dimanche 14 décembre 2025

Terminales 2 / 5 / 7: Le Langage (3)

 b) Il n’y a pas de signe linguistique isolé: la notion de « système »

"Dans la langue il n'y a que des différences. [...] Qu'on prenne le signifié ou le signifiant, la langue ne comporte ni des idées ni des sons qui préexisteraient au système linguistique, mais seulement des différences conceptuelles et des différences phoniques issues de ce système. Ce qu'il y a d'idée ou de matière phonique dans un signe importe moins que ce qu'il y a autour de lui dans les autres signes. La preuve en est que la valeur d'un terme peut être modifiée sans qu'on touche ni à son sens ni à ses sons, mais seulement par le fait que tel autre terme voisin aura subi une modification. […]

  Un système linguistique est une série de différences de sons combinées avec une série de différences d’idées ; mais cette mise en regard d’un certain nombre de signes acoustiques avec autant de découpures faites dans la masse de la pensée engendre un système de valeurs ; et c’est ce système qui constitue le lien effectif entre les éléments phoniques et psychiques à l’intérieur de chaque signe. […]

  Les synonymes craindre, redouter n'existent que l'un à côté de l'autre ; craindre s'enrichira de tout le contenu de redouter tant que redouter n'existera pas. Il en serait de même de chien, loup, quoiqu'on les considère comme des signes isolés. […] Un signe appelle l'idée, (dépend) d'un système de signes (voilà ce qui est négligé), tous les signes sont solidaires. Un signe ne peut être défini que par ce qui l'entoure. Deux synonymes ne vivent que l'un vis-à-vis de l'autre, par rapport à l'autre. Même allons plus loin : chien désignera le loup tant que le mot loup n'existera pas. Le mot, donc, dépend du système ; il n'y a pas de signe isolé.

[...]

  Si vous augmentez d'un signe la langue, vous diminuez d'autant la signification des autres. Réciproquement, si par impossible on n'avait choisi au début que deux signes, toutes les significations se seraient réparties sur ces deux signes. L'un aurait désigné une moitié des objets, et l'autre, l'autre moitié. 

                                                                                                                                         Ferdinand de Saussure




« La langue ne comporte ni  des idées ni des sons  qui préexisteraient au système linguistique ». Les idées de la langue ce sont nos idées tout court. Saussure affirme donc ici qu’il ne peut pas exister d’idées ailleurs ni autrement que dans et par la langue. C’est rigoureusement la conséquence directe du fait que la valeur prime sur la signification. Si le rapport entre un mot et ce qu’il exprime vient du rapport qu’il entretient avec un autre mot, alors, en effet, ce sont les mouvements et les différenciations oeuvrant DANS la langue qui vont faire naître les différents entre les idées. Il y a le mot chien dans ma langue et si le mot « loup » n’existe pas dans cette langue, il ne fera aucun doute qu’un loup sera un chien tant que le mot loup n’apparaîtra pas.  On ne touche pas à la signification du mot chien ni à ses phonèmes :/ch/ien/. 

Mais voici que le mot loup « surgit » dans la langue. Il ne faut aucun doute qu’un loup n’est pas un chien. Pourquoi? Parce que le loup est sauvage et pas le chien? Parce que le loup vit en hordes alors que le chien domestique vit avec son maître? Toutes ses explications aussi pertinentes soient-elles ne verront le jour « qu’après ». Nous avons ici envie de dire qu’un loup n’a jamais été un chien, mais tant que les différences n’auront pas « cristallisé » dans la nécessité de faire un AUTRE mot, ces différences pourtant criantes ne seront pas « relevables ». Le mot cheval a un sens non pas parce qu’il désigne un être propre au cheval mais parce qu’il s’oppose dans la langue française à jument, âne, poney, etc. Jusqu’où faut-il que des différences soient relevées pour qu’un nouveau mot apparaisse?  Ces différences elles-mêmes ne seront perçues que pour autant qu’elles seront désignées par des termes qui s’opposent entre eux.  

Nous commençons à comprendre tout ce qu’il s’ensuit de la lotion  d‘arbitraire de la langue.  Ce n’est pas parce qu’il y a des différences dans la réalité qu’il y a des mots différents dans la langue, c’est parce qu’il y a des mots distincts dans la langue que nous réalisons les différences dans la réalité.  C’est le sytème de la langue et le jeu de valeurs qui s’instaurent entre les signes dans ce système qui fondent le rapport entre phonème et idée dans chaque signe (signifiant et signifié). Le rapport entre :/ch/ien/ et concept de chien  ne se constitue que dans la langue et si aucun autre signe ne vient s’imposer dans la langue pour contrebalancer l’hégémonie du chien  et pour faire place au loup, quand nous verrons un loup, nous verrons un chien. 

La langue est donc fondamentalement un champ de tensions au sein duquel la négation prime sur l’être.  la valeur prime sur la signification, car ce qui définit un mot n’est pas son rapport à une chose ou à une essence, mais le réseau de différences qui l’oppose aux autres signes. Cette structure négative — fondée sur la différance et la tension — fait de la langue un champ de forces, un espace où le sens ne se donne jamais positivement, mais toujours par écart. Ainsi, la langue se déploie comme un jeu de négativités, où l’être du monde se trouve continuellement ajourné par le fonctionnement du signe. Dans cette perspective, elle opère un oubli de l’être, au sens heideggérien : elle substitue à la présence originaire du monde un tissu de renvois et de substituts. Cet oubli est aussi un oubli de la vérité comme alètheia (définition de la vérité comme sortie de l’oubli), c’est-à-dire de la mise en lumière de l’être, car la langue enferme la pensée dans la médiation du signe plutôt que dans la révélation de ce qui est. Heidegger voit précisément dans ce processus la marque de la métaphysique occidentale : la domination du discours, du logos, sur l’expérience originaire de la présence — autrement dit, la victoire du langage comme système de relations sur la parole comme dévoilement de l’être.


RESUME:  ce que nous tentons ici est une sorte de reprise et de synthèse de tout ce qui a été mis à jour (et démontré) depuis le début du cours parce que l’association du texte d’Alain et des différents extraits du cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure vont de façon différente vers une seule conclusion qui est la suivante: nous ne percevons absolument rien sans que notre langue maternelle ne structure et ne détermine ces perceptions. 

C’est la même querelle que celle de l’innéisme et de l’empirisme que la linguistique résout ENTIEREMENT. D’où vient que je ne me trompe pas en disant que cette figure ici présente devant moi est un cercle?  De ceci qu’il y a déjà en moi les notions d’égalité, de point de lignes, de centre, etc. (Innéisme) ou bien de ceci qu’il m’est déjà arrivé de voir des cercles et que les idées finalement ce sont des sensations en moins intense (empirisme)? Nous avons déjà insisté sur le fait que cé débat a particulièrement animé les 17 et 18e siècle mais Platon déjà était au 5e siècle avant JC un innéiste radical. Par conséquent, cette question de l’origine de nos idées est vraiment l’une des plus fondamentales et des plus ancienne de toute la philosophie.

Même s’il est tout à fait exact qu’Emmanuel Kant a considérablement éclairci cette question en démontrant qu’il existe en toute intuition (perception) une part de construction de l’entendement par les catégories, il n’a pas totalement résolu le problème: 

  • Quantité : Unité, Pluralité, Totalité
  • Qualité : Réalité, Négation, Limitation
  • Relation : Substance et accident, Causalité et dépendance, Communauté (action réciproque)
  • Modalité : Possibilité, Existence, Nécessité

Selon Emmanuel Kant, il existe ainsi des catégories universelles de l’entendement humain par le filtre desquelles nous construisons, ou plutôt nous imposons un certain cadre à  ce qu’il appelle parfois « le divers de l’intuition ». Autrement dit, il y a bien un flux de réalités disparate, chaotique, brut qui nous « impacte ». C’est ce que nous pourrions appeler un « donné » brut de l’expérience (donc l’empirisme n’a pas tort), sauf que ce « donné » ne se manifeste pas à nous de telle sorte que nous puissions nous le représenter tel qu’il « est », ne serait que parce que notre intuition (perception) ne peut pas se représenter quoi que ce soit hors du temps et de l’espace, dans un ici-maintenant. 

Ensuite notre imagination synthétise ces données brutes pour leur donner une cohérence sensible. Puis notre entendement crible cette représentation de ces catégories sous l’application desquelles, le donné sera conceptualisé: c’est un cercle. Pourquoi? Parce que tous les points de la figure sont à égale distance du centre.  Mais d’obviant cette idée de cercle? De notre entendement (donc l’innéisme n’a pas tort non plus) C’est comme si Emmanuel Kant avait parfaitement saisi ce qui rend ce duel vain, dépassable: s’il n’y a pas de concept pour guider l’intuition sensible, on ne peut absolument pas reconnaître le cercle. Mais si on n’a pas non plus l’intuition, on reste dans l’abstraction intellectuelle pure et on n’a rien à reconnaître. 

Mais il y a encore un pallier que Kant n’a pas franchi dans cette résolution (ce qui fait quand même de lui un innéiste plus qu’un empiriste), c’est qu’il ne répond pas à la question de savoir d’où vient que nous ayons dans notre entendement ces catégories.  Comme le fera remarque le linguiste Emile Benveniste, en 1966 dans on livre « problèmes d linguistique générale » les catégories kantiennes, traditionnellement vues comme des catégories universelles de la pensée, sont en réalité des catégories de la langue. Dans son analyse, il montre que les dix catégories d’Aristote (reprises par Kant - Oui en fait Kant avait copié déjà Aristote) correspondent à des catégories linguistiques spécifiques qui structurent la langue elle-même, et non des attributs abstraits des objets ou de la pensée pure. Par exemple, la catégorie de la « substance » devient en linguistique la catégorie des substantifs, les catégories de qualité et quantité correspondent à des adjectifs, tandis que les catégories de relation, lieu, et temps ont des équivalents linguistiques clairs dans les adverbes et pronoms.

Benveniste soutient que cette transposition des catégories de la pensée à des catégories du langage implique que la langue joue un rôle fondamental dans la structuration de la pensée, rendant les catégories de Kant dépendantes ou dérivées des structures linguistiques. Il souligne aussi que ces catégories sont toujours celles d’une langue particulière, ce qui relativise leur prétendue universalité.

Ainsi, loin de voir la langue comme une simple expression de la pensée, Benveniste renverse la perspective en considérant que la langue, à travers ses catégories propres, fonde en partie les catégories de la pensée. Mais c’est même encore plus que cela puisque ce que nous percevons n’est identifié comme étant ceci ou cela qu’à partir de cette pensée. Nous percevons toujours DANS la langue maternelle que la mère dont nous parlait Alain nous a imposée. Sans elle nous ne percevrions probablement rien de clair, de distinct, de catégorisé, mais en même temps, à cause d’elle, nous ne percevons qu’à partir des critères imposés de cette langue. Nous ne sommes jamais de pain pied avec « ce qui se donne »? Nous ne venons pas au monde, mais à la construction de la réalité que notre langue a déterminé et autoritairement imposé. 




Même si cela peut sembler anachronique puisque le livre d’Emile Benveniste date de 1966, les thèses de Saussure, notamment sur l’arbitraire du signe, doivent être lues et analysées à partir de toute cette généalogie de l’idée et de la perception, car, en fait, il ne fait guère de doute que Saussure avait déjà le sens de cette importance de la linguistique (ne serait ce que parce qu’il a créé la linguistique). Il nous faut donc bien comprendre qu’en s’efforçant de clarifier la structure des signes linguistiques, Saussure nous permet de saisir la nature la plus fine et la plus subtile de ce qui se passe à chaque fois que nous percevons un objet, un affect, une pensée, une personne, des éléments, un espace bref de la perception tout court.

Nous ne percevons comme nous percevons qu’à partir de ce que nous pensons et nous ne pensons qu’à partir des catégories linguistiques dans lesquelles nous sommes né.e.s. Notre mère « génitrice » nous a livré à une matrice incroyablement plus dévorante et totalitaire qui est la langue maternelle (il va quand même falloir sortir des jupes de sa mère linguistique là, aussi impossible que cela puisse nous sembler de prime abord!) 

C’est à partir de ce qui vient d’être tracé comme généalogie de la perception  et de la pensée que les thèses de Saussure prennent un relief incomparable. Julitte perçoit bien l’abstraire des noms et des noms propres mais elle ne réalise pas du tout à quel point elle y est déjà immergée, toujours déjà immergée de telle sorte que si effectivement Roméo aurait pu s’appeler autrement (contingence du nom), de fait il est ainsi nommé Roméo Montaigu et dans ce nom se dit bel et bien quelque chose de son histoire, de son engendrement et de son être social, grille au travers de laquelle elle l’a bel et bien connu et reconnu. Elle ne mesure donc pas l’enracinement de cet arbitraire et l’impossibilité de démêler ces dimensions quasiment inextricables du corps de Roméo et de son être social, nominatif (on pourrait opposer ici le « natif » et le « nominatif », mais en insistant sur cette intrication de l’un avec l’autre par quoi se dit, sans contexte quelque chose d’un mode d’être humain.

Reprenons l’exemple de Saussure pour saisir le primat de la valeur sur la signification. Nous expliquerons après pourquoi ce primat est aussi fondamental et a à voir avec l’arbitraire du signe. La différence entre le chien et le loup est énorme: le premier est domestiqué, vit avec l’être humain, nourri et dressé par lui. Le second est sauvage, vit en meute, et a été longtemps pourchassé, tué, mythologisé comme créature démoniaque et malfaisante (même s’il est aujourd’hui réintroduit dans plusieurs parcs régionaux et nationaux). Il y a indiscutablement là une multitude de raisons suffisantes pour justifier la différence de typologie entre deux animaux distincts, même si évidemment ils ont une origine commune et viennent tous deux de la même souche animale (les canidés). 

Poser le primat de la valeur sur la signification revient à affirmer que le sens de ces deux mots: « chien » et « loup » ne peut en aucune façon se concevoir isolément l’un de  l’autre.  Le sens de chacun de ces deux mots vient de ceci qu’ils sont tous deux pris dans le système entier de la langue française. C’est assez hallucinant de se dire cela parce que de fait nous voyons bien qu’un chien n’est pas un loup et nous ne pouvons nous enlever de l’esprit que cette différence est là inscrite dans la réalité naturelle « donnée ». Mais il se trouve qu’il y a justement dans notre esprit une matrice de distinction au travers de laquelle ce que nous percevons est identifié est perçu comme différent, à savoir la langue. Si donc il n’y avait dans notre langue le mot coup, nous identifierions le loup comme chien. C’est à partir des différences entre signes dans la chaîne signifiante de la langue que nous percevons des choses, des éléments, des animaux, des êtres. 

Par conséquent la langue ne coïncide jamais avec la réalité brute ; elle fonctionne comme une trame de différences où chaque terme ne vaut qu’en écart. Nous parlons à partir de ces écarts et non à partir des choses. Nous sommes pris dans un système de signes qui font valoir  entre eux des différences (entre loup et chien) et, à partir de cela nous faisons valoir ces différences dans nos perceptions mais elles ne viennent pas du tout de la réalité. 

Ainsi le sens d’un terme est toujours à la fois posé et différé parce que dépendant des déplacements de signes dans la langue. On ne saura jamais suffisamment ce qu’un loup « est » vraiment, parce que finalement ce qu’un loup est c’est ce que le mot loup permet de découper en se distinguant du mot chien, sachant que d’autres mots peuvent surgir ou d’autres nuances. Ce suspens du sens qui nous situe toujours dans un irrémédiable écart vis à vis du réel, c’est ce que Jacques Derrida appelle la différance, avec un « a ». La langue c’est l’ajournement d’une sensation vraie totale pleine. Nous sommes posés par la langue dans un à-venir du monde au fil duquel finalement il ne viendra jamais. Quand un mot surgit, il appelle d’autres mots, d’autres échos, d’autres contextes. Le sens fuit sans cesse vers ce qui n’est pas encore dit. Il ne demeure jamais dans une plénitude, il se déplace dans une chaîne infinie de renvois. En ce sens, Derrida décrit le langage comme un espace d’ajournement continu : le réel ne s’y atteint jamais, car chaque signe ne parle qu’à travers d’autres signes.

Cette perspective prolonge directement ce que Saussure soupçonnait déjà : que le signe linguistique est une structure purement négative et auto-référentielle. Mais Derrida en tire une conséquence philosophique : il n’y a pas de présence originaire, pas de fond stable du sens. Le langage ne nous sépare pas seulement du monde ; il constitue la condition même de cet écart indépassable.




Mais qu’est ce que ça veut dire? Qu’en vivant dans le langage, l’homme vit à côté de la vie. Il n’accède à rien immédiatement, tout lui est médiation, écart, trace. La langue, loin de révéler le monde, s’interpose comme une muraille de signes. L’effet de clôture de toute langue est alors existentiel : le sujet parlant est condamné à habiter dans le réseau de la différance, à poursuivre sans fin un sens qui toujours lui échappe. Lacan dira plus tard que le signifiant “représente le sujet pour un autre signifiant” — formule qui condense cette vérité : on ne parle que dans une substitution infinie, sans jamais rejoindre le centre de soi-même ni la vérité nue du monde. Le sujet est lui aussi une différence, un effet de langage.

3 ) Le sens, la parole et le cri

a) « Pris dans les filets de la langue » - Nietzsche

Il faut vraiment saisir le sens de la « différance » par Jacques Derrida. Le primat de la valeur sur la signification. Nous utilisons des mots dont le sens dépend du rapport de ce mot avec les autres mots de la langue, de telle sorte que le sens est toujours ce qui est travaillé par un jeu de déplacements qui circule au gré de la chaîne signifiante. Nous savons bien ce que « nous voulons dire » mais en même temps ce vouloir dire nous échappe. Il dépend des signifiants et des déplacements constants de sens au sein de la langue. Il faut repenser au loup et au chien, à tout ce qui fait que ce que nous percevons, y compris de nous-mêmes passe par des mots et dés lors dépend moins de « nous » que de la langue.

Le rapport entre les mots que nous utilisons et leur sens est donc remis à plus tard, ajourné: « Aucun signe n’est jamais la présence pleine de ce qu’il signifie, mais toujours la trace d’un autre signe, dans une chaîne infinie qui différencie le sens et différée la présence. »  

Dans la langue, rien n’est positif, présent, efficient ici et maintenant. Saussure le montre de manière implacable : le signe ne vaut que par ce qu’il n’est pas. On ne rencontre jamais dans la langue la “substance” du sens, mais uniquement des différences de sons et de valeurs qui s’entre-déterminent. Ainsi, le mot n’est pas un nom qui collerait à une chose, mais une place dans un réseau de pur contraste. Le sens d’un mot ne naît que de la négation de tous les autres possibles. C’est pourquoi parler, c’est toujours agir dans un système clos, où chaque signifiant ne tire sa force que de sa différence avec les autres. Ce qui fait que je comprends le sens du mot chien c’est qu’il n’est pas le même que celui du loup et si le mot loup n’existait pas, ce serait le jeu d’une autre différence, sûrement moins précise qui prendrait la relève, de telle sorte que nous finissons par réaliser que ce que nous voyons, ce que nous percevons et ce que nous vivons finalement est déterminé par des déplacements de sens dans la chaîne signifiante.  Ce que je vis n’EST pas puisque la pensée à partir de laquelle je me dis à moi-même que je le vis est prise dans ce réseau de différences au sein duquel chaque sens de chaque chose se constitue du fait de n’être pas un autre. Nous sommes pris dans la chaîne signifiante, et cette chaîne signifiante étant composée de différences, nous sommes donc capturé.e.s dans un réseau de différenciations négatives qui JAMAIS ne nous situe en phase, en prise avec une authentique présence. Nous ne vivons rien donc! 

Nous saisissons maintenant dans toute son amplitude, le « rapt » de l’enfant par sa mère, dans le texte d’Alain. Celle-ci ne fait pas seulement que donner à son bébé la clé qui lui ouvre déjà les portes du sens de sa reconnaissance au sein d’une communauté de semblables utilisant la même langue que lui, elle le prive aussi de tout rapport authentique avec l’être, ou plus exactement elle fait l’un pour faire l’autre. Nous payons de notre déracinement, de notre exil de l’être notre intégration à notre communauté linguistique et finalement aussi à la société des humain.e.s. 

Mais c’est parvenu.e.s à ce moment du cours qu’il est utile se se rappeler de cette distinction difficile et ambiguë entre la langue et la parole, difficile parce que ces deux notions sont réellement inséparables et en même temps, elles se définissent en constante opposition: la langue est communautaire, la parole individuelle, la langue est autoritaire la parole est libre, la langue est arbitraire alors que la parole est donnée, brute, spontanée (ou disons qu’elle peut l’être). Nous pouvons donc maintenant rajouter cette dimension: la langue est du côté du non-être…Mais alors la parole serait (peut-être) ce dont la nature et la présence « donnée », imprévisible et contingente nous réserverait un certain accès à l’être, c’est-à-dire à une forme de vérité.




mercredi 10 décembre 2025

Terminale 2 / 7: peut-on ne pas trouver ses mots? (introduction)


Nous avons parfois le sentiment que les mots ne suffisent pas à exprimer l’intensité ou la singularité d’une émotion, d’un ressenti, voire la complexité d’une idée. Une telle impression repose sur la certitude que notre pensée ou notre intériorité affective n’est fondamentalement pas la même chose que les termes de notre langue qui ne feraient que la « traduire ». Il y aurait donc le sentiment ou l’idée « pure » et puis après seulement, leur « formulation ». La puissance ou la subtilité de ces affects, de ses idées présenterait donc un excès, un « plus », une nature fondamentalement AUTRE que leur simple retranscription en mots. (Première étape) Mais alors de quoi seraient faites nos pensées? Lorsque nous nous tournons vers elles et relevons leur présence, ce ne sont bel et bien que des mots qui nous viennent ou quelques images mais même ces images sont accompagnées ou suscitées, découpées par des mots sans quoi ne nous viendraient même pas à l’idée qu’elles sont distinctes les unes des autres. Si d’un côté nous ne voyons pas du tout comment des idées pourraient nous venir sans mot puisque nous ne les approchons pas sans eux, nous n’en relevons même pas la présence sans eux, d’un autre côté, il est tout aussi vrai que la langue ne nous permet jamais précisément de dire ce que nous éprouvons, d’ailleurs nous trouvons sans cesse des formulations plus affûtées, plus subtiles pour exprimer ce qui ne semble jamais l’être assez adéquatement. Que ferait la littérature si elle ne s’épuisait pas dans cette tâche étrange: essayer de dire ce qui ne semble jamais suffisamment, ni pleinement dit ? (Deuxième étape) La dimension signifiante nous semble tellement présente et surtout tellement « déjà présente » comme une donnée fondamentale et préalable de notre venue au monde que nous avons du mal à croire que nous ne puissions pas trouver nos mots puisque eux nous ont toujours déjà « trouvé », voire capturé. Mais pourtant il ne fait aucun doute non plus que ces mots ne disent jamais vraiment l’essence vraie authentique subtile de ce qu’ils nomment. Existe-t-il donc, dans notre être au monde un lieu, une zone, une modalité de présence qui soit à la fois "non linguistique » et humainement habitable? (Troisième étape)



jeudi 4 décembre 2025

Michel Onfray: Docteur Strange de la post vérité


 


Plateau de C-News 22/11/2025: Michel Onfray déclare: « l’astrophysique nous enseigne qu’il y a un réchauffement climatique qui est dû aux multivers, aux plurivers, aux interactions entre les univers,  mais pour cela il faut faire un peu d’astrophysique » 



Or ce que l’astrophysique nous enseigne au contraire c’est que l’hypothèse (oui, ce n’est qu’une hypothèse et il ne peut pas en être autrement) du plurivers implique l’impossibilité des interactions entre les univers si de fait il était vrai que nous vivions dans un plurivers, proposition rigoureusement invérifiable, intestable. 

Il existe plusieurs motivations à l’écriture de cet article: 

  1. La première concerne Michel Onfray lui-même: comment peut-on passer de la situation  d’élève de Lucien Jerphagnon professeur d’histoire de la philosophie antique et médiévale à l’université de Caen au statut de disciple d’Eddy Malou (pour celles et ceux qui connaissent Antoine Daniel), ou en d’autres termes, comment peut-on dériver du statut d’étudiant et enseignant de philosophie à chroniqueur de C-News (à ce stade, ce n’est même plus de la déchéance, c’est  l’exploration sous marine de la fosse des Mariannes)
  2. La deuxième a rapport au plateau de C-News et à une sorte de mystère comparable à la zone 52 ou au triangle des Bermudes…Je veux parler de ce magnétisme de la connerie, de cette étrange propriété physique sous l’influence de laquelle tout micro de cette chaîne s’apparente à une sorte d’aimant de la connerie. Quiconque se laisse prendre dans ce « triangle » est apparemment voué à produire des déclarations détachées du moindre souci de démonstration et de preuve, comme si occuper le terrain du bavardage à l’antenne primait sur toute ambition véridique. 
  3. Ceci nous amène au 3e point: celui de la post vérité. Vivons nous à l’ère de la post vérité, terme inventé par la philosophe politique Myriam Renault d’Allonnes pour désigner une période dans laquelle le souci du vrai disparaît totalement sous la pression d’un discours d’opinion pour lequel on peut absolument dire n’importe quoi sans être sommé d’apporter une quelconque justification de ses propos. Ecouter cette déclaration de Michel Onfray sans réagir, c’est consentir à la post vérité, à l’émergence d’une ère médiatique et idéologique dans laquelle les migrants résidant aux EU mangent des animaux domestiques, dans laquelle on peut guérir du Covid en s’injectant de l’eau de javel dans les veines, dans laquelle le maréchal Pétain est le sauveur de la France et (pourquoi pas?)  pour laquelle Pascal Praud est un journaliste. Sommes nous dans la post vérité? OUI ce qui signifie qu’en maintenant autant que nous le pouvons le souci de la preuve, de l’étayage rationnel d’une proposition, du primat de la démonstration (logos) sur l’émotion (pathos), de la science sur l’opinion, nous essayons de « résister » au cœur d’une époque dans laquelle les rangs des adversaires grossissent, avec toutes les conséquences politiques, sociales, économiques, écologiques que cela implique. Je dois reconnaître à titre personnel que le déroulement de la bande rouge au bas de l’écran sur lequel il est écrit « philosophe » en dessous des lunettes rectangulaires de Michel Onfray me frappe de plein fouet. Enseigner la philosophie comme le fit Michel Onfray jadis est aujourd’hui une tâche aussi fascinante que difficile au regard notamment de cette explosion de la post vérité. Quels sont les lieux dans lesquels ce souci du primat de la preuve sur l’opinion est encore opérationnel? L’œuvre de détricotage de tout ce qui a rapport à la science, à la pensée, à la culture outre atlantique nous décrit en temps réel ce qui est aussi en train de s’amorcer en France et de fait, les enseignant.e.s sont maintenant et vraiment seul.e.s dans ce qu’il faut bien appeler une lutte (disons au moins un "travail ardu"), aidés par quelques médias de plus en plus ostracisés qui parviennent encore à publier des vidéos. Rester inactif face à cette entreprise systématique de destruction de la véridicité, c’est consentir à la trumpisation de l’Europe, processus dont il faut bien réaliser qu’il est déjà enclenché et qu’il progresse à vive allure. Les raisons pour lesquelles c’est à l’occasion de cette déclaration de Michel Onfray que j’évoque la post vérité (alors qu’il est bien d‘autres domaines pour lesquels sa contamination est gravissime) sont particulières et liées au fait que le plurivers est un concept astrophysique (hypothétique rappelons le!) qui m’apparaît comme vraiment fascinant et crucial. Et ce à cause de cette localisation « critique ». Pour l’aborder, il faut d’emblée accepter de se consacrer à une question qui ne sera jamais posée autrement qu’en tant qu’hypothèse, fictive (on pourrait dire que c'est une expérience de pensée, mais vraiment et exclusivement: "de pensée": "experimentum mentis"). Si le plurivers existait, alors cela signifierait…..et ce qui vient après est vraiment fascinant, riche fécond, motivant mais précisément parce que l’on n’est plus du tout en train de décrire quelque chose qui pourrait nous arriver plus tard, ou qui pourrait avoir des implications concrètes sur notre quotidien. Le plurivers est une hypothèse métaphysique d’une puissance hallucinante mais elle implique d’abord notre consentement à un exercice de pensée tout à fait inédit. C’est comme se porter à l’ultime pointe d’une terre connue pour émettre des idées que personne n’a formulées avant, c’est vraiment œuvrer dans un exercice humain où l’IA ne peut plus nous suivre. Rien jamais ne pourra prouver que le plurivers existe et c’est justement pour cela qu’il est un objet de pensée qui requiert une rigueur extrême, une inventivité foisonnante, une écriture stylisée, un traitement où science, science-fiction, littérature, cinéma, théâtre art et philosophie collaborent. Cette perspective justifie à elle seule que Michel Onfray choisisse urgemment entre deux possibilités: a) la fermer définitivement b) faire vraiment ce qu’il dit qu’il fait mais en mentant, à savoir de l’astrophysique (pour ma part, je suis plutôt partisan de l’option 1) Michel Onfray a créé une université « ouverte » dans laquelle il donnait des conférences dites de « contre histoire de la philosophie ». La structure de ces cours était toujours la même: il s’agissait de casser systématiquement les philosophes les plus connus en leur opposant un autre philosophe moins illustre et de montrer que le deuxième était plus convaincant que le premier. Sont ainsi passés à la trappe de ce sacré Michel  Platon (Diogène c’est mieux), Freud et Lacan (Lisez plutôt Reich!), Descartes (plutôt Condillac) etc. Onfray s’est toujours épanoui dans l’image du rebelle mais il n’a jamais, jamais été rebelle à l’image. Sa contre histoire de la philosophie, c’est plutôt de la contre philosophie tout court et on ne peut pas laisser de telles inepties se répandre, même sur un plateau de C-News. Faire de la « contre contre philosophie », c’est revenir si peu que ce soit à de la philosophie. Insistons sur le fait qu’au-delà de ce cas, c’est vraiment la post vérité qu’il faut combattre et dans cette lutte là, l’occasion nous est enfin donnée de faire en sorte que la science, l’art, l’histoire, l’économie, la sociologie, bref  tous les arts ET toutes les sciences dures ET les sciences humaines cessent de se tirer dans les pattes et constituent un front commun contre l’idéologie de l’opinion qui se déverse à flux tendu sur les plateaux des chaînes de désinformation en continu. Entre Pascal Praud et Michel Onfray d’un côté et Salomé Saqué ou Paloma Moritz de l'autre, il faut choisir, et j’ai choisi.

Le regard assuré et rectangulaire du Boomer C-News multi-task: Sacré Miche-Miche!

Avec Salomé et Paloma, du journalisme au Top-Nirvana!

Reprenons donc la proposition de Michel Onfray: le réchauffement climatique serait la résultante d’interactions entre des univers au sein du plurivers. Mais qu’est ce que c’est le plurivers ou le multivers? C’est une hypothèse qui voit le jour à partir de la physique quantique (théorie de la superposition d’états) et selon laquelle l’inflation cosmique (c’est-à-dire le big bang qui est aussi une hypothèse mais très très plausible et sans commune mesure avec le plurivers) créerait des « univers-bulles », soit des entités spatialement séparées, sans interactions possibles entre elles (ce que nous approcherions dans toutes ces expérimentations au  cours  desquelles s’impose la dualité onde/corpuscule: fentes de Young, interféromètre de Mach-Zendher, expérience à choix retardé de John Wheeler) ce serait justement cette ligne de séparation décisive entre les univers. L’expérience à choix retardé de John Wheeler est particulièrement intéressante de ce point de vue parce qu’elle utilise ce que l’on appelle un générateur quantique de nombres aléatoires, c’est-à-dire une sorte de machine quantique initiant un processus dont il est absolument impossible de prédire le résultat, résultat duquel dépendra la mise en position d’une semi plaque réfléchissante qui détermine  finalement la nature même de ce que l’expérience mesure (onde ou corpuscule). C’est un peu comme si on affinait de façon exponentielle un choix, un aiguillage, une décision à prendre (thé ou café devant un distributeur de boissons chaudes), l’inclination vers une option sur un choix possible de deux: chat mort ou vivant dans la trop célèbre expérience du chat de Schrödinger de telle sorte que le partage entre le choix A ou le choix B précipiterait l’existence d’un autre univers dans lequel le chat mort dans notre univers ferait advenir un autre univers dans lequel le chat serait vivant et ainsi de suite. L’être serait une sorte de machine à créer en tout moment critique, à tout occasion en tout…. « lieu » des univers à flux tendu. En cet instant là, ici maintenant, se créerait une multitude d’univers possibles dans lesquels une infinité de clones de vous seraient en train d’explorer les autres variables de cet univers-ci dans lequel vous êtes en train de lire cet article…d’ailleurs MERCI! Merci à vous, pas aux autres!


Possible qu'il essaie encore longtemps

Comme dirait Louis Sarkozy, autre sommité savante de la post vérité (« mon papa n’est pas coupable…euh…. parce que c’est mon papa…Vous voulez une mangue? ») : « c’est tellement incroyable que c’en est ….euh…pas croyable! », donc plus sérieusement, disons que ces expériences quantiques sonne le glas de la physique déterministe de Newton et que l'éventualité que le chat soit mort ou vivant une fois que l’on ouvre la boîte est tellement scientifiquement imprédictible que la possibilité d’un partage entre deux lignes de cohérence confine à la ligne "réelle" de séparation entre deux univers (réelle mais évidemment imperceptible). Cette ligne de séparation est envisageable, formulable mais à titre d’hypothèse. Ce qui finalement prouve que cette hypothèse entre deux univers est « formulable » , c’est justement le fait que ce qui s’opère là c’est une séparation possible entre deux univers « possibles » et cette séparation est d’autant plus « envisageable » qu’elle est absolument et irréductiblement hermétique, infranchissable, donc que nous n’en ferons jamais l’expérience dans NOTRE univers (Bye Docteur who! Les avengers! Et surtout Bye Michel!) Tu veux une mangue Michel? »)

            


Toute réflexion sur le plurivers devrait commencer par une tentative de définition de ce qu’est un univers, parce qu’en fait il n’y a que deux possibilités: pour la première, on parle de l’univers observable « en droit » et alors il faut prendre en compte le fait que les photons (la lumière) provenant de zones très, très éloignées peuvent encore nous parvenir selon les modèles cosmologiques envisagés et l’évolution de la constante de Hubble au cours du temps (la constante de Hubble c’est le taux actuel d’expansion de l’univers exprimé en km/s/Mégaparsec - ainsi une galaxie à 1 mégaparsec s’éloigne à une vitesse de 70 km/s: c’est un peu compliqué mais il faut bien avoir en tête que nous ne sommes pas en train de mesurer la distance entre deux points fixes dans l’espace mais justement le fait qu’il n’y a pas de points fixes et que l’espace à partir duquel on peut effectivement mesurer une distance, c’est précisément ce qui est train de s’étendre. En un sens on pourrait dire qu’il s’agit de mesurer une distance en prenant en compte que le fait même d’être une distance est en train de s’étirer. T’as compris Michel?)  


C'est pas sûr!!

Une fois ceci posé, on réalise à quel point il est plus raisonnable et rationnel  de se tourner plutôt vers la deuxième possibilité qui prend en compte ce que l’on vient de décrire et choisit de se fonder sur une conception beaucoup utilisable et efficiente scientifiquement qui est « le volume de Hubble ». Le volume de Hubble désigne une région sphérique autour d’un observateur au-delà de laquelle les objets s’éloignent à une vitesse supérieure à celle de la lumière à cause de l’expansion de l’Univers. Cette région peut être vue comme la limite à partir de laquelle la lumière émise par des objets ne peut plus nous atteindre actuellement, ce qui la définit comme un horizon d’observabilité concret. Par conséquent, cela définit effectivement une sorte d’“univers observable” vu depuis ce point, c’est-à-dire la partie de l’univers dont on peut réellement recevoir de l’information. Cela rejoint l’idée de limite ou de condition de falsifiabilité poppérienne, puisque toute théorie sur l’univers doit se confronter à ce qui est expérimentalement accessible à l’observation 

L’idée d’une « intégralité absolue et définitive » de l’univers observable est en effet un concept idéal plutôt qu’une réalité concrète et stable. En astrophysique cette intégralité est toujours sujette à évolution, car notre univers est en expansion, changeant constamment la région de l’espace-temps que nous pouvons observer. L’univers observable n’est jamais une entité fixe, car la lumière met du temps à nous parvenir et l’expansion accélérée rend certaines régions inaccessibles aujourd’hui, mais potentiellement accessibles dans d’autres cadres temporels ou qui ne le seront jamais. Cela signifie que notre « horizon observable » dépend du temps, de la dynamique cosmologique, et de la vitesse à laquelle les informations (comme la lumière) peuvent voyager vers nous. Avec le volume de Hubble, on définit le cadre même d’observations testables, d’hypothèses dont on peut effectivement tester la fiabilité, ce que la référence à l’univers observable "en droit" ne peut aucunement nous permettre (c'est très simple: il y a l'univers observable en droit et l'univers observable en fait mais, dans ce deuxième cas,  ça s'appelle un volume de Hubble)

Par conséquent, toute réflexion scientifiquement viable sur la notion de plurivers doit absolument se concevoir avec la notion de « volume de Hubble ». Or, le volume de Hubble interdit précisément toute interaction qu’on pourrait dire « trans-limite » ou "transfrontalière" : un effet cosmique quelconque d’un autre univers sur notre climat terrestre violerait les lois de la relativité et de la causalité, car aucune onde gravitationnelle, particule ou énergie ne franchit cette limite. 



Le pseudo argument de Michel Onfray  est scientifiquement nul, car notre système solaire, la Terre et son atmosphère se situent profondément à l’intérieur d’un volume de Hubble (à des distances cosmiques infimes par rapport à son rayon de 14 milliards d’années-lumière), rendant impossible toute perturbation externe d’un autre univers. Supposons que l’on observe un phénomène très lointain, dont l’impact climatique vient d’une zone très éloignée, le fait même qu’on puisse l’observer prouve qu’il fait et a toujours déjà fait partie de NOTRE volume de Hubble

Comme il a déjà été dit, le volume de Hubble est la sphère centrée sur un observateur (comme la Terre) au-delà de laquelle  les objets s’éloignent à une vitesse supérieure à celle de la lumière due à l’expansion cosmique, avec ce que l’on appelle un rayon « co-mobile » qui correspond à la distance qu’un rayon de lumière peut parcourir pendant le temps caractéristique de l’expansion de l’univers, en tenant compte du fait que l’espace lui-même s’étend pendant ce trajet. Ce rayon se calcule en divisant la vitesse de la lumière par la constante de Hubble actuelle, qui mesure la vitesse à laquelle l’univers se dilate aujourd’hui (elle vaut environ entre 67 et 70 kilomètres par seconde et par mégaparsec - Un mégaparsec est une unité de distance utilisée en astronomie pour mesurer de très grandes échelles cosmiques, comme les distances entre galaxies ou amas de galaxies).

Pour déterminer la taille de l’univers observable, c’est-à-dire la région de l’univers dont la lumière a pu nous parvenir depuis le Big Bang, on emploie un calcul plus complexe appelé intégrale du facteur d’échelle cosmique. Ce facteur d’échelle décrit comment la taille de l’univers évolue avec le temps, et il est relié à la manière dont la vitesse d’expansion varie au cours de l’histoire cosmique.

La distance propre actuelle — c’est-à-dire la distance mesurée aujourd’hui entre deux points, en tenant compte de l’expansion — s’obtient à partir de cette intégrale. Elle correspond à peu près au rayon de l’univers observable, estimé à une quarantaine de milliards d’années-lumière, ce qui donne un volume total observable de l’ordre de plusieurs centaines de milliards de milliards de milliards d’années-lumière cubes.


Ainsi, la limite comobile marque la frontière au-delà de laquelle les galaxies s’éloignent de nous à une vitesse apparente supérieure à celle de la lumière, non pas parce qu’elles se déplacent ainsi dans l’espace, mais parce que l’espace lui-même s’étend à cette vitesse dans ces régions lointaines. Cette limite détermine ce que nous pouvons observer ou influencer — c’est ce qu’on appelle une limite causale ou horizon cosmologique. Si un effet d’un “autre univers” nous “touchait” (par exemple, influençant le climat terrestre), cela signifierait nécessairement que sa source est à l’intérieur de notre volume de Hubble, car seul ce qui est causalement connecté peut nous affecter.  Par définition cosmologique, tout ce qui est hors de ce volume est isolé et inaccessible ; un véritable “autre univers” (comme dans les théories de multivers inflationnaires) serait donc spatialement ou causalement disjoint, sans interaction possible.  La thèse d’Onfray est totalement absurde : toute prétendue interaction pluriverselle observable serait intra-universelle, reléguant l’idée à une pseudoscience….Allez Michel! Prends une mangue! 


        Il y a cette autre vidéo qui est encore plus édifiante que la première et dans laquelle Michel Onfray nous décrit le fond argumentatif de sa thèse. Il prend son bain Michou et dans son bainbain il fait des bubulles avec son shampooing…..D’accord!  Il évoque ensuite un livre formidable qu’il a « lu » mais il ne dit pas quel est ce livre ni quel est le « personnage » (je cite) qui l’a écrit…Bon! Grâce à ce livre, Michel Onfray réalise que trop de shampooing dans son bainbain fait déborder les bubulles…Euh d’accord!  Les bubulles se développent dans son appartement puis dans les rues puis jusqu’au confins de l’univers (ça nous donne idée d’à quel point il est propre: quand il prend son bainbain, il mégote pas sur le Tahiti douche Michou , ou plutôt Nabila Onfray):

  • Non mais allô quoi! T’es un astrophysicien, t’as pas de shampoing! 

        Et là, il nous achève Michou: "eh bien: une bulle c’est un univers!" (quand on pense à tous ces abrutis qui font juste que barboter dans l'eau de leur bain alors qu'ils nagent en pleine métaphore Onfrayenne!)  Il y a un vrai problème ici, problème dont il ne se rend pas compte Michel, c’est que justement nous ne sommes pas en train de réfléchir à des univers qui se démultiplieraient exponentiellement jusqu’aux confins de l’univers, donc DANS un univers qui serait déjà là. Il ne peut y avoir d’univers qui serait le contenant de cette démultiplication puisque ce que c’est qu’être univers ou plurivers c’est justement cette démultiplication, cet éclatement. Si nous reprenions sa superbe métaphore, nous pourrions dire que ce n’est pas le shampoing  qui fait des bubulles, l’hypothèse métaphysique du plurivers, c’est qu’ « être se diffracte » continument exponentiellement, démesurément, ou en d’autres termes, que l’espace même dans lequel le shampoing fait des bulles, c’est ce qui en train de se diffracter dans les bulles. Il n’y a pas d’univers DANS lequel l’univers se disperserait en une multitude de bulles  il y aurait "ce que c’est qu’être en bulles pour tout univers". C’est quelque chose que l’on retrouve dans une phrase de Friedrich Nietzsche, auteur qu’apparemment il n’a pas assez lu: « il me semble important que l’on se débarrasse du tout, de l’unité, de je ne sais quelle force, quel absolu. On ne pourrait manquer de le prendre pour instance suprême, et de le baptiser « Dieu ». Il faut émietter l’univers, perdre le respect du tout, reprendre comme proche et nôtre ce que nous avions donné à l’inconnu et au tout. » 
  • Allez Michel, encore un effort pour être vraiment athée! T’es sûr que tu veux pas une mangue?

Vous pouvez toujours penser des interactions entre des bubulles qui s'échappent dans une baignoire ou dans un appartement ou jusqu'aux confins de l'univers, mais justement, Michou, ce dont on parle c'est de ce que c'est qu'être l'univers pour l'univers et s'il se fait de façon diffractée, comme tu l'envisages avec ton image du bain moussant, il n'y a plus d'extériorité envisageable de ce "tout" à partir de laquelle l'idée même d'interactions pourrait être envisagée. Dans cette perspective là ce serait de l'intérieur de soi que le plurivers serait ce qu'il est à savoir infiniment autre à soi. La possibilité du plurivers suppose donc même philosophiquement l’extériorité radicale des univers entre eux. Ton image des bubulles à partir du bain moussant induit l'extériorité d'un regard panoramique  qui, ici, ne peut en aucune façon exister (parce qu'alors il faudrait supposer UN univers contenant le fait d' être multiple, donc PAS un MULTIVERS!)

         En fait la vraie question que pose l'hypothèse des univers multiples est celle-ci: Est ce que l’on peut essayer de penser quelque chose dont il est clairement avéré que l’acte même de la penser remet en cause les limites à l’intérieur desquelles on la pense? C’est vraiment cela qui en fait une hypothèse aussi merveilleuse: non seulement elle n'est pas surnaturelle, mais elle touche au plus prés ce que penser requiert, des précautions infinies qui confinent au tact le plus miraculeux, le plus intense, jusqu’à frôler la folie sans l’atteindre, un sens de la  mesure conquis de haute lutte avec l’hybris (la démesure). 

                    Après, Michel n’est pas avare de tout le vocabulaire quantique qu’il a appris en faisant un peu d’astrophysique: les mouvements browniens, l’intrication, l’effet tunnel…Impressionnant! Et tout ça à partir de son « bubble toilet  fluide ». Vous lui donnez une bonbonne de savon liquide et il vous mitonne une théorie sur les avancées  de Guth et Linde concernant  l’inflation cosmologique et l’interprétation des univers multiples en mécanique quantique. Il a peut-être confondu « volume  de Hubble » avec « volume de Bubble ». 

            Mais sur ce passage il est vraiment consternant, le "bubble thinker", il confond la notion d'intrication avec celle de superposition quantique. De fait les interactions entre des particules quantiques très éloignées est efficiente dans UN univers  et ne présentent aucun rapport, mais vraiment aucun, avec la superposition onde / corpuscule à partir de laquelle le physicien Everett a formulé l'hypothèse élégante d'une multiplicité d'univers. Plus il s'enfonce dans son bain...euh non...dans cette représentation de la physique quantique comme conception d'un tout en interaction, plus il s'éloigne radicalement du plurivers qui justement explore une hypothèse radicalement AUTRE. 

Le plus hallucinant, c’est qu’il termine cette vidéo avec une incitation à être un petit peu « modeste » (...euh Onfray modeste, c'est un peu comme Gauthier Le Bret ouvert d'esprit ou Elisabeth Lévi sobre: des oxymores du plurivers quoi!) . Les propos catastrophistes sur le réchauffement ne sont pas humbles, selon lui, parce qu’il ne prennent pas en compte l’infinité des plurivers et « l’évidence » selon laquelle la cause de l’anthropocène (ère climatique prenant en compte les transformations que l’être humain fait subir au climat)  est à chercher dans les interactions des univers au sein d’une baignoire cosmique qui mousse trop! Pour ma part, je ne vois plus qu’une solution Michel: pour ton bain, achète toi plutôt un canard!



Deux remarques en post-scriptum pour assurer les arrières de cet article (un peu à charge, quand même!):
- Il y a une réflexion vraiment cruciale qui peut s'ouvrir à partir de la question du plurivers, c'est celle de savoir ce qui fonde vraiment une théorie scientifique. Dans cet article, il est question du Big Bang et du plurivers. Aucune de ces deux théories n'est démontrée à 100%. En fait aucune théorie ne l'est, selon Karl Popper, c'est justement en cela que consiste la science: elle s'offre à la testabilité. Cela permet précisément de comprendre pourquoi le Big bang est une hypothèse scientifique très, très valide, plausible (très), c'est qu'en un sens, nous ne cessons de faire l'expérimentation de sa très forte fiabilité, mais même cette validité ne suffit pas à dire qu'elle est vraie ou vérifiée. Elle constitue une hypothèse cosmologique qui permet d'expliquer quelque chose que l'on sait et dans quoi on vit à savoir la dilatation et le refroidissement de cette matière très dense et très chaude dont le rayonnement diffus cosmologique nous envoie l'écho sonore (qu'il y ait dans ce refroidissement une zone infime qui sous l'influence des humains est en train de se réchauffer est aussi une théorie très fiable, n'en déplaise à Michou). Par opposition l'hypothèse du plurivers est nécessairement une hypothèse qui en restera une puisque ce que vise à démontrer cet article et que Michel n'a pas compris, c'est que cette interaction dont il nous parle et qui serait causée par le plurivers, c'est justement ce que l'hypothèse du plurivers rend rigoureusement impossible. On pourrait presque dire que la preuve qu'il pourrait exister un plurivers et que nous serions dedans, c'est justement le fait qu'il est impossible que nous en soyons impactés. Vos clones sont peut-être en train d'explorer toutes les autres variables de ce qui se passe dans cet univers, mais il est absolument impossible que vous en receviez le moindre écho ou la plus infime confirmation. C'est pour cela qu'à un moment j'évoque le plurivers comme expérience de pensée. Il existe un autre débat entre (vrais) scientifiques qui consiste à se demander si cette question du plurivers est scientifique. Si l'on suit la thèse de Popper, la réponse est non. Pour ma part, je trouve cette position dommageable, et je ne la partage pas, mais évidemment elle est pertinente (très). J'évoque les raisons pour lesquelles elle me semble regrettable, à savoir que a) cela reste une hypothèse plausible mais absolument invérifiable b) un croisement vraiment riche et extrêmement prolifique entre des disciplines très distinctes s'opère sur cette question c) quelque chose de ce que c'est que "penser", mais vraiment "penser" au sens de penser ce qui n'a jamais été pensé avant, penser ce qui est susceptible de remettre totalement en cause le cadre au sein duquel une telle pensée est émise: c'est cela qui se joue dans toute réflexion sur le multivers. Ce que Michel Onfray détruit ici sans s'en rendre compte, c'est justement le "tact" de cet exercice de penser, exercice au cours duquel il faut bien reconnaître que l'on frôle peut-être la démence, mais qu'en même temps, justement on ne le frôle pas vraiment parce que l'on a vraiment intégré l'impossible expérimentation de cette hypothèse. Comme Popper l'a très bien dit, aucune thèse scientifique n'est vérifiée, toutes sont vérifiables, et de fait le plurivers n'est même pas vérifiable. Peut-être faut-il que la science consente à se donner un peu de mou pour oser la prendre en compte (comme l'a fait Hugh Everett). 
- La deuxième remarque concerne la citation de Friedrich Nietzsche sur laquelle il faut que je clarifie un peu un point. Je ne crois pas du tout que Nietzsche pensait au plurivers en l'écrivant. Nietzsche ne cesse dans son œuvre de faire primer le multiple sur l'un, le corps sur l'esprit, l'interprétation sur l'explication. une nature joueuse sur un dieu triste. Par contre, Nietzsche parle de l'éternel retour, de cette polarisation sur les détails et sur ces micro-évènements qui constellent notre quotidien, ça c'est sûr.  Si l'on va jusqu'au bout de cette thèse, il est inévitable que l'on croise la physique quantique, tout simplement parce qu'elle est la physique qui va subvertir la physique classique par l'intérêt qu'elle porte à des particules infiniment petites. Nietzsche a perdu la raison en 1890 et il est mort en 1900. Or c'est précisément en 1900 que Max Planck utilise la notion de "quantum d'énergie" et en 1920 que Bohr, Heisenberg et Schrödinger développent vraiment la physique quantique....Pour le plus grand malheur des chats. Voilà!