Sujet 1 : « Peut-on être esclave
d’un objet technique ? »
Sujet 2 : « Avoir toujours
raison : est-ce bien raisonnable ? »
Sujet 3 :
« J’apprends (...) à rendre un
service à autrui, sans lui porter de tendresse réelle, parce que je prévois
qu’il me le rendra dans l’espérance d’un autre service et afin de maintenir la
même réciprocité de bons offices avec les autres ou avec moi. Et par suite, une
fois que je lui ai rendu service et qu’il profite de l’effet bénéfique de mon
action, il est conduit à accomplir sa part, prévoyant les conséquences
qu’engendrerait son refus.
Mais bien que cet échange intéressé
entre les hommes commence à s’établir et à prévaloir dans la société, il
n’abolit pas entièrement les relations d’amitié et les bons offices, qui sont
plus généreux et plus nobles. Je peux encore rendre des services à des
personnes que j’aime et que je connais plus particulièrement, sans avoir de
profit en vue, et elles peuvent me le retourner de la même manière, sans autre
intention que de récompenser mes services passés. Par conséquent, afin de
distinguer ces deux sortes différentes d’échange, l’intéressé et celui qui ne
l’est pas, il y a une certaine formule verbale inventée pour le premier, par
laquelle nous nous engageons à l’accomplissement d’une action. Cette formule
verbale constitue ce que nous appelons une promesse, qui est la sanction de
l’échange intéressé entre les hommes. Quand quelqu’un dit qu’il promet quelque
chose, il exprime en réalité une résolution d’accomplir cette chose et, en même
temps, puisqu’il fait usage de cette formule verbale, il se soumet lui-même, en
cas de dédit, à la punition qu’on ne se fie plus jamais à lui. »
Hume
QUESTIONS
:
1 1) Formulez l’idée directrice de ce texte et montrez quelles
sont les étapes de son argumentation.
2) a) En vous appuyant sur le texte, expliquez ce qu’est un échange
intéressé
b) en vous appuyant sur le texte, expliquez ce qu’est un échange
désintéressé
c) analysez le rôle que joue la formule
verbale de la promesse dans l’échange intéressé.
3) Un échange peut-il être désintéressé ?
1) Peut-on
être esclave d’un objet technique ?
1
Les objets techniques nous
facilitent la vie. Ils optimisent les actions humaines et nous rendent capables
de mener à bien la plupart de nos tâches plus vite et mieux. Par conséquent,
elles nous permettent d’augmenter notre pouvoir sur le monde. Nous ne sommes
plus constamment dépendant des intempéries, des évènements naturels. Nous
instituons grâce à la technique un monde rempli d’accessoires humains, traversé
de projets humains que l’on entreprend au gré d’une temporalité humaine :
le progrès. L’empreinte de la technique sur notre développement est telle que
l’on peut à bon droit supposer que c’est exactement grâce à elle que nous
construisons et marquons notre spécificité dans la nature. Ce que nous sommes
« fondamentalement », c’est cela : créateurs d’un monde
artificiel, humain animé d’une temporalité linéaire en lieu et place d’un
univers naturel, physique et cyclique. Cependant, nous avons tous fait
l’expérience lorsque l’un de nos appareils est en panne de l’état d’impuissance
dans lequel nous plonge cette déficience. Nous sommes alors ramenés à
nous-mêmes. Nous réalisons ce que l’utilisation de ces accessoires avait
provoqué en nous : une augmentation si forte de notre rayon d’action que
nous y avons perdu la conscience de la limitation de nos capacités
exclusivement physiques.
Or, c’est très exactement
ce qu’éprouve un drogué en phase de sevrage : il revient douloureusement à
la dure réalité d’un corps naturellement doté de possibilités limitées dans un
univers imprévisible et illimité. Mais
alors ce que nous prenions précédemment pour de la liberté ne consisterait-il
pas dans une illusion, dans le fantasme d’une absolue puissance tel qu’il est
miroité par un objet ? Même Frodon a du mal à résister au pouvoir de
l’anneau et la mésaventure de Gollum lui rappelle tout ce que l’on peut perdre
à consacrer sa vie entière à la possession d’un objet doté d’un pouvoir infini.
Cette histoire est le contraire d’une conquête dans la mesure où tout ce
qu’elle décrit c’est l’aventure d’un dégrisement, le travail de déprise à
l’égard d’un objet ensorcelant en deux sens : par l’emprise qu’il permet
d’avoir sur les autres mais aussi et surtout par la fascination qu’il exerce
sur son porteur. Parallèlement aux exploits d’Aragorn et de Gandalf, il y a le
cheminement clandestin de Frodon et Sam qui se situe finalement moins dans
l’espace que dans la volonté, dans la sagesse, dans le combat intérieur,
incessant et invisible de l’Etre face à l’Avoir. C’est là tout le sens, dans le
film de Peter Jackson, de l’hommage final rendu par les hommes et les elfes aux
hobbits, qui sont des créatures simples, dépourvues de pouvoir et d’ambition
(si ce n’est celle de retourner manger des fraises dans la Comté).
2) Avoir toujours raison : est-ce bien raisonnable ?
« Avoir raison »
c’est exprimer une vision juste, exacte d’une situation, c’est dire ce qui est,
ne pas se tromper, ne pas se laisser troubler par des sentiments des désirs ou
des envies qui pourraient nous conduire à émettre un avis qui serait moins
dicté par les faits que par ce qu’on aimerait qu’ils soient. Nous connaissons
dans notre entourage des personnes dotées de cette capacité à analyser
froidement les circonstances « sans état d’âme » et à se déterminer
seulement à partir de cet esprit d’observation et de logique. Lorsque le
président des Etats-Unis Harry Truman décide de lâcher la bombe atomique sur
Hiroshima et Nagasaki, il a « raison » en ce sens, comme il l’a écrit
lui-même, que c’est son « devoir » de président des Etats-Unis de
protéger la vie des soldats américains. Et utiliser ces armes nucléaires, c’est
effectivement mettre fin à la guerre. Pour autant, il serait très difficile de
soutenir que ce choix était raisonnable, humain.
Cet exemple situe très
clairement le sujet et nous fait comprendre que le terme de raison (qui vient
du latin « ratio » : ration, mesure, proportion ») peut
revêtir, pour le moins, deux sens qui sont susceptibles de s’opposer : le
calcul, la logique, la rationalité et la prudence, le tact, l’humanité,
l’attention à l’autre (quelle que soit sa nationalité). Peut-être aurait-il été
préférable qu’Harry Truman assume très clairement la possibilité d’avoir tort
en se retenant de prendre une décision qui se justifiait totalement du point de
vue de l’intérêt de son pays, de sa fonction, de la victoire (donc des
circonstances). Avoir tort ici en l’occurrence, c’est se comporter en humain
plutôt qu’en tant que citoyen américain.
Avoir raison, c’est prendre
en considération qu’il n’y a pas d’effet dans cause, et qu’il n’est rien, par
conséquent, qui puisse résister à la capacité de notre esprit à insérer nos
actions dans cette chaîne de causalité. Mais en même temps, cette perspective exclue
la possibilité de toute action gratuite : on ne noue pas une relation avec
une personne pour le simple plaisir de nouer une relation, on le fait dans
l’attente d’un effet, d’une « suite logique ». Il existe pourtant de
nombreuses actions auxquelles il est impossible de « donner suite »,
de prescrire un objectif parce qu’elles se suffisent à elles-mêmes :
aimer, engendrer, faire de la musique, de la peinture, de l’écriture, jouir,
vivre.
Mais la question se pose de
savoir dans quelle mesure il ne serait pas possible de réfléchir à une forme de
rationalité, « d’esprit de mesure » capable de prendre en compte
cette gratuité en situant le travail de la raison non plus dans la visée d’un
objectif de nos actes mais plutôt dans l’attention portée au fait qu’ils sont
toujours déterminés. Il existe une différence entre le fait d’attendre le
résultat logique de notre action et l’exercice d’une lucidité nous rendant apte
à discerner que nous agissons toujours déjà sous le coup d’une détermination.
Michel-Ange ne veut pas nécessairement peindre la création d’Adam par Dieu de
cette façon mais il se trouve qu’il ne peut pas la peindre autrement. Il est
impossible d’affirmer que cette peinture est rationnelle au sens de prévisible,
programmatique mais en même temps il semble évident que Michel-Ange a eu raison
de la peindre ainsi. Nous nous « rallions » à cette peinture, nous y
« souscrivons » mais sous l’effet d’un consentement qui n’a aucun
rapport avec un argumentaire. Avoir toujours raison sous cet angle, c’est consentir
à cette fatalité sous l’effet de laquelle tout ce qui doit être
« est ». C’est exactement le sens que les Stoïciens donnaient au
terme de raison. Il n’est rien de tout ce qui est qui, en tant qu’il est,
puisse être autre chose que rationnel. Et en même temps, il n’est rien de ce
qui est rationnel qui, en tant qu’il est rationnel, ne puisse pas ne pas
« être ». Il importe de relever à quel point dans cette perspective
il peut être très rationnel de suivre la fatalité de nos passions.
3 3) Texte de
David Hume
Ce qu’il
convient de bien saisir dans ce texte, c’est le fait qu’une action intéressée
et une action désintéressée ne se distinguent pas nettement l’une de l’autre
d’un point de vue « extérieur ». En effet, quand nous faisons quelque
chose pour quelqu’un parce que nous savons que cette personne sera engagée par
la suite à nous rendre la pareille, nous agissons sur ce fond d’efficience
contractuelle qui relie profondément entre elle les membres d’un collectif.
Cette relation ne doit rien aux sentiments, à l’affectif. Par contre quand
j’agis en vue de favoriser la situation d’une personne que j’aime, j’agis
gratuitement en n’attendant rien en retour. Mais il se trouve que cette
personne agira de même si nous sommes liés par un sentiment authentique. « Elles peuvent me le retourner de la
même manière » dit Hume. Il conviendrait d’ailleurs de s’interroger,
en marge du texte, sur la durée d’une relation affective dans laquelle l’un des
deux donne tout à l’autre sans bénéficier jamais du moindre retour. Nous n’agissons
pas en attendant quelque chose mais il se trouve que l’autre personne sera tout
comme moi touchée par un sentiment authentique qui la conduira à agir pour moi
aussi gratuitement que je le fais pour elle. Nous aboutissons donc finalement
au même résultat alors que les motivations intérieures de ces deux types
d’échange sont totalement opposées.
C’est
pourquoi il est nécessaire de marquer une distinction entre ces deux sortes de
relations. La promesse consiste finalement dans la « signature » de
l’échange intéressé. Nous sommes alors en présence d’un engagement qui signifie
clairement sa nature contractuelle, marchande. Dans l’échange désintéressé, le
receveur n’est obligé par rien, tenu par rien à restituer un équivalent. Il le
fera probablement mais en accord avec un sentiment et d’aucune façon pour
respecter un pacte. Agir par amour, c’est ne rien promettre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire