b) Il n’y a pas de signe linguistique isolé: la notion de « système »
"Dans la langue il n'y a que des différences. [...] Qu'on prenne le signifié ou le signifiant, la langue ne comporte ni des idées ni des sons qui préexisteraient au système linguistique, mais seulement des différences conceptuelles et des différences phoniques issues de ce système. Ce qu'il y a d'idée ou de matière phonique dans un signe importe moins que ce qu'il y a autour de lui dans les autres signes. La preuve en est que la valeur d'un terme peut être modifiée sans qu'on touche ni à son sens ni à ses sons, mais seulement par le fait que tel autre terme voisin aura subi une modification. […]
Un système linguistique est une série de différences de sons combinées avec une série de différences d’idées ; mais cette mise en regard d’un certain nombre de signes acoustiques avec autant de découpures faites dans la masse de la pensée engendre un système de valeurs ; et c’est ce système qui constitue le lien effectif entre les éléments phoniques et psychiques à l’intérieur de chaque signe. […]
Les synonymes craindre, redouter n'existent que l'un à côté de l'autre ; craindre s'enrichira de tout le contenu de redouter tant que redouter n'existera pas. Il en serait de même de chien, loup, quoiqu'on les considère comme des signes isolés. […] Un signe appelle l'idée, (dépend) d'un système de signes (voilà ce qui est négligé), tous les signes sont solidaires. Un signe ne peut être défini que par ce qui l'entoure. Deux synonymes ne vivent que l'un vis-à-vis de l'autre, par rapport à l'autre. Même allons plus loin : chien désignera le loup tant que le mot loup n'existera pas. Le mot, donc, dépend du système ; il n'y a pas de signe isolé.
[...]
Si vous augmentez d'un signe la langue, vous diminuez d'autant la signification des autres. Réciproquement, si par impossible on n'avait choisi au début que deux signes, toutes les significations se seraient réparties sur ces deux signes. L'un aurait désigné une moitié des objets, et l'autre, l'autre moitié.
Ferdinand de Saussure
« La langue ne comporte ni des idées ni des sons qui préexisteraient au système linguistique ». Les idées de la langue ce sont nos idées tout court. Saussure affirme donc ici qu’il ne peut pas exister d’idées ailleurs ni autrement que dans et par la langue. C’est rigoureusement la conséquence directe du fait que la valeur prime sur la signification. Si le rapport entre un mot et ce qu’il exprime vient du rapport qu’il entretient avec un autre mot, alors, en effet, ce sont les mouvements et les différenciations oeuvrant DANS la langue qui vont faire naître les différents entre les idées. Il y a le mot chien dans ma langue et si le mot « loup » n’existe pas dans cette langue, il ne fera aucun doute qu’un loup sera un chien tant que le mot loup n’apparaîtra pas. On ne touche pas à la signification du mot chien ni à ses phonèmes :/ch/ien/.
Mais voici que le mot loup « surgit » dans la langue. Il ne faut aucun doute qu’un loup n’est pas un chien. Pourquoi? Parce que le loup est sauvage et pas le chien? Parce que le loup vit en hordes alors que le chien domestique vit avec son maître? Toutes ses explications aussi pertinentes soient-elles ne verront le jour « qu’après ». Nous avons ici envie de dire qu’un loup n’a jamais été un chien, mais tant que les différences n’auront pas « cristallisé » dans la nécessité de faire un AUTRE mot, ces différences pourtant criantes ne seront pas « relevables ». Le mot cheval a un sens non pas parce qu’il désigne un être propre au cheval mais parce qu’il s’oppose dans la langue française à jument, âne, poney, etc. Jusqu’où faut-il que des différences soient relevées pour qu’un nouveau mot apparaisse? Ces différences elles-mêmes ne seront perçues que pour autant qu’elles seront désignées par des termes qui s’opposent entre eux.
Nous commençons à comprendre tout ce qu’il s’ensuit de la lotion d‘arbitraire de la langue. Ce n’est pas parce qu’il y a des différences dans la réalité qu’il y a des mots différents dans la langue, c’est parce qu’il y a des mots distincts dans la langue que nous réalisons les différences dans la réalité. C’est le sytème de la langue et le jeu de valeurs qui s’instaurent entre les signes dans ce système qui fondent le rapport entre phonème et idée dans chaque signe (signifiant et signifié). Le rapport entre :/ch/ien/ et concept de chien ne se constitue que dans la langue et si aucun autre signe ne vient s’imposer dans la langue pour contrebalancer l’hégémonie du chien et pour faire place au loup, quand nous verrons un loup, nous verrons un chien.
La langue est donc fondamentalement un champ de tensions au sein duquel la négation prime sur l’être. la valeur prime sur la signification, car ce qui définit un mot n’est pas son rapport à une chose ou à une essence, mais le réseau de différences qui l’oppose aux autres signes. Cette structure négative — fondée sur la différance et la tension — fait de la langue un champ de forces, un espace où le sens ne se donne jamais positivement, mais toujours par écart. Ainsi, la langue se déploie comme un jeu de négativités, où l’être du monde se trouve continuellement ajourné par le fonctionnement du signe. Dans cette perspective, elle opère un oubli de l’être, au sens heideggérien : elle substitue à la présence originaire du monde un tissu de renvois et de substituts. Cet oubli est aussi un oubli de la vérité comme alètheia (définition de la vérité comme sortie de l’oubli), c’est-à-dire de la mise en lumière de l’être, car la langue enferme la pensée dans la médiation du signe plutôt que dans la révélation de ce qui est. Heidegger voit précisément dans ce processus la marque de la métaphysique occidentale : la domination du discours, du logos, sur l’expérience originaire de la présence — autrement dit, la victoire du langage comme système de relations sur la parole comme dévoilement de l’être.
RESUME: ce que nous tentons ici est une sorte de reprise et de synthèse de tout ce qui a été mis à jour (et démontré) depuis le début du cours parce que l’association du texte d’Alain et des différents extraits du cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure vont de façon différente vers une seule conclusion qui est la suivante: nous ne percevons absolument rien sans que notre langue maternelle ne structure et ne détermine ces perceptions.
C’est la même querelle que celle de l’innéisme et de l’empirisme que la linguistique résout ENTIEREMENT. D’où vient que je ne me trompe pas en disant que cette figure ici présente devant moi est un cercle? De ceci qu’il y a déjà en moi les notions d’égalité, de point de lignes, de centre, etc. (Innéisme) ou bien de ceci qu’il m’est déjà arrivé de voir des cercles et que les idées finalement ce sont des sensations en moins intense (empirisme)? Nous avons déjà insisté sur le fait que cé débat a particulièrement animé les 17 et 18e siècle mais Platon déjà était au 5e siècle avant JC un innéiste radical. Par conséquent, cette question de l’origine de nos idées est vraiment l’une des plus fondamentales et des plus ancienne de toute la philosophie.
Même s’il est tout à fait exact qu’Emmanuel Kant a considérablement éclairci cette question en démontrant qu’il existe en toute intuition (perception) une part de construction de l’entendement par les catégories, il n’a pas totalement résolu le problème:
- Quantité : Unité, Pluralité, Totalité
- Qualité : Réalité, Négation, Limitation
- Relation : Substance et accident, Causalité et dépendance, Communauté (action réciproque)
- Modalité : Possibilité, Existence, Nécessité
Selon Emmanuel Kant, il existe ainsi des catégories universelles de l’entendement humain par le filtre desquelles nous construisons, ou plutôt nous imposons un certain cadre à ce qu’il appelle parfois « le divers de l’intuition ». Autrement dit, il y a bien un flux de réalités disparate, chaotique, brut qui nous « impacte ». C’est ce que nous pourrions appeler un « donné » brut de l’expérience (donc l’empirisme n’a pas tort), sauf que ce « donné » ne se manifeste pas à nous de telle sorte que nous puissions nous le représenter tel qu’il « est », ne serait que parce que notre intuition (perception) ne peut pas se représenter quoi que ce soit hors du temps et de l’espace, dans un ici-maintenant.
Ensuite notre imagination synthétise ces données brutes pour leur donner une cohérence sensible. Puis notre entendement crible cette représentation de ces catégories sous l’application desquelles, le donné sera conceptualisé: c’est un cercle. Pourquoi? Parce que tous les points de la figure sont à égale distance du centre. Mais d’obviant cette idée de cercle? De notre entendement (donc l’innéisme n’a pas tort non plus) C’est comme si Emmanuel Kant avait parfaitement saisi ce qui rend ce duel vain, dépassable: s’il n’y a pas de concept pour guider l’intuition sensible, on ne peut absolument pas reconnaître le cercle. Mais si on n’a pas non plus l’intuition, on reste dans l’abstraction intellectuelle pure et on n’a rien à reconnaître.
Mais il y a encore un pallier que Kant n’a pas franchi dans cette résolution (ce qui fait quand même de lui un innéiste plus qu’un empiriste), c’est qu’il ne répond pas à la question de savoir d’où vient que nous ayons dans notre entendement ces catégories. Comme le fera remarque le linguiste Emile Benveniste, en 1966 dans on livre « problèmes d linguistique générale » les catégories kantiennes, traditionnellement vues comme des catégories universelles de la pensée, sont en réalité des catégories de la langue. Dans son analyse, il montre que les dix catégories d’Aristote (reprises par Kant - Oui en fait Kant avait copié déjà Aristote) correspondent à des catégories linguistiques spécifiques qui structurent la langue elle-même, et non des attributs abstraits des objets ou de la pensée pure. Par exemple, la catégorie de la « substance » devient en linguistique la catégorie des substantifs, les catégories de qualité et quantité correspondent à des adjectifs, tandis que les catégories de relation, lieu, et temps ont des équivalents linguistiques clairs dans les adverbes et pronoms.
Benveniste soutient que cette transposition des catégories de la pensée à des catégories du langage implique que la langue joue un rôle fondamental dans la structuration de la pensée, rendant les catégories de Kant dépendantes ou dérivées des structures linguistiques. Il souligne aussi que ces catégories sont toujours celles d’une langue particulière, ce qui relativise leur prétendue universalité.
Ainsi, loin de voir la langue comme une simple expression de la pensée, Benveniste renverse la perspective en considérant que la langue, à travers ses catégories propres, fonde en partie les catégories de la pensée. Mais c’est même encore plus que cela puisque ce que nous percevons n’est identifié comme étant ceci ou cela qu’à partir de cette pensée. Nous percevons toujours DANS la langue maternelle que la mère dont nous parlait Alain nous a imposée. Sans elle nous ne percevrions probablement rien de clair, de distinct, de catégorisé, mais en même temps, à cause d’elle, nous ne percevons qu’à partir des critères imposés de cette langue. Nous ne sommes jamais de pain pied avec « ce qui se donne »? Nous ne venons pas au monde, mais à la construction de la réalité que notre langue a déterminé et autoritairement imposé.
Même si cela peut sembler anachronique puisque le livre d’Emile Benveniste date de 1966, les thèses de Saussure, notamment sur l’arbitraire du signe, doivent être lues et analysées à partir de toute cette généalogie de l’idée et de la perception, car, en fait, il ne fait guère de doute que Saussure avait déjà le sens de cette importance de la linguistique (ne serait ce que parce qu’il a créé la linguistique). Il nous faut donc bien comprendre qu’en s’efforçant de clarifier la structure des signes linguistiques, Saussure nous permet de saisir la nature la plus fine et la plus subtile de ce qui se passe à chaque fois que nous percevons un objet, un affect, une pensée, une personne, des éléments, un espace bref de la perception tout court.
Nous ne percevons comme nous percevons qu’à partir de ce que nous pensons et nous ne pensons qu’à partir des catégories linguistiques dans lesquelles nous sommes né.e.s. Notre mère « génitrice » nous a livré à une matrice incroyablement plus dévorante et totalitaire qui est la langue maternelle (il va quand même falloir sortir des jupes de sa mère linguistique là, aussi impossible que cela puisse nous sembler de prime abord!)
C’est à partir de ce qui vient d’être tracé comme généalogie de la perception et de la pensée que les thèses de Saussure prennent un relief incomparable. Julitte perçoit bien l’abstraire des noms et des noms propres mais elle ne réalise pas du tout à quel point elle y est déjà immergée, toujours déjà immergée de telle sorte que si effectivement Roméo aurait pu s’appeler autrement (contingence du nom), de fait il est ainsi nommé Roméo Montaigu et dans ce nom se dit bel et bien quelque chose de son histoire, de son engendrement et de son être social, grille au travers de laquelle elle l’a bel et bien connu et reconnu. Elle ne mesure donc pas l’enracinement de cet arbitraire et l’impossibilité de démêler ces dimensions quasiment inextricables du corps de Roméo et de son être social, nominatif (on pourrait opposer ici le « natif » et le « nominatif », mais en insistant sur cette intrication de l’un avec l’autre par quoi se dit, sans contexte quelque chose d’un mode d’être humain.
Reprenons l’exemple de Saussure pour saisir le primat de la valeur sur la signification. Nous expliquerons après pourquoi ce primat est aussi fondamental et a à voir avec l’arbitraire du signe. La différence entre le chien et le loup est énorme: le premier est domestiqué, vit avec l’être humain, nourri et dressé par lui. Le second est sauvage, vit en meute, et a été longtemps pourchassé, tué, mythologisé comme créature démoniaque et malfaisante (même s’il est aujourd’hui réintroduit dans plusieurs parcs régionaux et nationaux). Il y a indiscutablement là une multitude de raisons suffisantes pour justifier la différence de typologie entre deux animaux distincts, même si évidemment ils ont une origine commune et viennent tous deux de la même souche animale (les canidés).
Poser le primat de la valeur sur la signification revient à affirmer que le sens de ces deux mots: « chien » et « loup » ne peut en aucune façon se concevoir isolément l’un de l’autre. Le sens de chacun de ces deux mots vient de ceci qu’ils sont tous deux pris dans le système entier de la langue française. C’est assez hallucinant de se dire cela parce que de fait nous voyons bien qu’un chien n’est pas un loup et nous ne pouvons nous enlever de l’esprit que cette différence est là inscrite dans la réalité naturelle « donnée ». Mais il se trouve qu’il y a justement dans notre esprit une matrice de distinction au travers de laquelle ce que nous percevons est identifié est perçu comme différent, à savoir la langue. Si donc il n’y avait dans notre langue le mot coup, nous identifierions le loup comme chien. C’est à partir des différences entre signes dans la chaîne signifiante de la langue que nous percevons des choses, des éléments, des animaux, des êtres.
Par conséquent la langue ne coïncide jamais avec la réalité brute ; elle fonctionne comme une trame de différences où chaque terme ne vaut qu’en écart. Nous parlons à partir de ces écarts et non à partir des choses. Nous sommes pris dans un système de signes qui font valoir entre eux des différences (entre loup et chien) et, à partir de cela nous faisons valoir ces différences dans nos perceptions mais elles ne viennent pas du tout de la réalité.
Ainsi le sens d’un terme est toujours à la fois posé et différé parce que dépendant des déplacements de signes dans la langue. On ne saura jamais suffisamment ce qu’un loup « est » vraiment, parce que finalement ce qu’un loup est c’est ce que le mot loup permet de découper en se distinguant du mot chien, sachant que d’autres mots peuvent surgir ou d’autres nuances. Ce suspens du sens qui nous situe toujours dans un irrémédiable écart vis à vis du réel, c’est ce que Jacques Derrida appelle la différance, avec un « a ». La langue c’est l’ajournement d’une sensation vraie totale pleine. Nous sommes posés par la langue dans un à-venir du monde au fil duquel finalement il ne viendra jamais. Quand un mot surgit, il appelle d’autres mots, d’autres échos, d’autres contextes. Le sens fuit sans cesse vers ce qui n’est pas encore dit. Il ne demeure jamais dans une plénitude, il se déplace dans une chaîne infinie de renvois. En ce sens, Derrida décrit le langage comme un espace d’ajournement continu : le réel ne s’y atteint jamais, car chaque signe ne parle qu’à travers d’autres signes.
Cette perspective prolonge directement ce que Saussure soupçonnait déjà : que le signe linguistique est une structure purement négative et auto-référentielle. Mais Derrida en tire une conséquence philosophique : il n’y a pas de présence originaire, pas de fond stable du sens. Le langage ne nous sépare pas seulement du monde ; il constitue la condition même de cet écart indépassable.
Mais qu’est ce que ça veut dire? Qu’en vivant dans le langage, l’homme vit à côté de la vie. Il n’accède à rien immédiatement, tout lui est médiation, écart, trace. La langue, loin de révéler le monde, s’interpose comme une muraille de signes. L’effet de clôture de toute langue est alors existentiel : le sujet parlant est condamné à habiter dans le réseau de la différance, à poursuivre sans fin un sens qui toujours lui échappe. Lacan dira plus tard que le signifiant “représente le sujet pour un autre signifiant” — formule qui condense cette vérité : on ne parle que dans une substitution infinie, sans jamais rejoindre le centre de soi-même ni la vérité nue du monde. Le sujet est lui aussi une différence, un effet de langage.
3 ) Le sens, la parole et le cri
a) « Pris dans les filets de la langue » - Nietzsche
Il faut vraiment saisir le sens de la « différance » par Jacques Derrida. Le primat de la valeur sur la signification. Nous utilisons des mots dont le sens dépend du rapport de ce mot avec les autres mots de la langue, de telle sorte que le sens est toujours ce qui est travaillé par un jeu de déplacements qui circule au gré de la chaîne signifiante. Nous savons bien ce que « nous voulons dire » mais en même temps ce vouloir dire nous échappe. Il dépend des signifiants et des déplacements constants de sens au sein de la langue. Il faut repenser au loup et au chien, à tout ce qui fait que ce que nous percevons, y compris de nous-mêmes passe par des mots et dés lors dépend moins de « nous » que de la langue.
Le rapport entre les mots que nous utilisons et leur sens est donc remis à plus tard, ajourné: « Aucun signe n’est jamais la présence pleine de ce qu’il signifie, mais toujours la trace d’un autre signe, dans une chaîne infinie qui différencie le sens et différée la présence. »
Dans la langue, rien n’est positif, présent, efficient ici et maintenant. Saussure le montre de manière implacable : le signe ne vaut que par ce qu’il n’est pas. On ne rencontre jamais dans la langue la “substance” du sens, mais uniquement des différences de sons et de valeurs qui s’entre-déterminent. Ainsi, le mot n’est pas un nom qui collerait à une chose, mais une place dans un réseau de pur contraste. Le sens d’un mot ne naît que de la négation de tous les autres possibles. C’est pourquoi parler, c’est toujours agir dans un système clos, où chaque signifiant ne tire sa force que de sa différence avec les autres. Ce qui fait que je comprends le sens du mot chien c’est qu’il n’est pas le même que celui du loup et si le mot loup n’existait pas, ce serait le jeu d’une autre différence, sûrement moins précise qui prendrait la relève, de telle sorte que nous finissons par réaliser que ce que nous voyons, ce que nous percevons et ce que nous vivons finalement est déterminé par des déplacements de sens dans la chaîne signifiante. Ce que je vis n’EST pas puisque la pensée à partir de laquelle je me dis à moi-même que je le vis est prise dans ce réseau de différences au sein duquel chaque sens de chaque chose se constitue du fait de n’être pas un autre. Nous sommes pris dans la chaîne signifiante, et cette chaîne signifiante étant composée de différences, nous sommes donc capturé.e.s dans un réseau de différenciations négatives qui JAMAIS ne nous situe en phase, en prise avec une authentique présence. Nous ne vivons rien donc!
Nous saisissons maintenant dans toute son amplitude, le « rapt » de l’enfant par sa mère, dans le texte d’Alain. Celle-ci ne fait pas seulement que donner à son bébé la clé qui lui ouvre déjà les portes du sens de sa reconnaissance au sein d’une communauté de semblables utilisant la même langue que lui, elle le prive aussi de tout rapport authentique avec l’être, ou plus exactement elle fait l’un pour faire l’autre. Nous payons de notre déracinement, de notre exil de l’être notre intégration à notre communauté linguistique et finalement aussi à la société des humain.e.s.
Mais c’est parvenu.e.s à ce moment du cours qu’il est utile se se rappeler de cette distinction difficile et ambiguë entre la langue et la parole, difficile parce que ces deux notions sont réellement inséparables et en même temps, elles se définissent en constante opposition: la langue est communautaire, la parole individuelle, la langue est autoritaire la parole est libre, la langue est arbitraire alors que la parole est donnée, brute, spontanée (ou disons qu’elle peut l’être). Nous pouvons donc maintenant rajouter cette dimension: la langue est du côté du non-être…Mais alors la parole serait (peut-être) ce dont la nature et la présence « donnée », imprévisible et contingente nous réserverait un certain accès à l’être, c’est-à-dire à une forme de vérité.


















