« La pensée n’est rien d’«intérieur», elle n’existe pas hors du monde et hors des mots. Ce qui nous trompe là-dessus, ce qui nous fait croire à une pensée qui existerait pour soi avant l’expression, ce sont les pensées déjà constituées et déjà exprimées que nous pouvons rappeler à nous silencieusement et par lesquelles nous nous donnons l’illusion d’une vie intérieure. Mais en réalité ce silence prétendu est bruissant de paroles, cette vie intérieure est un langage intérieur. La pensée « pure » se réduit à un certain vide de la conscience, à un vœu instantané. L’intention significative nouvelle ne se connaît elle-même qu’en se recouvrant de significations déjà disponibles, résultat d’actes d’expression antérieurs. Les significations disponibles s’entrelacent soudain selon une loi inconnue, et une fois pour toutes un nouvel être culturel a commencé d’exister. La pensée et l’expression se constituent donc simultanément.
Maurice Merleau-Ponty
1) Définissez a) le thème de ce texte b) sa thèse c) son enjeu d) son plan
2 )Que veut dire Merleau-Ponty lorsqu’il écrit a) « ce silence prétendu est bruissant de paroles » b) « Les significations disponibles s’entrelacent selon une loi inconnue » c) « un nouvel être culturel a commencé d’exister. »
3) Selon vous, pouvons nous penser une impression sans nous l’exprimer à nous-mêmes par du langage? Justifiez
4) Le langage nous permet-il de nous connaître nous-même?
1)Thème: il est souvent difficile d’exprimer notre pensée telle qu’elle nous vient et le sentiment demeure d’un déficit entre la pensée « pure », instantanée, et la formulation postérieure, progressive, tâtonnante de celle-ci. Nous adhérons alors à l’idée de cette dualité entre une intériorité riche, profonde, ineffable et son expression linguistique certes pratique mais approximative et seconde, voire secondaire par rapport à l’authenticité d’une présence indicible en notre « for intérieur ». Thèse: Tout le propos de Maurice Merleau-Ponty ici est de rejeter cette représentation illusoire d’une forme de trahison de notre vie intérieure et authentique par les mots, en assignant l’origine du sentiment de cette antériorité d’une présence ineffable par rapport à son expression au travail silencieux de nos mots usant de significations premières, « efficientes en sous-main ». Toute pensée qui vient à l’esprit est déjà une donnée linguistique, mais cette primauté est paradoxalement ancienne parce que toute langue se présuppose constamment elle-même à la fois par ses signifiants et par les opérations syntaxiques qui les relient les uns aux autres. C’est toujours à partir de structures et de termes déjà là que nous concevons une pensée nouvelle et c’est cette construction d’un sens encore inconnu à partir d’éléments et d’opérateurs déjà bien connus qui crée le sentiment illusoire d’un « avant les mots », d’une vie intérieure. L’enjeu: il est donc question pour Merleau-Ponty de se positionner clairement sur cette question philosophique de l’ineffable en le réfutant radicalement: il n’y a pas de pensée sans langage. Plan: Dans un premier temps, Merleau-Ponty explique en quoi consiste l’illusion de la vie intérieure. Il lui oppose ensuite directement la thèse contraire à laquelle il adhère avant de développer dans un troisième temps cet effet d’antériorité de la langue par le biais duquel elle se présuppose constamment elle-même, mais ce troisième moment est beaucoup plus argumentatif que les deux précédents parce que l’auteur s’attaque à l’objection fondamentale de la thèse qu’il défend: comment se fait-il que nous puissions concevoir des pensées nouvelles avec des significations toujours anciennes? Il évoque alors la notion de « loi inconnue », expression censée rendre compte de la capacité du langage à créer des énoncés toujours dotés d’un sens nouveau sur le fond d’une systématique totalitaire et présupposée.
2)« Ce silence prétendu est bruissant de paroles »: Qu’est-ce que penser? Nous sommes tentés de répondre par un temps plus que par la description d’une action. Nous pensons avant d’agir, avant de parler, et quand nous ne le faisons pas, nous courons le risque de l’erreur, de la précipitation. Penser nous est souvent présenté comme le préalable incontournable à toute action humaine, ou du moins comme ce qui devrait l’être. Penser est cet « avant » par lequel l’homme se singularise, se distingue de l’animal exactement comme Karl Marx le fait remarquer à l’égard du travail (distinction entre l’abeille et l’architecte). De cela seul qu’une action soit effectuée par des hommes découle qu’elle se soit détachée d’une sorte de fond d’écran pensif et toujours déjà efficient. "Nous pensons avant de penser donc nous sommes »: telle pourrait être une autre version du Cogito de Descartes. Aussi loin que l’on puisse remonter afin de fonder notre existence, ce que nous trouvons et sur quoi nous pouvons nous fonder avec certitude, c’est cette capacité de l’homme de toujours se présupposer suffisamment et indéfectiblement en tant que pensée pour que nous soyons dans le pli pensif de cette présupposition là. Mais quelle est la nature de cette efficience, de cette rumeur constante et indubitable? Nous induisons un peu vite la profondeur et l’intimité de la nature première de cette rumeur, comme s’il fallait que ce fond soit silencieux, obscur et intime pour que nous puissions y fonder l’existence de notre personnalité. En réalité, selon Merleau-Ponty, il n’est rien dans la pensée qui soit intérieur. Penser n’est qu’un « effet de surface », mais ce n’est pas pour autant que c’est superficiel. Peut-être faut-il même aller jusqu’à considérer l’être humain comme un effet de surface de cette efficience linguistique de ce que c’est que penser. Réfléchir ne veut pas dire parler à voix haute. Dans notre intérieur, une pensée se forme et arrive à la maturité de sa formulation. Aucune pensée ne surgit « toute faite ». Elle n’est pas un « ready made », elle consiste dans un processus. De ce travail de maturation qui est toujours déjà celui de la langue, nous nous faisons l’image fausse d’un fond obscur et sans mot qui viendrait petit à petit à la surface de la langue, sans réaliser que ce qui est toujours déjà là, c’est la langue elle-même. Toute pensée nouvelle est en réalité un énoncé pourvu d’un sens nouveau qui se constitue par la nouvelle distribution d’éléments et d’opérateurs anciens. Finalement l’effet de présupposition constant de la pensée par elle-même ne peut s’expliquer que si nous l’assimilons exactement à cette capacité qu’a la langue de se présupposer constamment comme un tout. Il n’y pas à chercher plus loin l’origine même de cette présence toujours antérieure et quasi miraculeuse de la pensée humaine. L’image du bruissement est aussi habile que poétique. Il en existe peu qui puisse aussi bien que celle-là illustrer ce fond de rumeur continu, intarissable, systématique sur la base duquel une pensée se détache. Le bruissement de la pensée, c’est celui de ces mots toujours déjà opérationnels, toujours disponibles et anciens qui se cherchent pour accoucher d’un sens inédit. « Les significations disponibles s’entrelacent selon une loi inconnue »: Comment comprendre l’utilisation de ce terme vague flou: loi inconnue? Par la double articulation telle que André
Martinet la décrit: Les significations sont déjà dans les mots et les mots sont là, disponibles, communs, prêts à l’usage, mais je peux les combiner dans un énoncé pourvu d’un nouveau sens. Nous concevons une pensée qui ne nous était jamais venue en tête avant et nous en déduisons hâtivement qu’un élément étranger, obscur, « brut », un peu comme un météorite, « calme bloc d’ici bas chu d’un désastre obscur » Mallarmé, a fait irruption dans notre pensée, en enfonçant la porte. Mais en vérité, pour que cette idée nous vienne, pour que l’évidence fulgurante d’un sens nouveau nous sidère dans l’être à soi de notre conscience, il faut bien qu’il illumine un ciel déjà connu de moi, qu’il soit comme la mise en relation nouvelle d’éléments anciens, de la même façon que la foudre consiste dans la différence de potentiel électrostatique entre deux nuages. C’est ça le sens et les nuages ce sont ces significations anciennes dont nous parle l’auteur. « un nouvel être culturel a commencé d’exister. » les deux dernières lignes du textes sont toutes entières traversées du registre lexical de la nouveauté, de l’instantanéité: « inconnue - nouvel - commencé - Simultanément »: il s’agit de rendre parfaitement compte de la fécondité de la pensée humaine, de sa faculté de création. Rien ne peut commencer sans s’appuyer sur ce qui a toujours déjà commencé, sur le commencement même. Dans cette pensée qui jaillit, qui surgit dans notre esprit toute en mots dans une dimension déjà structurée par les mots, c’est finalement le mode de production le plus humain, le plus culturel, le plus « libre » qui s’effectue. On pourrait dire que c’’est cela: la naissance de l’humain, de la dimension humaine de la civilisation, de la trace humaine. Chaque pensée nouvelle est un nouveau départ pour la culture et cela ne saurait se concevoir autrement que linguistiquement.
Martinet la décrit: Les significations sont déjà dans les mots et les mots sont là, disponibles, communs, prêts à l’usage, mais je peux les combiner dans un énoncé pourvu d’un nouveau sens. Nous concevons une pensée qui ne nous était jamais venue en tête avant et nous en déduisons hâtivement qu’un élément étranger, obscur, « brut », un peu comme un météorite, « calme bloc d’ici bas chu d’un désastre obscur » Mallarmé, a fait irruption dans notre pensée, en enfonçant la porte. Mais en vérité, pour que cette idée nous vienne, pour que l’évidence fulgurante d’un sens nouveau nous sidère dans l’être à soi de notre conscience, il faut bien qu’il illumine un ciel déjà connu de moi, qu’il soit comme la mise en relation nouvelle d’éléments anciens, de la même façon que la foudre consiste dans la différence de potentiel électrostatique entre deux nuages. C’est ça le sens et les nuages ce sont ces significations anciennes dont nous parle l’auteur. « un nouvel être culturel a commencé d’exister. » les deux dernières lignes du textes sont toutes entières traversées du registre lexical de la nouveauté, de l’instantanéité: « inconnue - nouvel - commencé - Simultanément »: il s’agit de rendre parfaitement compte de la fécondité de la pensée humaine, de sa faculté de création. Rien ne peut commencer sans s’appuyer sur ce qui a toujours déjà commencé, sur le commencement même. Dans cette pensée qui jaillit, qui surgit dans notre esprit toute en mots dans une dimension déjà structurée par les mots, c’est finalement le mode de production le plus humain, le plus culturel, le plus « libre » qui s’effectue. On pourrait dire que c’’est cela: la naissance de l’humain, de la dimension humaine de la civilisation, de la trace humaine. Chaque pensée nouvelle est un nouveau départ pour la culture et cela ne saurait se concevoir autrement que linguistiquement.
3) Pouvons nous penser une impression sans nous l’exprimer à nous-mêmes par du langage? Justifiez. La différence entre l’intérieur et l’extérieur est une délimitation dans l’espace. Or Merleau-Ponty ne cesse de ramener cette délimitation trompeuse selon lui entre une intériorité sans mots et une extériorité expressive à la distinction temporelle entre l’avant et l’après. Nous sommes tellement aveuglés par la nouveauté de l’idée, par son sens qui surgit que nous ne percevons pas qu’elle a toujours été déjà là, à l’état larvaire, embryonnaire, engoncée dans la multiplicité infime de toutes les combinaisons possibles de monèmes dans la première articulation. C’est parce que rien n’est vraiment nouveau qu’une idée paradoxalement peut être nouvelle, mais elle ne saurait pas « être » sans signes articulés. Qu’est-ce que vouloir dire? Recourir à des actes d’expression déjà effectués mais combinés différemment, c’est-à-dire de telle sorte qu’ils vont mettre en présence de façon inédite par le biais d’opérateurs anciens des éléments anciens. L’intention, qui effectivement, est en elle-même brute, instantanée, hébétée, fulgurante, est un mouvement naturel dont il n’y a rien à dire tout simplement par ce qu’il n’est même pas repérable par la conscience qui l’émet, mais il se recouvre immédiatement d’un sens par le biais duquel il va se retrouver. A l’instantanéité pure et indicible de ce voeu s’oppose la simultanéité de l’expression et de la pensée. En d’autres termes, pou Merleau-Ponty penser commence dans ce revêtement du voeu pur, brut, indécelable par l’intention du sens, laquelle déjà est de l’expression et du langage. Par conséquent une impression ne saurait être pensée par nous appréhendée par le sujet sans être déjà exprimée, donc expression linguistique.
4) Voir le cours: 2 c) "La pensée est incommensurable avec le langage" - Bergson
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