mercredi 14 octobre 2020

Ecriture libre pour le 4 et 5 novembre - Terminales 1 / 2 / 3

 

 
            Rédigez une histoire à la première personne commençant par Ce matin....Comme tous les autres matins......Sauf que.....Suivra un récit plus ou moins long dans lequel il s'agira de décrire tout ce qui va petit à petit faire de cette journée une journée exceptionnelle jusqu'à cette formule finale: Quelque chose commence dans ma vie, mais aussi "de" ma vie, à partir d'elle, quelque chose qui ressemble à un jeu: "je"

(Remarque: l'effet d'homophonie entre "jeu et je" est vraiment "usé". On peut donc s'interroger sur la pertinence de terminer une nouvelle sur cette pirouette très, très peu originale. Cet effet doit donc correspondre plutôt à un sens authentique: c'est peut-être un jeu de dire "je". En tout cas, cela réclame un jeu de distanciation. Se percevoir soi-même comme un "je" n'a vraiment rien d'évident, de donné. Ce n'est pas normal et c'est le résultat d'un travail, peut-être d'un style. Dire et se vivre en tant que "je", c'est se prendre à un certain jeu, mais lequel? Cela peut être l'un des avantages collatéraux de ce travail d'écriture libre que d'essayer modestement de répondre à cette question)
 

lundi 12 octobre 2020

Où rencontrons-nous quelqu'un ? Où se font les vraies rencontres ? Est-ce seulement un "lieu"?


               
                             Notre but ici est de faire comprendre cette notion de « durée » de façon assez simple, intuitive et pas nécessairement en reprenant des textes précis de Bergson…. ce qu’il faut nécessairement faire si l’on veut vraiment approfondir.
        Je vois une personne en face de moi. Mettons qu’elle s’appelle « Camille ». Puis-je résumer le fait de sa présence, son être à son corps, c’est-à-dire à cette silhouette découpée dans l’espace? Si c’était le cas, je pourrai la définir avec des critères qui ne se distingueraient pas des critères purement physiques qui me permettent de distinguer cette armoire ou cette table. Le mot « distinguer » est important ici car il s’agirait bien de l’assimiler purement et simplement à ses contours, à sa façon de se découper d’un « fond » dans l’espace. Camille serait alors seulement brune, grande ou petite, avec un pull noir ou vert, assise ou debout etc. Nous avons tous une apparence, un corps qui est visible, tangible dans l’espace et qui possède des caractéristiques physiques. On peut toujours s’indigner de cette réduction en invoquant « l’âme », la pensée, l’esprit, l’intériorité de la personne mais à quoi ça se voit tout ça? A rien, comme le prouve d’une certaine façon les fictions sur les robots ou sur des mannequins animés que l’on peut bien faire passer pour des hommes à partir du moment où ils possèdent toutes les qualités physiques pour copier notre apparence.
            

            Par contre, il est possible d’induire d’une réalité incontournable que je ressens bel et bien être en moi qu’elle est aussi en Autrui, c’est que je me sens devenir quelqu’un d’autre à chaque instant, je sens le changement, non pas parce que, de triste, je deviens joyeux mais parce que le flux de ma tristesse est en train de se convertir peu à peu en joie. Ce n’est pas vraiment que je le sente de façon claire car ce changement est insensible, c’est plutôt que je me sente consister dans cette confusion même, comme une perpétuelle et insistante résistance aux mots que j’utilise et qui de l’extérieur sont en train de me dire que je passe d’un état d’âme à un autre. C’est comme un discours à répétition qui ne cesserait de me dire à la fois: « Trahison! » et « sentiment ». Ce mot que ta conscience te suggère est à la fois juste et déjà faux: juste parce que tu ressens ce sentiment et faux parce qu’en le disant, tu lui donnes une forme qu’il n’a pas, tu lui prêtes une fixité qu’il est impossible que tu aies éprouvée puisque, si c’était le cas, tu ne l’aurais pas vécue. La langue nous représente « UNE » sensation ou « UN » sentiment que l’on a vécu dans la mesure où précisément il n’était pas « UN » mais multiple ou plutôt constamment autre, mobile, dynamique, instable, mutant. « C’est de la tristesse? Non! De la joie? Non! L’une devenant l’un ou l’autre cessant d’être l’un? Non plus!  Mais alors qu’est-ce que c’est? »
         
      
Cela a à voir avec le fait que ce qu’il faut bien appeler, faute de mieux, « le réel » est bien « là », dans cet instant et que s’y déploie une mutation d’affects, de sentiments, dans le flux duquel « je » consiste « moi » en tant que mémoire de l’instant d’avant et projection vers l’instant à venir. Revenons à Camille! Mettons qu’elle bouge dans la pièce. Est-ce cela qui m’impose de lui reconnaître une intention? N’est-ce pas plutôt le fait que de cette position qu’elle avait préalablement à ma gauche à celle-ci où elle est maintenant à ma droite, elle n’a pas cessé de « durer », c’est-à-dire d’être intérieurement par le flux de la mutation d’un sentiment à un autre et que ce flux était bien celui d’une et d’une seule durée, toute à la fois distincte de la mienne dans son fond, dans le contenu des affects ressentis mais identique dans la forme mutante, identique en cela que c’est aussi « un flux intérieur », même si c’est une autre vitesse de mutation, d’autres affects. Que Camille "soit", je m’en aperçois en effet dans l’espace mais si ce n’était que ça, ce serait un flash, un cliché, ce que l’on appelle à bon droit un « instantané » fulgurant et bref. Or ce n’est pas du tout comme ça qu’elle est en face de moi. Deux durées se télescopent ailleurs que dans l’espace et c’est peut-être surtout là que je la rencontre.
        Il faut ici penser au texte sur l’horloge et à la notion « d’espace auxiliaire ». L’horloge est pour moi l’occasion de concrétiser dans l’espace extérieur l’efficience d’un dynamisme intérieur, de ma durée et de la déformer quelque peu en me faisant accréditer l’existence d’un temps divisible régulier, paramétré, mesurable. Il faut situer au même niveau de superficialité voire de dénaturation l’impression que j’ai de l’extériorité de l’autre personne, non pas qu’elle soit vraiment fausse, mais la rencontre première ne se fait pas à ce niveau. Elle n’est pas extérieure. Si nos rencontres ne se passaient que de corps à corps, nous ne serions jamais touchés, traversés, concernés par l’existence des autres. Elle nous glisserait dessus comme de la pluie sur la toile d’un imperméable. Et c’est bien le terme qu’il convient d’utiliser en effet: nous sommes perméables à l’existence de l’autre à ses pensées, ses manifestations, ses signes, ses paroles, ses états d’âme.  Ses sentiments et les miens composent un arrangement au sein d’un complexe et cet arrangement ou ce dérangement ne consiste pas seulement dans les signes extérieurs dont je déduis qu’il est content ou pas content, joyeux ou pas joyeux. Le flux de durée dans lequel je consiste a intuitionné le flux de durée dans lequel il consiste dans ce complexe dont il est difficile de donner idée si ce n’est en allant chercher des termes comme âme, esprit, pressentiment, psyché, etc.
           

C’est là tout l’enjeu de la compréhension de cette notion de durée en particulier et de Bergson en général, à savoir que rien, en un sens n’est moins spirituel, abstrait, spéculatif que le lieu de cette rencontre. Ce n’est pas à une rencontre d’âme à âme, ou de psyché à psyché que nous avons ici affaire, mais tout simplement à l’évidence (absolument incontournable de tous les points de vue, évidence finalement incroyablement plus certaine que le cogito de Descartes) à la lumière de laquelle « rien ne dure que différemment et ensemble ». Ce qui se passe, c’est cette incroyable multiplication de durées distinctes qui toutes composent un choeur et ce choeur, c’est « la vie », ou la volonté de puissance ou Dieu, c’est-à-dire la nature pour Spinoza (notons bien que dans ce choeur ne se font pas seulement entendre des voix humaines). 
            Nous résonnons dans la vie avant de nous rencontrer dans l’espace et cette rencontre physique dans l’espace n’est que la version déformée, dénaturée, seconde, de ce qu’il se passe au sein de ce complexe que l’on peut appeler indifféremment « la vie », la nature ou Dieu. Exister c’est s’effectuer dans un chœur de tonalités multiples, de dissonances ou d’assonances qui clament conjointement mais différemment leur droit à la vie, à la présence. Ce que nous appelons esprit, âme ou psyché n’est ni plus ni moins que cet excédent de la rencontre que nous ne parvenons pas à caser dans le face à face spatial. C’est la manifestation aussi indubitable qu’inexplicable d’une dimension autre que celle de l’espace, intime sans être personnelle, intérieure sans être réservée, solitaire sans être isolée, unique sans être exclusive. On pourrait se représenter des gants distincts, tout surpris, une fois retournés, de se trouver pris, sans cesser d’être différents, dans la texture d’une seule et même doublure intérieure. Envisageons le fait que cette doublure « UNE » soit la trame au gré de laquelle chacun des gants « durent »
         

                Nous pourrions imaginer la même scène que celle où Monsieur Anderson, dans Matrix, se retrouve réellement dans la cuve, cultivé par les machines, sauf que la réalité ici n’est pas du tout la révélation d’une aliénation mais, au contraire, celle de la réalisation d’une vérité à savoir que nous ne sommes ni plus ni moins qu’une certaine durée de l’être, un certain temps de vie, la variable d’une persévérance, d’une insistance….et pour le coup, nous pourrions inventer ce néologisme de » l’insistence »:  d’un « in-sistere » qui serait le fond de vérité de l’ex-sistere de l’existence. Camille et moi n’existons dans l’espace que parce que nous insistons d’abord dans la durée, nous persistons à vouloir vivre, à vouloir entonner notre chant dans le choeur.
         

                    
Dans le film de Stephen Daldry: « the hours », nous percevons cet écho qui fait entendre les résonances entre trois vies, incroyablement proches par leurs tonalités mais spatialement et temporellement disjointes. Ce n’est pas métaphoriquement que ces trois femmes se rencontrent. Virginia Woolf a écrit un livre: « Mrs Dalloway » que Laura Brown lit et que Clarissa Vaughan « incarne » ou vit au 20e siècle. Ce que Richard aime en elle, c’est cette fibre qu’il avait déjà décelé chez sa mère, à savoir un certain style d’existence que l’on peut appeler peu ou prou: « Mrs Dalloway ». Rien n’est plus réel que ça, et finalement rien n’est plus stimulant que les derniers mots mis dans la bouche de Virginia Woolf par Michel Cunningham:
« Cher Léonard, regarder la vie en face, toujours regarder la vie en face, et la reconnaître, pour ce qu’elle est, enfin la connaître, l’aimer, pour ce qu’elle est, et la mettre derrière soi. Léonard, toujours les années entre nous, toujours les années, toujours l’amour, toujours les heures ». 



Un grand merci à Amélya Gruelle de la Tle 1 dont la remarque sur ce qui fait l’unité d’une personne  est à l’origine de cet article.


samedi 10 octobre 2020

Méthodologie de la dissertation



1) Réception du sujet

           Il convient d’avoir présents à l’esprit trois principes essentiels:
- Même si c’est une question que l’on nous pose, personne n’attend que nous répondions vraiment à la question. Il s’agit plutôt de se rendre compte très rapidement que le sujet contient un problème et que ce problème est très, très ambigu, contradictoire. Il doit nous embarrasser et toute la dissertation consistera dans l’organisation claire, rigoureuse, approfondie de cet embarras qu’il ne nous faudra jamais « lâcher ». Une dissertation, c’est l’expression claire, suivie et progressive de l’embarras que nous cause un problème. Des possibilités de réponses doivent apparaître mais toujours « circonstanciées », précises, conditionnées aux sens différents que tel terme du sujet peut revêtir. Si tel mot est pris dans tel sens, alors la réponse serait….mais évidemment ce n’est pas la seule signification.
- Par conséquent, si nous ne parvenons pas à discerner dans un sujet pourquoi la réponse est ambiguë, pourquoi il est tout à fait cohérent (voire nécessaire) de comprendre que la réponse peut être « oui » et être très pertinente, mais aussi qu’ elle peut aussi être « non » et n’être pas moins pertinente, il ne faut pas choisir ce sujet. La question est difficile « par nature », fondamentalement. Ne pas voir cette difficulté, c’est passer complètement à côté du sujet.
- Une fois que nous avons détectée  la contradiction implicitement comprise dans le sujet, cela doit susciter en nous non seulement des idées, des possibilités de réponses, mais aussi des exemples, des références, éventuellement des citations d’auteurs (mais ce pas une obligation), le choix du sujet doit se faire aussi à la lumière des références qui nous viennent en tête. Y’en a-t-il suffisamment? Suis-je capable de discerner au moins une opposition entre deux auteurs défendant des thèses absolument opposées sur cette question? Si la réponse est oui (et si le sujet vous plaît) , il n’y a plus à hésiter. C’est parti (Youpi!)
2 ) Utilisation du brouillon
    a) l’analyse des termes
        N’hésitons pas, à utiliser notre brouillon comme un déversoir dans lequel on va jeter pêle-mêle, tous les auteurs, raisonnements, concepts, exemples, livres, films ainsi que toutes les idées que ce sujet suscitent en nous. Tôt ou tard il sera nécessaire de mettre un peu de rigueur dans tout cela en réalisant que ce flux d’idées et de références nous a été inspiré par un sujet qui contient des termes et il est très, très probable que ces termes aient plusieurs sens. Il faut donc lister ces différents sens, soit parce qu’on les connaît bien soit en distinguant la notion d’autres concepts proches mais distincts. Si on est capable de distinguer par exemple conscience et connaissance, désirer et vouloir, vivre et exister, le sens précis du sujet va se manifester plus clairement sous nos yeux.
    b) le choix et l’écriture du plan
                            Si tout se passe bien, nous disposons d’un brouillon assez conséquent avec des idées, des références, des auteurs, des exemples, des analyses de termes, mais tout ceci est écrit de façon un peu désordonnée, chaotique. Il faut « trier ». Deux méthodes sont possibles, on peut envisager
  

- De faire un plan dit « dialectique ». Dans tout ce que l’on a écrit, il y a des arguments pour le « oui » et d’autres pour le « non ». Classons- les de cette façon et soyons attentif au fait que ces thèses s’opposent sur une certaine façon de prendre le sujet, sur un certain plan. Mais nous voyons bien qu’il  existe un autre plan. Par exemple on voit bien que Descartes et Spinoza s’opposent d’un point de vue métaphysique sur la question de savoir si je suis l’auteur de ma vie (oui pour Descartes et non pour Spinoza), mais on voit aussi qu’être l’auteur de sa vie, cela peut vouloir dire autre chose que « décider de sa vie » ou être le sujet (« je pense ») de sa vie. Mais quoi? Saisir sa vie comme style, comme façon d’être déterminée par des conditions de vie spécifiques, uniques, esthétiques, avoir une éthique de vie ou consentir à exister. On disposera alors d’une troisième partie qui dépassera le premier niveau auquel s’opposait les deux auteurs cités. Nous avons un plan c’est-à-dire un critère qui va nous permettre d’ordonner nos idées.
- De faire un plan progressif. Nous réalisons que le sujet peut être pris dans plusieurs sens et nous discernons clairement à quel point chacun de ses sens fait varier la réponse de façon subtile. Tous les éléments dont nous disposons se classent dans ces  3 ou 4 sens différents. Nous partirons du plus simple au plus compliqué, au plus subtil. Nous avons ici aussi notre plan (C’est super!)
    c) Une structure englobante et souple
        Comme il y a fort à prévoir que de nouvelles idées (et des idées intéressantes) vont nous venir en écrivant, il faut que la structure de notre plan puisse accueillir ces nouvelles arrivantes. La structure du plan doit donc être assez large pour couvrir le terrain des idées que l’on a et celle que l’on va avoir. Il faut toujours faire droit aux idées qui vont venir en cours de route, ce sont souvent les meilleures (avoir toujours une feuille de brouillon pendant que l’on écrit sur la feuille d’examen pour noter ces idées)
3) L’introduction
        Nous sommes maintenant en capacité de faire notre introduction. Il faut la faire au brouillon car elle doit témoigner de notre compréhension précise du problème qui est dans le sujet.
- Nous amenons la référence au sujet doucement, gentiment en partant d’une simple observation, d’un comportement courant, assez commun pour ne pas pouvoir être remis en cause et en même temps qui pointe le problème du sujet. Le sens commun ne se pose pas de question, on part de lui pour désigner le problème mais ce que l’opinion courante ne considère pas comme problématique, nous nous allons le cibler, le souligner comme paradoxe. Donc il faut d’abord simplement évoquer la situation l’attitude commune. Par exemple, le fait que nous considérions que notre vie soit « à nous », que nous en sommes le décideur, le « maître » sur le sujet: « suis-je l’auteur de ma vie? »
- Ensuite, on dépasse ce niveau superficiel et on explique pourquoi il y a problème, on montre que ce que le sens commun considère comme évident recouvre une contradiction. Il faut ici commencer par un connecteur logique qui va parquer une rupture un approfondissement style: « Or…Mais…Pourtant » et l’on évoque clairement un argument contre la façon trop simple que le sens commun utilise pour résoudre une contradiction profonde.
- On formule clairement la problématique, c’est-à-dire que l’on rédige le plus précisément possible le problème présent dans la question. On peut le faire avec des termes philosophiques, des concepts.
(Attention: pas de « ce sujet nous interroge sur »  ou de «  de tout temps, les hommes se posent la question) et pas de méta-discours: « il est intéressant de s’interroger sur… » ou « ce qui nous amène à nous poser la question… »)
4) Suivre le plan et rédiger les transitions                     

                Dans l’idéal, nous avons des parties et des sous-parties et nous n’avons plus qu’à développer précisément ce que nous avions commencer à mettre à jour, nos idées et l’ordre dans lequel elle s’enchaîne. Le style doit être toujours fluide et logique, comme si un enchaînement de raisons prédisait constamment à la succession des affirmations. Rien ne peut être dit « comme ça ». Ce que l’on dit sur cette ligne découle de ce que l’on disait au paragraphe suivant ou à la ligne suivante. Les connecteurs logiques doivent donc être constamment utilisés: « donc, par conséquent, néanmoins, car, or, c’est pourquoi, mais, etc. » Ce point est vraiment très important. Il faut également veiller à changer de paragraphe dés que l’on développe une nouvelle idée. Une dissertation doit se composer de plusieurs blocs de 10 à 15 lignes. Nous avons sur notre brouillon les thèses principales mais dans notre dissertation nous devons leur donner du corps, c’est-à-dire un développement ainsi que faire les joints entre les sous-parties et entre les parties. Ces joints sont simples à faire: soit ce que nous disons dans le prochain paragraphe est un approfondissement du précédent et alors il faut commencer par « De plus » ou « c’est aussi ce qui apparaît si l’on considère que…, soit une opposition et alors c’est un « mais, pourtant, or » mais il faut que la transition se fasse toujours sur le point précis qui était évoqué avant. Il faut toujours veiller à ce que notre style d’écriture soit fluide et dégage une impression de continuité stylistique et philosophique (je veux dire: dans la forme et sur le fond). N’oublions pas que de nouvelles idées peuvent et doivent surgir dans le cadre d’un plan qui ne peut avait pas réservé de place. Si l’on est sûr de nous, nous trouverons facilement à quel moment il convient de les « placer » suivant ce principe de progression en vertu duquel les meilleurs idées sont à garder pour la fin.
5) Utiliser les références        
                        

          Dans le meilleur des cas, vous avez une référence pour chaque sous-partie sachant qu’un auteur déjà cité dans une partie précédente peut être réutilisé (comme nous l’avons vu pour Nietzsche qui répond non à la question de savoir si nous sommes métaphysiquement l’auteur de notre vie mais positivement à la question de savoir si nous le sommes esthétiquement, stylistiquement. Il est absolument IMPOSSIBLE de considérer que le passage d’un auteur à un autre puisse faire « joint », transition du style: « Maintenant que nous avons vu Nietzsche, intéressons nous à Kant ». C’est très, très mauvais et ce sera sanctionné. C’est toujours l’articulation des iodées et l’opposition des arguments qui doit primer sur les auteurs. Donc il convient de rédiger d’abord la thèse que l’on souhaite défendre et qui prolonge ou s’oppose à la précédente et seulement ensuite d’appuyer notre propos sur tel ou tel auteur dont il nous faut bien marquer à quel point il approfondit ce que nous disions avant. De ce point de vue il faut être un peu hypocrite, dans notre brouillon, nous avons probablement fait un plan dans lequel les positions d’auteurs sont rédigées comme telles. Dans la dissertation ,il ne faut jamais, jamais donner l’impression d’un catalogue d’auteurs. Nous sommes le maître et nous faisons s’opposer ou s’articuler des idées avant de penser à des auteurs.
6) La conclusion
        En conclusion nous n’avons que deux tâches à accomplir:
- Décrire à grands traits le trajet accompli: (nous sommes partis de cette idée selon laquelle et cela nous a rapidement conduit à…) Il y a des moments cruciaux, des distinctions extrêmement éclairantes dans notre travail. Nous le reprenons en quelques lignes pour bien prouver tout le chemin parcouru.
- Il faut bien s’arrêter puisque 4h ont passé. Nous en sommes arrivés à un certain niveau de compréhension du sujet à la lumière duquel une réponse se dessine subtilement, de façon précise. Nous formulons cette réponse avec les précautions d’usage pour bien manifester que nous avons avancé sur cette question et qu’ à ce moment de notre réflexion nous pensons plutôt « cela », à la lumière de tous les auteurs que nous avons utilisés.
(Il ne faut pas relancer vers une nouvelle question, pas du tout. Nous terminons par une réponse argumentée, et précise qui vaut dans un certain sens que nous précisions et c’est tout!)


 

jeudi 8 octobre 2020

Joute oratoire - 2nde 4

 

Faut-il croire en l’homme?
OUI: Manon Rouhard - Maëlle Gaujour - Loïc Beligne
NON: Jeanne André-Menassol - Lukas Tamoyan - Belmin Kuc

Les réseaux sociaux sont-il le moteur d’un progrès social ?
OUI: Océane Clerc - Lilou Chauvin - Kilian Messin-Faivre
NON: Solène Lorole - Fanny Chevailler - Chloé Jeudy

Faut-il toujours dire la vérité?
OUI: Quentin Wetzel - Hénoc Leunkeu - Meral Dubois
NON: Anri Jighaurishvili - Adélie Rossignol - Yassin Sidi Yaccoub

Peut-on tout pardonner?
OUI: Robin Gauchet - Loane Bideaux - Athénaïs Pannaux
NON: Timothée Viennet - Hugo Goichot - Anaïs Brenot

 Y-a-t-il de bonnes raisons de tuer quelqu’un?
OUI: Héloïse Genève - Loubna Latif - Sybil Sarot
NON: Malo Millereau - Paul Bisiaux - Aïssa Adda-Benikhlef

Tout a-t-il un prix?

OUI: Melie Hoareau - Alya Baroudi - Paul-Antoine Pannaux
NON: Océane Messin Faivre - Sarah Boichut - Melissande Berger

   



L’exercice de la joute oratoire n’a rien à voir avec les discussions plus ou moins vives et arrosées telles qu’on peut les entendre au bar du coin. Il s’agit de préparer de véritables arguments, de songer d’avance à ceux de l’autre camp et de se préparer à les contrecarrer. Les sujets sont suffisamment complexes pour donner lieu à plusieurs niveaux d’approfondissement et il importe de ne pas se contenter des couches les plus superficielles. On peut utiliser des exemples mais pas extraits de votre vie personnelle. Ce n’est pas parce qu’il vous est arrivé quelque chose que cela doit faire autorité d’un point de vue universelle. L’exemple doit être convaincant et donc valoir dans un champ très étendu: celui de tous les hommes, en tout temps, en tout lieu. Il importe que vous épousiez totalement la cause que vous défendez, qu’elle soit effectivement la votre ou pas. Comment se couler dans la défense d’un thèse qui, de prime abord ne correspond pas du tout à vos idées? C’est là un travail qui vous servira nécessairement dans votre cursus et qu’il convient de mener sans hypocrisie et surtout sans indignation. Il s’agit précisément de reprendre la formule des "indignés" et de lui donner du sens, de faire ce qu'ils ne font pas: comprendre la cause prétendûment "indigne":


- Mais comment peut-on affirmer une telle chose? »

- Ben oui, justement comment?

En posant d’abord froidement des arguments cohérents et en les habitant petit-à petit en faisant se succéder les enchaînements et les implications: « si l’on affirme ça, cela veut dire que l’on part du point de vue selon lequel….Et ainsi de suite. Il vous faut réfléchir aux présupposés et aux implications.
La joute doit à la fois donner lieu à des échanges courtois d’arguments de haute volée et être animée. Vous épousez sans réserve la thèse que l’on vous a attribuée. Cela signifie qu’il vous faudra faire preuve d’un esprit de répartie et écouter très attentivement l’argument des adversaires. C’est ici de la contradiction que doit jaillir l’approfondissement de telle sorte qu’à la fin de la joute, les arguments seront nécessairement les plus puissants. Dans le feu de l’action, telle ou telle personne du « public » pourra rejoindre tel ou tel camp en s’insinuant dans la joute par un argument. Au terme de chaque discussion, un vote décidera du groupe qui a convaincu l’ensemble de la classe.



mardi 6 octobre 2020

Joute oratoire - Tle1 (1)


 

1) La politique est-elle une activité « noble »?
Oui: Ludmilla Lange, India Robert, Mélina Mergel
Non: Louis Dumur, Jeanne Tupin, Evie Hardy
2) Sait-on ce qu’on fait quand on fait un enfant?
Oui: Emile Begin, Margo Neveu, Fanny Millet
Non: Ambre Petit, Léa Nelva, Gwendolyne Reydy
3) L’homme est-il de trop?
Oui: Ryad Boumediene, Camille Dejeux, Lienor Reydy
Non: Médéric Niot, Laure Munch, Una Petrovic
4) Peut-on tout pardonner?
Oui: Paul Cohendet, Axelle Gomez, Zoé Gris
Non: Amelya Gruelle, Ariane Woerther, Léane Bernard
5) Le meilleur est-il à venir?
Oui: Tom Chevasson, Jeanne Michaux, Loïs Acerbis, Océane Grosjean
Non: Emy Prin, Lise Cretin, Nathan Courcenet, Fabio Tiranzoni

                    Dans un exercice oral d’opposition d’arguments, chaque groupe doit préparer les thèses qu’il va lui falloir justifier devant l’adversaire en pensant également aux objections qui lui seront faites. Le but évidemment est de gagner la joute, sachant qu’un sondage sera effectué à la fin de la discussion pour savoir qui l’a emporté selon les spectateurs (la classe). Cela signifie que plus on pense à la contradiction que l’autre groupe va nous objecter, plus on a de chances de l’emporter. Le mieux est de disposer d’une démonstration claire, assez détaillée, mais de penser aussi que l’on doit répondre du tac au tac, dans une intensité qui va aller en augmentant. Utiliser des exemples est assez efficace à l’oral parce que chacun comprend mieux la pensée de l’orateur, mais il faut qu’il soit bien choisi pour faire écho à un maximum de personnes (un exemple trop personnel ou trop limité à une profession, à un milieu sera évidement poins porteur).
                        Ce qu’il s’agit de travailler ici est son assurance à l’oral et la capacité que l’on a à défendre une thèse qui n’est pas nécessairement la sienne, à « habiter » une cause, à se surprendre soi-même dans son aptitude à trouver sincèrement et efficacement des raisons pour des idées auxquelles on n'adhère pas obligatoirement, voire pas du tout. Pouvons nous aborder honnêtement une prise de position extérieure sur une question avec l’ambition de convaincre et de se convaincre, fût-ce simplement pour un moment, de la pertinence de ce que doit défendre?
Cet exercice est non seulement très formateur dans l’assurance que l’on doit gagner à l’oral mais aussi dans l’optique d’une dissertation en Philosophie (problématiser).



lundi 5 octobre 2020

HLP - Pourquoi l'art nous émeut-il....sauf au Musée?

                   S’il est bien une qualité qui ne fait pas polémique à propos du romantique, c’est sa sensibilité, voire son hypersensibilité et le décalage qu’elle provoque par rapport à des modalités de perception « communes », conformes, attendues. Le héros romantique perçoit dans la nature quelque chose de remarquable qui le plonge dans la rêverie, la nostalgie, la mélancolie, etc. Nous avons vu à quel point nous ne pouvions pas en rester là. Ce n’est pas seulement une recherche de la solitude, pas davantage qu’une pulsion narcissique qui conduisait le romantique à prendre ces distances à l’égard des collectivités humaines mais plutôt l’intuition selon laquelle le contact authentique avec nos semblables s’effectue davantage dans des communautés d’impressions, dans l’émergence d’insoupçonnables résonances entre ce qu’il nous faut bien appeler des « durées » que par des communications verbales.
              


                    Le romantique s’intéresse à l’indicible non pas seulement parce que, selon lui, c’est à ce niveau là que se font les rencontres vraies et les expériences authentiques, mais aussi parce qu’il a compris l’effet dénaturant, destructeur et grégarisant de la langue. Aussi étrange que cela puisse sembler, il est bien possible que ce soit lorsque nous parlons que finalement nous ne disons rien du tout. Derrière ce cri du cœur romantique un peu niais: « c’est au-delà des mots », se cache peut-être cette intuition indiscutable d’une réalité confuse, naturelle, inquiétante parce qu’incompréhensible et immaîtrisable, quelque chose qui pourrait ressembler au vouloir vivre de Schopenhauer. Si cette perspective se révélait plausible, alors le romantique serait fondamentalement « un artiste » car c’est, selon Bergson, le propre de l’art que de réveiller en nous une sensibilité à des nuances que nous ne possédions qu’à l’état de « germe »:
"À quoi vise l’art ? Sinon à montrer, dans la nature même et dans l’esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience? Le poète et le romancier qui expriment un état d’âme ne le créent certes pas de toutes pièces; ils ne seraient pas compris de nous si nous n’observions pas en nous, jusqu’à un certain point, ce qu’ils nous disent d’autrui. Au fur et à mesure qu’ils nous parlent, des nuances d’émotion et de pensée nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps mais qui demeuraient invisibles telle l’image photographique qui n’a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera. Le poète est ce révélateur (. . .)"

        L’image du bain chimique dans lequel le photographe plongeait le film pour que l’image surgisse du négatif est très porteuse et éclairante à double titre. L’artiste ne crée finalement rien, il observe seulement plus attentivement, peut-être plus maladivement que nous (au sens où cette intensité de captation n’est pas nécessairement idéale pour sa santé mentale et physique). 

                

L’art, dans cette perspective, n’imiterait pas davantage qu’il ne créait, il « percevrait » et ses supposés « dons » ne consisteraient aucunement dans une imagination débridée ou dans l’inspiration des muses, mais tout simplement dans une puissance d’attention décuplée, une aptitude à se tenir aux aguets de tous ces points remarquables dont finalement la réalité est tissée. D’autre part, l’artiste (et particulièrement le romantique) occuperait du fait de cette fonction révélatrice une posture qui finalement serait davantage un avant poste, comme des éclaireurs qui dans l’exploration du monde se situerait toujours à plusieurs journées d’avance sur le gros de la « troupe humaine ».
           
Dans « le déclin du mensonge » écrit en 1891, Oscar Wilde usait d’une plume un peu plus humoristique pour défendre exactement la même thèse: « Les choses sont parce que nous les voyons, et la réceptivité aussi bien que la forme de notre vision dépendent des arts qui nous ont influencés. On ne voit une chose que lorsqu’on en voit la beauté. C’est alors seulement qu’elle naît à l’existence. De nos jours, les gens voient des brouillards non parce qu’il y a des brouillards mais parce que peintres et poètes leur ont appris les charmes mystérieux de leurs effets. Sans doute y-a-t-il eu à Londres des brouillards depuis des siècles. C’est plus que probable, mais personne ne les voyait de telle sorte que nous n’en savons rien. Ils n’eurent pas d’existence tant que l’art ne les eut pas inventés. Reconnaissons d’ailleurs qu’on en abuse aujourd’hui. Ils servent l’affectation d’une clique dont le réalisme excessif vaut des bronchites aux imbéciles. Où l’homme fin saisit un effet, le sot contracte un rhume. Soyons donc humains et prions l’art de tourner d’un autre côté ses yeux émerveillés. »

         

                  L’artiste est un guetteur situé à un poste de guet suffisamment élevé par rapport à l’humanité pour diriger la perception de la troupe vers ce qu’il y a à percevoir étant entendu que cette nuance de réalité ne deviendra visible, perceptible qu’à partir de son œuvre, laquelle finalement est comme une puissance de détection, un appareil hyper sensible relevant avant tout le monde la présence de cet animal fabuleux qu’est l’efficience « toute en variables » d’une réalité fluctuante et dynamique. Ce que nous voyons c’est ce que nous nous sommes préparés à voir mais encore faut-il que l’artiste attire notre attention vers cette variable là. L’artiste est un éducateur au sens étymologique: faire sortir, actualiser ce que l’élève possède virtuellement au sens où nous jouissons toutes et tous déjà d’une sensibilité à ces nuances mais nous pouvons ne pas l’exercer si nous ne sommes pas guidés, préparés par les artistes.

             


                        Dans une perspective plus phénoménologique, Husserl (1859 - 1938) soulignait déjà le rôle de la rétention  dans l’ attention, à savoir que c’est toujours à partir de notre mémoire que nous sommes attentifs à notre présent. Il existe nécessairement une part de conditionnement dans notre sensibilité aux choses, et si nous ne nous préparons à percevoir que des choses communes, formatées, préfabriquées par les exigences du marché de l’offre, nous ne verrons que cela. Les époques de disette esthétique et culturelle sont celles durant lesquelles les hommes ne sont pas éduqués à percevoir la beauté, les nuances, les distinctions subtiles, les variables que les forces ne cessent pourtant jamais de manifester, de mettre à notre portée, de donner à éprouver. A partir du moment où nous donnons à des dispositifs à visée commerciale, à des opérateurs et des plateformes de divertissement en ligne le pouvoir de conditionner et de saturer nos facultés perceptives d’affects formatés et orientés par des impératifs de rentabilité, il est absolument impossible que nous soyons simplement en prise avec la vie. L’art est alors court-circuité par les produits, voire assimilé à des produits. C’est bien à ce processus de dénaturation et de domestication violente de notre sensibilité au pur réel par l’art, sensibilité suffisamment détruite et anémiée pour que nous nous extasions devant la K-pop, la virgule de Nike ou une publicité de pâtes , que nous assistons aujourd’hui.
            
        Si cette aptitude de l’art à affûter notre attention, à l’éduquer à la beauté mais plus encore à la doter de ce fond de sensibilité sur la base duquel de nouveaux mondes viennent à l’existence est étouffée par des processus grégaires de banalisation et de consommation, alors de fait , notre rapport à la vie dans tout ce que cette relation suppose de nourricier sera rompu et nous ne jouirons plus de cette puissance d’individuation seule à même de nous faire devenir ce que nous sommes, d’assumer cette stylisation dans laquelle tout être vivant nécessairement consiste.
            Ce qui vient donc au premier plan de notre réflexion et de façon urgente, c’est l’opposition entre ce que l’art est vraiment, à savoir cet avant poste de la troupe humaine et cet étrange état d’esprit par le biais duquel ces oeuvres qui sont donc des dispositifs visant à nous rendre sensible à l’originalité du réel et de la vie sont paradoxalement exposés de manière à émousser voire à détruire cette capacité même de telle sorte que c’est finalement sous l’angle de ce qu’il faut avoir vu, ou pire encore de ce que nous avons déjà vu que nous abordons des oeuvres dont l’effet devrait au contraire nous prédisposer à voir ce que nous n’avons encore jamais vu. Une oeuvre d’art est un travail de sensibilisation grâce auquel on est à même de percevoir ce que l’on jamais vu mais c’est comme la façon dont la société nous la fait percevoir n’avait d’autre objectifs que d’émousser cette aptitude en nous la faisant voir comme étant à voir. La Joconde c’est du « déjà vu » dont on veut prouver à nos proches qu’on l’a vraiment « vu », mais, à aucun moment, nous ne la regarderons vraiment vraiment et pire encore, nous ne la percevrons jamais telle qu’elle est, à savoir comme le vecteur d’une « nouvelle façon de voir. »
    

        En 1960, Maurice Merleau-Ponty écrit ce texte qui finalement développe « en creux » tout ce qui, en effet, nous émeut dans l’art, à savoir tout ce qui est comme anesthésié par son exposition, comme si les présupposés même de la mise en condition du visiteur allait à l’encontre de son objectif, précisément parce qu’aucun mouvement spontané ne peut faire l’objet d’un pré-conditionnement.
                   
 
“Il faudrait aller au Musée comme les peintres y vont, dans la joie sobre du travail, et non pas comme nous y allons, avec une révérence qui n'est pas tout à fait de bon aloi. Le Musée nous donne une conscience de voleurs. L'idée nous vient de temps à autre que ces œuvres n'ont tout de même pas été faites pour finir entre ces murs moroses, pour le plaisir des promeneurs du dimanche ou des « intellectuels » du lundi. Nous sentons bien qu'il y a déperdition et que ce recueillement de nécropole n'est pas le milieu vrai de l'art, que tant de joies et de peines, tant de colères, tant de travaux n'étaient pas destinés à refléter un jour la lumière triste du Musée. Le Musée, transformant des tentatives en « œuvres », rend possible une histoire de la peinture. Mais peut-être est-il essentiel aux hommes de n'atteindre à la grandeur dans leurs ouvrages que quand ils ne la cherchent pas trop, peut-être n'est-il pas mauvais que le peintre et l'écrivain ne sachent pas trop qu'ils sont en train de fonder l'humanité, peut-être enfin ont-ils, de l'histoire de l'art, un sentiment plus vrai et plus vivant quand ils la continuent dans leur travail que quand ils se font « amateurs » pour la contempler au Musée. Le Musée ajoute un faux prestige à la vraie valeur des ouvrages en les détachant des hasards au milieu desquels ils sont nés et en nous faisant croire que des fatalités guidaient la main des artistes depuis toujours. Alors que le style en chaque peintre vivait comme la pulsation de son cœur et le rendait justement capable de reconnaître tout autre effort que le sien, - le Musée convertit cette historicité secrète, pudique, non délibérée, involontaire, vivante enfin, en histoire officielle et pompeuse. L'imminence d'une régression donne à notre amitié pour tel peintre une nuance pathétique qui lui était bien étrangère. Pour lui, il a travaillé toute une vie d'homme, - et nous, nous voyons son œuvre comme des fleurs au bord d'un précipice. Le Musée rend les peintres aussi mystérieux pour nous que les pieuvres ou les langoustes. Ces œuvres qui sont nées dans la chaleur d'une vie, il les transforme en prodiges d'un autre monde, et le souffle qui les portait n'est plus, dans l'atmosphère pensive du Musée et sous ses glaces protectrices, qu'une faible palpitation à leur surface. Le Musée tue la véhémence de la peinture comme la bibliothèque, disait Sartre, transforme en « messages » des écrits qui ont été d'abord les gestes d'un homme. Il est l'historicité de mort. Et il y a une historicité de vie, dont il n'offre que l'image déchue : celle qui habite le peintre au travail, quand il noue d'un seul geste la tradition qu'il reprend et la tradition qu'il fonde, celle qui le rejoint d'un coup à tout ce qui s'est jamais peint dans le monde, sans qu’il ait à quitter sa place, son temps, son travail béni et maudit, et qui réconcilie les peintures en tant que chacune exprime l'existence entière, en tant qu'elles sont toutes réussies, - au lieu de les réconcilier en tant qu'elles sont toutes finies et comme autant de gestes vains.”
                                               Maurice Merleau-Ponty - Signes (1960)
   


        « La révérence n’est pas de bon aloi »: elle n’est pas « de mise » ici, alors qu’elle est précisément et paradoxalement dictée, presque imposée par les conditions d’exposition. Ce n’est pas qu’il ne faille pas respecter les oeuvres d’art, mais comprendre qu’elles furent des tentatives avant d’être des oeuvres et, en un sens, que les percevoir comme des « oeuvres » ne nous permet pas d’être vraiment à la hauteur de leur intensité de présence authentique. Comment en effet rater davantage la rencontre avec un tableau de Cézanne qu’en voyant comme un passé ce dont la présence consiste à être au présent? C’est comme si le « sous texte » de toute peinture  de Cézanne nous ragaillardissait de la promesse imminente du « moment venu d’être » alors même que le musée ne l’éclaire que du rayon d’une lumière rétrospective: « voici venu le temps d’avoir été! » Tout peintre venu au Musée pour « travailler » sera lui, au contraire, attentif à ce qui fait qu’une toile est toujours « inachevée ».
        Ce caractère inachevé de toute oeuvre tient aux racines les plus profondes et les plus évidentes de l’art. L’objectif de l’art n’est ni de rendre compte des choses telles qu’elles sont, ni de les rendre, idéales, telles qu’elles devraient être mais d’exister par la toile, par l’écriture ou par la musique en même temps que ce qui existe et de saisir ainsi ce que Spinoza appelle la nature naturante, d’être ainsi dans le mouvement créateur de chaque chose, de chaque être et de chaque monde.
           

                Comme le fait remarquer Martin Heidegger (1889 - 1976) dans son analyse de la peinture de Van Gogh: « Les souliers », on peut toujours essayer d’expliquer que les souliers soient tels qu’ils sont (en l’occurrence usés) après la journée épuisante de la paysanne qui les portent, ou expliquer comment les souliers ont été fabriqués par le cordonnier, il y a toujours un mode de présence des souliers qui nous échappera si nous en restons là, si nous nous contentons de saisir la chronologie des faits qui les ont laissés là, à ce moment, ou si nous nous focalisons sur les caractéristiques techniques de leur fabrication. Or ce mode de présence est en même temps le plus fascinant, le plus évident et le plus mystérieux: comment ces souliers se font-ils en ce moment « être là », comment s’effectuent-ils matériellement dans cette modalité spécifique d’accrocher la lumière, de peser sur le sol, de résonner dans le silence ou dans les bruits? Comment se fait-il qu’ils soient en cet instant pris, constitués dans la fulgurance instante de la nature naturante, et surtout qu’ils le soient de façon aussi étrangement élégante, stylisée, unique?Toute oeuvre d’art est la tentative de saisir le Dieu de Spinoza dans l’instant même où il est à l’oeuvre, c’est-à-dire  dans cet « ici et maintenant » là, identique à aucun autre. Comment se fait-il que le monde soit cet ouvrage aussi complexe et aussi inattendu, constitué d’autant de points remarquables que de parcelles de réalité?
                Or ce Dieu là n’est pas au musée, tout simplement parce que l’on y expose que des oeuvres faites, pas des oeuvres en train de se faire. Il faut aller jusqu’au bout du paradoxe pour comprendre exactement ce que Maurice Merlau-Ponty veut signifier ici. Ce qui fait de ces toiles des « oeuvres », c’est qu’elles sont « à l’oeuvre » et pas qu’elles soient « déjà » des oeuvres. Ce « déjà » suffit à tuer tout ce qu’elles sont d’artistique en momifiant cette libération d’énergie dans laquelle pourtant elles consistent: « tant de joies et de peines, tant de colères, tant de travaux. »
          

                       Maurice Merleau-Ponty distingue alors avec beaucoup de détails et de perspicacité  l’histoire de l’art et l’historicité de l’œuvre, c’est-à-dire d’une part cette matière savante, un peu pompeuse au gré de laquelle on a toujours l’impression que Michelangelo Buonarotti Simoni était fait de toute éternité pour devenir Michel-Ange et d’autre part cette genèse douloureuse, incertaine, inconsciente et peu soucieuse de sa postérité de l’œuvre en train de se faire. On comprend mieux ainsi que des peintres comme Van Gogh, Cézanne, Modigliani, Gauguin, Vermeer, etc. aient pu continuer à peindre alors même qu’ils n’ont pas été reconnus de leur vivant. Ces artistes ne se préoccupaient pas du tout de ce qui de leur travail demeurerait après leur mort mais exclusivement de ce qui se jouait en cet instant même, comme Cézanne hésitant pendant deux heures avant de mettre telle touche de rouge Bordeaux sur la pomme mûre ou plus exactement: « en train de mûrir ». Tout se décide en effet dans cette indécision: la justesse ou le ratage de la toile, la saisie effective du mouvement même de la maturation ou sa dérobade.
          

                Il existe une expression en français dont la nuance péjorative éclaire exactement le processus de cette étrange trahison dont le musée est l’opérateur: lorsque l’on traite un homme de « parvenu », on veut signifier qu’il a réussi trop vite et accède à un monde dont il n’a ni l’esprit ni les manières. Etre parvenu, c’est être « arrivé » au succès, mais trop vite. Or ici les oeuvres du musée sont « parvenues ». D’être reconnues, elles sont, comme la Joconde au Louvre, marquée du sceau de la malédiction de demeurer à jamais méconnues, ignorées dans leur efficience vitale, dans leur brutalité, dans les douleurs d’un accouchement qui finalement ne cesse jamais. L’oeuvre est un peu comme ce paquet de chairs fripées et hurlantes que l’on a tous été dans les langes: un être nouveau, inattendu, tout juste sorti du ventre maternel, une nouvelle façon de tisser entre elles les fibres d’un autre visage, mais de la naissance aux rides de la vieillesse, ces traits eux-mêmes ne vont pas cesser d’incarner différemment le fait d’être visage jusqu’ au masque de la mort exposée aux funérailles quand le corps du défunt est visible. Etre exposée, c’est étymologiquement « être posé hors de »…Mais de quoi? De le vie!
 

                    Il convient de lire ce texte en ayant constamment présente à l’esprit l’idée selon laquelle il s’efforce de rendre compte d’un paradoxe, mais aussi qu’en pointant ce paradoxe, il révèle une compréhension de l’art particulièrement juste et saisissante, à savoir que ce qui nous touche réellement dans l’art n’est pas la maîtrise technique dont l’artiste a fait preuve, pas davantage que la profondeur du message que l’œuvre est censée contenir et nous adresser de façon claire ou cryptée. Une œuvre d’art nous touche parce qu’elle consiste dans cet effet de révélation d’une réalité « à l’œuvre ». C’est une conception de l’art que Maurice Merleau-Ponty connaît bien et qui est parfaitement exprimée par cette citation de Paul Klee: « l’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. » Cette définition correspond à la peinture, au cinéma et il suffit de la transformer quelque peu pour qu’elle corresponde aussi à la musique rendre audible des forces inaudibles. Un artiste n’est ni plus ni moins qu’un être humain dont la sensibilité se révèle capable de saisir les forces qui sont à l’œuvre dans la nature et qui conspirent entre elle pour faire advenir un instant de réalité. L’art n’est ni une affaire d’imitation, ni une question de création mais fondamentalement une capacité de perception. Le propre de l’art est de capter des forces à l’œuvre dans un « maintenant ». C’est exactement ce que Gilles Deleuze explique notamment par rapport aux œuvres du peintre Francis Bacon mais cette définition est effective très exactement dans les mêmes termes pour toute œuvre et pour tout art:
       

                  « En art, et en peinture comme en musique, il ne s’agit pas de reproduire ou d’inventer des formes, mais de capter des forces. C’est même par là qu’aucun art n’est figuratif. La célèbre formule de Paul Klee « non pas rendre le visible, mais rendre visible » ne signifie pas autre chose. La tâche de la peinture est définie comme la tentative de rendre visibles des forces qui ne le sont pas. De même la musique s’efforce de rendre sonores des forces qui ne le sont pas. C’est une évidence(…) Il semble que, dans l’histoire de la peinture, les Figures de Bacon soient une des réponses les plus merveilleuses à la question : comment rendre visibles des forces invisibles ? C’est même la fonction primordiale des Figures. On remarquera à cet égard que Bacon reste relativement indifférent aux problèmes des effets. (…) Mais s’il en est ainsi, c’est une raison pour affronter encore plus directement le problème de « rendre » visibles des forces qui ne le sont pas. Et c’est vrai de toutes les séries de têtes de Bacon, et des séries d’autoportraits, c’est même pourquoi il fait de telles séries : l’extraordinaire agitation de ces têtes ne vient pas d’un mouvement que la série serait censée recomposer, mais bien plutôt de forces de pression, de dilatation, de contraction, d’aplatissement, d’étirement, qui s’exercent sur la tête immobile. C’est comme des forces affrontées dans le cosmos par un voyageur trans-spatial immobile dans sa capsule. C’est comme si des forces invisibles giflaient la tête sous les angles les plus différents. Et ici les parties nettoyées, balayées, du visage prennent un nouveau sens, puisqu’elles marquent la zone même où la force est en train de frapper ».
               

 
                     
Ce qu’il y a dans le monde, dans la nature, ce sont des forces en action dont l’efficience fait advenir un nouveau monde. On peut bien, si l’on y tient, dire par exemple des cyprès de Van Gogh qu’ils sont le produit d’un choix esthétisant du peintre: utiliser des touches tourbillonnantes pour rendre compte du mouvement du vent dans les cyprès, mais on restera encore en-deçà de la vérité du travail de l’artiste qui consiste à peindre non pas les cyprès mais les forces éoliennes, telluriques, lumineuses, végétales, thermiques, gravitationnelles qui s’effectuent conjointement dans l’émergence physique de « ça maintenant ». Dans tout instant qui passe, le réel est à l’oeuvre et nos facultés de perception, atténuées, comme le dit Bergson, par le langage et par le souci constant de l’utilité ne voient pas cette fulgurance, ne discerne pas l’efficience constante de cette durée dans l’émergence de ces cyprès, de cette montagne, de cette cathédrale.
        C’est Heidegger qui reprend notamment pour qualifier le travail du peintre Van Gogh, le terme « aléthéia » qui désigne l’effet de dévoilement d’un certain type de vérité. « Van Gogh peint la vérité de ce que c’est qu’être une paire de souliers ». Mais que signifie cette phrase?   « A-léthéia » désigne étymologiquement le faire de sortir du fleuve du Léthé, fleuve dont l’eau a pour effet de provoquer l’oubli. De fait, quand nous voyons une paire de souliers, nous nous disons simplement qu’ils sont là parce que la paysanne les y a laissés (mode d’explication chronologique), ou parce qu’un jour un cordonnier a fabriqué des souliers (mode d’explication technique, artisanal) mais il ne nous vient pas en tête cet autre mode de justification qui entreprendrait de rendre compte de « la factualité » des souliers, à savoir non pas pourquoi ils se retrouvent ici, ni comment ils ont été fabriqués, mais comment sont-ils « présents ». Quel est le mode d’être de ce qui est (explication ontologique)? Ces souliers sont « là », ils s’incarnent dans la chair du visible, dans la pesanteur de leur masse, dans la sonorité de leur mutisme, dans la déclinaison chromatique d’une certaine façon d’être à la lumière, d’être de la lumière. Tout être, toute chose se résume finalement à être un certain coefficient dans ces efficiences multiples de forces qui, sans pause, font advenir un monde à l’oeuvre. Si nous adhérons à la conception panthéiste de la nature selon Spinoza, nous réalisons qu’en ce sens, tout oeuvre d’art est une capture, une saisie de Dieu à l’oeuvre, « à la machine », comme on dit, et c’est exactement de là que vient la puissance de commotion esthétique de l’oeuvre. Toute oeuvre est un « trauma » parce qu’on y pressent ce que l’on n’ose pas s’avouer à soi-même dans nos moments les plus délirants: exister est pour le monde une affaire de tous les instants et une oeuvre de toutes les forces.
           
      C’est à la lumière de cette conception de l’oeuvre que s’éclaire parfaitement la pensée de Maurice Merleau-Ponty et sa critique de l’exposition des musées. C’est finalement exactement comme si la façon d’exposer une oeuvre lui retirait tout ce qui en fait une oeuvre, à savoir son instantanéité, sa contingence, son indécision naturante. Cézanne peint en étant aux prises avec le souci quasiment délirant de rendre exactement compte de tout ce qui rend la montagne visible sous ses yeux, sachant que c’est déjà en train de devenir différent. C’est la nature telle qu’elle diffère que peint l’artiste. Il fait la « différance ». Ce terme est un néologisme conçu par Jacques Derrida pour rendre compte de cet autre sens de la notion de différence quand elle désigne l’acte de différer, d’être constamment dans le différé d’un « direct ».
        C’est de cette façon qu’il nous faut comprendre la distinction fondamentale que fait Merleau-Ponty entre deux historicités: celle de la vie et celle de la mort. C’est aussi finalement toute la différence entre une visite guidée et une visite attentive à se situer au plus prés de l’oeuvre  « brute » qui s’exprime ici. Supposons qu’une étudiante ou qu’une professeure en Histoire de l’art nous commente les oeuvres de Francis Bacon. Elle nous décrira le contexte de l’oeuvre, nous fera comprendre les techniques picturales du peintre, ses choix, son évolution, etc. Mais aussi pertinentes et éclairantes que soient ses explications, qui effectivement me permettront de comprendre comment Bacon a peint, elles échoueront à pointer tout ce qui de cette oeuvre est fondamentalement « à l’oeuvre », indécis, en train de se faire, pris dans les affres de son propre accouchement. « quelque chose est en train de se donner le jour, en cet instant, sous tes yeux  » : c’est ça une peinture, et ça suppose que l’on maintienne à l’égard du peintre une sorte d’attention très intense,  physique anonyme, brute, « donnée »,vivante et  synchrone.
         

                L’artiste n’aurait pas pu faire son œuvre sans se tenir à l’extrême pointe du présent,  dans ce moment de vertige et de basculement où les choses, d’être telles qu’elles sont, n’en sont pas moins déjà comme en partance vers cette réalité inconnue d’elles et de lui qu’elle ne sont pas encore. C’est le rouge des pommes de Cézanne, le vert liquide des nymphéas de Monet, le jaune presque blanc du soleil de van Gogh et c’est aussi la durée. Or le musée, le présupposé même du musée est la « consécration », c’est-à-dire la gloire rétrospective d’une oeuvre exhibée comme si elle était « achevée », alors qu’elle est, en tant qu’oeuvre, aussi structurellement inachevée que le monde qui, en elle, est en train de se faire. Rien ne saurait nous donner davantage le sentiment d’une présence instante, voulante, effective alors même que l’on se trouve finalement en face d’un avestique, d’une trace archéologique faisant signe d’un passé révolu. Et Merleau-Ponty prend l’exemple de ses animaux marins mystérieux dont on s’imagine vaguement la vie sous l’eau renonçant ainsi à tout flagrant délit de présence.
              Le musée fait de nous « des voyeurs » un peu morbides se complaisant dans le spectacle de cadavres ou de momies dont la vision ne contribuent qu’à faire signe d’une très ancienne vie. C’est un peu comme ces badauds attroupés devant un accident  à l’affût de cette fausse sensation du cadavre ou du blessé. Nous sommes alors des voyeurs de la mort au sens pervers du terme, au lieu de se sentir happé par la vie dont le coeur bat dans l’oeuvre.
          
        Le musée nous installe aussi dans une multiplicité d’impératifs intellectuels: « penser » l’œuvre (plutôt que de la vivre) , se rendre attentif à son message plutôt que se connecter avec ses couleurs, mesurer ses implications plutôt que saisir sa brutale instantanéité. L’oeuvre, en vérité  est seulement « là » et  il n’y a rien d’autre à en dire, mais dans ce « là », c’est toute la fragilité et la justesse de ce que c’est qu’être là qui devrait nous prendre, nous heurter, nous traumatiser. C’est la même chose que lorsque nous allons dans une bibliothèque pour lire la pensée des grands hommes sans réaliser que ces écritures sont d’abord et seulement ce qui portent en elles des actes, des sagesses vivantes, des expériences.
        Le passage se termine par la critique par Merleau-Ponty de la notion même de « collection ». Un musée collecte les oeuvres d’un peintre et les restitue comme on aligne dans un supermarché les produits jetés sur une liste de commission. C’est de la comptabilité d’oeuvres. On reste attentif à la question de savoir combien il y en a et d’ailleurs le visiteur est souvent ,consciemment ou pas,  taraudé par le souci imbécile de ne pas en manquer une seule, surtout quand il y en a beaucoup. Or une peinture n’est pas intéressante, prenante en tant qu’elle est peinture mais parce qu’elle est acte de peindre, acte pris et repris ensemble par tous les peintres et c’est cette ouverture vers « l’acte de ce que c’est que peindre » que devrait nous faire vivre le musée, parce que cet acte réunit tous les styles, tous les âges, tous les peintres. Voir une peinture, c’est être en phase avec l’infini que porte en lui l’infinitif du verbe peindre, mais loin de favoriser cette intuition, le musée la fragmente et la divise en une « collection » de toiles.