Sujet 1: "Peut-on désirer autre chose que l'impossible?"
Sujet 2: "De quel monde la science fait-elle l'expérience?"
Sujet 3:
Expliquez le texte suivant. La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte par la compréhension précise du texte du problème dont il est question.
"Rien ne sert de s'être débarrassé des causes de tristesse personnelle: quelquefois en effet, c'est le dégoût du genre humain qui nous envahit à l'idée de tous ces crimes qui réussissent à leurs auteurs. Quand on songe à quel point la droiture est rare et l'intégrité bien cachée; quand on se dit que la loyauté ne se rencontre guère que lorsqu'elle est intéressée, que la débauche recueille des profits aussi détestables que ses pertes, que l'ambition politique, incapable de rester dans ses limites, va jusqu'à trouver son éclat dans la honte, alors l'âme s'enfonce dans la nuit; et devant les ruines des vertus qu'il est aussi impossible d'espérer trouver qu'inutile de posséder, on se sent envahi par les ténèbres.
Aussi devons-nous prendre l'habitude de ne pas nous indigner de tous les vices de la foule, mais d'en rire, et d'imiter Démocrite plutôt qu'Héraclite: celui-ci ne pouvait sortir en ville sans pleurer, celui-là sans rire; l'un ne voyait dans nos actes que misère, l'autre que sottise. Il faut donc ramener les choses à leurs justes proportions et les supporter avec bonne humeur: il est d'ailleurs plus conforme à la nature humaine de rire de la vie que d'en pleurer."
Sénèque
Sujet 1
Peut-être avons-nous l’impression de concevoir
des désirs réalisables quand nous aspirons à une vie plus heureuse, un compte
en banque plus rempli, une promotion professionnelle gratifiante. Mais est-ce
bien de désirs qu’il s’agit ici ? Ces objectifs sont bien des
« idéaux » mais en les définissant comme des finalités de mon
existence, je caractérise aussi des attitudes, des stratégies, l’accomplissement
de moyens en vue de parvenir à ces fins. Je ne fantasme pas sur mon ambition à
grimper les échelons de la hiérarchie sociale, j’y travaille, et j’ai
d’ailleurs d’autant plus de chances de satisfaire mes visées que je
« n’embellis pas le tableau » mais que j’œuvre concrètement,
efficacement à réaliser ce but. Autrement dit, je ne désire pas « être
calife à la place du calife », je le veux, à moins que j’en rêve mais
alors je ne fais rien pour accomplir mes desseins. Vouloir, c’est tendre vers
un objectif que l’on aspire à faire devenir réel. Désirer, c’est jouir de la
distance qui nous sépare d’une finalité dont nous n’envisageons la réalisation
que de façon illusoire : « comme ce serait bien si… ». Il
n’est alors question que d’être charmé par une évocation, un fantasme en
profitant de ce fait qu’il ne s’agit que d’un fantasme. Ce que nous désirons de
l’objet convoité, c’est précisément l’intervalle qui nous éloigne de son
acquisition.
Mais n’est-ce pas cette acquisition qui en
réalité est illusoire ? Jouissons-nous de « quelque chose »
quand nous sommes heureux ou bien éprouvons-nous un sentiment de bien-être qui
n’est aucunement motivé par un quelconque accomplissement ? Si désirer
consiste à jouir de ce qu’une chose nous est impossible à réaliser, il n’est
pas tout-à-fait absurde d’envisager a contrario que nous ne réalisons jamais
vraiment quelque chose. Lorsque renaît en moi après avoir obtenu mon
augmentation de salaire le désir de profiter d’une nouvelle encore plus
importante, est-ce vraiment une caractéristique de la nature insatiable de mon
appétit de richesse ou bien celle de l’inexistence de la notion même
d’objectif ?
Jacques Lacan affirme que « le désir n’a pas
d’objet » mais nous pourrions également nous poser la question de savoir
« s’il y a des objets ». Posséder un bien, c’est donner prise à un
appétit, à une envie qui ne se satisfait avec l’acquisition de ce bien et ce
dernier ne se distingue pas d’une réalité matérielle dans laquelle tout reste
soumis à la détérioration du temps, c’est-à-dire au mouvement. Rien n’est, tout
devient. Toutes les choses s’usent, ce qui signifie qu’elles sont moins des
choses que des séquences temporelles, des durées. Nous ne pouvons désirer que
l’impossible puisque ce verbe désigne le champ d’une tension attractive entre
un sujet et un objet, mais s’il n’existe rien en ce monde que nous puissions
vraiment « obtenir », c’est-à-dire si l’idée même de réalisation,
d’accomplissement est totalement illusoire, alors rien ne serait plus effectif,
présent, réel que l’acte même de désirer. Si rien n’est plus réel que de ne
rien réaliser, alors, dans le désir, tout est réel. Désire-t-on toujours
l’impossible ou n’est-il rien de plus réel que de désirer ?
Sujet 2
Pour valider les hypothèses qu’il a conçues
lors de ces observations, le scientifique fait des expérimentations. Elles lui
permettent d’évaluer la pertinence de lois dont il soupçonne l’efficience entre
différents phénomènes. C’est ainsi que s’établit une sorte de dialogue entre le
savant et la réalité par l’entremise duquel le premier retire de sa
confrontation avec la seconde une représentation de l’univers, de ses éléments
et de ses propriétés conforme à ce qu’il est effectivement. L’expérience est
donc ce qui constamment ramène les conjectures de la science à la réalité
physique des phénomènes. Mais quelle est exactement la nature de ce monde qui
se manifeste dans le cadre proposé par l’expérience ? Celui qui était là
« avant » d’être interrogé par le protocole expérimental ou
précisément celui que ce processus vient de rendre possible en le faisant
advenir en lui-même par lui-même ? Ne serait-ce pas d’un monde déjà
préalablement informé, voire déformé par la question posée par l’hypothèse que
nous faisons l’expérience « dans l’expérience » ? La
question qui se pose est donc celle de savoir si la science rencontre jamais un
autre monde que celui-là même qu’elle rend effectif en le supposant, en le
testant ? Pasteur a parfaitement mis à jour la capacité de nos défenses immunitaires
à structurer notre organisme afin qu’il repousse les atteintes de certaines
maladies virales, mais le vaccin constitue-t-il une découverte ou une
invention ? Pasteur a-t-il rencontré autre chose que ce qu’il a rendu
possible en en supposant l’existence ? La science fait-elle l’expérience
du monde ou bien rend-t-elle possible et effective l’existence d’un monde
scientifique ?
Sujet 3
(Quelques remarques sur ce texte: c'est un piège dans la mesure où sa clarté et son contenu peuvent faire écho à certaines de nos opinions les plus superficielles (du style: "les hommes sont tous des méchants" ou "il faut toujours prendre la vie du bon côté" ) - Il convient donc de ne pas se contenter de ce niveau, de penser, si vous vous rappelez des thèses défendues par les Stoïciens (Epictète, Marc-Aurèle) à ce qu'elles conseillent de faire dans notre rapport aux évènements: toujours distinguer ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas. Ici, Sénèque ne nous invite pas à rire de tout en nous résignant à ce qui est mais à réaliser ce qui, dans la bêtise et la cruauté de nos contemporains, est en lien avec nous et ce qui ne l'est pas. Il dépend de moi d'avoir une attitude positive devant ce triste spectacle de l'humanité, mais pas de changer ce qui a déjà été. Que l'histoire de l'humanité soit un champ de ruines cela a toujours été vrai, quelles que soient les époques et indépendamment de notre volonté, mais que nous ne soyons pas désespérés par cette réalité, c'est ce qui est parfaitement à notre portée et ce qu'il convient de faire. On présente souvent les Stoïciens comme des philosophes tristes et "démotivés", ce texte prouve le contraire.)
Il nous arrive à tous de ressentir parfois une
vraie répulsion à l’égard de nos semblables. Comment regarder l’histoire ou
jeter un coup d’œil à l’actualité sans éprouver une sorte d’écoeurement au spectacle de la cruauté ou de
l’indifférence des hommes à la souffrance d’Autrui ? Il ne semble pas
exister de « justice immanente », c’est-à-dire d’autorité qui, dans
le réel, à partir de lui et en lui, donnerait à chacun la vie que ses actes
méritent. Au contraire, nous voyons sans cesse les personnalités malhonnêtes et
cyniques l’emporter en richesse, voire en honneurs sur les personnes
visiblement « honnêtes ». L’injustice est « un fait », une
donnée de notre existence quotidienne. « C’est comme ça ».
La question se pose donc évidemment de savoir
quelle attitude il convient d’adopter face à cette réalité : se révolter,
se résigner ? Faut-il lutter, pleurer ou consentir ? Dans ce passage,
Sénèque, en bon Stoïcien, nous conseille de vivre cette situation sans se
départir de notre bonne humeur. Il est vrai que l’indignation, en se situant
d’emblée à un niveau d’appréhension de la réalité qui est celui du jugement se
réfère toujours moins à ce qui est qu’à ce qui doit être. On peut bien trouver
injuste que les méchants prospèrent, on émet alors sa critique à partir d’une
hauteur de vue qui n’est pas celle du réel. Il n’y a pas de raison de se
lamenter de ce qu’il y ait de l’injustice dans le monde, non pas que l’on soit
content qu’il y en ait, mais le monde « est » avant d’être injuste et
il y a en soi toutes les raisons de se réjouir de ce fait que le monde
« est ». C’est en ce sens que Sénèque affirme qu’il est conforme à la
nature de l’homme d’être en accord avec la nature du monde tel qu’il est
maintenant, serait-il le plus injuste qui se puisse concevoir. A partir de
quelle réalité critiquons nous ce monde, cette humanité ? Sommes-nous sûrs
qu’il existe quelque part ailleurs, dans un idéal supérieur de la raison une
humanité « parfaite » ? Combien, parmi nous ou sur la scène
médiatique, adoptent des postures supérieures et savantes pour dire ce qu’il
faudrait que l’humanité soit ? Peut-être la position de Sénèque est-elle
moins désabusée, ironique, vaine qu’elle le paraît de prime abord, ne serait-ce
que parce que la bonne humeur est « communicative ». « Ramener
les choses dans leurs justes proportions », c’est réaliser à quel point il
ne saurait exister de meilleure attitude face à l’injustice des hommes que de
l’endurer avec cette bonne humeur qui constitue la seule façon vraiment
efficace de lui résister.
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