Selon Pascal, le bonheur est
« le motif de toutes les actions des hommes, jusqu’à ceux qui vont se
pendre ». On n’imagine pas, en effet, qu’un être humain puisse accomplir
quoi que ce soit sans en attendre une amélioration de sa situation, de son
état, de sa vie. Aussi différents que soient nos moyens pour y parvenir, c’est
donc le bonheur que nous visons. Cette unanimité qui prévaut concernant nos
motivations va étrangement de pair avec l’indétermination de leur objet commun,
car nous sommes bien en peine de définir le bonheur. Il est selon Kant
« un idéal, non de la raison, mais de l’imagination fondé uniquement sur
des principes empiriques. » Aucune loi ne peut donc se constituer sur une
base aussi aléatoire et contingente. Il n’existe pas de méthode ni de mode
d’emploi pour être heureux. Faut-il en conclure, comme le suggère l’étymologie,
qu’il arrive sans prévenir, de façon aussi imprévisible qu’impromptue
(bon-heur : bonne fortune, chance, fatalité heureuse) ? Il est vrai
que le bonheur se distingue du plaisir. Il n’existe pas dans notre cerveau une
configuration systématique et fonctionnelle qui serait à même, comme c’est le
cas pour le système de récompense, de nous garantir le bonheur moyennant
certaines actions ou substances. Nous ne sommes donc pas physiquement faits
pour être heureux. Mais précisément nous pouvons peut-être en déduire qu’il ne
dépend dès lors que de « nous » de l’être puisque rien de notre
constitution, de notre état naturel « donné » ne nous prédispose à
l’être ou à ne pas l’être, comme si la recherche du bonheur pointait vers une
partie de nous qui ne tiendrait ni de cet idéal de la raison susceptible de
définir des notions universelles comme la vérité ou la liberté (le je transcendantal
chez Kant), ni de notre existence physique, de cette condition donnée qu’est
notre corps. Se pourrait-il que le bonheur soit comme l’occasion qui nous est
donnée de circonscrire en nous ce qui ne tiendrait précisément que de nous et
se détacherait ainsi radicalement de l’influence des autres et des
circonstances, comme si le bonheur ne dépendait que de notre aptitude à nous
connaître nous-mêmes. Est-il envisageable que cette double caractéristique du
bonheur qui le rend tout à la fois incontournable et indéfinissable porte en
elle, comme en écho, la nature trouble de notre existence la plus singulière
puisque de fait je sais bien que je suis sans savoir pour autant qui je
suis ? La recherche du bonheur est-elle indissociable de la connaissance
de soi ? Se pourrait-il qu’il
n’existe pas d’autre bonheur que celui de se connaître soi-même et qu’on
ne puisse conséquemment être heureux qu’en y « mettant du sien »?
Analyse du
sujet
S’il ne dépendait que de
nous d’être heureux, comment expliquer que la plupart des hommes ne jouissent
pas du bonheur? Parce que cela supposerait un « travail sur soi »,
une ascèse peut-être ou, pour le moins, un calcul des désirs (Epicure). Il est
moins question ici de savoir si l’on peut être heureux ou pas que de
s’interroger sur la nature du bonheur. Quelle est exactement sa texture, sa
matière ? De quoi est-il fait ? Est-elle évènementielle ou
circonstancielle comme tend à nous le faire croire telle ou telle publicité
d’une agence de voyage qui nous recommande un voyage aux Seychelles (je suis
heureux si j’ai de quoi payer) ? Ne serait-elle pas plutôt
« tissée » dans le pli d’une certaine disposition de mon être auquel
j’aurai œuvré en vue de me rendre heureux indépendamment de la chance ou des
coups du sort de la vie ? Peu de films sont allés aussi loin dans
l’exploration de cette voie que celui de Roberto Benigni : « La
vie est belle ». On y voit un père convaincre son fils interné comme lui dans
un camp de concentration que tout ceci n’est qu’un jeu. Le bonheur est alors
exclusivement une affaire d’interprétation. Aucun événement ne serait en
lui-même « bon » ou « tragique ». Il nous reviendrait
constamment de dissocier dans notre vie, « ce qui nous arrive » de la
disposition d’esprit et de corps avec laquelle nous l’accueillons, nous la
faisons notre, et toute la question est de savoir si cette disposition ne
définirait pas exactement ce que nous sommes, la qualité de présence aux évènements
dans laquelle nous consistons. Ne serions nous pas simplement mais aussi
entièrement « cela » : cette façon d’accueillir les choses, de
les vivre, comme une sorte d’ « interface » qui manifesterait
toujours l’efficience d’une marge d’autodétermination à l’égard des faits. Nous
serions alors ce « que nous pouvons » face aux aléas de circonstances
auxquels nous ne pouvons rien. Dans la ténuité même de cette infime marge de
manœuvre où se dessine comme le fin tracé de ces estampes japonaises, nous
« existerions » parce qu’à la fois rien n’est plus nécessaire ici que
de « faire face » à ce qui arrive et rien n’est plus contingent que
ce qui arrive. « Etre » désignerait alors ce mixte de nécessité et de
contingence où quelque chose se dit de notre radicale insignifiance (nous
aurions pu ne pas exister) et de notre irrévocable ancrage à la vie (mais
précisément nous existons). Dans cette perspective, être heureux est absolument
indissociable de l’acte qui consiste à se connaître soi-même. Il n’y aurait
rien à faire pour être heureux, mais seulement à « être » pour se
faire heureux. Ne pas être « juste », mais juste « être ».
1)
Le bonheur et la conscience (Genèse – Merleau-Ponty –
Pascal)
a) La
conscience du malheur ou l’inconscience d’être heureux ?
Il est possible de lire
l’épisode du fruit défendu comme un choix ou un test auquel l’Eternel soumet
ses créatures : préférez-vous rester avec moi et goûter les fruits de
l’arbre de vie qui donne l’immortalité mais sans jamais toucher au fruit de
l’arbre de la connaissance du bien et du mal qui rend conscient ou bien
choisissez-vous de réaliser votre condition (dans tous les sens du terme) en
devenant conscient de ce qui dés lors et simultanément deviendra une vie
mortelle, dépréciée par la déchéance, condamnée au labeur ? Nous aurions tort de penser que la réponse d ’Adam et Eve est la plus
mauvaise car après tout, qu’avons-nous à faire d’un bonheur dont nous ne
pouvons pas jouir puisque nous ne le réalisons pas ? Qu’est-ce qui est
heureux en moi si la conscience de soi (la conscience d’être moi, donc) n’est
pas éveillée ?
En 1974, le philosophe
américain Robert Nozick évoque une expérience que l’on pourrait, toute
proportion gardée, rapprocher de la Genèse. Représentons-nous une machine à
être heureux, une espèce de caisson dans lequel nous serions branchés à des
électrodes qui nous enverraient les stimulations neuronales correspondant à
notre conception du bonheur. Nous pouvons compliquer un peu cette expérience en
imaginant un groupe d’amis qui accepterait cette expérience en définissant le
bonheur comme la possibilité de vivre ensemble. Chacun d’eux vivrait ce bonheur
dans la boîte mais séparément, au gré d’une modalité autosuggérée. Quelle
serait toute à la fois la pertinence d’une telle démarche et son
absurdité ? Elle part du principe qu’étant entendu qu’il est impossible
que les évènements réels nous rendent heureux, il vaut mieux se réfugier dans
un mécanisme qui ne me confronte qu’à des substituts d ‘évènements.
Qu’importe puisque finalement je n’en vis que l’efficience neuronale, que
l’impact nerveux. Au lieu d’œuvrer pour me rendre heureux de n’importe quel
événement, je me retire du monde réel et m’illusionne moi-même afin de croire
que je suis heureux, persuadé que je suis que le bonheur ne réside que dans un
flux d’impressions parfaitement dissociable de la réalité de leur origine. Dans
le cas des amis, on mesure bien l’absurdité de la machine de Nozick (et c’est
d’ailleurs exactement cela qu’il voulait démontrer). Pourquoi se séparer pour
vivre l’illusion d’être ensemble ?
Quelque chose de cette expérience pousse à son paroxysme la panique
engendrée en nous par la certitude qu’il ne dépend pas de nous d’être heureux,
et ce que l’on détruit dans cette expérience c’est précisément
« nous », à savoir notre conscience. Cette représentation passive
dans laquelle je ne serai qu’un organisme doté d’un système nerveux auquel on
pourrait faire croire qu’il vit tout ce qu’il aurait envie de vivre, c’est
exactement ce que je ne suis pas, parce que je consiste au contraire dans cette
aptitude à me faire à ce que je ne veux pas, à donner du sens à ce qui ne
semble pas en avoir de prime abord, c’est-à-dire à ma conscience. Pas de
bonheur sans conscience (authentique et éveillée) d’être heureux.
b) Vie
seconde
« Toute conscience
est malheureuse car elle se sait vie seconde » dit Merleau-Ponty, dans une
perspective qui semble contredire ce que nous venons de poser à partir de la
machine de Nozick. En effet, quoi que l’on fasse consciemment, nous nous
rendons compte de ce que nous faisons, et sommes dés lors distants de notre
acte. Avec la machine de Nozick, nous réalisions que notre inconscience nous
mettait à distance de la réalité, mais voilà qu’il apparaît qu’avec la
conscience aussi, car de fait la conscience établit entre moi et tout ce qui
m’arrive, en y incluant mes sensations, le rapport acteur/spectateur (je de
l’énoncé / je de l’énonciation – Lacan). Ce que je vis consciemment, je ne le
vis pas totalement.
Et pourtant c’est bel et
bien précisément par cette distance que je lui donne du sens, ce dont
Merleau-Ponty, en tant que philosophe de l’intentionnalité (Husserl), est plus
convaincu qu’aucun autre. Ma consistance de « sujet », c’est ce qui
se construit précisément dans cet ouvrage par lequel je donne sens à ce que je
vis en l’assumant. La réalisation de l’événement que je vis par ma conscience
n’est pas que distanciation, elle est aussi assomption, revendication et c’est
exactement grâce à elle que je suis moins un vivant qu’un existant (distinction entre le fait passif et brut de
vivre et l’affirmation de l’exister). Il ne dépend que de moi d’être heureux si
je suis assez conscient pour exister plus que de vivre.
c) L’espérance
et le regret (Pascal vs Bergson)
Mais cette distinction
entre vivre et exister résiste-t-elle vraiment au décalage inhérent à toute
prise de conscience ? « Le présent n’est jamais notre fin, le passé
et le présent sont nos moyens. Le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne
vivons jamais mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être
heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. » Notre capacité
à penser nous permet de nous souvenir et de nous projeter dans le futur, de
telle sorte que nous oscillons constamment entre le regret de ce que nous ne
vivons plus et l’espérance à l’égard de ce que nous ne vivons pas encore. Or
cette disposition d’esprit nous rend incapables de jouir de la seule dimension
que nous avons vraiment et qui est le présent. L’homme ne se contente jamais du
présent alors qu’il n’a rien d’autre à vivre. Pascal a raison sur ce point,
mais il ne prend pas en compte le fait que la conscience nous ouvre également
les portes d’une autre façon de vivre le temps, modalité non successive mais
continue. Nous pouvons réaliser le mouvement des évènements qui nous arrive, ce
que nous appelons « leur cours » en faisant le lien avec le dynamisme
de nos propres états de conscience (Bergson). Dés lors ce qui m’arrive est
« mien », non pas parce que cela impacte ma personne comme une
altérité mais au contraire parce que cela suit le même flux et qu’il m’est
impossible de devenir autrement et ailleurs qu’en suivant le même courant que
celui qui anime « la propension des choses. »
2)
Le bonheur et le désir ( Schopenhauer- Les Stoïciens -
Epicure)
a)
Le désir des suppliciés (Schopenhauer)
Nous venons de voir que
notre conscience pouvait triompher des ennemis extérieurs, des aléas des
circonstances comme de la finitude de sa condition (à laquelle il ne peut rien)
mais qu’en est-il des ennemis intérieurs comme nos désirs ? Bien qu’utilisant
ici le terme de volontés, c’est bien à nos désirs que Schopenhauer fait
référence dans ce texte :
"Tout vouloir procède
d'un besoin, c'est-à-dire d'une privation, c'est-à-dire d'une souffrance. La
satisfaction y met fin ; mais pour un désir qui est satisfait, dix au
moins sont contrariés ; de plus le désir est long et ses exigences tendent
à l'infini ; la satisfaction est courte et elle est parcimonieusement
mesurée. Mais ce contentement suprême n'est lui-même qu'apparent ; le
désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ; le premier est
une déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue. La
satisfaction d'aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et
inaltérable. C'est comme l'aumône qu'on jette à un mendiant : elle lui
sauve aujourd'hui la vie pour prolonger sa misère jusqu'à demain. - Tant que
notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à
la pulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu'il fait
naître, tant que nous sommes sujets du
vouloir, il n'y a pour nous ni bonheur durable, ni repos. Poursuivre ou fuir,
craindre le malheur ou chercher la jouissance, c'est en réalité tout un ;
l'inquiétude d'une volonté toujours exigeante, sous quelque forme qu'elle se manifeste,
emplit et trouble sans cesse la conscience ; or sans repos le véritable
bonheur est impossible. Ainsi le sujet du vouloir ressemble à Ixion attaché
sur une roue qui ne cesse de tourner, aux Danaïdes qui puisent toujours pour
emplir leur tonneau, à Tantale éternellement altéré".
A.Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation(1818)
Nous ne cessons d’osciller perpétuellement
entre la satisfaction provisoire du dernier désir et l’insatisfaction née de la
perspective du prochain. Pour s’extraire de ce cycle ininterrompu de
souffrances, il faut en nous faire taire « la demande », ce qui
revient à une forme de nihilisme, de destruction de la moindre aspiration. Il
existe en effet dans l’univers une force que Schopenhauer appelle le « vouloir-vivre ».
C’est cette force qui nous condamne à désirer sans cesse et à errer ainsi
continuellement de nos espoirs à nos désespoirs. Il n’y a pas d’autre moyen
d’être heureux que de s’exclure de ce cycle en niant le vouloir-vivre. En quoi
cela consiste-t-il ? A être spectateur et non plus acteur de la vie. L’art
et la contemplation sont les deux seules possibilités de jouir d’un bonheur
très ataraxique (plus que celui d’Epicure). Pour ne pas souffrir du manque, il
convient de ne plus désirer du tout et s’impliquer exclusivement dans des
modalités d’activité gratuites, désintéressées, comme la musique, la
méditation, l’écriture ou encore ce qu’il appelle le sublime : « la
disparition de l’individu devant l’omnipotence de la nature et devant la dimension
écrasante du temps » La solution proposée par Schopenhauer a donc quelque
chose de radical : pour être heureux, il n’est pas du tout question de
s’efforcer de ne faire dépendre mon bonheur que de moi mais précisément de ne
plus être moi, de ne plus avoir quoi que ce soit de moi à opposer au monde ou à
la nature. Peut-être y-a-t-il ici l’expression d’une forme de « non »
au vouloir-vivre que Nietzsche, grand lecteur de Schopenhauer, saura
transformer en « oui » par l’Eternel retour. Il dépend de moi de ne
plus avoir de moi et c’est ça être heureux, pour Schopenhauer
b) Changer
ses désirs
Face aux désirs, nous
disposons de solutions moins radicales que celle de Schopenhauer, ce sont
celles que nous proposent le Stoïcisme et l’Epicurisme qui aussi différentes soient-elles
(et elles le sont radicalement) ont au moins ce point commun de nous décrire
une forme de travail soit par l’ascèse (Epictète, Marc-Aurèle) soit par le
calcul et la sélection (Epicure). Le maître mot des Stoïciens est en effet de
faire toujours la part dans quelque événement que ce soit de ce qui y dépend de
nous et ce qui n’en dépend pas. Il ne dépend pas de moi que ma femme soit morte
si elle décède d’une maladie. Mais il dépend de moi de réagir bien ou mal à
cette mort. La réalisation rigoureuse de la liberté dont je dispose face aux
évènements de la vie conditionne également mon bonheur. Peu de philosophies
prennent autant que le stoïcisme l’étymologie du terme de bonheur au pied de la
lettre : être heureux c’est être dans « l’heur » de l’événement,
c’est-à-dire au diapason de ce qui advient parce que je suis exactement
« ce que je peux » face aux évènements c’est-à-dire purement et
simplement cette boîte de résonance humaine faisant preuve d’assez de sobriété
et de sagesse pour « prendre acte » de ce qui est, et au sens propre,
s’y faire, c’est-à-dire s’y constituer. On pourrait croire qu’il y a un rapport
avec Schopenhauer, mais c’est faux, car ce dernier préconise une forme
d’annihilation pure et simple de ma volonté, de ma personne, de mon ego, alors
que les Stoïciens conseillent au contraire une affirmation de soi dans la
claire délimitation des rôles impartis à chacun, à la sagesse du sujet et à
l’inéluctabilité des évènements.
c) Le calcul
des désirs (plaisir de n’avoir pas besoin du plaisir – Epicure)
Plutôt que d’aimer ce qui
m’arrive, indépendamment de la nature même de ce qui m’arrive, Epicure nous
décrit avec précision la teneur du travail sur soi qu’il convient d’opérer pour
se rendre heureux. C’est un travail tout à la fois intérieur et guidé par la
sensation, dans lequel il convient de faire preuve de prudence. On ne peut pas
dire qu’il s’agit d’une ascèse car c’est le plaisir qui prévaut mais par ce
terme, Epicure désigne finalement le plaisir de n’avoir pas besoin d’autre
plaisir que celui-là même que j’éprouve en existant et en ne manquant de rien.
Si je parviens à ne satisfaire que les désirs naturels et nécessaires (ceux qui
sont nécessaires à la vie comme manger et boire, ceux qui sont nécessaires à la
tranquillité du corps comme le fait d’avoir un abri et un manteau), ceux qui
sont nécessaires au bonheur comme la philosophie et l’amitié), je serai
nécessairement heureux et je pourrai rivaliser d’indépendance avec les dieux.
3)
Le bonheur et le temps (Distinction Eternité /
Immortalité : Epicure, Rousseau)
a) La
distinction immortalité / Eternité
C’est
Epicure qui nous invite à distinguer le désir d’immortalité qui est de nature
quantitative, puisque il s’agit de vouloir constamment rajouter des instants
aux instants : « vivre plus » avec le désir d’éternité qui
consiste plus simplement à vivre un éternel présent, à s’éterniser dans le
moment que nous vivons sans vouloir en sortir. Si en effet, j’ai opéré la
sélection des désirs, je ne manque de rien non pas parce que j’aurai tout à ma
disposition mais parce que j’ai la sagesse de réaliser qu’il n’est rien que
l’on puisse demander de plus à la vie que de la vivre. « On ne va pas
s’éterniser » est le maître mot des gens pressés « qui ont à
faire ». Avec Epicure on saisit que la réponse heureuse à formuler face à
cet impératif est : « Si justement, on peut et on doit
s’éterniser » parce qu’aucune tâche n’est plus sérieuse que celle
d’exister :
« - Je n’ai rien fait
aujourd’hui.
- N’avez-vous pas vécu, c’est
non seulement la plus fondamentale, mais aussi la plus illustre de vos
préoccupations. »
Montaigne
b) Juste
exister (Rousseau)
« Mais
s’il est un état où l’âme trouve une assiette assez solide pour s’y reposer
tout entière rassembler là tout son être,
sans avoir besoin de rappeler le passé ni d’enjamber sur l’avenir ; où le temps
ne soit rien pour elle, où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa
durée et sans aucune trace de succession, sans aucun autre sentiment de
privation ni de jouissance, de plaisir ni de peine, de désir ni de crainte que
celui seul de notre existence, et que ce sentiment seul puisse la remplir tout
entière ; tant que cet état dure celui qui s’y trouve peut s’appeler heureux,
non d’un bonheur imparfait, pauvre et relatif tel que celui qu’on trouve dans
les plaisirs de la vie, mais d’un bonheur suffisant, parfait et plein, qui ne
laisse dans l’âme aucun vide qu’elle sente le besoin de remplir. Tel est
l’état où je me suis trouvé souvent à l’île de Saint-Pierre dans mes rêveries
solitaires, soit couché dans mon bateau que je laissais dériver au gré de
l’eau, soit assis sur les rives du lac agité, soit ailleurs au bord d’une belle
rivière ou d’un ruisseau murmurant sur le gravier. »
Conclusion
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