«Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible, et que les raisons qui l'ont déterminé à promettre n'existent plus : tel est le précepte à donner. Il ne serait pas bon sans doute, si les hommes étaient tous gens de bien ; mais comme ils sont méchants, et qu'assurément ils ne vous tiendraient point leur parole, pourquoi devriez-vous tenir la vôtre ? […] Ce qui est absolument nécessaire, c'est de savoir bien déguiser cette nature de renard, et de posséder parfaitement l'art de simuler et de dissimuler […]. On doit bien comprendre qu'il n'est pas possible à un prince, et surtout à un prince nouveau, d'observer dans sa conduite tout ce qui fait que les hommes sont réputés gens de bien, et qu'il est souvent obligé, pour maintenir l'État, d'agir contre l'humanité, contre la charité, contre la religion même. Il faut donc qu'il ait l'esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon que le vent et les accidents de la fortune le commandent ; il faut, comme je l'ai dit, que tant qu'il le peut il ne s'écarte pas de la voie du bien, mais qu'au besoin il sache entrer dans celle du mal.»
Machiavel
« Une maxime […] que je ne peux pas divulguer sans faire échouer par là mon propre dessein, une maxime qu’il faut absolument garder secrète, pour qu’elle réussisse et que je ne peux pas avouer publiquement sans susciter par là, immanquablement, la résistance de tous à mon projet, ne peut devoir cette opposition contre moi, opposition nécessaire, universelle, qu’au tort dont elle menace chacun »
Kant
« Il faut tenir le droit des hommes pour sacré, quoi qu’il en coûte des sacrifices au pouvoir dominant. Il n’y a pas ici de demi-mesure, et on ne peut imaginer [un] milieu (entre le droit et l’intérêt) ; au contraire, il faut que toute politique plie le genou devant le droit ».
Kant
"Nous avons coutume aujourd'hui de ne voir dans l'amitié qu'un phénomène de l'intimité, où les amis s'ouvrent leur coeur sans tenir compte du monde et de ses exigences. Rousseau est le meilleur représentant de cette conception conforme à l'aliénation de l'individu moderne qui ne peut se révéler vraiment qu'à l'écart de toute vie publique, dans l'intimité et le face à face. Ainsi nous est-il difficile de comprendre l'importance politique de l’amitié. Lorsque, par exemple, nous lisons chez Aristote que la philia, l'amitié entre citoyens, c'est une des conditions fondamentales du bienêtre commun, nous avons tendance à croire qu'il parle seulement de l'absence de factions et de guerre civile au sein de la cité. Mais pour les Grecs, l'essence de l'amitié consistait dans le discours. Ils soutenaient que seul un « parler-ensemble » constant unissait les citoyens en une polis. Avec le dialogue se manifeste l'importance politique de l'amitié, et de son humanité propre. Le dialogue (à la différence des conversations intimes où les âmes individuelles parlent d'elles-mêmes), si imprégné qu'il puisse être du plaisir pris à la présence de l'ami, se soucie du monde commun, qui reste « inhumain » en un sens très littéral, tant que des hommes n'en débattent pas constamment. Car le monde n'est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de dialogue. Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément quelles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu'au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables. Tout ce qui ne peut devenir objet de dialogue peut bien être sublime, horrible ou mystérieux, voire trouver voix humaine à travers laquelle résonner dans le monde, mais ce n'est pas vraiment humain. Nous humanisons ce qui se passe dans le monde en nous en parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à être humains".
Hannah Arendt, Vies politiques
Ces exemples dévoilent un principe : celui de l'utilité collective. La cellule est " altruiste " : elle sait disparaître au profit de l'ensemble. Or, l'altruisme est né de combats " égoïstes ", de luttes pour la survie. La collectivité des cellules, pour survivre, donne l'ordre de se sacrifier à une partie d'elle-même. Ce phénomène date sans doute des premières symbioses, entre bactéries et virus.
Le suicide cellulaire est très ancien, on le trouve chez des unicellulaires tels que les bactéries. Mêmes les bactéries sont exposées à des agents infectieux, des unicellulaires plus petits, tels que les virus ou les plasmides. Le destin de la colonie de bactéries et du virus qui l'attaque sont étroitement liés. Le suicide des bactéries attaquées intervient pour sauver le reste : politique de la terre brûlée. Mais le virus voyage et attaque une autre partie de la colonie qui se suicide à son tour, et ainsi de suite, sachant que chaque suicide fournit aussi de la nourriture aux bactéries qui restent, ce qui leur donne la force de se multiplier. Un tel processus n'a plus de fin ; c'est une symbiose : la symbiose lie en fait des ennemis qui ne peuvent revenir en arrière, la seule solution à la nuisance, c'est la mort de certaines bactéries pour sauver les autres.
On peut alors parler d'une démocratie bactérienne, mais cette démocratie fonctionne pour les besoins de la guerre. Le vote se fait à la majorité et il faut que celle-ci soit représentative, c'est-à-dire qu'un quorum soit atteint. C'est ce qui se passe au niveau des signaux que les bactéries émettent. La décision de se tuer est en fait une décision collective. Il s'agit d'une démocratie d'essence totalitaire, où une majorité représentative décide de sacrifier la minorité la plus exposée au virus.
Jean-Claude Ameisen
Machiavel
« Une maxime […] que je ne peux pas divulguer sans faire échouer par là mon propre dessein, une maxime qu’il faut absolument garder secrète, pour qu’elle réussisse et que je ne peux pas avouer publiquement sans susciter par là, immanquablement, la résistance de tous à mon projet, ne peut devoir cette opposition contre moi, opposition nécessaire, universelle, qu’au tort dont elle menace chacun »
Kant
« Il faut tenir le droit des hommes pour sacré, quoi qu’il en coûte des sacrifices au pouvoir dominant. Il n’y a pas ici de demi-mesure, et on ne peut imaginer [un] milieu (entre le droit et l’intérêt) ; au contraire, il faut que toute politique plie le genou devant le droit ».
Kant
"Nous avons coutume aujourd'hui de ne voir dans l'amitié qu'un phénomène de l'intimité, où les amis s'ouvrent leur coeur sans tenir compte du monde et de ses exigences. Rousseau est le meilleur représentant de cette conception conforme à l'aliénation de l'individu moderne qui ne peut se révéler vraiment qu'à l'écart de toute vie publique, dans l'intimité et le face à face. Ainsi nous est-il difficile de comprendre l'importance politique de l’amitié. Lorsque, par exemple, nous lisons chez Aristote que la philia, l'amitié entre citoyens, c'est une des conditions fondamentales du bienêtre commun, nous avons tendance à croire qu'il parle seulement de l'absence de factions et de guerre civile au sein de la cité. Mais pour les Grecs, l'essence de l'amitié consistait dans le discours. Ils soutenaient que seul un « parler-ensemble » constant unissait les citoyens en une polis. Avec le dialogue se manifeste l'importance politique de l'amitié, et de son humanité propre. Le dialogue (à la différence des conversations intimes où les âmes individuelles parlent d'elles-mêmes), si imprégné qu'il puisse être du plaisir pris à la présence de l'ami, se soucie du monde commun, qui reste « inhumain » en un sens très littéral, tant que des hommes n'en débattent pas constamment. Car le monde n'est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de dialogue. Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément quelles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu'au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables. Tout ce qui ne peut devenir objet de dialogue peut bien être sublime, horrible ou mystérieux, voire trouver voix humaine à travers laquelle résonner dans le monde, mais ce n'est pas vraiment humain. Nous humanisons ce qui se passe dans le monde en nous en parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à être humains".
Hannah Arendt, Vies politiques
Ces exemples dévoilent un principe : celui de l'utilité collective. La cellule est " altruiste " : elle sait disparaître au profit de l'ensemble. Or, l'altruisme est né de combats " égoïstes ", de luttes pour la survie. La collectivité des cellules, pour survivre, donne l'ordre de se sacrifier à une partie d'elle-même. Ce phénomène date sans doute des premières symbioses, entre bactéries et virus.
Le suicide cellulaire est très ancien, on le trouve chez des unicellulaires tels que les bactéries. Mêmes les bactéries sont exposées à des agents infectieux, des unicellulaires plus petits, tels que les virus ou les plasmides. Le destin de la colonie de bactéries et du virus qui l'attaque sont étroitement liés. Le suicide des bactéries attaquées intervient pour sauver le reste : politique de la terre brûlée. Mais le virus voyage et attaque une autre partie de la colonie qui se suicide à son tour, et ainsi de suite, sachant que chaque suicide fournit aussi de la nourriture aux bactéries qui restent, ce qui leur donne la force de se multiplier. Un tel processus n'a plus de fin ; c'est une symbiose : la symbiose lie en fait des ennemis qui ne peuvent revenir en arrière, la seule solution à la nuisance, c'est la mort de certaines bactéries pour sauver les autres.
On peut alors parler d'une démocratie bactérienne, mais cette démocratie fonctionne pour les besoins de la guerre. Le vote se fait à la majorité et il faut que celle-ci soit représentative, c'est-à-dire qu'un quorum soit atteint. C'est ce qui se passe au niveau des signaux que les bactéries émettent. La décision de se tuer est en fait une décision collective. Il s'agit d'une démocratie d'essence totalitaire, où une majorité représentative décide de sacrifier la minorité la plus exposée au virus.
Jean-Claude Ameisen
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