jeudi 16 novembre 2023

Terminales 2 / 3 / 6: conseils pour la construction du plan et retour sur l'enfant à la bobine


 

La plupart des références que j’avais prévues de développer dans ce cours sur le langage ont été données. Pour la semaine prochaine, il s’agit des les ordonner en un plan et de construire la dissertation à partir de l’ordre fixé par ce projet. Pour la plupart d’entre vous, vous vous situez exactement dans cette phase.

Il a été dit qu’un plan dialectique exposant d’abord le oui et ensuite le non pouvait ici être envisagé parce que ce sujet ne peut absolument pas être compris si l’on ne saisit pas jusqu’à quel point il est paradoxal, ou pour être plus exact: « jusqu’à quel point il nous impose de nous tenir sur cette ligne de crête au fil de laquelle toute question philosophique se tient. Disons que celle-ci s’y tient VRAIMENT. Pourquoi?

Parce qu’il n’est pas possible quand nous parlons que nous ne parlions pas une langue mais qu’en même temps il y a quelque chose de la langue qui m’empêche de parler, ou plus exactement qui m’empêche vraiment de prendre la parole, au sens de liberté de parole. Cette compréhension là est cruciale et nous ne la développerons jamais suffisamment. 

Si parmi vous, il en est qui on vraiment compris tout ce qui n’allait pas dans la première dissertation et qui ont envie de corriger leur défaut, il faut donc vraiment comprendre cela, parce que la plupart des défauts des copies sur le sujet précédent consistaient finalement dans un seul : la succession de parties ou de sous parties complètement « plaquées » sans que le rapport au sujet soit vraiment intégré. En d’autres termes vous avez nombreuses et nombreux à privilégier le souci de caser des auteurs et des références sur celui de TRAITER UNE QUESTION. J’ai bien peur en regardant de nombreux plans que vous me proposez que certaines et certains parmi vous s’apprêtent à commettre la même erreur.

Donc deux choses sont à effectuer d’urgence:

  • Ne pas hésiter tout au long de votre dissertation à revenir sur la problématique, à la reformuler, à la creuser. Mais qu’est-ce qu’une problématique? C’est ce qui fait que le sujet se pose et qu’il se pose comme finalement et quasiment insoluble. Personne ne vous demande vraiment de répondre à cette question, je vous demande de vous rendre compte à quel point son questionnement peut nous mener loin. C’est tout. Donc il faut consacrer au moins un paragraphe juste après l’introduction à expliquer pourquoi la question se pose. Déjà vous aurez formulé une problématique à la fin de l’introduction mais cela ne suffira peut-être pas.  Je vous conseille dont de développer certains aspects du texte de Saussure (notamment son 2e critère de distinction entre la langue et la parole). Bien sûr cela se situe déjà dans le non, mais la réponse usuelle à la question est tellement OUI que donner un ou deux arguments très forts pour le non vous permet de manifester que vous voyez bien que la question se pose et ça c’est génial, c’est cela que je vous demande.
  • Deuxième point très important, ne sous-estimez pas l’effet très positif que produisent pour une correctrice ou un correcteur, des moments, des passages dans lesquels les candidat.e.s s’interrogent, expriment de façon très claire leur EMBARRAS. Si vous croyez encore qu’il faut attendre de voir clair dans un sujet de philosophie pour commencer à écrire, vous n’avez pas encore saisi ce que l’on vous demande. Il faut CLAIREMENT exprimer pourquoi c’est aussi difficile, confus dans votre esprit (ce que je veux dire ici c’est que la clarté doit se manifester dans la finesse de la question pas dans la résolution de la réponse qui finalement est un peu grossière, même si pour moi, c’est oui). En d’autres termes, l’embarras devant un sujet de dissertation: c’est ça, la dissertation. Je pense que beaucoup d’entre vous sont en train de se dire qu’ils ou elles n’y arriveront jamais alors que c’est justement maintenant que vous êtes bien positionné.e.s pour l’écrire. Donc ALLEZ - Y!!!!!



Saussure, Freud, Lacan, Barthes constituent à mon sens des références topiques (c’est-à-dire au cœur de la question), mais il est vraiment inutile de les plaquer artificiellement en tâtonnant sur un sujet mal abordé. Il peut être intéressant d’écrire d’abord à partir de ce que vous avez compris de tel ou tel texte et seulement ensuite de voir précisément où vous allez situer ces développement et surtout COMMENT. Ce que je veux percevoir c’est la prise en mains d’une question par une sensibilité qui vous est propre, par une prise d’initiative qui est la votre, et cela suppose que vous maîtrisiez parfaitement vos enchaînements, vos transitions (je sais c’est difficile mais c’est comme ça!)

Pour des raisons qui m’échappent un peu, il me semble que le texte de Freud sur l’enfant à la bobine pose des problèmes à beaucoup d’entre vous alors qu’il est assez central et clair sur ce sujet. C’est un texte qu’il ne faut justement pas résumer ou banaliser ou s’empresser de classer ici ou là pour passer à autre chose. Plutôt que de les expédier, approfondissez les références (et ordonnez les seulement après). Après tout on peut faire une dissertation avec seulement deux ou trois auteurs.

La question est: « Peut-on parler une langue? » et le texte de Freud est de nature à nous faire comprendre comment on apprend à la parler, mais surtout à pointer ce moment essentiel du symbolique. 

Une chose sur laquelle je n’ai sûrement pas assez insisté c’est le fait que Freud  pointe la jubilation de l’enfant dans ce jeu. C’est un JEU et cela fait plus que l’amuser. On n’insistera jamais assez sur ce que cette observation révèle au grand jour quand au pouvoir que l’être humain peut acquérir sur les choses, sur les éléments, sur les forces naturelles via les symboles. Si vous voulez gouverner le monde, assurez vous le pouvoir du symbolique, dans le symbolique. L’enfant jubile parce que très confusément, inconsciemment, il jouit d’un pouvoir qui n'a pas de limite, étant entendu que cette maîtrise de la bobine signifie la maîtrise des symboles qui elle-même anticipe sur la maîtrise de la langue. Quel rapport avec le sujet? La liberté de pouvoir qui, selon Saussure, s’effectue dans la parole, se retrouve parfaitement ici dans l’acquisition de la langue et du symbolique de telle sorte que pouvoir, c’est-à-dire l’idée même que l’on puisse avoir du pouvoir sur les gens qui nous entourent, sur les choses, sur la nature se forge ici dans ce jeu avec la bobine, avec le fil avec la oh et le da.



                La situation de l’enfant au départ est la même que celle de l’être humain: il ne peut rien, il "n’y" peut rien: sa mère s’en va. De même pour l’homme il n’y peut rien, le monde est, la nature suit son cours, et c’est comme ça.

Puis il prend cette bobine et la lance. On peut substituer à la mère une bobine et la lancer, la faire revenir, jusqu’à épuisement. L’enfant ne fait que jouer une scène, que la rejouer plus exactement avec une différence qui est « je ». Nous savons que l’enfant ne parle de lui à la première personne que tardivement (il parle d'abord de lui à la 3e) tout simplement parce qu’entre le sentiment d’être tout court et la conscience d’être un sujet, il y a une différence et un laps de temps. Cette idée de dire « je » n’est d’ailleurs pas évidente du tout. Elle est totalement linguistique, en fait. C’est cela qu’il faut bien comprendre dans ce texte. L’enfant prend conscience qu’il est un je, qu’il peut s’insinuer dans les rouages du monde par un jeu, mais dans ce jeu, son « je » s’insinue, s’effectue, naît. Peut-être ne parvenez-vous pas à vous sortir de la tête que ceci n’est qu’un jeu. Or il faut justement dépasser cette appréhension de ce jeu comme jeu. Pourquoi?

Parce que le fait que l’enfant crie (mais en fait ce n’est pas un cri) Oh! et Da! montre qu’il a confusément, inconsciemment enregistré quelque chose: dans les sons qu’il entend dans la bouche de ses proches, il y a différentes consonances, différentes sonorités et ces sonorités semblent correspondre à des différences de situations. Le fait qu’un adulte s’exclame quand une autre personne entre dans la pièce montre bien que les humains lancent certains sons quand certains évènements se produisent. Donc il fait comme eux: il imite, mais ainsi il acquiert petit à petit le même pouvoir qu’eux, ce même pouvoir que nous avons toutes et tous: celui de faire savoir à une autre personne quelque chose qui vient de nous et qui va changer son comportement, peut-être en notre faveur. Cet incroyable pouvoir d’impacter les attitudes de nos proches avec des sons, c’est cela que l’enfant est en train de conquérir. De fait, il est déjà en train de forger sa prochaine prise de parole: « Maman, ne pars pas! », même s’il va falloir encore attendre avant que cet énoncé soit dit par lui.

 



Mais en un sens il le dit déjà et d’ailleurs son grand père l’a bien compris (Bon évidemment: quand c’est Freud, ça aide). En fait cette bobine est probablement la première manifestation de ce que le psychologue Winnicott appellera "l’objet transitionnel », l’objet symbolique. On peut s’intéresser à son utilité affective mais même avant cela, il fait transition, encore faut-il clairement établir entre quoi et quoi il fait transition.

Entre le monde où l’enfant fait l’expérience de la perte, du manque et du désarroi (de la mère) et celui où il découvre sa puissance d’impact, son pouvoir et où l’idée d’être un je lui vient. L’enfant refait en miniature l’expérience par laquelle l’humain s’est fait une place dans le monde…Et quelle place!

L’enfant peut parler une langue puisque il est déjà en train d’apprendre les mots fort et da.Il PARLE cette langue puisque il acquiert grâce à elle la plus grande liberté qui soit, de prime abord, celle d’être un sujet qui décide, qui prend l’initiative de faire revenir la bobine, de dire « da » en même temps, ce qui déjà est une façon de dire « voici », c’est-à-dire de parler donc de se préparer à dire bientôt quelque chose à sa mère pour qu’elle reste. Il est en train de s’intégrer à une communauté d’être dans laquelle les mots on t un sens, dans laquelle quiconque a la maîtrise des mots a un certain degré de pouvoir sur son entourage. POUVOIR, c’est exactement une idée neuve qui ne peut lui venir en tête qu’à partir du moment où il acquiert la capacité à symboliser, sachant que cette aptitude le met sur les rails de cette autre qui est dire, parler. Cette référence dit vraiment OUI à la question posée.



OUI……..Mais, ce pouvoir d’une force inouïe que l’enfant est en train d’acquérir par l’émergence d’une dimension symbolique dans laquelle il devient le sujet de ses actions, l’a-t-il choisie? Et d’ailleurs a-t-il chois d’utiliser une langue dans laquelle il y a un sujet qui décide de l’accord avec le verbe? Non, aucunement. Le Oh et le da ne lui sont pas venus du ciel, mais de ce qu’il a entendu dire par son entourage, lequel parle toujours déjà allemand. C’est la langue telle qu’elle est déjà en usage qui a déterminé ses consonances et elles ne pouvaient pas être autres que celles là parce que c’est la langue allemande (arbitraire de la langue). Mais alors tout change: l’enfant est libre de pouvoir pouvoir grâce à sa langue, mais il n’est pas libre de ne pas pouvoir pouvoir à cause de cette langue qui d’autorité l’a soumis à un certain régime de pouvoir et qui d’ailleurs le musèle déjà selon les usages de la langue allemande. Pour peu que cet enfant soit le président Schreber il est donc en train d‘utiliser exactement la langue qui sera son plus terrible bourreau quand il sera aux prises avec la paranoïa (importance de la grammaire dans les quatre symptômes). L’enfant et l’être humain ne sont aussi radicalement libres grâce à la langue et au symbole que pour autant qu’ils ne le sont pas du tout, et qu’ils ne sont pas libres de ne pas parler cette langue, au final. Ils sont déterminés par cette langue à user d’un certain type de pouvoir dont finalement ils sont tout autant les sujets que les objets. Pire que cela: ils n’en sont les sujets que pour autant qu’ils en sont les objets, les victimes.

Cette référence peut donc être utilisée à la fin de la première partie (qui répond oui) à la question et faire la transition avec la deuxième partie qui défendra le non. C’est la raison pur laquelle tout travail sur ce texte vous permet non seulement de traiter exactement le sujet (parce que c’est la question de la liberté qui y est développée) mais aussi de construire et de faire des enchaînements entre les deux premières parties.




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