Sujet 1 :
« Y-a-t-il une vertu spécifiquement politique ? »
Sujet 2 :
« Suis-je responsable de mes actes ? »
Sujet 3 :
Expliquez le texte suivant. La
connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit
que l’explication rende compte, par la compréhension du texte, du problème dont
il est question.
« Nous ne nous contentons pas de
la vie que nous avons en nous et en notre propre être. Nous voulons vivre dans
l’idée des autres d’une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de
paraître. Nous travaillons incessamment à embellir et conserver notre être
imaginaire, et négligeons le véritable. Et si nous avons ou la tranquillité ou
la générosité ou la fidélité, nous nous empressons de le faire savoir afin
d’attacher ces vertus-là à notre autre être et les détacherions plutôt de nous
pour les joindre à l’autre. Nous serions de bon cœur poltrons pour en acquérir
la réputation d’être vaillants. Grande marque du néant de notre propre être, de
n’être pas satisfait de l’un sans l’autre, et d’échanger souvent l’un pour
l’autre. »
PASCAL
Sujet 1 :
Nous
accomplissons une action vertueuse quand nous agissons de façon noble, juste,
désintéressée. Etre vertueux, c’est faire passer ses intérêts personnels au
second plan par rapport à une exigence morale, et cela de façon
inconditionnelle, c’est-à-dire que nous ne pouvons pas en attendre un profit
par quelque biais que ce soit. Il existe néanmoins une justification qui, sans
être morale, peut être alléguée pour rendre raison d’un acte, soit la réalisation
d’une démarche nécessaire d’un point de vue politique. Il n’est pas question
ici d’agir simplement à titre personnel, mais pour autant, la finalité d’une
initiative politique n’est pas nécessairement morale.
Dans la pièce de
Sophocle : Antigone, Créon demande à sa nièce de prendre en compte les
intérêts de sa cité et de les faire prévaloir sur son devoir moral d’honorer la
dépouille de son frère, comme s’il existait une forme de vertu à violer un
commandement moral que l’on pourrait dire « de première nécessité »
au nom des intérêts supérieurs de la cité (polis en grec). Il n’est pas
question pour le roi de Thèbes de faire reconnaître à Antigone qu’il est bien
de ne pas enterrer le cadavre de son frère, mais simplement de lui faire
reconnaître la légitimité d’une motivation, l’efficience d’une justification
suffisamment valide pour s’intercaler dans le champ habituel de ces idéaux
moraux censés déterminer nos actions et parfois les court-circuiter. C’est
alors comme si l’on posait l’existence d’une vertu spécifiquement politique
susceptible de dépasser l’obligation de respecter les impératifs de la seule
vertu morale. Le problème posé par cette motivation d’une autre nature est
celui de l’utilisation du terme de vertu, car autant nous pouvons envisager qu’il
est peut être nécessaire de prendre en compte les implications politiques d’une
initiative, autant il est problématique de leur assigner une
« légitimité », de leur donner le statut d’un « devoir »
auquel il serait vertueux de se soumettre. Pouvons nous admettre que des
motivations d’ordre politique prévalent dans certaines de nos actions jusqu’à
constituer pour nous un devoir auquel il serait vertueux de se conformer ?
Sujet 2 :
Tout
être conscient sait ce qu’il fait. Il n’agit pas sans se rendre compte qu’il
agit et peut donc légitimement être considéré comme ayant des comptes à rendre
sur son geste. Si je frappe consciemment une personne pour lui voler son
portefeuille, je le fais volontairement, sciemment et il semble juste que j’ai
à subir les conséquences légales d’une telle agression, soit la sanction. Etre
conscient c’est avoir à répondre de ses actes, c’est-à-dire en endosser la
« responsabilité ». Mais il nous arrive d’agir inconsciemment, de
faire des lapsus, de penser sans savoir que nous pensons, de rêver. Il existe
donc, dans notre vie, une quantité importante de mouvements, de paroles, de
pensées, d’actions que nous accomplissons à notre insu et lorsque nous
réfléchissons, nous nous rendons compte qu’il existe, même dans les actes que
nous croyons exécuter consciemment, une part cachée voire déterminée,
conditionnée par une motivation « autre » qui n’est aucunement de
notre fait.
La question se pose donc de savoir si cette responsabilité que la
justice et la morale considèrent comme faisant partie intégrante de notre
statut de sujet, de citoyen est une notion qu’il est réellement possible
d’assigner à tout homme. Dés lors que nous reconnaissons de l’inconscient dans
nos motivations, nos pensées, nos gestes, pouvons nous être considérés comme
les initiateurs authentiques de nos actions et de nos supposées
« décisions » ? Peut-être sommes-nous tentés de répondre
prématurément « non » à cette question mais le problème consiste
alors à se représenter une société composée d’individus auxquels il serait
impossible d’assigner la responsabilité de leurs actes. Si l’attitude de chacun
de nous ne fait que suivre des déterminations extérieures dont on ne peut pas
« situer » l’origine dans notre liberté de sujet, de personne, alors
il en serait des hommes comme des éléments et nous serions confrontés au même
degré de fatalité et de résignation devant les débordements humains que devant
les dégâts qu’un cyclone provoque dans les régions qu’il traverse. La notion de
responsabilité nous place donc devant un dilemme : il faut qu’un homme
puisse répondre de ses actes pour que l’idée d’une société composée d’individus
libres puisse être autre chose qu’un idéal vain de la raison, mais en même
temps, nous réalisons bien que cette responsabilité s’appuie sur la fiction d’une
humanité exclusivement consciente et créatrice de ses prises de décision. Nos
institutions nous considèrent, peut-être à tort, comme les seuls initiateurs et
constructeurs de nos actions, mais si elles ne le faisaient pas, en quoi
seraient-elles institutrices d’un ordre humain ? Renoncer à l’idée d’un
sujet responsable, n’est-ce pas renoncer à la possibilité même qu’une humanité
se constitue et construise un ordre (société), une liberté (genre), un sens (progrès) proprement
humains ?
Sujet 3 :
Il
semble impossible de vivre en société sans agir de temps à autre d’une façon
qui est davantage intéressée par la volonté d’être bien vu que par la nécessité
d’être conforme à soi-même. Si l’on entend souvent dire que « l’habit ne
fait pas le moine », cela suppose d’abord qu’il y a un habit et qu’il y a
le moine, c’est-à-dire le paraître et l’être. Ici Pascal reprend cette
dissociation afin de révéler le néant de l’être humain. Nous sommes
suffisamment vains et vaniteux pour ne jamais nous satisfaire d’être « ou »
de paraître. A peine nous situons nous dans l’une de cette alternative que nous
voulons immédiatement jouer dans l’autre registre et paraître ce que nous
sommes. C’est ainsi que l’on peut paraître courageux par lâcheté ou paraître
lâche par courage (c’est souvent le cas de tous les super-héros qui pour ne pas
être découverts jouent le rôle de ce qu’ils ne sont pas : Zorro, Batman,
etc.).
Etre et paraître sont donc ici présentés comme deux efficiences qui sont
tout à la fois indissociables et incompatibles et qui dessinent dans le trouble
paradoxal de cette étrange polarité une sorte de « champs humain »,
de jeu d’attitudes tout à la fois dérisoire et pathétique. Si, au moins nous en
tenions à l’une ou l’autre de ces deux attitudes, nous ne ferions que paraître,
faire continument semblant, avoir l’air de…mais nous avons tous déjà fait
l’expérience de tout ce que cette posture a à la fois d’absurde et d’étouffant.
Nous pourrions alors ne faire qu’être authentiquement mais nous savons aussi que
vivre en société n’est pas envisageable sans que nous jouions certains rôles
auprès de nos semblables pour nous faire aimer, accepter d’eux. Nous sommes
donc condamnés à jouer sur les deux tableaux dans tout ce que cette situation
suppose d’hypocrisie et de souffrance. La perversion de cette dialectique entre
l’être et le paraître est, selon Pascal, la « signature » de l’être
humain, l’évidence de sa finitude, de sa vanité, de son absurdité et du vide
dans lequel consiste son existence.
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