3- La violence expérimentale (Jean-Henri Fabre et Jacob Von Uexküll)
Mais d’où vient que nous apprenions à parler? Pourquoi l’homme semble-t-il être le seul à avoir à apprendre ce qui, pour les animaux, va de soi, à savoir cette sémiotique naturelle au sein de laquelle tout est toujours codé ou codant, et dans lequel le décodage ne pose aucun problème d’interprétation? Pour répondre à cette question, nous pourrions essayer de situer la sémiotique et la sémantique par rapport à l’observation d’un chercheur: Jean-Henri Fabre qui dans souvenirs entomologiques (1879) raconte l’expérience suivante qu’il a menée sur des abeilles faisant partie de l’espèce chalicodome des murailles:
« Quand elle arrive avec sa récolte, l'Abeille fait double opération d'emmagasinement. D'abord elle plonge, la tête première, dans la cellule pour y dégorger le contenu du jabot ; puis elle sort et rentre tout aussitôt à reculons pour s'y brosser l'abdomen et en faire tomber la charge pollinique. Au moment où l'insecte va s'introduire dans la cellule, le ventre premier, je l'écarte doucement avec une paille. Le second acte est ainsi empêché. L'Abeille recommence le tout, c'est-à-dire plonge encore, la tête première au fond de la cellule, bien qu'elle n'ait plus rien à dégorger, le jabot venant d'être vidé. Cela fait, c'est le tour d'introduire le ventre. A l'instant, je l'écarte de nouveau. Reprise de la manoeuvre de l'insecte, toujours la tête en premier lieu ; reprise aussi de mon coup de paille. Et cela se répète ainsi tant que le veut l'observateur. Ecarté au moment où il va introduire le ventre dans la cellule, l'Hyménoptère vient à l'orifice et persiste à descendre chez lui d'abord la tête la première. Tantôt la descente est complète, tantôt l'Abeille se borne à descendre à demi, tantôt encore il y a simple simulacre de descente, c'est-à-dire flexion de la tête dans l'embouchure ; mais complet ou non, cet acte qui n'a plus de raison d'être, le dégorgement du miel étant fini, précède invariablement l'entrée à reculons pour le dépôt du pollen. C'est ici presque mouvement de machine, dont un rouage ne marche que lorsque a commencé de tourner la roue qui le commande. »
Ce qui est fascinant ici, c’est de mettre en perspective ce qui de cette deuxième entrée en marche avant de l’abeille « ne veut rien dire » aux yeux du savant et finalement veut probablement tout dire, ou du moins signifie quelque chose du point de vue de l’abeille, sans quoi cette action ne se ferait pas. L’image utilisée par Fabre à la fin du texte est assez claire sur ce dont il pense être le spectateur: un mouvement de rouage dans l’enchaînement aveugle d’une routine instinctive. Cet acte lui semble ne recéler aucune raison d’être mais il se pourrait bien qu’en en cherchant quand même une, nous touchions du doigt quelque chose de très profond sur la distinction entre l’Homme et l’Animal, entre la sémiotique et la sémantique, entre la nature et l’Histoire. Et cela nous indiquera peut-être également l’origine même de cette violence dont nous venons de voir qu’elle avait rapport à l’enfance humaine.
Cela signifie donc qu’aussi bizarre que cela puisse sembler, il faut bien qu’il y ait une forme de maturité animale dans cette seconde entrée en marche avant. Mais quelle pourrait-elle être? Quoi de plus stupide que d’aborder une plate forme de décharge de telle sorte qu’il n’y ait plus rien à décharger?
Comment expliquer que la paille qui lui interdit de rentrer dans sa cellule par derrière soit interprétée par elle comme le signal lui commandant l’attitude d’aborder à nouveau par devant sa cellule? Ce qu’il faut bien noter c’est que ce signal n’est pas naturel, qu’il est même la rupture imposée par Fabre à un processus de stimulation et de réponse qui définit exactement ce que l’on entend par sémiotique naturelle. A partir de cette rupture, l’abeille reconfigure son attitude et semble la répéter, la reprendre « inutilement » si du moins on se fie à cette finalité fonctionnelle, du point de vue humain, qu’est la dépose du pollen.
Mais déjà dans cette remarque s’amorce quantité de problèmes d’interprétation: si l’abeille refait le geste, c’est qu’elle ne perçoit pas cette inutilité, ou du moins qu’elle ne le vit pas comme telle. Mais nous pouvons tout aussi bien quitter le point de vue de l’abeille en affirmant que si cet acte s’effectue en lui-même, c’est bien que quelque chose d’une raison d’être s’y manifeste qui échappe à l’homme, sans aucun doute, à l’abeille peut-être, mais pas à la nature, ne serait-ce que parce que, de fait, cela s’effectue bel et bien sous les yeux de l’entomologiste.
Jacob Von Uexküll dissocie ici le milieu animal avec le monde humain. Fabre pense barrer l’accès de la cellule avec une paille dans le monde, mais en réalité il rompt la structure de renvoi de plusieurs signaux dans la construction d’un milieu par l’abeille ou plutôt dans lequel l’abeille a sa place, son rôle à jouer. Dans cette paille, quelque chose d’un choc, d’un ébranlement, d’un bouleversement sans commune mesure se joue devant des yeux incapables d’en soupçonner l’incommensurable puissance d’impact. L’abeille est prise dans un milieu (Umwelt), c’est-à-dire dans un champ de perception à l’intérieur duquel sa sensibilité ne détecte que ce qui est propre à ce milieu. Tout le « reste » n’existe pas, mais aux yeux de qui y-a-t-il ici un « reste »? la réponse est: d’autres espèces animales qui ont d’autres milieux dans lesquels se dessinent pour elles des champs de perception tout aussi propres et exclusifs A elles. Ainsi s’explique que ce qui nous apparaît à nous comme survenant dans « un même monde »: une paille sur la cellule d’une ruche soit en réalité pour l’abeille un « non évènement », un pur RIEN. Elle ne répète donc pas son geste, elle le fait dans un milieu au sein duquel la paille est occultée, la fermeture de la cellule est comme un bug, Comme il n’y a là rien à percevoir qui puisse être saisi dans son milieu, elle entre tête la première parce qu’elle le fait pour la première fois et que rien ne s’est inscrit dans son habitus comme souvenir, ou comme rappel, puisque, de fait, cela n’a jamais eu lieu (pour elle). Ce n'est pas une répétition.
Nous sommes ainsi de plain-pied avec de la sémiotique pure au sein de laquelle tout est signifiant dans une logique de stimulation et de réponse sans pause, ni faille, ni interstice, ni raté. Le ventre plein stimule la dépose de pollen mais cela ne veut pas dire que la dépose soit la « finalité », ou « le sens » du ventre plein (l’abeille n’a pas récolté en vue de déposer). C’en est seulement le « signal » et dans cette signalétique tout fait signe de…La cellule, sa forme, la marche avant et la marche arrière, la descente et la remontée, le pollen, etc. Aucune de ses données n’est à proprement parler un « objet » pour l’abeille, mais seulement des signaux dans les renvois desquels s’active le champ d’un milieu. Cette sémiotique là ne semble pas apprise. Elle est effective tout de suite et maintenant. Elle est cela même qui fait le « maintenant » de la seconde entrée (qui n’est pas du tout seconde en fait du point de vue de l’abeille). Ce à quoi assiste Fabre sans s’en rendre compte en fait c’est à la sémiotique d’une nature immanente qui se donne les moyens de se faire naître, et seulement les moyens. L’abeille rentre en marche avant pour rentrer en marche avant parce que cela participe de l’effectuation de son milieu, avec plusieurs autres données. C’est tout!
On pourrait ici distinguer trois modalités d'effectuation: 1) celle du milieu: "il était tout d'une fois (instantanéité)" 2) celle de la mythologie et des histoires: il était une fois 3) et enfin celle de l'Histoire humaine: il était cette fois là.
Mais alors qu’en est-il de la violence et de l’enfance de l’être humain? Nous pouvons déjà répondre en pointant la violence incommensurable et parfaitement inconsciente (ce point n’est pas complètement acquis cependant!) du geste obturateur de Fabre. Comme il a été dit, il ne se contente pas d’interrompre un milieu, de le rendre impossible, il insinue la chronologie d’un protocole expérimental qui croit observer le monde de la nature dans l’effectuation sémiotique d’un milieu, effectuation pure, nature naturante, en train de se donner naissance. On ne voit pas bien comment qualifier cet acte autrement que par celui de « profanation ».
Tout s’éclaire à présent, et ce grâce à la simple analyse d’une observation d’entomologiste, laquelle se situe à des années lumière de ce qu’elle accomplit sans le savoir. La capacité à faire référence à des situations données (sémantique) par des énoncés linguistiques pourvus d’une signification sémiotique s’apprend et est réservée à l’être humain. Seul l’homme peut donner du sens à des situations précises, là, en faire signe, les désigner par des déictiques, mais en même temps, cette aptitude le rend incapable de les faire advenir, de participer à leur manifestation, au processus de leur réification, de leur matérialisation. Cette « machine là » que l’on peut appeler avec Spinoza la nature naturante (sive Deus) l’animal, lui, au contraire, y participe en prenant corps et place dans la sémiotique de son milieu. Autant l’animal se tait dans la fabrique de son milieu, autant l’homme bavarde dans le dérangement du monde et par ce terme il faut entendre le dérangement que le monde cause au milieu, ce qu’il y provoque comme ébranlement: de la paille sur la cellule aux gaz à effet de serre sur le climat.
La violence du 3e Reich ici trouve aussi sa place, notamment dans le rapprochement possible entre la théorie nazie de l’espace vital et du milieu. Ce qu’il faut bien comprendre dans les thèses de Jacob Von Uexküll, c’est que l’homme n’a pas de milieu et qu’il ne peut en avoir un. Heidegger, philosophe qui est allé le plus loin dans la spécification de l’être humain comme « être là », Da Sein, c’est-à-dire jeté dans le monde et pas du tout dans un milieu a été un lecteur assidu de Von Uexküll. Les thèses nazies et notamment l’idée selon laquelle des races seraient originellement dotées d’une sorte de « biotope », d’espace vital (lebensraum) qui lui donnerait toute légitimité à se répandre sombrent donc dans l’illusion de pouvoir atteindre la systématicité de la sémiotique naturelle sans se rendre compte 1) que cette sémiotique pure est hors d’atteinte aux hommes, 2) que, pour les animaux, la machine de cette sémiotique est celle-là même par quoi la nature est naturante et se donne à elle-même son lieu d’être en l’exécutant dans une pure praxis 3) qu’en se refusant au sémantique (monde) et sans pouvoir s’effectuer dans la sémiotique de la nature (milieu), elles créent des zones de non sens absolu où elles s’épuisent à fabriquer des créatures privées de voix (phoné) et de sens (logos): "le musulman" (pour reprendre le terme utilisé par les kapos pour désigner ces prisonniers réduits à la condition absurde de la vie nue).
Conclusion
Il nous reste, maintenant que l’histoire et sa violence se manifestent à nous sous un jour moins obscur, à la situer par rapport à la citation de Shakespeare et à essayer de répondre à la question dont elle avait matérialisé le contexte. Ce qui doit retenir alors notre attention c’est l’identité entre ce que Fabre croit déceler chez l’abeille qui réitère le mouvement de rentrer dans la cellule « en marche avant » alors qu’elle n’a rien à déposer de ce côté et l’accumulation des demains qui glissent de jour en jour sur la dernière syllabe du registre des temps. Il n’y a plus de sens à vouloir déposer « du rien » une seconde fois dans une cellule qu’à suivre pas à pas cette cohorte de demains qui ne mène qu’à la dernière syllabe. Mais quittons le regard de Fabre puisque finalement ce qu’il indique comme une boussole déboussolée c’est forcément la fausse direction.
Si nous adoptons plutôt le regard de Jacob Von Uexküll, alors cette seconde entrée loin d’être une répétition marque plutôt le plain-pied avec cette sémiotique du milieu, ou si l’on veut, avec ce patient filage d’un milieu au sein duquel tout est déjà en correspondance avec tout, tout est déjà tressé dans les fils advenant d’une routine matérialisatrice, instante: l’acte. Si l’abeille ne rentre pas « la seconde fois » en marche arrière, c’est justement parce qu’elle participe à l’évènement, qu’elle est prise dans l’événement « au sein de son milieu », milieu dans lequel il n’y a pas de situation, de « ceci », de « cette heure là ». Il ne peut donc pas y avoir dans un milieu de reprise ou de répétition d’un geste parce qu’il n’y a « ce » geste que dans le milieu mais le milieu d’être « un » geste ou encore pur geste par quoi « se fait » le milieu. Il y a des évènements dans l’histoire parce qu’il y a de la sémantique dans la capacité de l’homme de les faire advenir (les acteurs de l’Histoire: César, Napoléon, Hitler) de les vivre (les hommes dans l’histoire) et de les raconter (les historiens). Mais il n’y a rien de tel dans le milieu qui plus ou moins qu’un évènement est l’évènementiel, c’est-à-dire non pas ce qui arrive « dans » mais ce que c’est qu’arriver tout court.
Si routine « il y a » en effet dans le comportement de l’abeille, ce n’est pas du tout celle de l’automaticité instinctive qui lui fait aveuglément refaire son entrée en marche avant, mais celle de la sémiotique pure, brute par laquelle le milieu se tisse et s’installe comme ayant toujours été là. L’installation du milieu n’a pas de première ou seconde fois, de même qu’elle ne s’effectue pas comme ce que l’abeille installe mais ce qui s’installe pour que l’abeille dans cette sémiotique toujours déjà instante et « là » « soit ». Ce que Fabre perçoit comme abrutissement est en réalité « réserve », « mise en retrait », « retenue ». L’abeille aborde une seconde fois « en marche avant » parce qu’il ne lui vient pas une seconde à l’esprit que quoi que ce soit pourrait se faire grâce à elle, que ce serait de par son initiative que s’effectuerait le milieu. En d’autres termes, elle est dotée de cette sagesse infinie de ne pas laisser prise un seul instant à ce fantasme qu’elle pourrait faire advenir d’un coup de baguette magique le « milieu », et encore moins le monde (Mesurons ici tout le fossé qui se creuse avec la croyance humaine qu’un « Dieu à tête d’homme » ferait advenir le monde).
C’est dans l’exacte mesure où elle ne vit pas cette croyance (au contraire de l’être humain) qu’elle jouit de ce que l’on pourrait appeler à tous égards une forme « d’absolution » qui consiste à être prise obscurément, donc, sans le savoir, dans l’apparition du milieu. Il n’existe pas davantage ici de dernière syllabe que de première et ce qui glisse à petits pas n’est pas de la chronologie, de la succession, de la redite mais de l’évènementialité, de la circularité de signe à signe, de la réponse toujours déjà stimulée et de la stimulation toujours déjà satisfaite, de l’exhaussement en ce sens que tous les voeux y sont exhaussés, que tout s’y trouve absous. C’est là ce que le philosophe Heidegger appelle « l’Ereignis »: « l’occurence ».
La violence de Macbeth prouve assez qu’il n’a pas et ne trouvera jamais cette absolution, de même que l’intervention expérimentale de Fabre et son interprétation de la supposée répétition de l’abeille manifestent pareillement au plus profond la nature de ce que l’on peut appeler rupture ou encore « profanation».
Mais alors comment comprendre à partir de ce nouveau schéma la formulation finale de Macbeth à l’adresse de la vie: « qui ne signifie rien »? Il nous faut vraiment réaliser à quel point cette affirmation de Macbeth contient tout ce qui explique et génère la violence de l’humain dans l’histoire et en même temps ce qui fait de cette violence une erreur de perspective, ce qui la disqualifie, ce par quoi elle n’a pas lieu d’être, ce qui fait qu’elle est fausse. Que la vie signifie quelque chose, c’est ce que ni Fabre ni Macbeth ne réalisent parce qu’ils ne saisissent pas que la deuxième entrée de l’abeille en marche avant est un rite et pas du tout une soumission à l’instinct. Pour Macbeth (qui n’est pas du tout entomologiste) cette méprise d’interprétation est celle qui le conduit à penser que la vie est une scène où se joue une pièce insignifiante. Exactement comme Fabre qui n’est pas sensible à la tonalité ritualisante de la seconde entrée de l’abeille , Macbeth passe complètement à côté de la dimension ritualisante de la vie, c’est-à-dire du fait que justement le pauvre comédien qui se pavane et s’agite ne fait pas que cela, mais qu’il est au contraire ce par quoi l’Histoire a un sens, ne serait-ce finalement que parce que ce comédien, c’est lui-même, et qu’en disant cette réplique, il ne dit pas « rien ».
Que l’homme soit un être historique, c’est exactement ce qui explique que Fabre n’est pas sur la même longueur d’onde que l’abeille, que l’homme ne se situe pas du tout dans la nature de plain pied avec la nature, qu’il ne voit pas le sens de cette seconde entrée et la catalogue comme ignorance, instinct, brutalité. Fabre voit historiquement, chronologiquement, successivement ce qui en réalité s’effectue principiellement, comme un « sacre », inauguralement. (Imaginez un européen pas trop cultivé et un peu obtus qui voit la cérémonie du thé au japon et peut-être aurez-vous une certaine idée du décalage de Fabre à l’égard de cette seconde entrée de l’abeille). Fabre interprète une inauguration comme une réitération, une cérémonie comme une marque de déficience et d’oubli, un manque d’attention.
Mais cette attention décalée, inversée par le biais de laquelle les hommes voient comme second temps ce qui en fait est toujours le premier et premier ce qui en fait est second est-elle structurellement vouée à se tromper, à se méprendre, à faire de l’homme l’incompris tout autant que le non-comprenant de la nature, de la vie, de l’animal? Non, ce combat là n’est pas perdu parce qu’aussi mauvaise que soit son interprétation Fabre voit la seconde entrée en marche avant de l’abeille, et même s’il la voit comme seconde, il ne la perçoit pas moins, de la même façon que Macbeth réalise bien que la vie est une scène et qu’il s’y passe quelque chose. L’humain est bien une attention décalée par rapport à la cérémonie du vivant, mais il n’en est pas moins le décalage d’une attention, laquelle peut parfaitement accéder à cette authenticité de se savoir décalage, de l’accepter, de l’assumer, voire de s’y absoudre, ce que Macbeth ne fait pas, comme tout homme violent, comme tout homme de pouvoir.
On peut dire ça autrement: la violence de l’homme c’est la paille de l’entomologiste qui, de fait, empêche la cérémonie de la dépose de pollen (laquelle justement n’est pas que cela), c’’est aussi la violence de Macbeth qui pense devoir arriver au pouvoir par tous les moyens possibles (parce que cela lui a été prédit par les trois sorcières), c’est finalement la croyance que l’on agit qu’en « forçant » (et quelque chose d’humain se dit à travers ça), mais cette violence n’empêche pas Fabre de voir se (re)produire la marche avant de l’abeille dans la cellule, pas plus qu’elle n’empêche Macbeth de voir que l’histoire pleine de violence et de fracas s’écrit, se fait dans une forme de narration et se joue. Aussi maladroit et inculte qu’il soit, Fabre n’en est pas moins invité à la cérémonie animale de même qu’aussi violent que soit Macbeth, il n’en saisit pas moins que ce qui se fait à l’insu de cette violence, en deçà d’elle dans une dimension aussi irrévocable que fondamentale, c’est le jeu, c’est le fait que cette heure du comédien qu’est la vie « est » et finalement qu’elle est tout le temps. La vie est une scène, la vie est l’effectuation scénique du temps et le flambeau ne s’éteindra pas. Et d’ailleurs Macbeth joue, il ne peut pas s’extraire de la scène. Tout ce qu’il peut faire, c’est dire que la pièce de la vie n’a pas de sens, mais il le fait dans le cadre d’une pièce qui en a un. A leur insu, Fabre et Macbeth sont tous deux les acteurs involontaires d’une cérémonie, d’un sacre dont il se sont faits une sorte de profession de foi un peu absurde de ne pas la comprendre, d’y jouer leur part sans le savoir. C’est tout à la fois un drame, une forme de profanation et éminemment rattrapable par cette forme efficiente d’absolution dont on peut dire que tout, mais vraiment tout s’y « joue ».
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