Les cosmogonies sont des récits fabuleux, mythologiques qui décrivent la formation du monde et dans lesquelles le « souci » est simplement de rendre compte de cet engendrement en racontant des « histoires », des fictions dont la visée est moins d’être crues que d’être admirées, de produire du charme par l’invention, par le souffle épique et dramatique du récit.
La cosmologie est « la science des lois générales par lesquelles l’univers est gouverné ». Peut-on considérer le monde comme objet d’une science sachant que se posera le problème de la distance, de l’écart , de l’objectivité entre le sujet qui étudie et l’objet étudié puisque il nous est impossible de nous extraire de l’univers pour savoir ce qu’est l’univers.
De la première à la seconde, nous pouvons avoir l’impression première que nous passons de mythos à logos, de la mythologie à une science, d’une interprétation cherchant la beauté, le charme à une explication rigoureuse et prouvée, n’assurant rien qu’elle ne puisse démontrer et décrivant par conséquent ce que le monde est vraiment.
Mais il convient d’être extrêmement prudent dans cette distinction, dans ce découpage strict entre mythos et logos, car il y a toujours de l’un dans l’autre et de l’autre dans l’un. D’abord, aussi libérés que soient les récits mythologiques, les cosmogonies de « l’effet de réel », ils ont toujours pour but de décrire l’existence du monde tel qu’il est. Deuxièmement, ils nous apprennent beaucoup de choses sur certaines images ou sur certains fantasmes récurrents de la pensée humaine comme l’hostilité du père envers les enfants (Ouranos, Chronos, Zeus), sur ce fond de pulsions et d’instincts, de fascinations à l’égard du mal, de l’interdit, du crime et de la démesure (voir la lignée des Atréïdes dans Thyeste). Sur ce sujet, il faut citer le livre de Freud Totem et Tabou: les récits mythologiques et cosmogoniques disent quelque chose d’un non-dit fondamental de l’humanité. Pour les grecs, il n’est question que d’inceste, de viol, de vengeance, de cannibalisme. L’esprit tragique grec décrit la démesure (hybris) que la cité, la science, la philosophie de Platon et d’Aristote, l’oeuvre de civilisation notamment du 5e siècle avant JC, devra rationaliser, combattre, assagir.
D’autre part, il y a toujours des effets de croyance, de postulation dans le logos. Le Big Bang est une hypothèse cosmologique à laquelle il est vraiment raisonnable et rationnel de se rallier. La plupart des scientifiques le font aujourd’hui, notamment parce qu’il est certain que notre univers n’est pas constitué d’une texture figée mais dynamique. Ce que nous dit le Big Bang d’absolument certain, ce n’est pas tant que quelque chose a commencé, mais plutôt que le monde est un devenir. L’espace n’est pas un milieu neutre et objectif, immuable, dans lequel il se passe des choses, c’est plutôt que l’espace lui-même a une histoire, l’espace n’est pas: il devient. Il faudrait à la limite se représenter une maison qui serait une réalité vivante, un monstre organique et dont la disposition des pièces changerait, évoluerait. Représentez-vous une maison dans laquelle vous ne seriez pas sur d’un jour à l’autre de retrouver la cuisine ou votre chambre au même endroit et vous aurez une représentation de ce que l’univers est.
Mais la raison le peut-elle? Pouvons-nous être à la hauteur de ce dynamisme au sein duquel nous ne représentons qu’une infiniment petite et dérisoire particule? Ne sommes nous pas des puces qui nous racontons l’histoire de notre grandeur sur le dos d’un tigre que nous grattons un petit peu? (Fable de Nietzsche)
Qu’est-ce qu’une métaphore? Une figure de langage qui consiste dans une modification de sens (du sens littéral au sens figuré) par substitution analogique. Pour reprendre l’exemple cité dans wikipedia, « cette faucille d’or dans le champ des étoiles » est une métaphore désignant la lune. De fait lorsque nous regardons la lune et voyons sur sa sphère se dessiner son dégagement progressif de l’ombre que notre terre projette sur sa surface visible par rapport au soleil, nous voyons bel et bien se dessiner la forme d’une faucille, mais c’est une transposition, une image qui rend compte d’une vision qui elle est réelle. Métaphoriser, c’est porter (phore) au-delà (méta). Nous poétisons sur une réalité. Nous rendons compte d’une vision effective par une image qui ressemble (analogie) à la réalité que nous voyons.
Nous réalisons immédiatement que la cosmogonie ou la mythologie résident dans un procédé de cette sorte. Mais nous n’en dirions pas de même de la cosmologie ou de la science, en général. La question est, en un sens, de savoir si cette puce que nous sommes peut faire autre chose que de métaphoriser le dos de ce tigre sur lequel elle vit. Par rapport au Big Bang, nous ne parvenons pas à le métaphoriser autrement que comme un commencement, alors même qu’il n’en est pas un. Au « début » (et ce terme en lui-même est peut-être faux) la matière et le rayonnement constituaient un amas tellement compact qu’il ne laissait pas passer la lumière de telle sorte que c’est seulement 380 000 années plus tard que le fond diffus cosmologique a commencé à émettre et que nous le percevons aujourd’hui. Cela signifie qu’en un sens nous ne pouvons que métaphoriser rationnellement, conceptuellement, scientifiquement ces 380000 années qui ne sont pas observables. Cette notion de métaphorisations est fondamentale, comme Nietzsche l’a bien compris/ il peut exister des métaphores poétiques, mythologiques ou des métaphores conceptuelles ou scientifiques mais une présentation littérale du monde est impossible et nous sommes ainsi capables de donner un sens précis et authentique au re de représentation du monde, c’est le re qui exprime le décalage de la métaphorisation.
Quelle attitude faut-il que nous adoptions lorsque nous réalisons que nous sommes fondamentalement des « animaux métaphorisants » ? Que nous ne nous laissions jamais aller à croire que nous sommes autre chose, que nous maintenions constamment dans notre esprit cette efficience, ce qui nous pourrait éventuellement nous conduire à défendre l’idée qu’à leur insu, les scientifiques sont simplement des poètes d’une autre style que les poètes de la mythologie et de la littérature (ceux que certains d’entre eux seraient prêts à admettre, mais pas tous).
L’une des conséquences les plus évidentes et les plus philosophiques de cette « instinct de métaphorisation » qui caractérise l’être humain, réside dans la relativisation de notre existence. Nous ne faisons que nous raconter des histoires approchantes, analogiques de l’existence de l’univers mais jamais aucun de ces récits ne parviendra à nous donner une représentation parfaitement fiable, légitime, certaine des lois nécessaires qui expliquent parfaitement l’existence de l’univers, de la vie, de l’homme.
Et c’est exactement cela qui pose problème lorsque nous examinons le principe anthropique fort ou faible de Brandon Carter, parce qu’il ne se rend pas compte qu’il interprété comme nécessaire des relations qui sont contingentes. Le fait que l’univers soit observable n’implique aucunement la nécessité que l’homme ait été conçu en son sein pour être celui qui l’observe. Ce n’est pas parce que l’univers est observable qu’il y nécessité à ce qu’il soit observé, c’est parce qu’il est observé, de fait, et cela est une indiscutable réalité, que nous pouvons continuer une histoire très crédible sur ce qui fait qu’il est observable. Nous pourrions utiliser une image (qui semble n’avoir rien à voir mais en fait si!). Des amoureux peuvent se convaincre qu’ils étaient faits l’un pour l’autre, cela ne changera rien au fait que c’est à partir de leur rencontre qu’ils peuvent se raconter l’histoire de leur destin amoureux, de leurs « âmes soeurs ».
Nous avons en nous une pulsion fabulatrice, et tant mieux, mais il faut bien le savoir, en prendre conscience. Nous pouvons prendre plaisir à nous raconter des histoires de destin, de vocation, de mission divine, d’éternité. Nous étions faits l’un pour l’autre, mais il est toujours possible de se raconter comme un destin, comme une providence divine ce qui en réalité n’est qu’une suite d’évènements contingents qui à chaque moment auraient pu se passer différemment. De fait nous nous sommes rencontrés, et ça a marché. C’est toujours à partir du présent que l’on peut donner à un instant la lourdeur d’une destinée, d’une mission ou d’une vocation mais il faut se méfier: n’est-ce pas quelque chose d’orgueilleux? Un moyen de se donner une importance à laquelle nous ne pouvons prétendre?
N’est-ce pas exactement ce que fait Brandon Carter: que l’univers soit observé est un fait présent à partir duquel nous pouvons bien nous raconter l’inéluctabilité de cette histoire qui aboutit à ce qu’il soit observé, cela ne prouvera rien d’autre que ceci: nous observons l’univers. Ce n’est pas parce qu’il est observable que nous étions « voués » à l’observer, c’est parce que nous l’observons que nous pouvons nous raconter l’histoire d’un univers observable. Ce qui « est », c’est du présent et tout ce qui fait référence à du passé ou à du futur même proche manifeste un travail de reconstruction à partir de ce présent. Tout prend sens à partir du présent, mais aucun récit ne peut prétendre à être objectif ou « vrai » quand il insère ce présent dans une nécessité providentielle, divine, éternelle.
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