mercredi 28 décembre 2022

Terminales 3/5/7: Exercice d'écriture libre - Casser la magie de Noël et l'esprit des résolutions de la nouvelle Année

 

Bonjour à vous,

En guise d’exercice facultatif d’écriture libre, il vous est proposé de casser l’esprit de Noël et / ou celui de la Nouvelle Année. Rédigez une nouvelle, un roman, ou concevez plusieurs planches en bande dessinée illustrant humoristiquement ou dramatiquement, mais négativement la célébration des valeurs familiale et consumériste des fêtes de fin d'année. Un minimum de deux pages est imposé. Si vous avez plutôt envie d’insister sur tout ce que cette période véhicule de sentiments positifs et bienveillants….Euh….Ben c’est pas pour vous! Vous pouvez allez repeindre les personnages de la crèche par exemple, revendre vos cadeaux sur e-bay,  vous atteler au futur réveillon et préparer vos résolutions pour l’année à venir.

Il est indispensable d’investir l’esprit et la rédaction de ces oeuvres d’une empreinte cathartique forte (la catharsis désigne la purification des passions).  Il est nécessaire que le résultat atteste de votre capacité à vous défouler efficacement et surtout sobrement.  Que votre critique soit effilée, précise, sadique et plus que toute autre chose, originale et stylisée.

A vous de jouer!

Terminale HLP: Ecriture libre - Se délester de la croyance au "moi"

 

  

    Se pourrait-il que le moi (au sens de mêmeté chez Ricoeur) soit une croyance à laquelle on se laisse aller par paresse, un peu comme lorsqu’on se dit que j’ai bien le droit, MOI, de réclamer ceci ou d‘attendre des autres cela ? Peut-on vraiment envisager la possibilité que tous les actes « forts », « justes », « puissants » qu’il nous arrive de réaliser s’effectuent au-dessus de cette zone de flottaison qu’est la croyance au moi? Nous connaissons bien l’expression « zone de confort », mais jusqu’à quel point l’assimiler au « moi ». Cela signifierait qu’en un sens, et paradoxalement, nous ne réalisons jamais d’actes plus « purs » authentiques, originaux, stylisés, qu’en les exécutant "au-delà" de soi-même. 

Dans une nouvelle, un roman, une vidéo, une bande dessinée d’une ou plusieurs planches, illustrez la prise de conscience d’un ou plusieurs personnages qui se délestent de la croyance en leur moi exactement comme une montgolfière qui jette du lest et prend son envol. Que peut-il s’ensuivre d’extrêmement riche et de révélateur que de rompre enfin avec toute croyance au moi « même »? 

Cet exercice d’écriture libre sera noté et pourra être compté dans votre moyenne à condition qu’elle l’améliore.

Bon courage à vous




mardi 13 décembre 2022

Terminales 3/5/7: l'écriture automatique - "Moi la vérité, je parle" Jacques Lacan

 


C’est dans le manifeste du surréalisme en 1924 qu’André Breton décrit le mode d’emploi de l’écriture automatique:

« Faites-vous apporter de quoi écrire, après vous être établi en un lieu aussi favorable que possible à la concentration de votre esprit lui-même. Placez-vous dans l’état le plus passif, ou réceptif, que vous pourrez. Faites abstraction de votre génie, de vos talents et de ceux de tous les autres. Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout. Écrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas retenir et ne pas être tenté de vous relire. La première phrase viendra toute seule, tant il est vrai qu’à chaque seconde il est une phrase étrangère qui ne demande qu’à s’extérioriser [..] continuez autant qu’il vous plaira. Fiez-vous au caractère inépuisable du murmure. »


Peut-être est-il nécessaire, dans la perspective de notre sujet, d’éclairer tout de suite le rapport entre cette pratique d’écriture étrange et l’aléthéia. Ce qui dont nous interpeller dans cette dernière, c’est son étymologie: « sortir de l’oubli ». La vérité consiste à lever le voile sur…quoi? Sur ce qui a toujours été, sur ce qui est là, maintenant tout de suite mais que nous ne percevons pas parce que nos capacités de perception sont parasitées par des obstacles qui font obstruction.  D’emblée nous voyons bien que nous ne nous situons pas du tout dans le même cadre que les vérités apodictiques qui sont médiates et construites. Celle ci est immédiate et « donnée ». Elle est « là ». La vérité de l’alétheia consiste à nous mettre en présence de ce qui est « là », et donc de ce à quoi il s’agit de se rendre disponible, ouvert, attentif ou attentive mais pas au sens de « conscient », parce que la conscience suppose la volonté et que si l’on est volontaire, alors forcément on va se mettre dans cette optique de faire advenir la vérité qu’on veut. Or ce n’est pas « la vérité qu’on veut » qu’ici l’on veut, c’est la vérité telle qu’elle est, telle qu’elle se veut elle-même. 

Mais c’est complètement contradictoire: comment ne pas vouloir la vérité qu’on veut? Ici il faut vraiment bien comprendre à quel point c’est justement en voulant la vérité que je ne peux pas l’avoir, et le critère de Popper le prouve efficacement. Il faut se laisser porter par ce à quoi Breton fait référence quand il dit: « tant il est vrai qu’à chaque seconde il est une phrase étrangère qui ne demande qu’à s’extérioriser [..] continuez autant qu’il vous plaira. Fiez-vous au caractère inépuisable du murmure. »


            Baudelaire écrit dans « Correspondances »: « La nature est un temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles. L’homme y passe à travers des forêts de symboles qui l’observent avec des regards singuliers. » Qu’est-ce que cela veut dire? Qu’il y a des signes dans la nature ou en d’autres termes que la nature « parle » ou plutôt « émet ». Quiconque connaît un tout petit peu le monde animal ou végétal comprend cela: finalement il n’y a que des signes dans la nature. Les animaux sont des émetteurs et des récepteurs infatigables de signes. Telle déjection animale de telle panthère femelle signifie qu’elle est disposée à une union avec un mâle. Telle couleur de telle orchidée envoie un message à l’abeille qui a également rapport à la reproduction. On entend parfois dire que la nature est muette mais c’est vraiment tout le contraire qui est vrai. Il existe une insoupçonnable et constante sémiotique de la nature. Il suffit de se rendre attentive ou attentif aux signes. Et les poètes finalement ne font rien d’autre. La vérité parle parce que la nature elle-même ne cesse de « dire », mais l’être humain est trop occupé à échanger sur les réseaux sociaux sur la coupe du monde ou sur Cyril Hanouna pour se mettre à l’écoute de cette texture sémiotique qui finalement s’effectue tout le temps et partout dans la totalité de ce qui est. Se fier au caractère inépuisable du murmure signifie précisément se rendre disponible à ce phrasé là. Se maintenir dans le silence de la parole médiatique humaine qui ne fonctionne qu’en circuit fermé pour se tenir à l’écoute de ce que Maurice Merleau-Ponty appelle « la prose du monde ». Dire la vérité, c’est alors se faire le porteur inconscient d’une parole étrangère dont on ne comprend pas un traître mot parce que de toute façon on n’est pas là pour ça. On ne fait que lui prêter le support de sa voix ou de sa main.  C’est l’origine la plus ancienne et la plus vraie des Muses. C'est alors à bon droit qu'une parole peut se dire "parole de vérité" (aléthéia): 

            « Muses de la Piérie, ô vous dont les chants immortalisent ! venez, célébrez votre père, de qui descendent à la fois tous les hommes »  Hésiode -  Les travaux et les jours




Terminals 3/5/7: Popper et les univers multiples

 


Depuis le début de note réflexion, nous insistons beaucoup sur la différence entre la vérité de l’être et la vérité du connaître. Mais à quoi revient cette distinction finalement? À la différence entre une vérité qui consiste à être sue (scio: savoir, science) et une vérité qui rédigerait dans l’authenticité d’un vécu, d’un réel « pur ». Mais en plus, le sujet pose la question de « dire » la vérité.  Si l’on parle de la vérité «  sue », « connue », on voit mal comment elle pourrait ne pas impliquer la conscience parce qu’alors cela reviendrait à dire que je sais sans savoir et ce serait absurde.  Cela dit étrangement nous nous sommes rendus compte avec Karl Popper que « savoir en sachant qu’on sait » aboutit à un renoncement à dire la vérité, ou en d’autre termes, que l’on n’est jamais assez sûrs de savoir, en fin de compte, et qu’il est donc impossible en toute rigueur pour un scientifique, c’est-à-dire un savant, un « sachant » de dire qu’il dit la vérité.

Pourquoi les univers multiples nous autorisent-ils à mettre cette posture là en échec, ou du moins, en cause? Parce que ce n’est pas parce que je ne peux pas savoir  (que les univers multiples existent) que ce n‘est pas la vérité. Un scientifique Popperien me répondrait: « oui, d’accord, mais tout ce que je dis moi, ce n’est pas que c’est vrai ou faux, c’est juste que ce n’est pas de la science ». Cela signifie que pour la science Popperienne il n’y a rien à dire scientifiquement des Univers multiples. Mais qu’est-ce qu’un univers en cosmologie? C’est l’ensemble de ce qui est observable par un observateur dans cet univers, c’est-à-dire la région dont l’étendue correspond à tout ce que cet observateur peut observer (donc en droit, tout ce qui se déplace moins vite que la vitesse de la lumière). Mais alors si on définit un univers par la limite de ce qui est expérimentable dans cet univers, on ne voit vraiment pas comment un autre univers pourrait donner lieu à une expérimentation et cela non pas parce qu’il n’existe pas, mais parce qu’on s’est donné comme définition de cela même qui fait notre univers tout ce que l’on peut en expérimenter dans celui-ci. 

On comprend bien la logique: si j’expérimente quelque chose d’un autre univers, le fait même que j’en fasse l’expérience le situe dans mon univers, parce qu’il n’a jamais cessé d’en faire partie, et point barre.

Mais alors que dire de ces animaux sensibles à d’autres fréquences lumineuses ou sonores qui donc ne voient pas du tout la même chose que moi devant un même motif pourtant, ou pris dans  les flux d’une même force ? On peut dire que ce ne sont pas des « univers ». D’accord: disons que ce sont des « milieux » mais honnêtement qu’est-ce que ça change puisque ce milieu définit bien ce qui tient lieu d’univers à ces animaux, même de petits univers comme la tique. On peut également objecter, si l’on est Popperien que l’on ne peut rien en savoir et que ce n’est pas de la science. Mais alors l’éthologie n’est pas de la science? Jacob Von Uexkuell n’est pas scientifique? Ce qui pointe ici un problème, une très regrettable police de la pensée, c’est que la science se voit dépourvue de toute curiosité à l’égard de ce qui n’est pas elle, de ce qui effectivement se révèle peut-être en mesure de reprendre certains présupposées Popperiens, comme si rien n’occupait vraiment le scientifique que de rendre connu ce qui est préalablement défini comme connaissable, alors que l’aiguillon de la science ne peut être autre que l’inconnu  lui-même.


dimanche 11 décembre 2022

You're a good citizen Kane

                                    Je te parais sans doute agir comme une folle. Mais le fou pourrait bien être celui même qui me traite de folle.

                                                                                                                                                            Antigone - Sophocle



 Alors voilà: normalement Harry Kane ne rate quasiment jamais un penalty mais celui-là, à 10 minutes de la fin de la rencontre, c’est-à-dire à 10 minutes de ce qui aurait pu marquer le début de prolongations et de l'éventuelle victoire surtout au vu de la qualité de jeu des anglais, il l’a raté. Du coup, la France va en demi-finale de la coupe du monde football qui a lieu au Qatar. C’est euh.....super pour nous!...

        Dans sa carrière entière, Harry Kane peut se prévaloir d’un pourcentage de pénaltys réussis de 85%, ce qui fait vraiment de lui un maître d’oeuvre en la matière. Il y a sûrement de quoi se désespérer et malheureusement, on peut légitimement penser qu’il  vaudra mieux pour lui dans les semaines voire les mois à venir éviter  de croiser les supporters des quartiers nord de Londres. Harry Kane est, en effet, le joueur vedette de Tottenham qui se situe dans la banlieue nord de la capitale britannique.


        Moi aujourd’hui, je pense à lui, attaquant des Hotspurs de Tottenham et des Three Lions of England et même s’il y a vraiment peu de chances qu’il me lise un jour….euh! vraiment!….Je suis intimement convaincu qu’il y a une dimension où son ratage est l’une des plus belles réussites, l’un des plus beaux cadeaux que l’on puisse faire à son pays.  Cet échec est un lapsus. 



 - " Je sais bien que t’as pas fait exprès Harry!…Mais si tu pouvais réaliser tout ce que ton lapsus peut revêtir de vérité cachée, de justesse et disons le tout net de BEAUTE, tu comprendras aussi pourquoi, par effet de contraste, le sourire béat de Mbappé au moment de ta gestuelle de vérité ressemble….( Sorry! Harry! I’m looking for a good comparison….euh….. ) à une analyse de la météorologie par Pascal Praud…ou au commentaire d’une phrase de Pierre Bourdieu par Cyril Hanouna….ou à une lecture de Giorgio Agamben par Léa Salamé….bref à Cthullu ouvrant à « ceux des profondeurs » la passerelle spatio-temporelle de notre monde (sauf que, vomissant de dégoût, s’en retournant au leur, ils se diraient que, finalement, le chaos de la terreur de l’univers des Anciens, par rapport à cette coupe du monde, c’est vraiment « les aventures de  Tchoupi transformé en barbe à papa par des bisounours défoncés à l’acide citrique)".



- Tu vois Harry, je pense que tu es le sauveur de ta nation et Mbappé le fossoyeur de la sienne. Ton exploit-lapsus est à situer au même niveau que la victoire d’Azincourt par Henry V, quand 7000 soldats anglais ont laminé une armée française de plus de 10000 hommes, mais VRAIMENT LAMINE. Souviens-toi du jour de la Saint-Léon! Harry! 

            



- C’est GRAND ce que t’as fait et si tu savais  à quel point je ne te chambre pas, à quel point je pense sincèrement que les mammifères British hanounesques anthropoïdes à front bas qui doivent déjà être en train de rédiger un avis de recherche pour t‘éclater la trachée à coup de latte mériteraient d’activer un minimum le bocal de bière brune qui leur sert de cortex, tu prendrais au sérieux ce que je te dis. Grâce à toi, des millions d’anglais vont pouvoir souffler un peu, peut-être même que deux ou trois téléspectateurs vont « voir la vierge », comprendre ce qui s’est passé…Yes!…..vous avez regardé des millionnaires dépolitisés en pantacourt s’amuser à pousser la bouboule entre la tombe de Kanhaija et celle d’Indubhushan, ouvriers népalais anonymes, morts au chantier d’honneur des dômes à air pulsé des pharaons qataris.  Quand on visite la muraille de Chine, on nous dit que dix millions d’humains sont morts pendant les travaux et leur corps consolident les fondations. Comme le Qatar ne renseigne pas le chiffre des ouvriers décédés, il est impossible de savoir combien ont payé de leur vie le prix de ce que les européens regardent tranquillement les fesses dans leur fauteuil et l’air aussi épanoui que Marlène Schiappa devant une délisseuse électrique Babylis. Bref Harry! J’aime beaucoup ce qu tu fais…enfin ce que t’as fait…..T’as libéré la perfide Albion et c’est nous qui avons l’air de…...Oui, je sais, j’ai l’air très renseigné….

- Mais dites donc vous auriez pas vu le match, vous, des fois, avec votre  faux air  d’Aurélien Barrau mais sans les plumes et les cheveux?

- Ben non! En fait j’ai plus de télé et ça remonte à la première chronique de Mathieu Delormeau sur la théorie transcendantale des éléments dans l’oeuvre apocryphe de Gilles Verdez. Mais y’a plus vraiment besoin de regarder quoi que ce soit pour pouvoir en parler, en fait. D’ailleurs, ça devrait nous donner une idée: puisque c’est plus la peine de voir des spectacles nauséeux pour se faire dégurgiter, pourquoi qu’on gagnerait pas du temps en faisant du sport plutôt? Tu vois Harry, c’est exactement ça que tu as fait: tu as libéré les britanniques de l’impérialisme Qatari comme Moïse la tribu d’Israël et tu leur as donné la possibilité de faire du sport. C’est ça que tu es: un vrai sportif! T’es aussi génial que Woody Allen dans « Deconstructing Harry »! God save England!



PS: un petit mot rapide pour répondre aux objections à l'esprit de cet article qui, je crois, est assez clair. On m'oppose souvent qu'il fallait que cette coupe du monde ait lieu et qu'elle ait lieu là, au Qatar pour que l'Europe puisse clairement signifier aux autorités de ce petit pays que leur politique notamment face à la communauté LGBT est inadmissible. C'est en suivant ce fil là que notre ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra a revêtu un polo bleu roi avec des manches arc-en-ciel en tribunes. Bon! Honnêtement, et pour rester mesuré, je m'interroge sur l'onde de choc politique de ce pull, sur la capacité de ces manches arc-en-ciel à valoir comme impact traumatique sur l'esprit des dirigeants du Qatar. Vont-ils s'en relever.....des manches?
                    Les preuves ne cessent d'abonder dans un seul sens d'une clarté diaphane: ce pays est gouverné par des personnes convaincues qu'il n'est pas de problème politique, économique, idéologique, éthique, religieux, etc, qui ne puissent se régler par des transferts de fonds prodigués aux bonnes personnes. C'est un modus operandi dont les dirigeants qataris ne se cachent pas et nous pouvons aborder cette impudeur comme une mise à l'épreuve de notre "ethos". La sobriété ne peut pas seulement concerner les slogans énergétiques. Une logique est à l'oeuvre dans l'organisation de ce mondial et c'est une logique de moyens (poiesis). Ce qu'elle dévoile est le dénuement dans lequel nous nous trouvons de lui opposer la  logique de l'action (praxis), par quoi nous nous écartons définitivement de tout ce qui a contribué à l'éclosion de la cité grecque, à la politique au seul sens efficient du terme (zôon politikon). Dire que c'est la logique de l'époque, la dynamique de l'évolution du modèle de société qui se mondialise n'est ni plus ni moins qu'une défection, que la défaite d'un combat dont nous n'avons même pas situé le terrain. Cela aurait pu être celui-ci: un terrain de foot mais, en fait, il n'y a que des terrains offerts à cette démarche et cette réalisation là n'a pas fini de tracer son chemin. Elle le fait déjà clandestinement, répondant ainsi aux exigences subtiles  et démoniques de la seule sobriété authentique. 
                A toutes celles et tous ceux qui me répondent que c'est du "sport" et qu'on peut goûter le plaisir de voir du sport sans avoir à se rajouter de la culpabilité malsaine, il faut s'interroger tout simplement sur ce qu'est vraiment la pratique du sport: poiesis ou praxis? C'est le fond de la question: est-il définitivement dépassé, "ringard" de penser qu'aucune activité ne peut être pour nous l'occasion d'un plaisir, d'une joie profonde et pleine sans revêtir un fond ludique de gratuité pure: jouer pour jouer, savourer pour savourer, bref être heureux. Il n'y a pas d'autre enjeu que celui-ci dans la praxis de cette sobriété là.

jeudi 8 décembre 2022

EMC Terminale 3: La peine de mort et le Zôon politikon

 


L’un des arguments essentiels des personnes favorables à la peine de mort réside dans le droit des proches de la victime. Ce serait donc selon eux un « droit » que de compenser la douleur de la perte qu’ils ont subi par la mort du coupable. Cela finalement nous amène à nous poser vraiment la question de savoir ce qu’est un droit, et peut-être même au-delà de ça ce qu’est LE droit. 

Après tout, n’existe-t-il pas déjà dans la nature un certain ordre, une hiérarchie des êtres qui serait susceptible de valoir comme droit ? Non, ce qui prévaut dans la nature, c’est la chaîne alimentaire et il nous est impossible de considérer comme un crime le fait de se nourrir. De plus, nous observons bien que cette chaîne alimentaire participe d’un équilibre entre prédateurs et proies qui maintient (ou aurait pu maintenir si l’être humain n’avait pas été le grain de sable de cette harmonie) l’écosystème. Il n’y a pas de mal dans la nature. C’est une question qui ne regarde que l’être humain. Il y a des lois naturelles et il y a des lois civiles. C’est le propre de l’homme que de concevoir des lois civiles qui redoublent les lois naturelles et créent ainsi une sorte d’espace humain propre à l’humain que l’on peut appeler la cité ou la culture ou un mode d’existence spécifique.

Pour bien comprendre cela il faut revenir à cette phrase, à tous égards fondatrice, d’Aristote: « l’homme est un animal naturel politique » qui traduit le grec «  zôon politikon ». Or il faut examiner avec précision cette traduction. Zôon signifie « animal vivant » sachant qu’il existe en fait deux termes en grec pour ignorer la vie: Bios et Zoé. Zoé signifie la vie organique telle qu’elle qualifie la vie des plantes, des animaux et de tous les organismes. Bios signifie la façon de vivre propre à un être vivant. Il aurait donc pu sembler plus logique qu’Aristote utile le terme « Bios », mais justement il ne l’a pas fait, et c’est dans cette abstention que réside le sens profond de cette phrase sur laquelle de nombreux malentendus se sont succédés jusqu’à notre époque. 

Si Aristote avait voulu dire que l’être humain a une façon d’être qui lui est propre, et que cette modalité de vie est politique, il aurait dit « bios politikon », mais il ne l’a pas fait. Il a dit Zôon politikon, ce qui veut dire que l’homme est un animal vivant et qu’en plus il est politique. Cet « en plus » est vraiment, vraiment décisif pour la compréhension de cette phrase et c’est ce que Michel Foucault a bien compris quand il a écrit à la fin de son livre intitulé « la volonté de savoir »: « L’homme, pendant des millénaires, est resté ce qu’il était pour Aristote, un animal vivant et, de plus, capable d’une existence politique: l’homme moderne est un animal dans la politique duquel sa vie d’être vivant est en question. ». Ici nous pourrions à bon droit rajouter: « …alors qu’il ne devrait pas l’être ». C’est un dévoiement total de la phrase d’Aristote qui, au-delà de son caractère définitoire dessine peut-être aussi un horizon ou du moins un cap à l’espèce humaine, cap qu’elle a indiscutablement perdu, et c’est cela que dit Foucault notamment dans l’usage qu’il fait d’un nouveau terme: « la biopolitique ».


C’est un travail de compréhension vraiment fondamental dont les conséquences sont à tous égards décisives de notre existence aujourd’hui et de ce qui est en train de se passer, à savoir finalement la dépolitisation de cet animal politique que pourtant nous étions censés être, selon Aristote. Nous sommes en train de sortir complètement de la feuille de route aristotélicienne, et c’est précisément ce qui explique les crises que nous sommes en train de vivre aujourd’hui. Cela veut dire que dans l’approfondissement de la phrase d’Aristote se jouent vraiment notre présent et notre avenir, mais aussi les raisons pour lesquelles la peine de mort se situe dans une sorte de « hors champ »  politique. 

L’homme est un animal vivant et qui, en plus, vit dans les cités, c’est-à-dire sous la juridiction de lois humaines. Nous consistons dans ce « plus », c’est-à-dire que ce qui nous caractérise est d’être « plus que vivant ». Tant que nous nous préoccupons de ce qui en nous concerne la vie, la mort, la naissance, nous ne nous situons pas du tout dans ce qui fait de nous des êtres humains, nous restons dans le  « zôon ».  Le « politikon », c’est tout ce qui se joue dans la cité, dans la polis et pas du tout dans l’oïkos, c’’st-à-dire dans la maisonnée, dans le foyer. 

Si Aristote avait dit « Bios Politikon », il aurait signifié que le fait d’être politique s’immisçait dans la totalité de ce qui regarde la vie de l’homme en tant qu’être vivant et donc qu’il en allait aussi de la vie, de la mort, de la naissance, de la reproduction, autrement dit de tout ce que nous appelons les fonctions vitales pour l’homme que d’être en cité, comme s’il entrait aussi dans les fonctions de la cité que de décider de cela, de s’insinuer dans les fonctions vitales du citoyen. 

Mais c’est exactement le contraire que dit l’utilisation du zôon politikon par Aristote, à savoir que tout ce qui regarde les fonctions vitales du citoyen n’a rigoureusement aucun rapport avec le fait qu’il soit citoyen, c’est-à-dire homme. Tout ce qui manifeste notre essence humaine, c’est que nous soyons « plus que vivant », que nous rajoutions constamment fondamentalement au fait de vivre, de mourir, de nous nourrir, de nous reproduire, etc, un « plus » et ce plus désigne finalement une existence publique, collective, la participation à un « nous » qui désigne la cité, les affaires publiques qui regardent tous les citoyens libres d’une cité, et pas du tout ce qui a trait à sa vie organique, d’animal vivant.  


« L’homme est un animal, par nature, politique » ne signifie pas que l’homme est un être dont les fonctions vitales regardent à son existence politique de citoyen, mais au contraire que l’homme est un animal dont la nature est d’être, au-delà de sa nature d’être vivant, « aussi »  un être politique. Le « aussi » est ici de toute première importance. Il n’est donc aucunement du ressort de la cité de décider de ma nature d’animal vivant, cela revient à l’oïkos, au foyer. Tant qu’un homme reste dans l’oïkos, il n’est pas vraiment humain, il pourvoit à ses nécessités naturelles, vitales, il demeure cantonné à sa sphère privée, à ses intérêts particuliers d’être vivant ou à ceux de ses proches. L’humanité s’effectue dans la sortie de l’oïkos, c’est-à-dire dans l’espace public de délibération, de prise de décision du « Nous » de la cité. 

Evidemment, cela induit une conséquence qu’il nous est à nous  extrêmement difficile d’envisager, précisément parce que la biopolitique, c’est-à-dire le contraire de ce que voulait dire Aristote constitue ce que nous croyons être voir devoir être la politique, à savoir que c’est justement à la mesure de notre travail que nous sommes payés et donc que nous pouvons donner à notre foyer plus ou moins de moyens. 

Mais finalement la notion même de « niveaux de vie » est totalement incompréhensible du point de vue de la phrase d’Aristote. Ce qu’il faut se représenter ici, c’est la dotation à chaque foyer d’un revenu identique donnant à chacune et à chacun les moyens de vivre et pas du tout de donner idée de son niveau de vie par des signes extérieurs. 

Il faut situer sur un même plan le dévoiement d’une société au sein de laquelle le travail salarié est devenue la seule action des hommes et la très mauvaise interprétation de la phrase d’Aristote selon laquelle il serait du ressort de notre appartenance à une cité de vivre, mourir, naître, se nourrir, se reproduire, etc.

Pour bien saisir ce rapprochement qui sera extrêmement éclairant pour la question de la peine de mort, de l’euthanasie, de l’avortement etc. Il convient donc de passer par une tentative de représentation des implications de la thèse d’Aristote en passant par Hannah Arendt et sa tripartition de la vita activa. Que fait l’être humain? Et que fait-il en tant qu’il est un être humain?


Si l’on regarde les activités humaines, selon Hannah Arendt, on réalise qu’elles se répartissent en trois ordres:

  1. Le travail consiste à produire des biens de consommation immédiats. L’homme comme tout être vivant retire de la nature de quoi subsister. Il s’intègre au cycle de régénération de la nature qui au fil des saisons réalimente les animaux. Cultiver la terre ou chasser les animaux ou les élever pour les manger, c’est pourvoir aux exigences vitales de son organisme sans s’imposer à la nature de façon spécifique.  Il n’est donc rien de cette activité qui fasse signe de quoi que ce oit d’humain, au sens de zôon politikon. Le travailleur est un être solitaire, interchangeable, dispensable en tant qu’individu. Il faut noter que dans l’antiquité précisément le travail était l’activité des esclaves, lesquels était totalement reclus dans l’oïkos, dans la maisonnée et n’avait aucun droit dans la cité. Il n’était pas des citoyens et en un sens, il n’était pas considéré comme des hommes. Avant de s’indigner devant le crime contre l’humanité dans lequel consiste l’esclavage, il faut ici mesurer pleinement tout ce que cette spécification a de révélateur, voire de puissant philosophiquement. Travailler en ce sens, c’est-à-dire produire des biens de consommation immédiats ne nous rend pas humain. Réfléchissons à cela aujourd’hui pour nous demander dans quelle mesure ce travail là, en effet, fait de nous de esclaves. C’est l’animal laborans qui travaille et ile st solitaire. Il ne participe à l’éclosion d’aucun « nous ».
  2. L’oeuvre désigne l’aptitude de l’être humain à produire des biens de consommation durables, des bâtiments, des structures, des services par lesquels un mode de vie non exclusivement naturel se fait jour. L’humain ici s’inscrit dans la nature et lui impose une temporalité non naturelle. L’oeuvre désigne la technique, le pouvoir de l’homme de créer de toutes pièce un monde qui soit à son image, une cité. Toutefois cette maîtrise ne suffit pas à définir l’oeuvre comme une activité politique en elle-même.  Elle participe de la structure matérielle grâce à laquelle la cité naît: le ravitaillement en eaux, les infrastructures d’une ville, les rues, la voirie, etc. Mais nous restons dans l’aménagement pensé, rationnel de la satisfaction des besoins vitaux. Sans l’ouvre il n’y aurait pas de cité, et donc pas d’humains mais l’oeuvre par elle-même ne suffit pas à définir ou à constituer ce qui fait de l’homme qu’il est zôon politikon. Celui qui fait l’oeuvre est homo faber (homme artisan) 
  3. L’action est le lieu du zôon  politikon dans lequel tout citoyen libre peut par la parole et par l’action participer à une vie spécifiquement humaine se matérialisant par des évènements qui portent vraiment notre marque. Comment de l’humanité peut-elle s’effectuer dans le monde? C’est cette très belle question à laquelle répond la politique, et c’est VRAIMENT à partir d’elle qu’il nous appartient aujourd’hui de recevoir et de condamner tout renoncement à la politique. Il est de l’essence même de la politique de s’immiscer dans le sport précisément parce que toute manifestation sportive correspond à la définition donnée par Hannah Arendt: « action, reliée à la parole, et acte de commencer. La vie politique est relation, elle se déploie dans un réseau de relations humaines. Le domaine commun est le domaine politique, tandis que ce qui relève de la production, l’économique au sens étymologique, relève du privée, de l’oikos, de la maison. La vie économique n’est en rien politique, elle relève de l’oikia collective, oikia : maisonnée, c’est-à-dire du collectif en tant qu’il reste attachés au domaine du besoin et de l’utile ».  Les jeux olympiques sont par essence politique, en ceci qu’ils sont nés à partir de l’esprit collectif d’une cité. Ils participent de ce « plus »  par quoi l’homme n’est pas qu’un zôon, mais se réalise dans ce qui n’est pas seulement production de biens, satisfaction de nos besoins vitaux.  Lorsque notre président affirme au sujet de la coupe du monde au Qatar qu’il ne faut pas politiser le sport, sa tentative d’argumentation échoue parce que par « politique », il entend finalement « idéologie » « dissension », voire « guerre ». Il veut dire qu’il ne faut pas donner au sport une connotation idéologique. Mais d’où vient cette assimilation? La politique n’a jamais signifié cela. Ce qui est d’autant plus malhonnête (ou attesterait d’un manque de culture préoccupant), c’est de passer sous silence la main mise de l’économie sur cette compétition décidée, voulue, orchestrée par un tout petit pays dont la situation de détentrice d’une ressource énergétique fossile essentielle à l’économie productiviste place en position de force. Politiser le sport, c’est-à-dire le ramener à ce qu'il est « vraiment », c’est justement le débarrasser de ce qu’il n’est pas, à savoir source de biens, ravitaillement de l’oïkos. Il faut vraiment s’interroger sur cet « arrière goût » ou ce dégoût plus ou moins efficient selon la nature des palais mais finalement présent en chacune et en chacun au spectacle de cette compétition. Nous sommes citoyennes et citoyens, et avons en nous, qu’on le sache ou pas, la marque de la trace de la naissance même de la citoyenneté au 8e siècle avant JC. Nous ne pouvons pas ne pas l’avoir de ce fait même que nous sommes encore citoyens, ce qui signifie que nous gardons dans une partie cachée d’un inconscient collectif qui mérite vraiment le terme de « collectif » le sentiment vivace de l’édification de la cité comme une « trouvaille » exclusivement humaine, c’est-à-dire participant de ce « plus que vivant » en lequel nous consistons. Mais comment ce plus est-il devenu un moins?  Comment une manifestation née de l’aptitude de l’homme à faire des actions a-t-elle pu dégénérer en gâteau partageable en parts très inégales pour des travailleurs? Comment l’homme a-t-il pu devenir à ce point animal au sens donné par  Hannah Arendt? Comment le zôon politikon a-t-il pu déchoir à ce point en animal laborans?



Mais quel rapport entre tout ce qui précède et la question de la peine de mort? Aristote situe la juste hauteur de ce que c’est qu’être humain dans le « plus que vivant » du zôon politikon, et cela passe passe la participation de l’homme à la cité, laquelle s’impose comme la seule intermédiation rendant possible cette humanité, plus que vivante, c’est-à-dire débarrassée de toute connotation vitale, organique, nutritive, reproductrice. En d’autres termes, ce n’est justement « pas dans la cité », c’est-à-dire « pas dans l’Etat » que l’ancrage de l’homme dans des questions de vie, de reproduction, de mort, de nutrition, etc.  se posent. Cela se gère dans l’oïkos, dans le foyer, mais pas dans la cité. Ce ne sont pas des questions pouvant faire l’objet de délibérations ou d’actions politiques, citoyennes. Ce n’est pas en tant que « nous » qu’elles peuvent être appréhendées.

Pour être clair, on ne voit absolument pas ce qui de la mise à mort d’un citoyen pourrait se concevoir ou s’inscrire comme une action par le biais de laquelle le zôon politikon ferait advenir dans le monde une réalité proprement humaine, c’est-à-dire plus que vivante. La mort est une réalité organique qu’il est tout à fait en notre pouvoir de précipiter, d’anticiper chez les autres ou chez nous-mêmes, mais rien d’humain ne s’y construit parce qu’elle est intégralement naturelle, même si on la provoque artificiellement.

Cela signifie que toute condamnation et exécution publique d’un condamné à mort par un Etat constitue un évènement dans lequel cet état se renie en tant que communauté politique reliant entre des êtres humains.

Il faut totalement assimiler le « plus que vivant » du zôon politikon d’Aristote avec l’action de Hannah Arendt qui constitue le mode d’activité grâce auquel l’homme accède à une condition proprement humaine. La peine de mort ne peut en aucun cas se concevoir comme une action politique, pas davantage que la légalisation de l’euthanasie. 

Mais est-ce que cela signifie que la cité puisse admettre le meurtre de tel ou tel de ces citoyens? Evidemment , non, justement: puisque donner la mort n’est pas une action dans laquelle le zôon politikon puisse s’effectuer, s’assumer, cette action, qui d’ailleurs n’en est pas une au sens Arendtien du terme, n’est pas davantage envisageable par un citoyen que par la cité elle-même.