mercredi 19 novembre 2025

1ere HLP (groupe 1): Les pouvoirs de la parole (3 et fin)

 


5) La rhétorique

Résumons: La distinction de Saussure entre la langue et la parole peut être relue à la lumière d’une opposition entre ce qui est imposé et ce qui est libre. La langue, en tant que système collectif, préexiste à l’individu et s’impose à lui ; elle relève du pouvoir des structures — elle norme, elle impose, elle régule. La parole, au contraire, se présente comme puissance, puisqu’elle manifeste la liberté créatrice du sujet parlant. Elle actualise la possibilité contenue virtuellement dans la langue.

Cependant, en suivant Aristote, on comprend que la puissance n’est véritablement ce qu’elle est qu’en acte, lorsqu’elle s’exprime pleinement selon sa nature propre. La parole authentique est donc puissance réalisée, c’est-à-dire acte vivant du logos. Mais dès lors que cette parole est détournée de son essence — lorsqu’elle devient instrument, moyen soumis à un intérêt extérieur, stratégie de domination ou de persuasion — elle cesse d’être puissance pour devenir pouvoir.

La parole-puissance est ainsi la parole qui naît spontanément, comme expression libre et créatrice de la pensée, souvent rencontrée dans l’art, la poésie, le théâtre ou le dialogue profond. La parole-pouvoir est au contraire celle qui vise à produire un effet sur autrui, à orienter, contrôler ou convaincre selon un dessein particulier, au lieu de laisser advenir la vérité propre du dire.

Plutôt que de parler simplement de rhétorique — car la rhétorique peut être aussi un art de la parole-puissance — le terme le plus adéquat pour désigner cette parole-pouvoir serait la parole stratégique ou la parole instrumentale (et instrumentalisée). Ces termes insistent sur le fait que la parole n’est plus un acte de manifestation de soi ou de vérité, mais un outil soumis à des fins extérieures à elle-même, servant exclusivement l’intérêt personnel de l’orateur). On peut alors parler de parole "pervertie" au sens propre du terme (détournée) alors que la parole puissance sera dés lors investie d’une dimension éthique, tout simplement « vraie ». 


a) Définition

La "parole-pouvoir" peut être utilisée de telle sorte que l’on manipule un public ou la personne attentive à notre discours à son insu, par une habileté spécifique.

Cette technique semble se rapprocher de la rhétorique, c’est-à-dire de la technique oratoire. Toutefois, il serait complètement faux de limiter la rhétorique à l’exercice d’un pouvoir de manipulation et de subjugation de l’auditrice.teur.  La rhétorique est certes un art, au sens de technique ( tekhnè : les grecs ne faisaient pas la différence) mais il n’en est pas moins possible de l’utiliser à des fins bonnes, vraies, authentiques et sincères. En d’autres termes, comme nous allons le voir la rhétorique peut se révéler comme un instrument très dangereux de manipulation des êtres humains mais aussi comme la révélation d’une parole authentique (parhésia), voire d’une révélation naturelle et divine (aléthéia). 





« Si, maintenant, on objecte que l’homme pourrait faire beaucoup de mal en recourant injustement à la puissance de la parole, on peut en dire autant de tout ce qui est bon, la vertu exceptée, et principalement de tout ce qui est utile ; comme, par exemple, la force, la santé, la richesse, le commandement militaire, car ce sont des moyens d’action dont l’application juste peut rendre de grands services et l’application injuste faire beaucoup de mal. »         Aristote

Le mot rhétorique vient du grec ancien rhêtorikê technê qui se traduit par technique oratoire. Elle désigne l’art de disposer des arguments de façon efficace pour convaincre une assemblée. Son but et son contexte sont donc fondamentalement politiques. Hannah Arendt utilise toujours la formule suivante pour décrire l’exercice de la liberté dans la Grèce Antique: « par la parole et par l’action ». Elle désigne ainsi la capacité d’un citoyen grec libre d’avoir un impact réel sur la politique d’Athènes en prenant la parole dans un espace public. La parole est ainsi un mode d’action politique. On élabore un discours comme un forgeron cisèle une lame. Il y a des techniques, cela s’apprend. La rhétorique désigne alors l’art de persuader, mais aussi l'art de convaincre. La distinction ici aussi est fondamentale: autant l’art de convaincre suppose que l’on fait appeler à la raison de l’auditrice.teur, autant la persuasion mise plutôt sur les sentiments, sur le pathos (la persuasion serait plutôt du côté de la parole-pouvoir et l'habileté à convaincre de celui de la parole-puissance)

 Aristote a défini trois piliers de l’art rhétorique: logos, Ethos, Pathos:

- Le logos (raison en grec) désigne le raisonnement, la capacité de convaincre par une argumentation précise et logique

- Le Pathos s’adresse à la sensibilité des auditeurs. Il est question de les incliner à admettre une thèse en jouant de registres tels que la passion, le désir, les sentiments.

  • L’Ethos désigne l’aptitude de l’orateur à se faire reconnaître par les auditeurs comme une personne crédible, d’imprégner son discours de sa personne, de s’y engager de façon suffisamment marquée et stylisée pour que les auditeurs lui fassent crédit du bien fondé de sa parole. Ici l’ethos revêt un sens qui n’est pas forcément celui de l’éthique mais plutôt du charisme (ceci dit, le charisme peut être utilisé pour des finalités authentiquement éthiques, justes ou sincères

Aristote ne voit donc pas la rhétorique comme une science de la tromperie, mais comme un art (technique) permettant de faire admettre des idées vraies et justes, dans la mesure où elle est bien employée. Il reconnaît toutefois que, mal utilisée, la rhétorique peut être détournée pour nuire ou manipuler, tout comme d’autres outils puissants. Cette ambivalence fait de la rhétorique une technique moralement neutre qui dépend de l’intention de l’orateur. Elle est un instrument.

b) Analyse comparative de deux discours célèbres (sur la dépouille de Jules César)

Le 15 mars en l’année 44 avant JC, Jules César est assassiné par 23 sénateurs à la Curie de Rome. Pourquoi? Il est soupçonné de vouloir se faire couronner et ainsi de mettre fin à la République, notamment par Brutus. Reprenant cet épisode historique, Shakespeare écrit une tragédie dont le cœur se situe précisément à ce moment là qui sans aucun doute fut vraiment un moment de « bascule » auquel le sort de Rome est suspendu.  Si C’est Shakespeare qui a écrit ces discours, on sait qu’ils ont bel et bien eu lieu, probablement pas exactement dans ces termes mais il est historiquement vrai que finalement Marc-Antoine et Brutus se sont mesurés l’un à l’autre à cette occasion dans une sorte de duel déguisé ayant pour enjeu non seulement le pouvoir, mais aussi le basculement de la république à la royauté et surtout la mort.  Ce qui se joue ici c’est l’adhésion de la population aux conjurés ou au contraire leur condamnation. Il est donc question de gagner les faveurs du peuple de Rome par son éloquence et cela devant la dépouille de César, donc au sommet d’une vague émotive et collective extrêmement puissante. Toutes les conditions sont réunies pour une joute oratoire sans équivalent dans l’histoire: un vrai défi d’écrivain (et d’acteur.trice.s). 




Voici le discours de Brutus  sous la plume de Shakespeare:  

« Brutus:  Soyez patients jusqu'au bout... Romains, compatriotes et amis, entendez-moi dans ma cause, et faites silence afin de pouvoir m'entendre. Croyez-moi pour mon honneur, et ayez foi en mon honneur, afin de pouvoir me croire. Censurez-moi dans votre sagesse, et faites appel à votre raison, afin de pouvoir mieux me juger. S'il est dans cette assemblée quelque ami cher de César, à lui je dirai que Brutus n'avait pas pour César moins d'amour que lui. Si alors cet ami demande pourquoi Brutus s'est levé contre César ; voici ma réponse : Ce n'est pas que j'aimasse moins César, mais j'aimais Rome davantage. Eussiez-vous préféré voir César vivant et mourir tous esclaves, plutôt que de voir César mort et de vivre tous libres ? César m'aimait, et je le pleure, il fut fortuné, et je m'en réjouis ; il fut vaillant, et je l'en admire ; mais il fut ambitieux, et je l'ai tué ! Ainsi, pour son amitié, des larmes ; pour sa fortune, de la joie ; pour sa vaillance, de l'admiration ; et pour son ambition, la mort ! Quel est ici l'homme assez bas pour vouloir être esclave ! S'il en est un, qu'il parle, car c'est lui que j'ai offensé. Quel est ici l'homme assez grossier pour ne vouloir pas être Romain ? S'il en est un, qu'il parle ; car c'est lui que j'ai offensé. Quel est l'homme assez vil pour ne pas vouloir aimer sa patrie ? S'il en est un, qu'il parle ; car c'est lui que j'ai offensé... J'attends une réponse.

La foule:   Personne Brutus, personne »




Brutus fonde l’essentiel de son discours sur la logique et la rationalité : il expose les faits de manière structurée pour persuader et convaincre les citoyens que son acte était dans l’intérêt commun. Par exemple, il fait une liste : « César m’aimait, et je le pleure ; il fut fortuné, et je m’en réjouis ; il fut vaillant, et je l’en admire ; mais il fut ambitieux, et je l’ai tué ! » Cette disposition accumulative est typique du parallélisme — une figure qui renforce la clarté de la démonstration. Il pose également des questions rhétoriques : « Quel est ici l’homme assez bas pour vouloir être esclave ? S’il en est un, qu’il parle, car c’est lui que j’ai offensé. » Ces interrogations structurent le raisonnement logique et poussent à la réflexion individuelle au sein du collectif. Il est absolument impossible de penser que l’assassinat de César fut décidé brutalement sous l’effet d’une impulsion. C’est même tout le contraire. Brutus insiste sur la réflexion et sur la mise en balance de son amitié pour Jules césar et de son devoir de républicain. C’est une initiative raisonnée mais en même temps, Brutus pointe ses sentiments pour César de telle sorte que l’on peut conclure à une sorte de sacrifice par Brutus de son affection et cela sur l’autel de la république de Rome. Parfois, il faut faire primer sa raison sur ses affects et c’est bien ce que  j’ai fait. Avec cette figure du parallélisme, Brutus joue sur les deux tableaux: la raison et l’motion, logos et pathos. C’est très habile. 

Le passage le plus magnifique est indiscutablement celui-ci: 

  « César m'aimait, et je le pleure, il fut fortuné, et je m'en réjouis ; il fut vaillant, et je l'en admire ; mais il fut ambitieux, et je l'ai tué ! Ainsi, pour son amitié, des larmes ; pour sa fortune, de la joie ; pour sa vaillance, de l'admiration ; et pour son ambition, la mort ! »

La figure du chiasme s’applique rigoureusement au passage cité puisque ce dernier présente une structure croisée. Le chiasme repose sur l’inversion symétrique d’éléments dans deux parties de phrase selon un schéma AB/BA, créant un effet miroir entre ces éléments. Or ci, on observe clairement ce schéma:

  • “César m’aimait” (A) est suivi de “et je le pleure” (B),
  • Puis “il fut fortuné” (B) suivi de “et je m’en réjouis” (sous entendu puisque je l’aimais)  (A) 
  • Suivi de “il fut vaillant” (C) et “je l’en admire” (D): logique!
  • Puis surgit  l’antithèse dans “mais il fut ambitieux” (il fut ambitieux puisque il était objet d’admiration (D) et là “je l’ai tué” (C). Aussi vrai que l’on ne peut qu’admirer quelqu'un de vaillant, il est envisageable de tuer quelqu’un de trop ambitieux parce qu’il tombe dans la démesure et met alors en danger le pays qu'il dirige. 


Ce croisement inverse les sentiments et jugements exprimés dans la première et seconde partie, en miroir, ce qui manifeste la construction chiasmatique. Par ailleurs, la répétition des réponses opposées ou complémentaires (pleurer/amuser, admirer/tuer) renforce l’effet de symétrie et de contraste qui caractérise le chiasme.

De plus, Il y a une intensification une montée en puissance (même si c’est du pouvoir!), jusqu’au paroxysme de la mort, du crime. Le but est finalement de manifester que la déception et la peine infligée est à la mesure de l’admiration vouée. Je ne l’aurais pas tué s’il m’avait été indifférent. Il y a quelque chose d’implacable dans le schéma "voilà ce qu’il fut, voilà ce que j’ai fait » une sorte d’application littérale du devoir patriotique. A ceci j’ai répondu par cela, de telle sorte que rien ne puisse apparaître plus évident qu’un crime, alors que le meurtre dans le sénat (lieu dans lequel  les armes étaient interdites) est absolument exceptionnel, c’est de la manipulation pure.  En somme, la justification rigoureuse tient à la présence d’une inversion symétrique des éléments de la phrase (AB/BA), à la mise en miroir des sentiments opposés, et à l’effet stylistique et rhétorique puissant que cette disposition engendre, précisément ce que définit la figure du chiasme en littérature.

La tirade se termine par une autre figure de style qui est l’anaphore, c’est-à-dire la répétition d’un motif, d’une formulation qui provoque un effet d’accumulation renforçant la thèse défendue. Pour Brutus, il s’agit du motif suivant: « S'il en est un, qu'il parle ». Évidemment ici encore, c’est de la pure manipulation, avec un côté bravache. Brutus semble provoquer la foule alors qu’il la caresse dans le sens du poil puisqu’on n’imagine pas qu’un romain puisse nier son appartenance au peuple de Rome. C’est un coup de maître puisque l’acte de Brutus peut justement se concevoir comme celui d’une pure trahison à l’égard de son père adoptif. Il renverse totalement l’évidence en faisant apparaître comme traître celui qui verrait de la traitrise dans son geste (mais comment ne pas la voir?).

Pour résumer, On peut dire qu’il y a trois figures de rhétorique au sens de « parole-pouvoir » dans le discours de Brutus: le chiasme, le parallélisme (schéma action/réponse) , l’anaphore

A ce discours très habile de Brutus qui vient de tourner la foule en sa faveur, c’est Marc-Antoine, opposant politique convaincu et viscéral du fils adoptif de César, qui répond. On peut vraiment sans aucun doute possible, présumer de la détestation, de l’intensité extrême de la haine qu’il éprouve à cet instant pour les conjurés et pour Brutus en particulier. Mais il n’est pas concevable qu’il l’exprime telle quelle puisque le sort de Rome est en train de se décider et que Shakespeare met en scène cet instant critique devant une foule représentant le peuple de Rome. Tout se joue là donc! Et si Marc Antoine appelle brutalement à l’insurrection, il y a de grandes chances qu’il soit arrêté sur le champ voire lynché. Ce qu’il lui reste à faire, c’est un appel implicite à la révolte, à l’indignation devant ce meurtre abominable. Comment dissimuler la brutalité authentique de ses sentiments derrière une parole suffisamment habile pour exercer un pouvoir quasi hypnotique, irrésistible sur la population réunie ? La rhétorique instrumentalisée sera ici, comme pour Brutus, pleinement utilisée:




Marc-Antoine: "Amis, Romains, concitoyens, prêtez-moi vos oreilles je viens pour ensevelir César, et non pour le louer. Le mal que font les hommes vit après eux, le bien est souvent enterré avec leurs os ; qu’il en soit ainsi de César. Le noble Brutus vous a dit que César était ambitieux s’il en était ainsi, c’était un défaut grave, et César l’a expié gravement. Ici, avec la permission de Brutus et des autres, car Brutus est un homme honorable, et ils le sont tous, des hommes honorables, je viens pour parler des funérailles de César. Il était pour moi un ami fidèle et juste ; mais Brutus dit qu’il était ambitieux et Brutus est un homme honorable. Il a amené ici à Rome beaucoup de captifs dont les rançons remplirent les coffres publics en ceci César parut-il ambitieux ? Quand les malheureux ont crié, César a pleuré l’ambition devrait être faite d’une plus rude étoffe cependant Brutus dit qu’il était ambitieux, et Brutus est un homme honorable. Vous avez vu tous qu’à la fête des Lupercales je lui présentai trois fois la couronne royale, et qu’il la refusa trois fois était-ce de l’ambition ? Cependant Brutus dit qu’il était ambitieux, et certainement il est un homme honorable. Je ne parle pas pour désapprouver ce qu’a dit Brutus, mais je suis ici pour dire ce que je sais. Tous vous l’aimiez jadis, et ce n’était pas sans raison quel motif vous empêche donc de le pleurer ? O jugement, tu t’es réfugié chez des brutes, et les hommes ont perdu la raison! — Pardonnez-moi ; mon cœur est dans le cercueil ici avec César, et il faut m’arrêter jusqu’à ce que je revienne à moi.

PREMIER CITOYEN.Il me semble qu’il y a beaucoup de raison dans ses paroles."




Comment se faire comprendre non pas tant au-delà des mots que grâce à eux mais en maintenant constamment l’ambiguïté du double sens de telle sorte que finalement les auditeurs comprennent précisément qu’il veut dire le contraire de ce qu’il dit? De prime abord, il n’y a qu’un registre qui puisse ici convenir, c’est l’ironie. Toutefois l’ironie pure est dangereuse parce qu’elle ne peut fonctionner que si l’on est certain que la personne est suffisamment affûtée, complice ou encore perspicace pour saisir le double sens, ce qu’il est très difficile de faire avec une foule, a fortiori après le discours de Brutus. On ne peut partir du principe que le peuple ici présent est vraiment d’accord avec soi. Si c’était le cas, il n‘aurait pas laissé parler Brutus. La foule est là, amassée, indécise, mais certainement pas gagnée d’avance aux hagiographes (tresser les louanges de...) de César. 

L’ironie pure, donc ne peut pas être utilisée ici. Marc Antoine va alors se tourner vers une autre figure de rhétorique que l’on appelle la prétérition. Elle désigne l’action consistant à dire que vous ne faites pas ce qu’en réalité vous faites: « je n’insisterai pas sur la grossièreté de votre démarche ». L’effet recherché est justement de souligner le défaut mentionné en affirmant fallacieusement qu’on le tient pour rien. C’est comme si le fait était justement exacerbé, en tant que FAIT par une parole qui prétend ne pas lui accorder d’importance. C’est tellement en dessous de tout qu’on ne va pas le noter. On reste dans un registre allusif ou euphémistique mais précisément pour que la charge critique en soit comme démultipliée, décuplée. « Je passe sur la grossièreté de votre démarche... sous entendu:"non pas parce qu’elle n’existe pas mais au contraire parce que son existence est factuelle, presque au-delà de tout ce que l'on peut exprimer". 

On retrouve la prétérition dans cette figure souvent utilisée aujourd’hui: « ce n’est pas pour me citer en exemple mais j’ai quand même été héroïque »: non seulement on dit qu’on a été héroïque mais en plus on semble conscient de l’effet que cela peut créer et on le dément.  Sur un public crédule, cela peut marcher. « C’est pas pour dire mais tu t’es conduit comme un vaurien. » Tu es d’autant plus un authentique vaurien que moi qui te le dis (en disant que je ne te le dis pas)  ne poursuit aucun but toxique en te le disant (si peu). Tu l'es donc "objectivement", pas subjectivement.

La prétérition est d’emblée marquée par Marc-Antoine: « je suis ici pour ensevelir césar, non pour le louer ». Pour saisir la vérité de cette parole, il faut l’inverser.  Et cela continue: le bien des hommes est enterré avec eux. Désir donc est enterré en tant qu’homme admirable, alors que justement Brutus vient de dire que c’est en tant qu’être ambitieux, donc dangereux qu’il a été tué. 

Le but de Marc-Antoine est finalement de croiser deux figures: anaphore et prétérition jusqu’à créer dans l’esprit de la foule un effet de contraste entre les mérites de César et ceux des conjurés qui l’ont mis à mort. De leur côté l’honorabilité, de celui de César: ami fidèle et juste, grand conquérant, dénué d’ambition. Il y en a beaucoup plus d’un côté que de l’autre. Les conjurés sont honorables, mais qui ne l’est pas? César était dévoué en amitié, défenseur et grand homme d’Etat, artisan de la richesse de Rome et qui plus est: « désintéressé ». Qu’un homme soit honorable, c’est le moins que l’on puisse attendre de lui. Qu’un homme impose le nom et la domination de Rome sur des territoires conquis, c’est exceptionnel et c’est bien plus que la « normale ». Des hommes infâmes (au sens étymologique: sans renommée) ont tué un chef d’état exceptionnel tel que Rome n’en retrouvera jamais. Voilà le discours qu’il s’agit de faire passer sur un mode presque implicite, très suggestif mais en même temps efficient. 




La prétérition est LA figure que Marc-Antoine ne lâche jamais: « je ne parle pas pour désapprouver Marc Antoine »…..Euh…..Si! Alors que jusqu’ici, on pourrait dire que le registre utilisé par marc-Antoine était le logos, en ce sens que César fut effectivement un grand conquérant, un stratège confirmé, il va terminer dans le pathos le plus exacerbé qui soit, en invitant à pleurer la dépouille et même à faire comme si son être n’aspirait qu’à rejoindre César dans la tombe, alors que ce qu’il veut le plus au monde c’est le venger et planter la tête de Brutus sur une pique. 

Aux trois figures de style utilisées par Brutus (chiasme anaphore et parallélisme)  répondent comme en écho ces trois là: prétérition, anaphore et hyperbole (hyperbole, c’est l’exagération finale: je veux aller rejoindre César dans la tombe)


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