L’expérience des fentes de Young (1801) a clairement montré la structure ondulatoire de la lumière. Quand on projette le faisceau au travers de la plaque trouée en deux endroits et qu’on installe un écran qui va capturer les signaux derrière les plaques, on distingue des raies c’est ce que l’on appelle un patron d’interférences. Si l’on bloque l’une des fentes, tout l’écran sera empreint d’un seul signal uniforme parce qu’il n’y aura pas eu interférences entre deux trains d’onde puisque la plaque n’était pas trouée en deux endroits.
Par rapport à notre sujet, c’est décisif, cela signifie que « constater un fait », c’est déjà problématique en soi dés lors que l’on se situe dans une perspective quantique. Toutes les expériences dont il est question dans cet article sont « des expériences sur l’expérience ». Ce n’est pas que la science se limite à constater les faits, c’est qu’elle est assez rigoureuse et fine pour saisir à quel point ce « constat » est beaucoup moins simple ou donné qu’il y paraît. Qu’il y ait une réalité qui se donne de façon brute et uniforme est absolument douteux, voire faux. Les conditions de l’observation transforment la réalité observée, de telle sorte qu’il semble impossible d’affirmer que l’on voit quoi que ce soit sans que le "voir" n’influence toujours déjà le « vu ». C’est comme si une expérience objective nous faisait réaliser qu’il n’existe pas d’expérience objective, que cette objectivité là n’existait pas mais que l’on voit toujours ce qui est rendu possible par les conditions de ce « voir ».
L’invention de l’interféromètre de Mach Zender permet de complexifier et d’approfondir considérablement tout ce que Young avait mis à jour. En un sens cela revient au même. On crée un dispositif dans lequel le faisceau lumineux est envoyé sur une plaque semi-réfléchissante, puis renvoyé pour chacun d’eux (puisque la plaque semi-réfléchissante a scindé le rayon en deux) par miroir (une plaque complètement réfléchissante pour enfin être recombiner au travers d’une seconde plaque réfléchissante. A la sortie de cette seconde plaque, deux détecteurs de signaux sont placés. On obtient ainsi un rectangle qui finalement revient exactement à l’expérience des fentes de Young en plus compliqué. Pour recréer l’identique des interférences il suffit de rallonger la longueur de l’un des trajets. On constatera alors la même sinuosité que ce qui dans les fentes de Young se traduisaient par des interstices.
Mais John Wheeler conçoit alors une expérience fascinante qu’il n’a pas pu exécuter. C’est une équipe de scientifiques français qui l’a faite en 2006 grâce à Vincent Jacques et à Alain Aspect. L’expérience de Wheeler consiste d’abord à prendre acte de cette incroyable capacité du photon ou de l’électron à « savoir » dans quel dispositif il est embarqué et à tester finalement la question du temps, la question de l’avant et de l’après.
Nous avons vu que lorsque les détecteurs de signaux étaient placés après la première plaque semi-réfléchissante, le photon se comporte comme un corpuscule et va soit à droite soit à gauche (il est soit reflété soit traversant) mais que dés lors que l’on installait une seconde plaque semi-réfléchissante en bout de course, il se comportait comme une onde (réfléchissant ET traversant). Or on peut bien installer la seconde plaque semi-réfléchissante APRES que le photon ait franchi la première, mieux encore on peut installer un appareillage qui laisse vraiment au hasard le plus complet la question de savoir si on dispose ou pas cette seconde plaque.
C’est exactement ce que Vincent Jacques a fait dans une expérience qui date de 2006. Il a « suffi » de rallonger le trajet du faisceau entre les deux plaques semi réfléchissantes et de faire dépendre la positon de la seconde plaque semi-réfléchissante d’un générateur quantique de nombre aléatoire de telle sorte que PERSONNE, mais vraiment personne dans ce monde là, (pas même Dieu) ne peut savoir si la seconde plaque va être disposée ou pas. Cela veut dire qu’au moment où le photon est lancé au travers de la première plaque réfléchissante, il n’est absolument rien, mais vraiment Rien qui puisse prédire que la seconde plaque sera mise ou pas, autrement dit que le dispositif soit un piège à détecter des ondes ou des corpuscules, il est impossible que le photon le « sache ». Et pourtant il le sait, c’est-à-dire qu’on « constate » que lorsque le générateur quantique à nombre aléatoire a précipité la seconde plaque, le photon se comporte comme une onde, quand il ne l’a dispose pas, il se comporte comme un corpuscule.
Il est absolument impossible de rendre raison d‘une telle expérience sans la mettre en perspective avec la question de la temporalité. Le photon a toujours su ce qui pourtant dans notre temporalité n’était prévisible nulle part ni à aucun moment. Pour nous, il y a eu succession du lancement du photon, puis de l’installation ou pas de la seconde plaque puis du résultat des signaux, c’est du temps chronologique au regard duquel on ne voit pas comment un fait qui s’est déroulé avant pourrait déjà intérioriser, contenir de l’après. Le photon lui écrase et confond ces trois moments en une seule donnée qu’il a toujours sue, comme si lui n’existait pas dans un temps chronologique, comme si ce que nous appréhendons de façon successive était appréhendé par lui de façon simultanée. Avant, après, pendant, c’est un seul et même présent, « une éternité ». Nous ne constatons pas dans la même dimension le photon et nous. Nous avons bel et bien l’impression que la temporalité de l’infiniment petit n’est pas du tout déclinable en terme d’avant, d’après, ou de succession. Rien ne s’y produit autrement que « maintenant », dans un maintenant au sein duquel passé et futur sont confondus, écrasés dans l’éternité immuable d’un seul présent.
Pour celles et ceux qui ont vu le film de Denis Villeneuve « premier contact », on ne peut s’empêcher de faire un parallèle. Parlant la langue des extra-terrestres, Louise Banks accède à une dimension temporelle qui ne se structure pas au gré de cette ligne. Et toute sa vie se condense en une réalité perceptible en une fois. C’est comme si le photon vivait dans cette dimension là aussi.
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