mardi 26 novembre 2024

Terminales 1/4/5: Explication du texte de Nietzsche sur le travail (2)

 




Expliquez le texte suivant extrait du livre: «  le gai savoir » de Friedrich Nietzsche (1882)

Loisir et oisiveté. – Il y a une sauvagerie à l’indienne, propre au sang indien, dans la manière dont les Américains courent après l’or : et leur course effrénée au travail – le vice propre au Nouveau Monde – commence déjà, par contagion, à rendre la vieille Europe sauvage et à répandre sur elle une absence d’esprit absolument stupéfiante. On a déjà honte, aujourd’hui, du repos ; la méditation prolongée provoque presque des remords. On pense la montre en main, comme on déjeune, le regard rivé au bulletin de la Bourse, – on vit comme un homme qui constamment « pourrait rater » quelque chose. « Faire n’importe quoi plutôt que rien » – ce principe aussi est une corde qui permet de faire passer de vie à trépas toute éducation et tout goût supérieur. Et de même que cette course des gens qui travaillent fait visiblement périr toutes les formes, de même, le sens de la forme lui-même, l’oreille et l’œil sensibles à la mélodie des mouvements, périssent également.  La preuve en est la netteté pesante que l’on exige aujourd’hui partout, dans toutes les situations où l’homme veut se montrer probe envers l’homme, dans les rapports avec ses amis, les femmes, les parents, les enfants, les professeurs, les élèves, les dirigeants et les princes, – on n’a plus de temps ni de force pour les cérémonies, pour les détours dans l’obligeance, pour l’esprit  dans la conversation et pour tout otium  en général. Car vivre à la chasse au profit contraint continuellement à dépenser son esprit jusqu’à épuisement à force de constamment dissimuler, donner le change et prendre de vitesse : la véritable vertu est aujourd’hui de faire quelque chose en moins de temps qu’autrui. Et ainsi il n’y a que bien peu d’heures où l’on se permet la probité : mais on est alors fatigué et l’on aimerait non pas simplement se « laisser aller » mais se vautrer de tout son long, et de tout son large et de tout son poids. C’est en conformité avec ce penchant que l’on écrit aujourd’hui ses lettres ; lettres dont le style et l’esprit seront toujours le véritable « signe des temps ». Si l’on prend encore plaisir à la société et aux arts, c’est un plaisir comme s’en organisent des esclaves épuisés à force de travail. Oh,  qu’ils sont peu exigeants en matière de « joie », nos hommes cultivés et incultes ! Oh, que de suspicion croissante envers toute joie ! Le travail ne cesse d’accaparer davantage toute la bonne conscience : le penchant à la joie s’appelle déjà « besoin de se divertir » et commence à avoir honte de lui-même. « On doit faire attention à sa santé » – dit-on lorsqu’on est surpris en flagrant délit de partie de campagne. Oui, on pourrait bientôt en arriver au point où l’on ne céderait plus à un penchant pour la vita contemplativa (c’est-à-dire pour la promenade avec des pensées et des amis) sans mépris pour soi-même et mauvaise conscience. – Eh bien ! jadis, c’était l’inverse : c’est sur le travail que pesait la mauvaise conscience. Un homme bien né cachait son travail, lorsque la nécessité le contraignait à travailler. L’esclave travaillait écrasé par le sentiment de faire quelque chose de méprisable : – le « faire » lui-même était quelque chose de méprisable. « La noblesse et l’honneur n’habitent que l’otium et le bellum » : voilà ce que faisait entendre la voix du préjugé antique !

              1882 Le gai savoir -  Livre 4 paragraphe 329 - Friedrich Nietzsche


La connaissance de la doctrine de lauteur nest pas requise. Il faut et il suffit que lexplication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question



Attention l'introduction est dans le 1 (ainsi que le plan)

3) L’explication

a) La pandémie du travail

C’est la totalité de l’aphorisme 329 qui est ici développée et chaque aphorisme a un titre. « Loisir et oisiveté » nous oriente d’emblée vers la notion grecque de Skholé et latine d’Otium. Ces deux termes désignent la même chose, à savoir cette part de temps libre qu’un être humain retiré des affaires ou soustrait de leur cours momentanément consacre à des activités moins productives du point de vue de la croissance économique ou du PIB. Mais de quelles activités s’agit-il? Nous pouvons ici penser à deux auteurs: Montaigne et Pascal. 

Le premier évoque précisément l’otium dans les essais: « il me semblait ne pouvoir faire plus grande faveur à mon esprit, que de le laisser en pleine oisiveté, s’entretenir soi-même, et s’arrêter et rasseoir en soi » Le dernier terme est suffisamment clair: « se rassoir en soi » pour suggérer qu’il existe dans l’otium une part de réflexion, c’est-à-dire de pensée réflexive, de pensée qui se porte précisément sur l’acte de penser, sur cette condition d’être pensant. A ce titre l’otium ne désigne aucunement un temps consacré à la distraction mais précisément au contraire, à une concentration de l’esprit sur ce qu’il est, à un temps pendant lequel une pensée se porte vers sa condition même. Descartes, par exemple, profite d’une pause dans les affaires qui l’occupaient en Hollande  pour mener à bien ses méditations. C’est incontestablement de « l’otium. »  

Pour Blaise Pascal, la référence à l’otium est un peu moins explicite mais c’est pourtant bel et bien de cela dont il est question: « Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. » Le point de vue développé par Pascal n’est pas favorable à l’otium. Il le considère comme impossible à tenir et c’est bien l’opposition constante avec Montaigne qui se relève ici une fois encore. Car « se rassoir en soi » comme le dit Montaigne serait l’occasion de se confronter à sa véritable condition d’être mortel et contingent , ce qu’aucun être humain ne peut souhaiter selon Pascal. 

            Ce que le philosophe et mathématicien découvre ici dans un contexte particulier c’est finalement ce que le philosophe Martin Heidegger quatre siècles plus tard désignera du terme de Dasein (être là) mais à cette différence essentielle prés que le dasein, c’est à la fois ce qui caractérise l’être humain et ce que ce même être humain ne peut vraiment regarder en face. « Même un roi privé de divertissement est le plus malheureux des hommes » parce qu’il se retrouve alors  confiné dans la pure confrontation avec sa condition effective, à savoir que, tout roi qu’il est, il n’est "que là", existant, offert à une mort imprévisible et privé comme tout être humain de toute raison d’être. Plus tard Martin Heidegger définira le "da sein" comme cet être pour lequel il est dans son être question de son être, mais cette condition qui consiste à se vivre soi-même comme le suspens d’un questionnement sans réponse, sans assurance de quoi que ce soit est existentiellement aussi « vrai », incontournable philosophiquement qu’évitable socialement de telle sorte que l’existence de la plupart des êtres humains se passe à s’efforcer de fuir, de nier l’évidence ontologique de leur absence de support ontologique

Là où Aristote situe en fait l’action politique du zôon politikon (puisque il y a sans aucun doute un rapport entre le dasein et le zôon politikon), Pascal pose l’abrutissement royal dans le divertissement. Soucieux comme à son habitude de déprécier l’homme sans Dieu, c’est-à-dire l’être humain qui n’irait pas chercher dans la foi la seule voie possible de son salut, Pascal caractérise l’être humain comme une créature entièrement impliquée dans le déni de sa condition effective. Avant d’évoquer le divertissement comme le seul remède que les êtres humains ont trouvé contre la révélation d’une vérité consternante, il écrit: « j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » Ce passage contraste avec ce qui suivra puisque il semble bien envisager un bonheur possible de l’être humain dans la méditation, dans l’otium, alors que, par la suite, il réputera cette expérience comme impossible, impraticable pour les êtres humains.  On ne peut pas s’empêcher de penser ici que le terme de bonheur que Pascal utilise dans la suite de l’aphorisme est légèrement fallacieux. Il y aurait une force, une puissance à rester en effet tout seul dans une chambre et à se mesurer ainsi en toute lucidité à la vérité la plus crue de sa condition (de dasein) et cette efficience donnerait peut-être une forme de bonheur à celle ou celui qui la soutiendrait. Mais nous en sommes incapables selon Pascal (ce qui revient à dire que nous sommes cantonnés au plaisir du divertissement).

Résumons: il y a « l’otium », temps libre que l’être humain passe à des activités créatrices, méditatives, ayant pour sujet sa condition, sa présence, sa curiosité native. Mais finalement cet otium jette une lumière trop crue, trop vraie, (celle de l’aléthéia) sur une condition que nous préférons ne pas affronter, ne pas accepter. Nous vivons alors dans le divertissement du neg/otium qui a donné négoce. Nous menons alors à bien des « affaires », nous sommes des businessman, des traders, des négociants, des commerciaux et nous faisons comme si des êtres humains pouvaient ainsi nier l’authenticité de leur condition dans des « divertissements » dont on va fallacieusement promouvoir la valeur comme « de premier plan », essentielle alors qu’elle est évidemment existentiellement accessoire. 

            L’otium est l’essentiel dans tous les sens du terme, parce qu’il est la condition dans laquelle l’être humain s’efforce de comprendre et d’assumer le dasein, le zôon politikon (et c’est pour cela que les grecs de l'antiquité ne travaillent pas), mais à cause du déni dont le divertissement est le symptôme, l’être humain inverse les valeurs de telle sorte que l’otium, temps de la réflexion et de l’assomption vraie, est déchu de son statut essentiel au profit du negotium. Les pseudo valeurs du négotium sont précisément celles de « la valeur travail » chères aujourd’hui à tant d’hommes dits politiques: accélération du temps dit productif, oreilles greffés à des portables vibrants de l’agitation continuelle du marché, affairement continu vers la rentabilité et le profit, mines affairées et postures de businessmen empressés qui n’ont « pas que ça en faire » mais quoi ça? Exister et comprendre ce que ça veut dire, Dans wikipedia nous trouvons cette définition de negotium: 

« Le negotium est un concept latin qui désigne toutes les activités productives et profitables, en particulier le commerce par opposition à l’otium. Il est à l'origine des mots français négoce et négociation. »



Nous faisons semblant de croire que l’essentiel est de faire des affaires pour dissimuler le plus qu’on peut l’évidence de l’authenticité de l’otium, d’un temps libre que nous consacrerions à exister, à satisfaire une curiosité de dasein à l’égard de cette condition étrange qui est la notre, à densifier le plus qu’on peut "l’être-au-monde" d’une présence humaine, c’est-à-dire d’un être dont la véritable feuille de route est de créer de toute pièce ce que cela peut devenir pour lui (et seulement pour lui puisque les animaux "sont" déjà) que le fait d’être.



Nous comprenons ici vraiment et seulement le titre. Nous ignorons le degré de connaissance des rites et habitus des tribus indiennes de l’Amérique du nord par Friedrich Nietzsche mais pour autant, nous ne pouvons pas nous tromper en pointant l’ironie des toutes premières lignes. Les colons venus d’Europe ont  rapidement exterminé les peuples et les sociétés  autochtones de tout le territoire.  Ces peuples nomades qui ne pratiquaient ni la métallurgie ni l’agriculture ne concevaient pas la possibilité d’une existence sédentaire et n’avaient aucunement la prétention de posséder la terre, l’eau, ou les bisons dont il ne s’agissait que de suivre les migrations. L’idée même de la propriété privée leur était totalement inconnue ("Comment peut-on acheter ou vendre le ciel ou la chaleur de la terre? Cette manière de penser nous est étrangère. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l'air ni le miroitement de l'eau, comment pouvez-vous nous les acheter? - Seattle (chef de la tribu des Dwamish) en réponse au président Franklin Pierce qui voulait acheter des terres).

             La sauvagerie de l’âpreté au gain avec tout ce qu’elle va susciter d’attitudes existentiellement ruineuses et socialement bêtifiantes ne vient donc en aucune façon de ces tribus mais puisque le terme de « sauvages » (qui n’est pas sans rappeler celui de « racailles » plus récent et tout aussi stupidement évoqué pour marginaliser les populations dites « de banlieue ») leur a été apposé par ces mêmes colons, on peut reprendre cette terminologie.  Les européens ont détruit les indiens au nom d’une certain conception de la civilisation, étant entendu que les populations autochtones n’étaient pas reconnues comme "civilisées", contre toute évidence. La seule véritable sauvagerie à l’œuvre ici fut évidemment celle des européens distribuant à certaines populations des couvertures contaminées par la variole afin d’accélérer leur disparition. Nous savons bien historiquement que l’importation des virus de la vieille Europe a effectué une grande partie de l’annihilation des incas, des mayas et des aztèques en Amérique du Sud. 

            Pour le nord différentes techniques de massacres ont été mises en place avec le même succès. D’emblée quelque chose de l’inversion des valeurs est déjà actif dans l’ironie des premières lignes, notamment si l’on mesure le degré de civilisation d’une société non pas à ses avancées technologiques mais à ces capacités d’intégration à un milieu naturel donné ainsi qu’aux rites pratiqués et à la célébration des différents évènements de la vie collective. Tout indien chasseur se recueille après avoir tué le bison et adresse à son âme une prière. Nous mesurons sans peine l’effet produit par des chasseurs blanc munis de carabines à répétition  sur les indiens et nous réalisons alors dans quel camp est la « sauvagerie ».



Il n’est donc pas du tout hors de propos de mettre en perspective le début des cet aphorisme avec sa fin. Il est fort probable que le mode de vie des grecs de l’antiquité ne semblerait pas moins sauvage à un businessman d’outre-atlantique (et pourquoi pas d’ici?) que les pratiques de chasse rituelles des indiens à Buffalo Bill. L’ironie de ces premières lignes consistent donc à situer la véritable sauvagerie donc par contraste à localiser les lieux et les époques où une certaine conception de l’honneur de la noblesse et de la probité avaient cours. Ce que les colons européens reprochent aux peuples autochtones c'est une "sauvagerie" incroyablement plus et mieux civilisée que la leur, et comme ils ont "gagné" c'est malheureusement celle-là que nous subissons.


b) L’esprit de lourdeur de l’accélération

« une certaine lourdeur d’esprit est, semble-t-il, la qualité indispensable sinon de tout homme actif, du moins de tout faiseur d’argent un peu sérieux » dit l’écrivain russe Dostoievski et l’on sait que Nietzsche appréciait beaucoup cet auteur. Cet aphorisme est le 329e et se situe au livre 4  de l’oeuvre. Il n’est pas anodin de savoir que le 341e de ce même livre, donc douze aphorismes plus tard se situe la description de l’intuition de l’éternel retour. Pourquoi est-ce si important? Parce que dans les deux cas il est fait état d’un rapport au temps et à la lourdeur. Mais ils sont radicalement opposés autant la vitesse dénoncée dans cet aphorisme est celle de nos actions autant celle de l’éternel retour qui doit être éthiquement recherchée, voulue, honorée, célébrée est celle de l’évènement. Vivre et consentir à l’éternel retour c’est donner à chacune seconde de ma vie, une justesse, une forme de perfection. Il n’est rien de ce qui m’arrive que je ne puisse encore vivre une fois, deux, une infinité parce qu’il n’est rien de ces évènements qui soit autre chose que mon consentement à ce qu’elles soient. J’accepte d’être, d’exister et cette vie là ne se monnaye pas, ne se "moyenne" pas, n’est pas sujette au marchandage. Elle est de la pure praxis, c’est-à-dire qu’elle est à elle-même sa propre finalité. Cette lourdeur est donc plutôt en un sens une « densité ». , une résistance à ce que le sociologue Zigmunt Bauman appelle la vie liquide. Je ne peux rien faire ni vivre sans être totalement, entièrement, infiniment dans cet instant que je vis. J’aime la fatalité de l’existence (Amor fati: stoïcisme), je savoure précisément cette inconditionnalité de l’existence. Je ne suis pas le petit malin de ma vie qui trouve toujours « moins cher ailleurs » parce qu’il n’est rien en elle qui puisse se démonter en rouages, en moyens en vue d’une finalité. 

Finalement l’éternel retour c’est le contraire de l’ubiquité. Il ne s’agit pas d’être présent partout en même temps (définition de l'ubiquité) toujours mais totalement ici en un seul endroit à jamais. L’éternel retour revient au sens propre à éterniser sa présence au présent, à saturer les atomes comme dit Virginia Woolf de l’écriture. N’être que là maintenant à jamais plutôt que d’être ici mais aussi ailleurs et ainsi de jouir du pouvoir moderne et technique de faire plein de choses en même temps. 

        L’ubiquité pourtant est ce qui nous fait rêver: « comme ce serait parfait de pouvoir être ici mais aussi ailleurs, de regarder la télé en attendant que la vaisselle se fasse, que la tarte cuise, que mon téléchargement se réalise, que mes enfants s’instruisent en faisant du copier/coller de chat GPT, de converser par texto avec la femme qui partage ma « vie » (si c’est vraiment de cela dont il est question. » Actif sur tous les fronts, je ne suis « vraiment » sur aucun d’eux. Ma vie est une désertion et je m’en rendrai compte quand je mangerai dans une vaisselle pas hyper propre, quand je m’apercevrai que mes enfants ont joué à Minecraft ou à « call of duty » et que leur copie faite par chat GPT est nulle, que ma femme me trompe tout en m’envoyant des textos énamourés, que l’émission que j’ai téléchargée ne répond vraiment à aucun des questionnements authentiques de ma vie parce que le point de vue de Géraldine Maillet sur l’Abaya dans TPMP, ne satisfait pas précisément mon attente, mon envie d'être, ni mon désir d'exister (euh....pas du tout en fait!... ça stimulerait plutôt mon envie de ne plus exister...)



Le fantasme d’ubiquité est particulièrement vivace avec l’usage du portable. L’enjeu de nos existences est exactement là: est-ce que je préfère être plus ou moins à plusieurs endroits à la fois ou entièrement, exclusivement, seulement ici et maintenant, dans cette infinité du présent, dans ce que c’est qu’être quasiment englouti, captivé par une occupation au point que l’on s’y sente exister là plus que n’importe où ailleurs, comme Pénélope qui ne fait que retisser éternellement sa toile, qui retarde Chronos pour exister dans l’Aiôn? 

            L’ubiquité  (être moralement tout le monde) et l’éternel retour (être éternellement ici) explorent exactement les deux versants opposés de cette montagne qu’est la contingence.  Que désigne ce terme (je sais, on l'a déjà dit)? L’absence de nécessité. J’existe mais j’aurais tout aussi bien pu ne pas exister. Cette pesée du « ne pas exister » sur l’exister peut être considérée et « pratiquée » comme ce qui justement en souligne et en exacerbe la valeur: c’est justement parce que cette existence présente aurait pu ne pas pas être qu’elle « est » et qu’elle est justement « là » pour un être qui de fait y est présent, attentif, ou bien elle peut aussi être justement le contraire de cela en tant qu’elle n’est pas nécessaire. La contingence devient alors le prétexte à des modes de vie légers, inattentifs, désertés de toute présence, de toute densité. Soit nous fondons la valeur de ce qui est sur la peine et entière attention que l’on porte alors sur une forme de miracle de kairos:

- Oui, mais c’est ça maintenant!

Soit on sombre dans le nihilisme puisque de fait tout est hasardeux, absurde, incohérent, injustifiable. De ceci que je vive telle expérience il ne s’ensuit pas que je ne puisse pas en vivre une autre et que j’explore à fond les possibilités techniques de ce mode d’existence qui se caractérise par un mode d’implication précaire, économe du présent et de l’ici maintenant. Impliqué partout je ne suis présent nulle part, joignable par tout le monde à tout moment en tout lieu, je ne suis vraiment attentif à aucune conversation, je n’écoute vraiment personne, je ne procure de réconfort à personne: telle est le principe même du téléphone portable:

  • Il faut que je te parle
  • Tu m’excuses? J’ai un appel sur la ligne.

Pourquoi accordons nous nous quasiment toujours la primeur à la personne qui nous appelle sur celle qui nous fait face (alors qu’elle au moins a fait physiquement le déplacement pour nous voir ce qui atteste de l’importance qu’elle donne au fait de nous rencontrer)? Parce qu’une conversation téléphonique nous connecte à un autre ligne et pas réellement à une autre présence, parce que l’expérience est légère, anodine, banale et que finalement elle ne réclame pas d’effort de présence. Ce n’est pas tout à fait une expérience et le bouton rouge est juste là sous mon pouce s’il s’avérait que les discussion prend un tour trop accaparant. Je suis disponible à tout le monde à condition de n’y être finalement « personne », en témoigne la quantité de formule du style: « oui on s’appelle » , « on reste en contact hein? ». On serait tenté de répondre « oui surtout que ce n’est aucunement un contact mais une conversation courante, liquide, sur laquelle on surfe, on glisse de telle à telle interlocutrice. Ce petit rectangle auquel nous vouons une adoration fantasmatique et compulsive est la manifestation de cette névrose obsessionnelle que nous cultivons à l’égard de la possibilité d’être un Dieu ubiquiste, alors que nous devrions plutôt prêter attention au Daimon de l’éternel retour.

Ce fantasme de l’ubiquité traverse l’aphorisme de Nietzsche, notamment dans son deuxième mouvement : « on vit comme un homme qui constamment pourrait rater quelque chose ». 


Docteur Strange fait deux lapins en ombre chinoise....Sacré Docteur Strange!!!!!

Dans notre système nerveux l’information circule à une vitesse de 60 m par seconde. La fibre optique atteint maintenant une vitesse supérieure à 200 millions de mètres par seconde (il faut créer des unités de mesure de la vitesse démentielles comme le térabit). Nous sommes fascinés par la démesure (hybris en grec) et la possibilité technique de concevoir des vitesses d'information dont nous savons très bien qu'elles dépassent nos capacités d'assimilation. La vitesse de communication et d'information dépassant totalement les possibilités réflexive d'une conscience (L'IA n'est pas une conscience, elle n'a pas d'ancrage existentiel au monde. l'IA n'est pas et ne peut en aucune façon être un da sein), communiquer est plus important que réaliser. Nous créons des vitesse de communication qui dépassent la puissance de réalisation d'un da sein.

              Deux termes peuvent ici être utilisés à bon escient tant ils peuvent sembler proche d’un point de vue phonique alors même qu’ils s’affrontent dans une opposition sémantique radicale: il s’agit de la communication et de la communion. Nous atteignons des vitesses de communication assez rapides pour rendre indésirable  la moindre « communion », l'empathie. Comment faire naître dans nos esprits l’idée que nous ratons nécessairement quelque chose dans le monde? La réponse est simple, en rendant quasiment possible de "tout" savoir en temps zéro par un clic, du moins potentiellement. C’est exactement comme si l’être humain littéralement porté par la démesure inhérente au fait d’avoir créé de toutes pièces une temporalité technologique, modulable, réductible qui est chronos jouissait de tous les pouvoirs ubiquistes de cette construction. Il aurait peut-être raison si le temps vrai n’existait pas dans et par l’aiôn.


Dans son livre le philosophe contemporain Pascal Chabot définit cinq conceptions du temps:

  1. le destin qui désigne le temps de la nature, celui des saisons de l’herbe qui pousse, des rotations des astres. C’est finalement l’aiôn
  2. Le progrès qui est le temps par le biais duquel l’être humain se donne les moyens de progresser, temps qui permet de croire que l’on peut domestiquer le précédent (fertilisants chimiques)
  3. L’hyper-temps, c’est le temps qui est comme l’idéal du précédent, temps que l’on retrouve dans Alice au pays des merveilles. Il faut toujours faire plus en moins de temps. C’est le temps du streaming et du clic
  4. Le délai, c’est le temps compté, le temps qu’il nous reste à vivre avant l’irréparable, surtout d’un point de vue écologique, c’est le temps dont on pourrait dire qu’il rythme la chronique d’une catastrophe annoncée et certaine.
  5. L’occasion enfin désigne le kaïros. Il s’agit de trouver dans ces temps différents assez de distance pour réconcilier l’irréconciliable et agir au bon moment parce que c’est « maintenant ». C’est le temps qui contient sans aucun doute le secret de l’action réussie et heureuse.

Ce que décrit ici Friedrich Nietzsche c’est la contagion de l’hyper-temps, et ce qu’il affirme dans l’aphorisme 341, c’est l’occasion de Pascal Chabot , la possibilité de faire se rejoindre chronos et l’aiôn. Comment revenir de l’hyper temps pour saisir dans la pratique d’une expérience le cours d’un « hypo temps » d’un « sous temps », d’une temporalité non moyennable, non monnayable, une temporalité d’autant plus atteignable et effective qu’elle est nécessairement à l’oeuvre dans le cosmos, et peut-être aussi, dans cette durée, dans cette vitesse pure et indivisible au gré de laquelle se dit et se vit en nous l’irrévocabilité du devenir, par le biais d’affects, de sentiments, de mouvement, de flux.  J’attends une personne pour laquelle j’éprouve un sentiment fort. L’horloge montre trois secondes de retard. Je me dis que j’attends encore un quart d’heure, mais ce quart d’heure dure une heure, ou plutôt cette durée là s’épaissit, se solidifie, voire se fige, par rapport à mon attente le temps ne passe jamais assez vite et j’expérimente bien une autre vitesse que celle de l’horloge, une vitesse qui, précisément parce qu’elle n’est pas modulable, parce qu’elle n’est fonction d’un objet magique qui me permettait de précipiter l’instant de sa venue est un temps Vrai qui « dit « mon impatience qui EST mon impatience et par là, bien d‘autres choses encore. L’otium est finalement le temps venu d’être enfin dans une temporalité où l’hyper temps nous concentre vers l’avoir et le faire.



Dés lors que l’on soumet le temps de l’éducation à l’hyper-temps ou au progrès, il n’est rien selon Nietzsche qui puisse former des Humains supérieurs, mais c’est quoi des Humains supérieurs? Ce sont des sur-humains qui disent oui au démon de l’éternel retour, c’est-à-dire au petit génie de l’occasion, par la grâce duquel Aiôn enfin « perce » sous la dictature de Chronos, la durée non mesurable se révèle en faisant céder la supercherie d’un temps mesurable et discontinu. 



Une personne qui répond oui à l’éternel retour ne recherche auprès des autres humains aucune postérité médiatique ou de quelque autre nature. Il n’y a vraiment pas lieu de le faire, à partir du moment où j’ai saisis l’éternel retour au coeur de chaque instant, son cycle, sa pesanteur éthique. Être est une expérience que nous ne vivons que dans la continuité, qui n’est que continuité devenir, flux passage. La mort n’y figure nulle part et il n’y a pas lieu de se précipiter avant de mourir, parce que « mourir «  ne m’arrivera pas ». Dans l’éternel retour, il n’y a que de l’être, pas de la vie organique et c’est la vie organique qui meurt. Je n'ai qu’une seule attitude à adopter devant l’être, c’est de le devenir, et ça tombe bien parce que de toute façon c’est cela que l'aiôn fait, c’est cela que j’éprouve vraiment dans l’attente de la personne aimée.

Mais d’où nous est venue cette idée étrange de soumettre ce qui justement est donné (donc inconditionné) à des conditions sociales. Comment avons nous eu l’idée de greffer sur l’être des conditions sociales de vie qui vont créer de l’arrangement, du donnant/donnant là même où précisément il n’y en a pas: l’existence? 

Dans le nouveau testament chapitre 3 verset 10, la 2e épitre aux thessaloniciens, L’apôtre Paul dit «  si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. » Aussi bizarre que cela puisse paraître, ce « leitmotiv » du travail sera repris en 1900 par Lénine.   Quelque chose d’un tournant historique, économique, philosophique, politique, etc. profond voire d’un retour en arrière par rapport à la civilisation antique grecque est ici « opérationnel »  Nous savons pourtant comment Marx considère la religion qui est selon lui, tout comme le travail salarié « l’opium du peuple ». 

La révolution léniniste est très en deçà de l’inversion des valeurs Nietzschéennes, peut-être parce que terme de révolution chez Nietzsche ne peut revêtir de sens qu’en tant que cycle dans l’éternel retour (révolution au sens astrophysique du terme) , même si quiconque décroche de Chronos dans sa vie réelle et perçoit la puissance de l’aiôn opère silencieusement cette révolution.  

Historiquement il semble donc indiscutable qu’il y ait quelque chose du christianisme qui a précipité cette idéologie du donnant/donnant dans le rapport entre l’être humain et le travail. Il est même possible d’évoquer ici l’ancien testament et la religion juive puisque finalement l’interdiction par l’éternel de manger les fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal  renvoie à une sorte de choix: Adam et Eve auraient pu rester dans le jardin d’Eden et continuer de manger le fruit de l’arbre de vie qui donne l’immortalité  mais une fois qu’ils ont cédé à la tentation du fruit de l’autre arbre, Le travail fait partie de leur malédiction: « maudit soit le sol à cause de toi! C’est dans la souffrance que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie. »      Il n’est pas complètement absurde de penser qu’il y a dans les paroles de l’éternel adressées à Adam et Eve quelque chose d’un préjugé négatif à l’égard du travail dont finalement nous sommes aujourd’hui encore les victimes désignées. 



Avec beaucoup de finesse, Emmanuel Lévinas fait remarquer dans son livre « difficiles libertés »   qu’il y a quelque chose d’athée dans cette religion judéo-chrétienne qui commence par un acte d’émancipation de la créature à l’égard de son créateur. En affirmant cela, Lévinas évoque un argument qui selon lui plaide en faveur de cette religion: une religion libre comme si la malédiction de Dieu était aussi finalement une sorte de prise en mains de son histoire par l’humanité. Mais il ne fait aucun doute que Nietzsche la voit tout autrement: n’y aurait-il pas finalement dans cette religion  quelque chose de « non religieux » qui se serait insinué dans les sociétés humaines soumise à son influence? Ce serait comme si l’esprit d’une certaine religiosité, d’un recueillement nécessaire à l’existence humaine effectif dans le polythéisme grec s’était entièrement perdu, dilapidé dans l’avénement du christianisme et du protestantisme  (le travail est en effet l’une des valeurs essentielles du protestantisme et le philosophe Max Weber a très largement souligné les relations entre le protestantisme et le capitalisme)  

C’est dans son livre « Humain trop humain » (1886)  que nous trouvons cette citation qui agit comme en résonance par rapport à ce passage:

« L’accélération monstrueuse de la vie habitue l’esprit et le regard à une vision, à un jugement partiel et faux. […] Faute de quiétude, notre civilisation aboutit à une nouvelle barbarie. À aucune époque, les hommes d’action, c’est-à-dire les agités, n’ont été plus estimés. L’une des corrections nécessaires qu’il faut entreprendre d’apporter au caractère de l’humanité sera donc d’en fortifier dans une large mesure l’élément contemplatif ».

   Il faut relever tout ce qu’il y a de suspect dans cette haine de du « temps suspendu », c’est-à-dire de ces instants durant lesquelles nous mettons en veilleuse nos occupations pour tourner sur nous mêmes le rayon de notre attention. « Faire n’importe quoi plutôt que rien » : qui de nous, en effet, n’a jamais éprouvé le poids de cette contrainte à constamment « donner le change ». Cette expression est intéressante. Elle désigne l’acte de simuler quelque chose aux yeux de quelqu’un pour lui faire prendre une chose pour une autre ou mieux encore pour se présenter à lui tel qu’on n’est pas. On fait semblant de s’activer à une tâche pour envoyer l’image de celle ou celui qui est pris comme les autres dans cette frénésie de l’occupation à tout crin. Ce qui intéresse ici l’auteur ce n’est pas tant l’acte même de cette dissimulation que l’effet de lourdeur et de contrainte sociale dont il témoigne. Donner le change à cet esprit du temps de l’hyper-activité trahit exactement cette pression d’un climat de nos sociétés modernes: rien ne serait plus honteux que de s’avouer méditatif, rêveur, désoeuvré, alors même qu’il est très possible que ce soit justement dans ce désoeuvrement et seulement en lui qu’une oeuvre peut voir le jour, ou le souci de faire de sa vie une oeuvre.

Si nous voulons explorer plus profondément l’origine même de cette hyper-activité et la cause de cette injonction continuelle à « se bouger » à « ne pas rester là », à s’activer,    à envoyer continuellement aux autres les signaux extérieurs de l’occupation, du travail à faire, il convient de donner de l’importance à l’hypothèse du déni, dans les termes mêmes de tout ce que la psychanalyse nous a déjà fait comprendre de la dénégation (notamment avec l’analyse du président Schreber par Freud).  La dénégation décrit ce processus par le biais duquel on est tellement impliqué dans un travail de dissimulation acharnée  de la vérité que l’on sombre dans la pathologie, dans l’excès de la fausse image de soi. Schreber par exemple en fait beaucoup trop dans l’amour délirant qu’il prétend vouer à sa femme pour que cela ne cache pas la tentative inconsciente de cacher quelque chose. Quoi? La vérité de son homosexualité.  De la même façon nous sommes trop dans la démonstrativité de notre activité pour que cela ne cache pas la vérité du dasein heideggerien, lequel finalement ne fait qu’un avec le fond de l’affirmation pascalienne selon laquelle « le malheur des hommes vient de ne pas savoir demeurer en repos , dans une chambre ». Il faut rajouter à cette thèse  de Pascal dont il va malheureusement se détourner lui-même en considérant que l’être humain est incapable de tenir ce défi pourtant heureux de la méditation solitaire  que c’est justement cela qui s’effectue dans ce repos: le face à face avec sa condition la plus évidente, la plus vraie, la plus « crue ». L’être humain ne pouvant tenir le choc de l’absurdité, de la contingence et de la finitude de son existence se divertit, ce qui signifie qu’il se détourne de l’expérience authentique consistant à s’accepter comme « étant là » et juste « là » en se jetant dans cette course effrénée et parfaitement simulée, inauthentique du « travail ».

Cela signifierait que derrière tous ces discours politiques et économiques glorifiant la « valeur travail », ce qu’il y a ce sont des petits hommes effrayés , tétanisés par la peur de se confronter à la réalité de leur sort, de leur présence. On ne peut envisager concrètement cette thèse sans être pris.e d’un certain vertige. Tout ce que nous subissons aujourd’hui en termes d’injonctions à « travailler plus », d’augmentation du temps de l’activité par rapport à la retraite, d’invitations à prendre le train en marche de la productivité et du progrès: tout ceci ne ferait que cacher la peur panique de l’être humain de se confronter enfin à l’angoisse, à l’ennui, au désœuvrement de sa condition première, effective, de l’acceptation la plus pure et la plus inconditionnelle de ce qu’il est, de ce qu’il est au regard du fait d’être, à savoir "un être pour lequel il est dans son être question de son être." Dans le Dasein, l’être humain est vraiment confronté au néant de sa condition, du moins en ce sens que rien ne le porte, rien ne le légitime, rien ne rend raison de sa présence ici (ce qui n’est pas du tout le cas pour les autres animaux, à cause du biotope). C’est de ce néant là dont nous avons peur et dont  nous  nous détournons  par le travail et ce que nous vivons aujourd’hui c’est la phase de démence paranoïaque de cette peur qui nous tétanise, comme le président Schreber. 

Le Dasein est un concept heideggerien et pas nietzschéen. Toutefois il ne fait aucun doute 1) Que Nietzsche est un philosophe qui ne cesse de se définir comme un « diagnostiqueur » de symptômes concernant l’être humain et 2) qu’en tant qu’ancien admirateur de Schopenhauer, il se rallierait sans problème et sans réserve à cette condition de l’être humain privé de sens, au sein d’un monde offert à la volonté de puissance 3)  de plus nous retrouvons exactement dans la définition du dasein ce mixte de contingence et de nécessité (fatalité) auquel renvoie le critère du surhomme à savoir l’éternel retour.



Ce rôle de « diagnostiqueur » est repris aujourd’hui par un sociologue allemand Hartmut Rosa qui prolonge l’essentiel des thèses de Nietzsche et les adapte s’il est besoin, à notre époque. Il propose de distinguer trois catégories dans cette accélération: 1) technique 2) social 3) pratique

1) La technologie rend possible la dématérialisation par le biais de laquelle nos expériences ne s’effectuent plus dans l’espace. Nous n’existons quasiment plus dans un « lieu », nous nous démultiplions dans un temps ramassé. C’est bien les conséquences de ce fantasme d’ubiquité par lequel nous nous laissons hypnotiser. Rien ne semble plus significatif à cet égard que la multiplication des autoroutes. Plutôt que de savourer un trajet, nous faisons le choix de nous masser sur de grands axes ultra fréquentés, payants, identifiables, communs. Déjà le philosophe français Henri Lefèvre avait bien perçu cette modification de l’espace par l’accélération technique du temps: 

« Pour dominer un espace, la technique introduit dans un espace antérieur une forme, le plus souvent une forme rectiligne, rectangulaire (le maillage, le quadrillage). L’autoroute brutalise le paysage et le pays : elle tranche, comme un grand couteau, l’espace. L’espace dominé est généralement clos, stérilisé, vide. […] La construction des autoroutes favorise à la fois les sociétés pétrolières et les constructeurs d’automobiles : chaque mille nouveau permet une augmentation du nombre des voitures. Lequel entraîne un accroissement de la consommation d’essence. Donc de la taxe. Et ainsi de suite.  Virtuellement, l’auto et l’autoroute occupent l’espace entier. Ainsi se démonte le mécanisme d’une “logique”, autrement dit, d’une stratégie. »
Henri Lefebvre, La Production de l’espace (1974)

Il existe un film de David Cronenberg:  « Crash » qui explore sous un angle très particulier et fantasmatique cette vitesse et cette nouvelle donnée. Comment le désir va s’insinuer dans ce tissu urbain ultra rapide? 



C’est aussi dans la perspective de cette dématérialisation que nous pouvons situer l’obsolescence programmée, l’usure accélérée d’objets rapidement hors service. On arrive ainsi au paradoxe hallucinant d’une technologie sciemment orchestrée et structurée par créer des produits de médiocre qualité. Des ingénieurs sont sommés de fragiliser et de médiocriser leur savoir-faire.

2) L’accélération sociale se caractérise par la tentative de caser une multiplicité d’activités sociales dans un présent. Lorsque Virginia Woolf décrit la littérature comme l’acte de s’attirer les atomes, elle désigne une montée en puissance de l’intensité perceptive. Il s’agit de se rendre sensible à la profusion de détails qui ne font qu’être là. Cette saturation suppose une hypersensibilité qui se rend attentive aux héccéïtés, c’est-à-dire aux points remarquables qui constellent tous les fils de nos sensations de points de cristallisation esthétiques. En clair c’est exactement le contraire de l’accélération sociale pour laquelle il s’agit au contraire d’être hyper actif dans la constitution de réseaux de relations de plus en plus éphémères. 

3) l’accélération « pratique » : ce dernier point est particulièrement probant, édifiant. Les progrès de la technologie sont censés nous « donner du temps » (qui pourrait être consacré à l’otium) mais à l’inverse, ils sont l’occasion d’en « occuper » plus pour des tâches connotées comme rentables. C’est comme si « rentabiliser » devenait un aboutissement, une finalité en soi: on se dégage du temps pour le remplir de cette hyper activité de se dégager du temps de telle sorte que ce dégagement jamais ne s’effectue. On gagne du temps par rapport à l’écriture manuscrite d’une lettre à un personne mais ce temps « gagné » permet du coup d’écrire à plusieurs personnes, de telle sorte que les relations établies avec chacune d’elle seront nécessairement plus superficielles. La quantité d’amitiés peu fiables et peu profondes croît au détriment de relations moins nombreuses mais authentiques. Faire plus vite permet de faire plus mais pas de faire mieux. Et c’est exactement le même processus dans toutes nos activités pratiques.  

Quel est le résultat de cette accélération? Le dépérissement de toutes les formes dit Nietzsche, c’est-à-dire le détournement de tout ce qui nourrit notre perception, des manifestations du réel. Nous pourrions ici penser à l’expression: « mettre les formes » désignant ce soin ce tact dont nous faisons preuve quand il s’agit de mener à bien une tâche précieuse, appliquée, délicate, comme si tout dans nos relations, nos perceptions, nos ressentis, nos affects, nos expériences réclamait une attention particulière qui est moins soucieuse du résultat que de trouver le kairos, le bon moment, le bon dosage. 

Cela se déplace aussi sur le terrain pur de notre immersion sensible dans la réalité dans la nature, dans la ville. Cette « mélodie du mouvement » évoquée par Nietzsche n’est as sans rappeler cette affirmation très épurée du philosophe danois Kierkegaard: « je ne regarde qu’aux mouvements » Gilles Deleuze écrit dans « différence et répétition » qu’il y a une force commune dans les œuvres de Kierkegaard et de Nietzsche. Il poursuit: « il s’agit d’un mouvement […] qui est tout à fait différent du mouvement imaginaire des représentations ou du mouvement abstrait des concepts tels qu’ils ont lieu d’habitude à travers les mots. » 





            Pour bien faire comprendre cette idée difficile mais fondamentale nous pourrions évoquer la peinture et plus encore Cézanne. Peut-on développer une attention au paysage suffisamment authentique pour désir dans la pomme la puissance de maturation, dans la montagne les évolutions de strates et d’ères minérales, dans un visage le flétrissement des couches épidermiques, etc?  Ne « regarder qu’au mouvement », c’est finalement affûter ses faculté de perception jusqu’à se rendre sensible à ce qui dans « les choses » bougent, à ce qui finalement n’est jamais statique ni stable mais pris dans le flux d’une durée.  Les tableaux de Cézanne sont particulièrement efficaces puisque l’afflux de petites touches noie totalement la notion même de contours dans une explosion de nuances ponctuelles, vitrifiées dans la confusion desquelles quelque chose de la durée même se discerne peu à peu.




Nietzsche et Kierkegaard, aussi distincts que soient les contenus respectifs de leurs thèses ont en commun la création d’une écriture très littéraire dans laquelle il est moins affaire de dire quelque chose que de susciter chez les lecteur.trice.s des intensités puissantes.  Ne regarder qu’au mouvement, c’est finalement accorder moins d’attention à la présence physique d’une personne dans un lieu qu’aux intensités libérés dans une sensibilisation au milieu. C’est exactement ce que signifie le peintre Henri matisse lorsqu’il affirme que « peindre un arbre c’est ne faire qu’un avec le mouvement de sa croissance. »




             Si l’on développe suffisamment d’attention pour saisir toutes les modalités d’ancrage de l’arbre au sol, au terreau, à tout ce qui de fait nourrit la croissance, on touchera du doigts les modalités d’une durée qui est celle de la pousse, de la montée en sève du durcissement de l’écorce, de l’extension des ondes fibreuses du temps au coeur même de l’arbre. C’est ça un arbre, à savoir justement pas une chose mais la transformation d’une matière dans l’effervescence conjuguée des forces végétales, terriennes, lumineuses, thermiques, atmosphériques, gravitationnelles, etc. Finalement ici encore, il est question de décliner notre rapport à notre milieu à l’aiôn plus qu’à chronos, à une perception plus qu’à des exigences de rendement. 




c) Discrédit de l’otium et loisir bêtifiant

Notre réception de l’art et de la peinture traduit exactement tout ce dont iil est question ici: l’idée même selon laquelle l’artiste serait en réalité un observateur plus et mieux avisé que nous pour saisir dans la réalité la plus « donnée », la plus brute, c’est-à-dire la plus « là » la vérité de la présence d’un monde ou d’une nature est totalement rejetée au profit d’une marginalisation, d’une considération de l’art comme imagination sublime ou perte de temps inutile, vouée au divertissement de telle sorte qu’ici encore ce loisir studieux de l’otium esthétique est exclu de nos modes de vie moderne au profit d’une consommation des musées, du tourisme culturel et lucratif, de la substitution du produit à l’œuvre via plusieurs artistes effroyablement conciliants (Andy Warhol). 




            Puisque le Negotium écrase l’otium, il est logique que le loisir divertissant prenne toute la place de notre pseudo temps libre et réduise à peau de chagrin le loisir studieux, créatif. « On est fatigué et l’on aimerait…se vautrer de tout son long, de tout son large et de tout son poids »

Finalement Nietzsche dit exactement du travail ce que Marx a affirmé de la religion: « La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit des conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple.”



Dans le loisir hébété, tétanisé, avilissant de crétinerie béate et extatique,  Nietzsche perçoit la même toxicité que celle que Marx situe dans la religion, mais précisément Nietzsche ne dirait pas cela de la religion, en tout cas du religieux, car c’est bien de cela dont le loisir abrutissant  est empreint: d’une absence totale de tact, de délicatesse, de révérence envers son prochain comme en témoigne le temps passé à écrire. Nous sommes aujourd’hui en constante communication avec nos proches. Rien ne leur échappe de notre vie, nos déplacements, nos occupations, notre planning, notre vie sentimentale, nos achats. Mais qu’en est-il de la profondeur de nos engouements, de nos passions, de nos rêves? Nous communiquons tout à tout le monde sans la moindre retenue avec une parfaite impudeur et une absence de réserve consternante.  Les contenus échangés sont de l’ordre de la connexion gratuite du point de vue de la conversation (car précisément: elle n'est pas financièrement gratuite). Nous nous tenons au courant de ce que nous faisons: « je suis ici, je fais cela , etc. » Ce n’est jamais le résultat de ce que cela produit « en nous », de ce que cela change à notre être mais une sorte de "to do list" faite ou à faire par la publication de laquelle nous sommes comme soucieuse.x de vérifier que l’autre est tout aussi pris que moi dans des occupations inintéressantes, banales, mortifères, consternantes de banalité: "ennuyons nous en attendant la mort".

Les lettres manuscrites pourtant témoignent de l’importance et du temps que nous sommes prêt.e.s à sacrifier à l’amitié de nos proches, des personnes qui nous importent. Il n’est pas douteux que l’utilisation de l’ordinateur pourrait ne rien changer à cette implication, mais ce n’est certainement pas le cas pour Tweeter ou X. Les technologies nouvelles de communication font porter l’excellence sur des critères d’efficacité, de réduction des espaces mondains, de diffusion gratuite de contenus indigents. L’univers devient un village au sein duquel se diffuse un esprit de conformité et d’appauvrissement. De fait si Nietzsche a raison st si l’on reconnaît la valeur d’une époque au temps consacré par ses contemporains à la rédaction d’une correspondance (et non de plusieurs en même temps), alors de fait, la nôtre est inversement proportionnel  aux avancées de notre technologie.

Pourtant ce n’est pas sans raison que nous baptisons notre temps et plus particulièrement ce modèle de société occidentalisée qui malheureusement via le modèle économique du libre échange est devenu celui du monde de « civilisation des loisirs ». Encore faut-il distinguer le plaisir et la joie.




Le plaisir est une sensation analysable, stimulée par des neuro-transmetteurs dont on peut identifier le canal et la nature. La sérotonine, la dopamine, la noradrénaline et l’endorphine  sont parfois présentées comme les neurotransmetteurs du bonheur, ce qui n’est pas défendable dés lors que l’on réfléchit un peu sur les termes. 

        Le bonheur ne décrit pas un ensemble de sensations ponctuelles mais une disposition durable de l’âme dans laquelle une personne peut s’installer et jouir d’une certaine prédisposition à saisir n’importe quel évènement comme favorable. Bon "heur"  vient du latin augurium qui signifie augure, bon auspice, signe favorable, fatalité chanceuse ("je n'ai pas le bon heur de vous connaître"). Il existe un rapport fondamental, principiel, entre le bonheur et le hasard. Si nous pouvions accéder au bonheur par des moyens, par un mode d’emploi, celui-ci serait connu et appliqué à tout le monde. Mais le bonheur a quelque chose de plus obscur, de plus corrélé à du « non déclenchable », du non stimulable, sa jouissance n’est en aucun cas automatique, ni automatisable. C'est dire à quel point elle n'est pas perméable à une économie de "moyens". Nous ne sommes jamais heureuse.x à cause de quelque chose, mais seulement « à l’occasion » de quelque chose. Le bonheur est une question de kairos, pas d’objet ni même de circonstances qui seraient propices à quelque chose d'extérieur à elle-même. le bonheur, contrairement au plaisir ne peut être atteint par une poiesis mais c'est nécessairement, fondamentalement de la praxis, autrement dit de la skholé de l'otium.

Il existe une zone localisable du plaisir alors qu’il est parfaitement inutile voire ridicule de vouloir circonscrire  une zone physique du bonheur.  Il est absolument  impossible de comprendre exactement les paroles de Nietzsche: « qu’ils sont peu exigeants en matière de « joie » nos hommes cultivés et incultes. » Sans cette distinction évidente entre joie, bonheur d’une part, et plaisir de l’autre, cette phrase est incompréhensible. Les loisirs que nous visons aujourd’hui sont ceux que nous rendent accessible notre travail motivé par le gain exclusivement financier. Nous voulons AVOIR des plaisirs, ceux que nous avons gagnées par la pratique d’un travail accompli pour avoir mais ETRE heureux n’est pas impliqué dans cette routine là.


un hamster humain pris dans "la roue de la fortune"

Quelle est exactement cette « suspicion croissante à l’égard de la joie » ? Il convient de bien saisir l’inversion des valeurs telle qu’elle est déjà efficiente dés le début du texte et telle qu’elle va éclater dans le dernier mouvement du texte. C’est vers cette révélation là, celle d’une cité de l’antiquité grecque où l’otium était plus valorisé que le travail, que nous nous dirigeons. Mais qu’est-ce que l’otium? 

            Le contraire du neg/otium, du négoce, de l’arrangement, du marchandage, de l’art de monnayer sa vie pour être "le petit malin de son existence" (celui qui fait mieux que tout le monde parce qu'il trouve tout à moitié prix et qui, sans s'en rendre compte mène ainsi une vie "de moindre prix", de "moyennant". Il tombe dans ce cercle vicieux qui consiste, au sens littéral, à travailler pour « avoir les moyens », de telle sorte qu’il n’existe plus finalement de « finalité », car on ne voit pas comment VIVRE (qui est un fait) pourrait devenir une question de « moyens ».             L’être humain est un être pour lequel « ce que c’est qu’être » n’est pas déterminé, d’où notre étonnement pour Aristote, notre déni de la méditation pour Pascal, notre angoisse de Dasein pour Heidegger mais notre vie, elle « est ». Nous vivons , de fait. C’est comme ça. Mais il est probable que nous ayons confondu vivre et exister, de telle sorte que nous mettons en question ce qui n’a pas à l’être: « VIVRE » et ne nous interrogeons pas sur ce qui au contraire devrait être questionné à savoir justement « ETRE ». Nous avons évolué vers une société dans laquelle ce questionnement sur notre être (qui devrait vraiment constituer « notre lieu », celui d'une réflexion sur soi que nous pourrions investir avec « bonheur » parce que même si nous sommes des Dasein angoissés, il ne peut se libérer que du bonheur à se confronter avec ce que l’on est en vérité) est absurdement devenu une remise en question permanente de la vie, une mise sous conditions de ce qui justement nous a été donné: vivre. 

Nous mettons à l’épreuve le fait de vivre avec un travail considéré comme un donnant/donnant , comme du marchandage si bien qu’évidemment un fossé va se creuser entre celles et ceux qui ont les moyens, c’est-à-dire qui passent leur vie à avoir les moyens de vivre (sans exister)  et celles et ceux qui ne les ont pas ou qui les ont difficilement. Inversement nous ne nous interrogeons plus du tout sur ce qui pourtant devrait occuper fondamentalement notre temps libre, le champ entier de nos préoccupations: Etre. 

            La philosophie, l’art, la science, la politique (la vraie politique: créer une cité qui puisse servir de matrice à ce types d’être capable de créer de toutes pièces ce dont la nature ne nous a pas crédité, soit une manière d’être, un style spécifique d’être qui puisse donner lieu à une aventure à laquelle nous sommes voués à la différence de tous les autres animaux) sont les activités mêmes de l'otium. Il nous faut créer les lois  à l’intérieur desquelles nous serions à même de ne pas sombrer dans la démesure de nous prendre pour des Dieux ni de tomber plus bas que les créatures à biotopes que sont les animaux et les plantes. Être humain est une affaire de mesure. Protagoras, sophiste grec, disait que « l'homme est mesure de toutes choses »  mais en réalité il faudrait inverser cette affirmation: « l’homme est la « chose » de la mesure » et plus encore, comme ne cesse de le dire Aristote « une créature de la juste mesure ». L’être humain est un être dont la feuille de route est de réfléchir et de rendre praticables les conditions nous permettant d’accomplir pleinement un certain type d’existence: un être humain. C’est cela que nous appelons un « ethos », rendant nécessaire une éthique. 




Mais voilà qu’au lieu de ça, nous inversons totalement les valeurs et les normes de comportement en fragilisant le vivre et en nous détournant de l’exister. Mais pourquoi faisons nous ça?

Etrangement c’est Pascal qui répond le mieux à cette question:  « j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » 

Peut-être faudrait-il rajouter à cette proposition qu’il serait quand même nécessaire, voire crucial que cet être humain sorte de sa chambre dans laquelle il s’est réellement confronté à sa condition (condition d’être « en suspens ») pour intégrer une instance de délibérations, c’est-à-dire ce que les grecs appelaient l’agora,  au sein de laquelle des êtres humains prendront des décisions d’êtres humains pour cette espèce  particulière démunie de toute indication pour ce qu’il en est d’être. Mais l’intuition de Pascal est à la fois géniale et étrangement inaboutie, comme s’il n’avait pas voulu la conduire à ses conséquences logiques: si tout le malheur des hommes vient de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre, dans l’appréhension pure de sa condition absurde de dasein, alors le bonheur est justement de savoir le faire, et il n’est pas exclu qu’il y parvienne, il est même hautement nécessaire qu’il y arrive parce que c’est la source pure de la  joie d’apprendre et de se cultiver en vue de devenir à plein régime ce que de toute façon nous sommes: des êtres qui, ne sachant pas comment être, ont à le construire, à l’édifier dans un mode de vie qui ne soit voué qu’à créer continuer de la « mesure d’être », de l’ethos, de l’attitude. 

Nous, êtres humains, sommes voués au tremblement, à l’ennui, à l’angoisse. Nous percevons ce que le fait d’exister revêt de terrifiant, d’hallucinant,  d’incompréhensible, mais aussi de merveilleux, de miraculeux, de sacré. Exister, c’est tragique, c’est l’épreuve même du tragique. Quiconque en affronte la révélation sans l’éluder jouit d’un bonheur certain qui est simplement celui d’être dans le vrai et de le savoir, de l’éprouver, d’en jouir  par le biais d’une expérience effective: la joie. C’est le contraire du déni dans lequel aujourd’hui l’humanité se vautre: le transhumanisme d’un technicisme arrogant et finalement futile.




Mais Pascal lui-même recule devant l’évidence de ses conclusions tout occupé qu’il est à orienter l’être humain vers ce qui constitue selon lui son salut: la foi. Il décrit ainsi à merveille  et sans s’en douter l’évolution actuelle de l’être humain qui crée en lieu et place d’une civilisation du bonheur, une civilisation des faux plaisirs. L’être humain, créature vouée par essence à l’otium, devient la créature des divertissements: le travail et des "divertissements au divertissement": les plaisirs addictifs à la drogue, à l’alcool, à la télévision, à la publicité, aux réseaux sociaux. Notre seule question aujourd’hui est de savoir comment inventer de nouvelles addictions grâce auxquelles nous pourrons oublier la vérité d’une condition écologiquement de plus en plus précaire. Nous avons créé le système économique qui rend cet oubli praticable: le capitalisme, et sommes en train de verser vers une espèce de religion sans religieux qui tente, contre toute évidence, de nous convaincre du bien fondé d’un comportement à tous égard insoutenable: le transhumanisme.



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