lundi 3 mars 2025

Ecriture libre: Gwendoline Marle - Tout dépend de l'identité (épisode 2)

 


Je le maintiens au sol, ses camarades sont partis en courant et le jeune qui était à terre me fixe. Il y a comme une force qui me pousse à frapper le harceleur. Je reste d’abord un moment en le regardant droit dans les yeux. Mais quand cette force prend le dessus et que j’arme mon bras, il se met à pleurer.

—Tu pleures ? C’est une blague… Tu ne pleurais pas quand tu intimidais ce pauvre gamin avec tes copains. Hein ! Tu te croyais être le plus fort, tu croyais peut-être un homme, un dur à cuire ? Mais ce n'est plus le cas maintenant, arrête de pleurer ! Sois un vrai homme et excuse-toi ! lui ai-je crié dessus.

Il se lève et bégaye de vagues excuses.

— Mieux que ça !

Sous la pression, il finit par platement s’excuser et part en courant. Je me tourne vers le jeune homme que j’ai défendu, il est sceptique. Je n’ai pas le temps de prononcer un mot que je suis attrapé par des officiers de police qui ont vu toute la scène. Je suis plaqué au sol et la pression du corps de l’homme en uniforme me fait réagir d’une manière à laquelle je ne m’attendais pas. Je lance ma tête en arrière, ce qui lui donne un coup dans le nez, je profite qu’il soit étourdi pour me redresser et je le frappe dans le ventre. Son collègue se jette sur moi et, après un moment à lutter, je suis maitrisé. Ils me font entrer dans leur voiture et ils m’emmènent.

Je suis assis et je regarde mes pieds. J’attends et soudain j’entends des pas. Je jette un œil, c’est Hannah. Je me précipite contre la porte de la cellule. Je suis content de la voir enfin arriver pour qu’elle puisse me faire sortir. Elle fronce les sourcils, au bord des larmes. Le silence entre nous est oppressant. J’attends qu’elle dise quelque chose, n’importe quoi, mais rien, elle me regarde, c'est tout. Je brise ce silence agaçant :

— Hannah, fais -moi sortir, s'il te plait.

— Qu’est-ce que tu as fait ? Pourquoi tu as fait ça ? Je ne te reconnais plus… Ses larmes ruissellent le long de ses joues.

—Comment ? Je n’ai rien fait, je t’assure, et je ne comprends pas pourquoi je suis là. Sors-moi de là.

— Tu as frappé un gamin… Mais enfin, qu’est-ce qui t’est passé par la tête ?

—Quoi… Je me décompose.

Je suis autorisé à sortir après une longue discussion avec l’agent de police. Je n’ai aucun souvenir d’avoir frappé quelqu’un. Alors que nous arrivons à un feu rouge, je tente d’expliquer ce qu’il se passe à Hannah. Mais elle ne veut rien entendre, elle semble très en colère. Je m’appuie dans le fond du siège. Je regarde la route devant moi, la tête vide. J’allume la radio pour combler le silence qui me parait invivable. Elle l’éteint immédiatement en soupirant. J’examine son visage, il est plutôt fermé. Elle est de toute évidence contrariée. Je la fixe, incapable de comprendre pourquoi elle est comme ça. Nous arrivons chez nous, elle descend et claque la portière. Quant à moi, je reste assis et je laisse mes larmes couler. Je les retenais depuis le début du trajet, mais je n’ai pas pu les retenir plus longtemps, j’ai simplement attendu qu’elle parte… J’ai toujours détesté qu’on se dispute, ça me rend triste. Comme si tout pouvait s’écrouler en une fraction de seconde. J’ai le souvenir d’avoir toujours été aussi sensible, effrayé par l’abandon, par le fait que les gens que j’aime partent… Je pense à mon TDI. Comment savoir quand est-ce que je change d’identité si je ne suis pas capable de me souvenir de ce que j’ai fait avec l’une de mes personnalités précédentes ? J’abaisse le pare-soleil pour me regarder dans le petit miroir. Mes yeux sont rougis par mes larmes. Je les observe, ressentant de la haine envers moi-même, envers ces identités qui se cachent en moi et que je ne peux pas contrôler. Alors que je suis perdu dans mes pensées, je vois les jambes d’Hannah apparaitre sous le pare-soleil. Je le garde baissé, car je ne veux pas qu’elle me voie dans cet état. Je l’entends qui avance vers ma portière et qui l’ouvre. Ses gestes étaient remplis de sa colère, mais en me découvrant, elle s’est ravisée. Elle prend ma main, me tirant hors du véhicule. Elle se tient face à moi. Hannah glisse ses bras autour de moi et me serre fort. Je n’ose pas bouger ni baisser la tête. Elle renforce son étreinte m’invitant à faire de même. Je place mes bras sur ses épaules et prends une grande inspiration. Je profite de ce moment et je me calme.

Dans la cuisine, La feuille sur laquelle Hannah marque des informations de mon TDI est sur le réfrigérateur. Il y a un nouveau tiret avec un point d’interrogation, symbolisant une autre identité. Le mot « violent » est noté entre parenthèses. Je soupire et change de pièce. Je m’assois dans le canapé, zappant bêtement les chaines de la télévision. Ma petite amie s’approche. Elle pose sa tête sur mon épaule et me demande :

— C'est Aaron maintenant ?

J’acquiesce.

— Je le savais. J’ai reconnu ta sensibilité ! sourit-elle.


Elle enlace ses doigts avec les miens et se blottit contre moi. Son contact me réchauffe le cœur. Il m’avait manqué, même si ma vie semble être sur pause quand je suis un autre moi, j’ai l’impression que je continue à ressentir les choses. C’est assez confus. Le téléphone sonne, Hannah décroche. Elle s’arrête et cache le micro avec sa main et me dit :

— C’est mes parents, ils devaient venir manger ce soir. Je leur avais dit que ça serait compliqué pour toi. Je leur dis qu’ils peuvent quand même venir ?

Je hoche la tête. Elle s’assure que c’est ce que je veux puis les invite. Elle est inquiète que je ne me sente pas à l’aise. Je la comprends, si jamais je change de personnalité pendant le repas, je ne sais pas ce qu’il se passera. Mais je suis presque sûr que tout ira bien. Je me lève et j’allume l’enceinte pour mettre de la musique. Je commence à danser et j’essaie de l’entrainer avec moi. C’est une sorte de rituel entre nous : lorsque l’un d’entre nous est stressé ou anxieux, nous dansons au milieu du salon. Petit à petit, elle se laisse entrainer par le rythme. Mais je vois qu’elle se retient encore. J’attrape mon téléphone et je mets sa musique préférée.

— Tu te souviens que c’est ma chanson préférée ? s’étonne-t-elle.

— Bien sûr ! J’ai un TDI, je n’ai pas perdu la mémoire.

Elle rit alors que je la fais tourner sur elle-même. Elle s’ambiance enfin. Elle chante à tue-tête le refrain, malgré qu’il soit en espagnol. Je m’arrête de danser, je suis fasciné par la femme que j’ai devant moi. Je tombe amoureux d’elle une deuxième fois quand je la vois s’amuser comme cela. Soudain, elle regarde l’horloge et arrête la musique. Hannah me dit que nous devons nous dépêcher car ses parents vont bientôt arriver. Elle court vers la salle de bain, pour la taquiner, et je lui vole un bisou quand elle passe. Je vais me changer.

 En enfilant un t-shirt, je me cogne contre le mur de la chambre. Je suis un peu étourdi, mais je ne tombe pas. Hannah l’a entendu et entre dans la pièce. Je lui explique et elle sourit.

— Toujours aussi maladroit à ce que je vois.

— De quoi tu parles, je ne suis pas maladroit d’habitude…

Son sourire disparait immédiatement et elle m’affirme que si. Je lui soutiens que ce n’est pas le cas, puis elle comprend quelque chose. Je lui demande pourquoi elle fait cette tête et elle me dit que j’ai encore changé de personnalité. Je ris de son imagination et la sonnette nous coupe. Je vais ouvrir. Une dame âgée me prend dans ses bras. Je suis mal à l’aise et je la repousse. L’homme me tend sa main et je le regarde, ne sachant que faire. Hannah ne tarde pas à intervenir. Elle les accueille et les installe dans la salle à manger. Je me trouve en face du vieil homme. Je joue avec les petits pois dans mon assiette et j’entends la femme appeler le nom d’un homme, surement celui de son mari. Sauf qu’elle le répète encore. Au moment où je m’apprête à lever la tête pour savoir ce qui se passe, ma copine me donne un coup de coude.

— Vous êtes distrait, Aaron ? Si c’est votre maladie qui vous préoccupe, vous ne devriez pas vous inquiéter, tout rentrera dans l’ordre, j'en suis persuadée. dit la femme d’une voix douce.



Je regarde Hannah, l’interrogeant du regard. Elle fronce les sourcils, elle ne sait pas quoi faire non plus.

— Excusez-moi, mais je pensais que vous appeliez votre mari… Et je ne suis pas malade…

— Mais enfin, vous vous appelez bien Aaron. Ne le prenez pas mal, je ne voulais pas vous offenser en disant cela. S’indigne-t-elle.

Je secoue la tête. Je lui réponds que je m’appelle Lucio et non pas Aaron. Hannah se lève et écrit sur la feuille du frigo. Sa mère s’apprête à me répondre, mais elle se ravise. C’est probablement parce que Hannah lui a lancé un regard.

Le reste du repas se déroule tranquillement, même si j’ai eu beaucoup de mal à dialoguer avec nos invités. Ils partent tard. Ma copine soupire bruyamment. Elle s’assoit avec cette feuille et un crayon et m’attend. Je la rejoins, je lis ce qu’elle a marqué. S'ensuit une longue conversation sur qui je suis ou qui je suis censé être. Lorsqu’elle mentionne la mauvaise tête que j’ai faite à son père, je me sens attaqué.

— Tu me reproches d’avoir dévisagé ton père, mais il a dit qu’il travaillait dans un abattoir ! Il ne faut pas être humain pour faire ce métier !

— D’abord, c’était il y a plus de cinq ans et, deuxièmement, je ne vois pas ce qui te perturbe.

— C’est l’endroit où vous tuez des bêtes ! Je ne dis pas qu’il ne faut pas, mais c’est vraiment horrible. C’est un travail à la chaine, l’animal mérite plus de respect. Il faut les regarder dans les yeux pour accompagner leurs âmes dans le haut-delà.

Elle me fixe, consternée. Elle poursuit son travail de prise d’information. La soirée est déjà bien entamée et je suis fatigué.

— Au fait, tu te souviens qu’on doit aller chez mes parents pour Pâques. finit-elle par dire en se levant.

—C’est quoi Pâques ?

—La fête avec les œufs en chocolat, la fête chrétienne. Tu ne sais vraiment pas ? C’est pour célébrer la résurrection de Jésus, tout ça. Tu sais, Jésus, le fils de Dieu…

— Donc t’es en train de me dire que vous fêtez le retour à la vie d’un homme que vous considérez à moitié divin. C’est vraiment ridicule.

Nous partons nous coucher.

J’ai rendez-vous à l’hôpital pour un contrôle médical. Je suis reçu par un médecin. On me pose plusieurs questions et finalement on me demande dans un bureau. Je ne suis pas très patient et commence vite à m’agiter. Alors que je fais les cents pas dans la salle, un médecin entre avec Hannah.

—Bien, monsieur Fynn. Votre compagne m’a expliqué certaines choses. Grâce à cela et aux analyses que nous avons faites, je peux désormais vous donner des informations sur votre TDI. Tout d’abord, 4 personnalités se partagent votre corps, trois ont pu être identifiées par Hannah. Cependant, la quatrième reste un mystère pour nous et vous devez vous en méfier. Vous changez d’identité généralement après un choc ou après avoir été contrarié. Mais il y a une bonne nouvelle : vous semblez avoir validé l’information qui définit Hannah comme une personne de confiance. Et cela pour au moins trois identités, c’est un progrès.



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