Texte
de Kant extrait des fondements de la métaphysique des mœurs
« Agis
seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps
qu’elle devienne une loi
universelle. »
(L’impératif catégorique
est la clé de voûte de la morale Kantienne. Une action peut être dite
« morale » lorsque elle est accomplie par une bonne volonté. Mais
qu’est-ce qu’une bonne volonté ? Une intention qui ne se détermine en
fonction d’aucun motif pathologique, sensible, affectif. Nous agissons
« bien » lorsque le principe qui motive notre acte est animé
exclusivement par la forme même de toute loi, soit l’universalité. Puis-je
vouloir qu’un monde soit régi par la maxime de cette action ? Si la réponse
est oui, alors mon acte peut être dit « moral ». Nous
« portons » un monde à chacune de nos initiatives.)
Texte de Kant extrait de
la « préface à la seconde édition de la Critique de la Raison Pure »
« Quand Galilée fit
rouler ses sphères sur un plan incliné avec un degré d'accélération dû à la
pesanteur déterminé selon sa volonté, quand Torricelli fit supporter à l'air un
poids qu'il savait lui-même d'avance être égal à celui d'une colonne d'eau à
lui connue,... ce fut une révélation lumineuse pour tous les physiciens. Ils
comprirent que la raison ne voit que ce qu'elle produit elle-même d'après ses
propres plans et qu'elle doit prendre les devants avec les principes qui
déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, qu'elle doit obliger la
nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser conduire pour ainsi dire
en laisse par elle ; car autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé
d'avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire,
chose que la raison demande et dont elle a besoin. Il faut donc que la raison
se présente à la nature tenant, d'une main, ses principes qui seuls peuvent
donner aux phénomènes concordants entre eux l'autorité de lois, et de l'autre
l'expérimentation qu'elle a imaginée d'après ces principes, pour être instruite
par elle, il est vrai, mais non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce
qu'il plaît au maître, mais au contraire comme un juge en fonctions qui force
les témoins à répondre aux questions qu'il leur pose.
»
(Ce texte revient
historiquement sur la naissance de la science moderne (Galilée, Descartes,
Bacon). Kant décrit ici la « révolution » qui transforma l’esprit
scientifique lorsque des expérimentateurs réalisèrent que la nature n’avait
rien à nous dire. Il faut lui poser des questions, c’est-à-dire la forcer à
répondre à des hypothèses. « La raison ne voit que ce qu’elle produit
elle-même d’après ses propres plans « : cette affirmation est
vraiment cruciale car elle pose les limites du champ de compréhension et
d’action de l’homme sur la nature mais en même temps elle ne reconnaît à la
nature aucune légitimité à opposer quoi que ce soit aux questions posées par le
scientifique dés lors qu’elles sont bonnes. Finalement elle se limite à devenir
le laboratoire du scientifique, lequel dés lors a à faire moins preuve de curiosité
que d’invention. La science ne progresse et ne s’assume que lorsque le savant
est un activiste qui n’attend rien mais qui provoque sans cesse en la questionnant
par des expérimentations.)
Texte de Hegel extrait de
« phénoménologie de l’esprit »
"Il semblait que, dans et par le
travail, l'Esclave est asservi à la Nature, à la chose, à la « matière première
», tandis que le Maître, qui se contente de consommer la chose préparée par
l'Esclave et d'en jouir, est parfaitement libre vis-à-vis d'elle. Mais en fait
il n'en est rien. Certes, le Désir du Maître s'est réservé le pur acte-de-nier
l'objet en le consommant, et il s'est réservé - par cela même - le sentiment
de-soi-et-de-sa-dignité non mélangé éprouvé dans la jouissance. Mais pour la
même raison cette satisfaction n'est elle-même qu'un évanouissement ; car il
lui manque l'aspect objectif-ou-chosiste, c'est-à-dire le maintien-stable. Le
Maître, qui ne travaille pas, ne produit rien de stable en dehors de soi. Il
détruit seulement les produits du travail de l'Esclave. Sa jouissance et sa
satisfaction restent ainsi purement subjectives : elles n'intéressent que lui
et ne peuvent donc être reconnues que par lui ; elles n'ont pas de « vérité »,
de réalité objective révélée à tous. Aussi, cette « consommation », cette
jouissance oisive de Maître, qui résulte de la satisfaction « immédiate » du
désir, peut tout au plus procurer quelque plaisir à l'homme ; elle ne peut
jamais lui donner la satisfaction complète et définitive. Le travail est par
contre un Désir refoulé, un évanouissement arrêté ; ou en d’autres termes, il
forme et éduque. Le travail transforme le Monde et civilise, éduque l'Homme.
L'homme qui veut - ou doit - travailler, doit refouler son instinct qui le
pousse à « consommer » « immédiatement » l'objet « brut ».
Et l'esclave ne peut travailler
pour le Maître, c'est-à-dire pour un autre que lui, qu'en refoulant ses propres
désirs. Il se transcende donc en travaillant ; ou si l'on préfère, il s'éduque,
il « cultive », il « sublime » ses instincts en les refoulant. D'autre part, il
ne détruit pas la chose telle qu'elle est donnée. Il diffère la destruction de
la chose en la transformant d’abord par le travail ; il la prépare pour la
consommation ; c'est-à-dire il la « forme ». Dans le travail, il transforme les
choses et se transforme en même temps lui-même : il forme les choses et le
monde en se transformant, en s'éduquant soi-même ; et il s'éduque, il se forme,
en transformant des choses et le Monde. »
(Pour
comprendre ce passage qui est l’un des plus déterminants sur la question du
travail, il
faut citer le meilleur commentateur de l’œuvre
de Hegel soit Alexandre Kojève :
"Le
Maître force l'Esclave à travailler. Et en travaillant, l'Esclave devient
maître de la Nature. Or, il n'est devenu l'Esclave du Maître que parce que – au
prime abord – il était esclave de la Nature, en se solidarisant avec elle et en
se subordonnant à ses lois par l'acceptation de l'instinct de conservation. En
devenant par le travail maître de la Nature, l'Esclave se libère donc de sa
propre nature, de son propre instinct qui le liait à la Nature et qui faisait
de lui l'Esclave du Maître. En libérant l'Esclave de la Nature, le travail le
libère donc aussi de lui-même, de sa nature d'Esclave : il le libère du Maître.
Dans le Monde naturel, donné, brut, l'Esclave est esclave du Maître. Dans le
Monde technique, transformé par son travail, il règne – ou, du moins, règnera
un jour – en Maître absolu. Et cette Maîtrise qui naît du travail, de la
transformation progressive du Monde donné et de l'homme donné dans ce Monde,
sera tout autre chose que la Maîtrise "immédiate" du Maître. L'avenir
et l'Histoire appartiennent donc non pas au Maître guerrier, qui ou bien meurt
ou bien se maintient indéfiniment dans l'identité avec soi-même, mais à
l'Esclave travailleur. Celui ci, en transformant le Monde donné par son
travail, transcende le donné et ce qui est déterminé en lui-même par ce donné ;
il se dépasse donc, en dépassant aussi le Maître qui est lié au donné qu'il
laisse – ne travaillant pas – intact. Si l'angoisse de la mort incarnée pour
l'Esclave dans la personne du Maître guerrier est la condition sine qua non du progrès historique,
c'est uniquement le travail de l'Esclave qui le réalise et le parfait. [...]
Le travail transforme le Monde et civilise, éduque l'Homme. L'homme qui veut -
ou doit - travailler, doit refouler son instinct qui le pousse à
"consommer" immédiatement l'objet "brut". Et l'Esclave ne
peut travailler pour le Maître, c'est-à-dire pour un autre que lui, qu'en
refoulant ses propres désirs. Il se transcende donc en travaillant ; ou si l'on
préfère, il s'éduque, il "cultive", il "sublime" ses
instincts en les refoulant. [...] Il transforme les choses et se transforme en
même temps lui-même : il forme les choses et le Monde en se transformant, en
s'éduquant soi-même ; et il s'éduque, il se forme, en transformant des choses
et le Monde.")
Texte de Kierkegaard
extrait de son journal
« Ce qui me manque, au
fond, c'est de voir clair en moi, de savoir ce que je dois faire, et non ce que
je dois connaître, sauf dans la mesure où la connaissance précède toujours
l'action. Il s'agit de comprendre ma destination, de voir ce que Dieu au fond
veut que je fasse; il s'agit de trouver une vérité qui en soit une pour moi, de
trouver l'idée pour laquelle je veux vivre et mourir. Et quel profit aurais-je
d'en dénicher une soi-disant objective, de me bourrer à fond des systèmes des philosophes
et de pouvoir, au besoin, les passer en revue, d'en pouvoir montrer les
inconséquences dans chaque problème ? [...] C'est de cela que mon âme a soif,
comme les déserts de l'Afrique aspirent après l'eau... C'est là ce qui me
manque pour mener une vie pleinement humaine et pas seulement bornée au
connaître, afin d'en arriver par-là à baser ma pensée sur quelque chose - non
pas d'objectif comme on dit et qui n'est en tout cas pas moi - mais qui tienne
aux plus profondes racines de ma vie, par quoi je sois comme greffé sur le
divin et qui s'y attache, même si le monde croulait. C'est bien cela qui me
manque et à quoi j'aspire. »
(Kierkegaard
s’oppose à Hegel et à Kant. Il défend ici la conception d’une vérité
subjective. Lorsque nous trouvons le bon résultat d’une équation, nous avons
mis en œuvre une démarche rationnelle et universelle. C’est justement parce que
nous ne sommes personne de singulier que nous avons réussi. Kierkegaard plaide
en faveur d’une conception totalement contraire à celle-ci. On pourrait parler
d’une vision idiosyncrasique (relative à une personne « en propre »,
unique) de la vérité. Il y a quelque chose de Kierkegaardien (la violence en moins évidemment) dans le geste de
Tyler Durden, dans le film « Fight Club » de David Fincher, lorsque
il braque un épicier pour que celui-ci revienne à lui-même, à ses goûts
profonds, authentiques, devenir vétérinaire. Chacun de nous se sent porteur d’un « potentiel ».
Il n’y a de vérité qu’au gré du geste de la vie « assumée ». Il nous
faut être ce que l’on se sent « devoir être » mais précisément par ce
dernier terme, il ne convient d’entendre aucun sacrifice à une morale
universelle Kantienne. Il est plutôt question de libérer le potentiel dans
lequel on se sent consister.
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