Remarques
sur le choix du sujet :
Un sujet mérite d’être
choisi lorsque : a) on réalise très vite qu’il ouvre un champ
problématique considérable voire infini, c’est-à-dire qu’il est impossible de
répondre de façon tranchée et définitive b) on comprend où l’énoncé du sujet
veut en venir. Ici, par exemple, la connaissance de l’étymologie du terme
« bon heur » (augurium : chance, fortune) est déterminante
puisque elle se situe radicalement du côté du « non », mais
l’utilisation du verbe « dépendre » peut nous rappeler les premières
lignes du Manuel d’Epictète (stoïcien) : « Parmi les choses qui existent, les unes dépendent de nous…les
autres n’en dépendent pas (…) Souviens-toi donc que, si tu crois que les choses
qui sont par nature contraignantes sont libres et que les choses qui te sont
étrangères sont à toi, tu te heurteras à des obstacles dans ton action, tu
seras dans la tristesse et l’inquiétude, et tu feras des reproches aux Dieux et
aux hommes. »
Cela signifie qu’il dépend
de nous de ne pas faire dépendre nos états d’âme de choses sur lesquelles nous
n’avons pas la moindre prise. C’est non seulement la clé de la liberté mais
aussi du bonheur, pour les Stoïciens. Mon bonheur dépend de la justesse de mon
jugement concernant la marge de manœuvre dont je dispose face aux évènements.
Epictète nous décrit la composante fondamentale de la vertu, au sens littéral
du terme (vir : force), dans tout ce que cela implique par rapport au
Souverain Bien. Je serai bien (bonheur) si j’agis bien (vertu) et bien agir
implique que je sache où, quand, et sur quoi je peux agir
« vraiment » c’est-à-dire, par contraste, quand et sur quels objets
il est inutile que je m’obstine. Il ne fait aucun doute que la personne qui a
conçu un tel sujet attend que nous lui parlions de ce rapport aux évènements,
aux aléas de la vie. Peut-on vraiment être heureux quand les circonstances de
notre vie sont défavorables ? Peut-on se constituer cette « citadelle
intérieure » dont nous parle le Stoïcien Marc-Aurèle quand ce qui nous
arrive est désagréable, tragique, désastreux ? Peut-on vraiment « se
rendre heureux » quand aucun des évènements de notre vie ne nous invite à
l’être ?
C’est vraiment le fond du sujet que
d’interroger la nature de notre présence au monde : sommes nous à ce point
légers, superficiels, insignifiants que nos états d’âme suivent aveuglément la
propension des choses, ou bien consistons dans une forme de solidité, de
stabilité assez marquée pour faire notre bien de tout ce qui nous arrive ?
Le jour de l’épreuve, il faut bien savoir que la vitesse avec laquelle les
termes appropriés vont nous venir à l’esprit est déterminante. Tous les sujets
ont des clés qui sont simplement « des mots » et c’est sur la venue à
notre esprit de ces mots que la note va se jouer. C’est cela que notre
correcteur attend (et c’est à cela qu’il nous faut nous entraîner en faisant
des sujets). Par exemple, sur cet énoncé là, les termes : « autarcie
– liberté – nécessité – contingence – désir – plaisir - souverain bien – hasard - ordre du monde –
existence» sont des mots cruciaux dont la seule évocation suscitent non
seulement des prises de position pour le traitement mais aussi des références à
des auteurs (Epictète, Marc-Aurèle, Epicure, Descartes, Schopenhauer, Kant, Pascal)
1)
L’utilisation du brouillon
Elle est déterminante dans
la confiance qu’elle va nous permettre d’acquérir une fois que nous passerons à
l’écriture de la copie. On peut aller jusqu’à envisager de consacrer deux
heures à la rédaction au brouillon de notre introduction, de notre plan (c’est
quand même un maximum). Ce qu’il faut rédiger au brouillon d’abord ce sont les
idées ou les références dont on est certain qu’elles sont au cœur du sujet.
Ensuite, il convient de pouvoir se reposer sur lui quand nous serons « en
panne » au moment d’écrire sur la copie. C’est pourquoi le brouillon doit
contenir les articulations claires des parties, c’est-à-dire les rouages qui
justifient que nous passions de telle partie ou sous-partie à telle autre. Ce
qu’il nous faut éviter, c’est d’abord de partir trop vite sur la copie
elle-même et d’avoir insuffisamment préparé les conséquences problématiques de
telle ou telle argumentation, ensuite c’est de ne pas savoir où nous allons en
venir en argumentant telle idée. L’écriture d’une dissertation suppose que
quelque chose de notre pensée est toujours en décalage par rapport à
l’instantanéité de l’écriture, un peu comme le joueur d’échecs qui est déjà
dans le futur du coup qu’il joue au présent. Pourquoi j’écris ça ? Enfin
le brouillon sert à cadrer nos idées dans le sujet, ce qui consiste d’abord à
faire un important travail de réécriture du sujet (qu’est-ce qu’on me demande
exactement ?) et ensuite à faire le
tri parmi les références que nous avons « jetées » pêle-mêle sur le
papier entre celles qui sont vraiment dans le sujet et celles qui le sont moins
ou pas du tout.
Prenons un exemple par
rapport à ce sujet : nous pouvons penser à plusieurs films: « Into
the wild » de Sean Penn, « Matrix » des frères Wachovski,
« La vie est belle » de Roberto Benigni. La meilleure référence est
sans discussion la dernière et la moins bonne est la première, parce que le
film de Benigni interroge vraiment le rapport entre l’homme et les évènements qu’il
vit en suggérant que tout est affaire d’interprétation et qu’il est
envisageable de vire bien « l’horreur ». Le film de Sean Penn se
situe dans une problématique philosophique différente qui concerne plutôt la
question du rapport à autrui. De plus Chis recherche la vérité plutôt que le
bonheur. Matrix est une référence cinématographique mobilisable sur un grand
nombre de sujet philosophique et c’est bien le cas ici (Cypher préfère
l’illusion de la matrice à la réalité, il mise sur l’impossibilité de ne faire
dépendre notre bonheur que de nous face à l’adversité des évènements puisque il
préfère court-circuiter le rapport au Réel). Le brouillon est moins un filet de
protection qu’une boussole qui nous permet de nous orienter quand nous sommes
perdus. C’est exactement dans cet esprit là qu’il faut le rédiger.
2)
L’introduction
Il est évident que le
souvenir d’une ou deux citations sur le bonheur peut aider, notamment parce que
de très nombreux auteurs ont insisté sur la nature à la fois incontournable du
bonheur et indéfinissable. Par ce terme de bonheur, nous désignons finalement
ce qui nous motive. Quoi que nous fassions, c’est pour être heureux que nous le
faisons, mais en même temps, nous sommes bien en peine de dire ce qu’il est
quand on nous interroge. Comment expliquer qu’une motivation aussi constante,
aussi incontestablement présente en nous soit aussi floue, indéterminée,
insaisissable ? Quelque chose ici peut nous interpeller : le bonheur
a les mêmes caractéristiques que le sujet juste après le raisonnement de Descartes
dans la seconde médiation (Cogito) : à savoir que je sais que je suis,
mais je ne sais pas encore qui je suis. Cela ne peut pas être
une coïncidence. Je sais que je suis une chose qui pense et donc qui existe. De
la même façon je sais que je veux être heureux sans savoir ce que c’est qu’être
heureux. Le bonheur peut-il s’imposer à nous autrement qu’à titre de certitude
existentielle, je sais qu’il existe, sans savoir en quoi il consiste. Si la
réponse à cette question est non, alors il est vraiment possible de situer les
deux interrogations en parallèle : peut-être n’existe-t-il pas d’autre
possibilité pour savoir qui l’on est que de savoir que l’on est. Ce que je
suis, c’est alors la conscience d’être et de la même façon, ce que le bonheur est,
c’est la conscience de l’être ; Je serai heureux en toute circonstance si
je veux l’être. Tout ne serait alors qu’une affaire de conviction, de maîtrise
de soi, d’état d’esprit et, en effet, le bonheur ne dépendrait que de nous.
3)
Le plan
Notre introduction a cet
avantage d’avoir mis à jour les présupposés du sujet et la contradiction qu’il
contient. Le bonheur ne dépend que de moi si par ce terme il faut entendre
cette aptitude dont je jouirais de pouvoir nourrir cette conscience d’être
heureux quels que soient la nature des évènements qui me touche. Mais en même
temps, la notion fait référence à un tel ravissement, à une telle plénitude
qu’on a du mal à concevoir ce sentiment autrement que soudain, imprévisible,
non programmable. Il y a dans le bonheur cette ambiguité de l’intériorité et de
la sidération. En même temps, on a l’impression qu’il est impossible d’être
heureux si l’on y met pas du sien (travail sur soi) mais l’extase du bonheur
évoque un état suffisamment total pour que l’on voit mal comment la médiation
d’une conscience, ou d’une réflexivité quelconque puisse s’immiscer ici. Une
amorce de plan peut se profiler lorsque nous discernons mieux les obstacles à
la réponse positive :
1)
Est-ce que la
conscience ne m’interdirait pas d’être heureux puisque elle insinue de la
médiation et que le bonheur décrit un ravissement de TOUT mon être ?
2)
Le désir est une
modalité de relation extrêmement trouble parce qu’il rend impossible tout ce
vers quoi il tend (fantasme, idéalisation). Le désir nous empêche t-il d’être
heureux ou bien peut-on de soi-même travailler sur soi pour les rendre
compatibles avec notre bonheur ?
3)
Comment
pourrions-nous être heureux lorsque notre existence se déploie dans une
dimension qui contient structurellement notre finitude, notre mortalité, à
savoir le temps ?
4)
Les transitions
Nous disposons de nos
parties : il sera question de la conscience dans un premier temps, puis du
désir puis du temps. Rien ne serait pire que de donner à cette succession la
forme d’une énumération. Ce n’est pas parce que « ça fait joli » que
ce plan est bon, mais parce qu’en effet la capacité du sujet à se rendre
heureux sans dépendre des autres ou des faits s’oppose d’abord à sa conscience
(tout ce que nous vivons l’est de façon relative, ou rapporté de soi à soi, et
donc pas dut tout de façon absolue, alors que le bonheur fait signe d’un
bien-être total et « plein ». Nous sortirons de cette ambiguité en
montrant que la conscience ne consiste pas tant dans cette division que dans
l’assomption des évènements, laquelle nous permet de leur donner sens,
c’est-à-dire d’exister plutôt que de simplement vivre.
Mais dans notre conscience
réside une anxiété fondamentale, c’est celle que fait naître le rapport entre
nos désirs et leurs objets : « l’inquiétude d’une volonté toujours
exigeante, sous quelque forme qu’elle se manifeste, emplit et trouble sans
cesse la conscience. » - Schopenhauer. Nous venons de voir et de résoudre
la question de la conscience mais nous relevons dans la conscience le trouble
du désir, c’est ce trouble que Schopenhauer analyse avec beaucoup de justesse
et de cruauté et que les Stoïciens et les Epicuriens solutionneront chacun à
leur manière.
Epicure que nous aurons
étudié à la fin de cette seconde partie évoque lui-même dans la lettre à
Ménécée cette distinction entre l’immortalité et l’Eternité qui décrivent deux
façons différentes de vivre le temps, la transition de la partie 2 à la partie
3 sera ainsi facilement assurée.
5)
L’utilisation des références
La règle essentielle est ici
de ne jamais laisser notre volonté d’épater notre correcteur par notre
« grande culture » et notre connaissance de nombreuses références
primer sur le traitement du sujet. Tout professeur de philosophie sait
discerner ce qui relève de la poudre aux yeux et de l’effort de réflexion
abouti qui laisse venir à l’esprit la bonne référence au bon moment. Il ne faut
donc rien forcer ni précipiter. Le souvenir de tel auteur, de tel livre,
éventuellement de tel film viendra si nous sommes déjà beaucoup entraîné à cet
exercice qui consiste à traiter des sujets et à assister, presque en
spectateur, à cette aptitude quasi naturelle de notre mémoire visuelle ou
graphique à mobiliser des thèses, des images, des exemples et des arguments.
Nous n’y parviendrons pas si le travail de problématisation et de compréhension
précise du sujet a été mal fait, et cela suppose bien un effort, mais notre
mémoire est plus capricieuse, et il importe de lui lâcher la bride pour qu’elle
parvienne d’elle-même à faire resurgir de notre passé d’élèves de terminale les
références adéquates.
Les citations ne sont pas
absolument requises. Notre correcteur appréciera au contraire, que ce soit avec
nos mots que nous évoquons la pensée d’un auteur, cela marquera notre
assimilation de sa pensée.
6)
La conclusion
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