« Une
relation amoureuse ne se constitue et ne peut durer qu’en s’entrelaçant dans
les détails de la vie quotidienne et en constituant de la sorte une trame
d’affects au cœur de laquelle les objets et les hommes sont étrangement mêlés.
Si le premier petit déjeuner de votre première nuit d’amour avec votre future
femme est raté, ce n’est pas grave, mais il vous faudra brûler les toasts et
faire bouillir le café pendant la totalité de votre vie commune. Qu’aime-t-on
finalement de l’autre ? Cette aptitude à se singulariser dans les mailles
resserrées de tous ces tropismes, de ces micro-évènements qui sont d’une plus
grande importance qu’on ne le pense généralement. De l’autre, on aime cette
inscription dans « le fond d’écran » de nos habitudes : cette
mèche de cheveux qu’elle rajuste de cette façon avec cette inflexion inimitable
du poignet, cette tasse de thé fumante dont on sait bien qu’elle la laissera là
sans la boire, ces clés qu’elle a, une fois encore, oubliées sur la table du
salon. Nous nous ressemblons tous quand nous voulons « paraître »,
mais la vie routinière, ses ratages et ses répétitions nous cueillent « à
vif » et dressent sans concessions le portrait de celui ou celle que nous
sommes à hauteur de vie. Nous n’avons pas le temps de prendre la pose et c’est
seulement là que « le charme opère », dans l’instantané d’une
existence pure, impromptue, dépourvue de la moindre affectation.
Mais c’est précisément cette spontanéité de la personne aimée que le poison de la jalousie corrompt, car il ne vise qu’à l’enfermer dans la croyance selon laquelle le désir a un objet. Ce mouvement n’est pas en cause dés qu’il se comprend lui-même suffisamment pour n’aimer que cette confusion, ce brouillard diffus que l’aimé fait peser sur un quotidien partagé. La jalousie est un désir qui s’ignore et qui pense pouvoir posséder l’objet de son amour, comme un bien qui serait « nôtre ». Mais la jalousie n’est pas une réaction, elle est une façon d’être, une manière de s’inscrire dans le monde, de s’imposer à l’autre. C’est ce que Maurice Merleau-Ponty appelle « une structure d’existence ». Et nous remarquons bien là le processus d’enfermement propre à tout désir malade (névrose obsessionnelle) consistant non pas à se rendre jaloux d’une épouse infidèle mais à créer de toute pièce l’épouse infidèle justifiant rétroactivement la maladie. La femme du président Schreber ne trompa jamais son mari mais il ne pouvait, lui, en tant que paranoïaque, exister qu’en la décrétant infidèle pour que le symptôme surgisse et manifeste ainsi l’intensité du trouble. Que toute personne jalouse s’introspecte un minimum et elle finira sans nul doute par trouver un processus identique à celui-ci. La jalousie est une affirmation de soi au sens le plus pathologique du terme : un symptôme. »
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