le récit d’une aventure au protocole d’une sorte de montage expérimental. On comprend qu’elle ait quelque chose de profondément désenchanteur. Mais la réaction d’hostilité qu’elle suscite contraint à poser en toute clarté la question de la spécificité de l’expression littéraire : mettre en forme, mais aussi mettre des formes, et la dénégation qu’opère l’expression littéraire est ce qui permet la manifestation limitée d’une vérité, qui, dite autrement, serait insupportable. L’ «effet de réel» est cette forme très particulière de croyance que la fiction littéraire produit à travers une référence déniée au réel désigné qui permet de savoir tout en refusant de savoir ce qu’il en est vraiment. »

            
           Avant de vous aider à comprendre ce texte difficile, il faut que vous pensiez à des exemples (méfiez vous un peu, il peut être tentant de choisir une série, et il ne fait aucun doute, à mon sens, que ça peut marcher: une série comme Peaky Blinders est particulièrement apte à nous éclairer , par exemple, sur les ravages de la guerre dans l’esprit des combattants revenant à la vie civile, House of cards nous fait indiscutablement saisir la mécanique des institutions des Etats-Unis, le fonctionnement de la Maison Blanche, et la fascination du pouvoir politique, et d’autres exemples comme « sur écoute » ou « the wire » qui décrit la criminalité à Baltimore et se révèle être un regard sociologique d’une acuité incroyable sur les habitus et les mentalités dans les dynamiques sociétales, etc. mais si vous voulez vous situer dans une optique « Baccalauréat », ce qui me semble être notre cas ici, choisissez plutôt des exemples issus de la littérature, comme « les illusions  perdues » de Balzac ou « Madame Bovary » de Flaubert ou encore « Bel Ami » de Maupassant, « Germinal » de Zola ou mieux: de la science fiction et du fantastique.  Pourquoi mieux? Parce que ces deux genres littéraires vont le plus loin dans la fiction: ils se situent d’emblée ailleurs que dans le réel. S’ils produisent cet « effet de réel » dont nous parle Bourdieu, c’est d’autant plus extraordinaire qu’ils semblent s’en détacher radicalement. Ici je pense notamment à Dune de Frank Herbert. Comment peut-on expliquer que des oeuvres qui choisissent d’emblée de se situer dans une dimension autre que celle de la réalité nous en apprennent sur la réalité? C’est ça qui est intéressant)
           
  
    
On ne peut pas comprendre cet extrait sans connaître Freud et les termes de psychanalyse. Le retour du refoulé, c’est quand le patient réveille en lui ce qu’il a refoulé, c’est quand la psychanalyse réussit à faire émerger du souvenir du patient l’épisode traumatique à l’origine de ses problèmes, cette partie de ses désirs ou du passé ou plus sûrement des deux mêlés qui ont déclenché des troubles en ayant été censuré par le sur-moi. Il faudrait ici comparer le corps social comme un patient et la littérature comme le rêve, le lapsus ou encore le cadre assez libéré de la prise de parole du patient qui ne se rend pas compte qu’il est en train de dire exactement ce qui lui pose problème parce qu’il ne fait que parler de tout et de rien (the talking cure). De la même façon, il y a quelque chose de prétendument inoffensif dans la littérature: elle ne fait que raconter une histoire: « il était une fois »: nous entrons donc dans le récit comme si nous n’avions pas à chercher le rapport avec la réalité, alors qu’un travail scientifique se présente d’emblée à nous comme une analyse de la réalité. Par exemple, je lis « A la recherche du temps perdu » de Marcel Proust et voilà que par exemple, le fameux passage de la madeleine me fait comprendre avec une clarté et une justesse absolument inégalée (y compris par la philosophie) la mécanique de ce qu’on appelle le souvenir involontaire.
      
En racontant l’histoire d’un narrateur fictif avalant une gorgée de thé et un morceau de madeleine, je suis brutalement et presque par surprise projeté dans l’analyse précise, juste en tous points de ce qu’implique, de ce qu’induit un épisode qui « littéralement » vient du dessous. Proust nous montre et peut-être même nous démontrer comment des morceaux entiers de notre vie se décollent de cette toile de fond insoupçonnée où sont gravés des pans entiers de notre existence, lesquelles ne reviennent à la surface de notre présent qu’à l’occasion de choix sensitifs comme un parfums, un morceau de gâteaux. Nous ne sommes pas des sujets volontaires qui gardons dans une mémoire disponible et bien lisse des épisodes de notre vie, nous sommes au contraire des traits d’unions insignifiants, de purs réceptacles soumis aux rappels hasardeux de sensations inattendues, imprévisibles. Tout les souvenirs racontés par le narrateur tiennent dans une saveur de gâteau, dans sa fonction mémorielle. Aucun philosophe, aucun scientifique n’est ici à la hauteur de ce que Proust réussit par la fiction. Il s’agit pourtant de décrire la mécanique bien réelle de ce que c’est que se souvenir.
        Pourquoi Pierre Bourdieu va-t-il chercher ce vocabulaire de la psychanalyse? Parce que c’est bien dans ces termes là que la question de la connaissance se pose à nous. Nous savions ce que Proust nous a fait comprendre, mais nous ne savions pas que nous le savions. Il a fallu cette « ruse » de la littérature, cette façon d’avancer masquée du récit de fiction pour brutalement me jeter littéralement dans la réalisation d’une caractéristique réelle de ma vie, de cette fonction de réminiscence que je possède. Si j’avais lu un ouvrage scientifique sur la mémoire, cela n’aurait pas marché aussi bien, parce que ma conscience aurait été trop sollicitée avec tout ce qu’elle implique de semblance et de fausseté, comme tout bon soldat qui « se dit » qu’il va à la guerre n’est pas préparé à la guerre. L’authenticité, ici comme ailleurs, implique l’effet de surprise. La fiction m’a plongé dans une dimension autre que la réalité mais qui paradoxalement m’a parfaitement fait comprendre la réalité de ce phénomène qu’est la mémoire.
            
Il y a là une dénégation: la fiction dit qu’elle n’est pas la réalité alors qu’elle est presque plus réelle que le réel même. Comment expliquer cela? Pierre Bourdieu exprime cela par une phrase très juste mais très difficile à comprendre et surtout à suivre dans son utilisation de la dénégation: « l’effet de réel est cette forme très particulière de croyance que la fiction littéraire produit à travers une référence déniée au réel désigné qui permet de savoir tout en refusant de savoir ce qu’il en est vraiment ». Il faut bien comprendre que cet effet de réel s’accompagne aussi d’un certain effet de scandale: « la dénégation qu’opère l’expression littéraire est ce qui permet la manifestation limitée d’une vérité, qui dite autrement serait insupportable. » Pierre Bourdieu évoque ici l’hostilité de nombreux lecteurs dés lors que des analyses manifestes clairement cette part crue et brute de réalité contenue dans la fiction. On pourrait penser ici à l’incroyable fake news   mise en scène par Orson Wells le 30 octobre 1938 faisant croire à des millions d’américains que les extraterrestres débarquent aux Etats Unis. C’est de la fiction mais cela révèle la capacité de la Radio ou de tout autre relais médiatique de faire croire n’importe quoi à une population. L’analyse de cette mise en scène a un effet désenchanteur: on se voit contraint d’admettre que tout ceci est une affaire de mise en scène, d’habileté scénaristique, théâtrale, etc. Quelque chose de nous désire être trompé plutôt qu’informé ou averti (il va de soi ici que Nietzsche est une référence vraiment utile, notamment par l’analyse qu’il fait de l’intellect humain pour rendre compte de cet événement qu’il n’a évidemment pas vécu)
        « La dénégation qu’opère l’expression littéraire »: ce point est donc capital. Il faut que nous soyons trompés, pris de court par un genre d’écriture qui ne dit pas vraiment ce qu’il fait, qui se présente à nous dans une feinte innocence: « je ne fais que vous raconter une histoire ». Notre esprit critique est contourné. Si nous avions lu un ouvrage scientifique, quelque chose de notre esprit critique conscient serait rester éveillé: c’est une thèse défendue par un scientifique qui se propose à mon analyse et je dois la lire avec la distance qui rend possible mon jugement. Cette analyse s’adresse à ce qui en moi tient de l’être raisonnable, rationnel, conscient. Je la ferai donc passer à l’examen, j’analyserai l’analyse alors que je serai sans défense intellectuelle devant un récit de fiction et c’est précisément la raison pour laquelle la dénégation de la littérature (je ne fais que vous raconter de la fiction) fera mouche là où une analyse sociologique, psychologique ou philosophique aux plus de mal à imposer ses conclusions. Cette analyse de la dénégation de la littérature par Pierre Bourdieu va vraiment très loin. Elle peut être illustrée par une multiplicité d’exemples et sans aucun doute prolongée par une référence appuyée à Nietzsche (parce que si on va plus loin, on va forcément trouver la référence à la métaphorisation du réel)
    

        Comme il a déjà été précisé, je vous propose une autre référence sans aucun esprit de suite ou de transition. Il n’est plus question pour moi de vous proposer un plan. Nous avons évoqué la littérature qui est un Art et il va maintenant être question de science. Hier, nous avons vu que pour le sens commun, la science est précisément la discipline la plus rigoureuse, celle qui n’invente rien et se tient dans une sorte de passivité attentive à l’égard de la nature, de la réalité, ce que nous avions réduit par la formule, la science découvre la réalité, elle ne l’invente pas et elle n’invente rien. Le texte que nous allons voir entre totalement en contradiction avec cette vision de la science. Emmanuel Kant (1724 - 1804) réfléchit en effet dans la seconde préface à la critique de la Raison Pure à ce que la métaphysique peut connaître et il propose qu’elle suive la même évolution que la science. Pour cela il analyse ce qui selon lui a changé avec l’émergence de scientifiques nouveaux au début et au milieu du 17e siècle: Galilée, Torricelli, Stahl et nous pourrions rajouter Descartes,  Bacon, Pascal.
        Son analyse est extrêmement convaincante car elle rend compte de cette révolution qui a vu enfin la science sortir de la soumission aveugle à la tutelle (involontaire) d’Aristote:
             « Quand Galilée fit rouler ses sphères sur un plan incliné avec un degré d'accélération dû à la pesanteur déterminé selon sa volonté, quand Torricelli fit supporter à l'air un poids qu'il savait lui-même d'avance être égal à celui d'une colonne d'eau à lui connue, ou quand, plus tard, Stahl transforma les métaux en chaux et la chaux en métal, en leur ôtant ou en lui restituant quelque chose, ce fut une révélation lumineuse pour tous les physiciens. Ils comprirent que la raison ne voit que ce qu'elle produit elle-même d'après ses propres plans et qu'elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, qu'elle doit obliger la nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser conduire pour ainsi dire en laisse par elle ; car autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé d'avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont elle a besoin.
      Il faut donc que la raison se présente à la nature tenant, d'une main, ses principes qui seuls peuvent donner aux phénomènes concordant entre eux l'autorité de lois, et de l'autre, l'expérimentation qu'elle a imaginée d'après ces principes, pour être instruite par elle, il est vrai, mais non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce qu'il plaît au maître, mais, au contraire, comme un juge en fonction qui force les témoins à répondre aux questions qu'il leur pose. »
                             « Préface à la seconde édition de la critique de la Raison Pure » -  Kant

        Emmanuel Kant évoque trois expériences faites par trois savants différents mais qui toutes ont un point commun: les scientifiques ne sont pas ici contentés d’attendre que la nature  ou que la tradition, ou l’autorité d’auteurs anciens révèlent quelque chose. Ils sont imaginé des expériences à partir de thèses, d’intuitions ou parfois d’observations contradictoires qu’ils avaient faites préalablement. La raison n’aperçoit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans. C’est un bouleversement incroyable dans les façons de penser la science. Galilée, notamment, tente quelque chose. Il est convaincu qu’un corps ne tombe pas plus vite parce qu’il est plus lourd et il imagine une multitude de protocoles expérimentaux qui non seulement vont dans ce sens mais aussi partent d’intuitions différentes de la gravité, différentes par rapport à la norme scientifique de l’époque. Le scientifique ne fait pas d’expérience sans avoir d’abord une idée derrière la tête et cette idée peut être incroyable, révolutionnaire, incompréhensible pour ses contemporains.
          
                  Kant n’hésite pas à baptiser ce bouleversement « révolution Copernicienne ». Ce n’est plus à la connaissance de se régler sur la réalité mais à la réalité de se régler sur la connaissance. Cela veut dire que Galilée, par exemple, a cessé d’attendre. Il a essayé (saggiatore en italien signifie l’essayeur). Il n’est plus question d’attendre que la réalité nous dise quelque chose mais il faut la forcer à répondre à nos questions par l’expérience, c’est cela qu’il veut dire par « se régler sur la connaissance".  La nature ne nous dit rien à moins qu’elle y soit forcée et pour la forcer, encore faut il avoir des questions à lui poser, mais ces questions elles-mêmes ne peuvent se concevoir qu’à partir de nouvelles idées. La référence finale au juge en fonction par opposition à l’écolier qui se laissait dicter par elle (la nature ou la réalité) les choses à connaître est assez parlante.
            Pour notre dissertation, cette référence est vraiment essentielle et il faut la prolonger notamment si vous possédez quelques éléments de culture scientifique. Qu’est-ce qu’une hypothèse si ce n’est une fiction qui attend d’être validée ou réfutée par une expérience? Evidemment les fictions ne viennent pas à l’esprit du scientifique sans raison, sans attention ni sans intention d’ailleurs et cela ne nous semble pas comparable aux idées d’un romancier, d’un peintre ou d’un musicien, mais cela vaut la peine d’y réfléchir: aller sur la lune était à une certaine époque un projet dément que l’on ne retrouvait que dans les écrits d’écrivains de fiction. Finalement la science a toujours été précédée par la science fiction précisément parce qu’il n ‘y a peut-être pas de science sans fiction c’est à dire sans hypothèse. Ce que décrit Kant, c’est la révolution que la notion d’expérimentation a provoqué en science et il y a ici un territoire énorme à explorer dans la perspective du sujet.: le savant découvre-t-il autre chose de la réalité que ce qu’il avait préalablement imaginé par le recours à la fiction?

        Le dernier texte que je vous propose est à aborder à partir de tout ce qui vient d’être  écrit et dégagé de la lecture du précédent:

         
"Quelle est l'attitude du savant face au monde? Celle de l'ingéniosité, de l'habileté. Il s'agit toujours pour lui de manipuler les choses, de monter des dispositifs efficaces, d'inviter la nature à répondre à ses questions. Galilée l'a résumé en un mot: "l'essayeur". Homme de l'artifice, le savant est un activiste... Aussi évacue-t-il ce qui fait l'opacité des choses, ce que Galilée appelait les qualités: simple résidu pour lui, c'est pourtant le tissu même de notre présence au monde, c'est également ce qui hante l'artiste. Car l'artiste n'est pas d'abord celui qui s'exile du monde, celui qui se réfugie dans les palais abrités de l'imaginaire. Qu'au contraire l'imaginaire soit comme la doublure du réel, l'invisible, l'envers charnel du visible, et surgit la puissance de l'art: pouvoir de révélation de ce qui se dérobe à nous sous la proximité de la possession, pouvoir de restitution d'une vision naissante sur les choses et nous-mêmes. L'artiste ne quitte pas les apparences, il veut leur rendre leur densité... Si pour le savant le monde doit être disponible, grâce à l'artiste, il devient habitable. »
                                                                               Maurice Merleau-Ponty

        Maurice Merleau-Ponty reprend précisément tout ce que Kant dit de Galilée, à savoir que ce nouveau type de savant n’attend de la nature qu’elle réponde à des questions préalables, questions inspirées par une idée, par une imagination. On réalise ainsi à quel point nous sommes éloignés de la vison commune du chercheur qui ne fait que suivre ce que dit la réalité. Mais ici le philosophe développe une opposition frontale entre le scientifique et l’artiste. Le savant est un activiste: il force la nature, il ne se laisse pas distraire par les apparences, il les démasquent au contraire en les interrogeant à partir de ces présupposés que sont les concepts généraux, les catégories, les identités scientifiques: il ne peut y avoir qu’UNE cire et les apparences multiples ne sont pas à prendre à compte. Derrière la vapeur et la glace il y la molécule d’eau, molécule UNE, etc. « C’est pourtant le tissu même de notre présence au monde » dit Merleau-Ponty qui situe ici avec beaucoup de subtilité le rôle de l’artiste qui s’intéresse exactement à ce dont se désintéresse le scientifique. On ne peut envisager de plus grand renversement par rapport au sens commun: celui qui porte vraiment son attention au réel avec tous ses changements, avec toutes les variations qui s’imposent à nos sens, c’est l’artiste et celui qui le méprise pour aller à ce qui lui apparaît comme la vérité profonde, dernière des choses, c’est le scientifique. C’est finalement le scientifique qui tente et crée alors que l’artiste s’efforce de percevoir au plus prés ce qui advient dans la réalité. C’est aussi dans cette perspective là que s’inscrit Paul Klee lorsque il affirme que «  l’art ne reproduit pas le visible mais il rend visible ». L’art ne reproduit pas le réel, il rend réel, il fait advenir à la surface de ses oeuvres le réel pur, tel que nous ne le voyons pas parce que nous sommes aveuglés par le langage et par l’utilité ou par les concepts scientifiques. Les oeuvres de Cézanne, Van Gogh, Turner peuvent ici être mises en valeur, mais chacune et chacun peut utiliser ses portes exemple. (vous trouverez sur ce blog une explication complète de ce texte.
        Enfin, il va de soi que la référence à Nietzsche et à ce que nous sommes en train d’étudier s’impose, notamment, comme je l’ai déjà indiqué la notion de métaphore qui est non seulement la clé de la lecture de l’oeuvre mais aussi peut-être la clé de ce sujet: Si nous ne pouvons tenter de connaître la réalité qu’en créant des fictions c’est parce qu’il n’y. A pas de réalité « pure », objective mais seulement des interprétations qui supposent que nous inventions des versions possibles. Nus sommes des créateurs de métaphores: la représentation même de moi-même en train de taper ce cours à l’ordinateur est une « représentation » que je construis à partir des affects que je suis est train d’éprouver mais je ne peux jouir sur ce point d’aucun autre gage de certitude que celui de cette fiction que j’invente à partir de mes sensations. Vous allez sûrement me dire qu’il y a plus de oui que de « non » mais c’est la raison pour laquelle il faut d’abord insister sur la rigueur d’une science qui n’invente rien, qui ne crée rien, qui se définit par une absence totale d’idéologie ou de subjectivisme.
   

Même si vous avez choisi l’autre sujet, à savoir le texte, ce cours est important parce qu’ils nous permet d’aborder deux nouvelles notions: la science et l’art. N’hésitez pas à me poser des questions soit dans une perspective Bac soit pour le travail à me rendre pour le 10 avril prochain. Je sais: ce cours est un peu long: lisez ce que vous pouvez et pour jeudi, ce serait bien que vous soyez plusieurs à me dire où vous en êtes et ce qui vous psoe problème, je synthétiserai les questions et j'y répondrai jeudi. Si ça vous va, on peut faire comme ça (mais il faut que vous m'envoyez un message sur ce cours d'ici jeudi)
   
Là non plus: cherchez pas le rapport, mais ça détend non?

Bon courage, gardez le moral!

A JEUDI: D'ICI LA, PRENEZ SOIN DE VOUS!