dimanche 17 janvier 2016

"Pouvons-nous lutter contre la bêtise?" - Quelques conseils pour rédiger l'introduction


Comme nous l’avons dit et constaté à plusieurs reprises, c’est le type même de dissertation dans laquelle il convient de ne pas se jeter tête baissée. Nous avons tous des avis, des opinions, voire des personnes en tête, sur cette question et rien ne serait plus ruineux (et évidemment plus bête) que de se complaire dans un catalogue de tous les comportements que nous trouvons bêtes. C’est pourquoi le recours à des références philosophiques ou littéraires est ici particulièrement important. C’est, pour nous, l’assurance qu’au moins, nous ne sommes pas victimes de cette compulsion de stigmatisation et d’enfermement (stéréotyper une attitude, la critiquer et l’exclure) dont il est clair qu’elle fait partie intégrante de la bêtise. Le contexte de l’actualité nous fournit une excellente occasion de mettre à l’épreuve cette retenue qu’il nous faut cultiver « contre » la bêtise, et qui consiste précisément à ne jamais la stigmatiser en tant qu’ « adversaire ». Lorsque des personnes utilisent comme prétexte de leur violence terroriste la supériorité de leur foi, de leurs valeurs, de leur mode de vie, n’est-ce pas tomber, à notre tour, dans la bêtise que de les considérer comme nos ennemis, d’affirmer « contre » eux que nous avons raison et notre mode de vie est supérieur au leur ?

Nous réalisons la profondeur de ce sujet lorsque nous comprenons l’importance du « lutter contre ». Affirmer qu’il faut lutter contre la bêtise, c’est céder à la bêtise d’un rapport de forces dans lequel nous nous soumettons aux termes de la question. C’est faire preuve d’un authentique esprit philosophique d’analyse que de ne pas se laisser piéger par le contenu de cette question, c’est-à-dire par notre « envie » de répondre : « oui » pour s’intéresser à sa forme. Le véritable problème n’est pas de savoir s’il faut lutter ou pas contre la bêtise, mais plutôt de se questionner sur le fait de savoir si c’est bien dans les termes d’une lutte, d’un combat, d’une adversité contre elle qu’il s’agit de poser notre rapport (après tout des humoristes comme Coluche, « Les nuls », ou aujourd’hui Didier Super, ne luttent pas contre la bêtise mais « l’épuisent », c’est-à-dire l’observent, s’y complaisent, la revêtent comme un vêtement et vont jusqu’au bout de ses multiples démarches. C’est déjà ce que faisait Molière avec « l’avare », « le bourgeois gentilhomme », « le malade imaginaire »).  Il y a peut-être quelque chose que certains artistes ont compris, c’est que la bêtise, contrairement à l’erreur, n’est pas un adversaire loyal, si nous la combattons, elle a gagné. Il faut donc la trahir, la « pourrir », la subvertir, tricher : « Il ne reste, dit Roland Barthes, qu’à tricher avec la langue (parce que le langage peut nous rendre bêtes) »
Un terroriste, par exemple, est un adepte de « la conclusion » dans tous les sens de ce terme (l’attentat Kamikaze). Ne pas conclure, pour reprendre les termes de la phrase de Flaubert, ce n’est pas lutter contre lui avec des armes, ni même par des arguments, mais plutôt « ne pas vouloir conclure », c’est-à-dire aborder chacun des instants de notre vie de telle façon que nous n’en finirons jamais avec lui, tout comme Pénélope, dans l’Odyssée, tisse une toile pour ne jamais l’achever. C’est exactement ce que Nietzsche nous fait réaliser avec sa conception de l’Eternel retour : 

« Et si un jour ou une nuit, un démon se glissait furtivement dans ta plus solitaire solitude et te disait : ” Cette vie, telle que tu la vis et l’a vécue, il te faudra la vivre encore une fois et encore d’innombrables fois; et elle ne comportera rien de nouveau, au contraire, chaque douleur et chaque plaisir et chaque pensée et soupir et tout ce qu’il y a dans ta vie d’indiciblement petit et grand doit pour toi revenir, et tout suivant la même succession et le même enchaînement – et également cette araignée et ce clair de lune entre les arbres, et également cet instant et moi-même. Un éternel sablier de l’existence est sans cesse renversé, et toi avec lui, poussière des poussières ! »
Si la bêtise consiste à poser des questions dans les termes d’un rapport de forces, d’une lutte, d’un adversaire, de négativité, ce qui suppose tôt ou tard un vainqueur et une conclusion, Nietzsche nous fait comprendre que la vie est affaire de « puissance », de fatigue (il faut fatiguer la bêtise), de positivité, d’acceptation du quotidien (dire oui à l’Eternel retour, c’est être ce que Nietzsche appelle le « surhomme »).
Nous voyons ainsi plusieurs références (Flaubert, Platon, Pascal, Homère, Nietzsche) pointer dans ces réflexions préalables, mais précisément, nous n’en sommes qu’à l’introduction. Ce sujet nous impose, de façon vraiment plus décisive que les autres, de tenir fermement ce principe que nous avons formulé depuis le début de l’année : « Ne jamais tomber dans l’illusion de la réponse à une question philosophique. »

Mais alors que faire pour notre introduction ? Ce sujet consiste dans un tel piège qu’il nous faut d’emblée marquer, pour le moins, notre intention de ne pas tomber dedans, et, donc, en premier lieu, le fait que nous avons démasqué sa nocivité, son pouvoir de contagion. Le terme « prophylactique » désigne en médecine « tout ce qui préserve la santé de ce qui pourrait lui être nuisible ». C’est donc en s’armant d’une dynamique « prophylactique » qu’il importe que nous abordions ce sujet, exactement comme une bombe face à laquelle il n’est pas question de s’affirmer « plus fort » qu’elle en croyant que nous pourrons encaisser son explosion, mais plutôt dont il faut désamorcer le mécanisme en ne lui donnant jamais, par un mouvement hâtif, l’occasion de se déclencher :
1- La première phase d’introduction ici ne pose pas trop de difficultés. Nous avons tous en tête des exemples de jugements stigmatisant, diabolisant la bêtise : « les gens sont tellement bêtes aujourd’hui » - « Difficile de résister aujourd’hui à une telle atmosphère de bêtise », etc. Nous pouvons donc évoquer ces jugements et éventuellement leur contexte (la critique du terrorisme, de la politique, des médias, de la consommation, etc.)
2- Il nous est alors possible d’exprimer le piège dans lequel risquent de tomber ces stigmatisations. Elles sont tellement répandues qu’elles composent un refrain, un slogan que nous répétons tous « bêtement »: « les politiques sont tous pourris », « c’est plus comme avant », « on est bien peu de choses dans ce monde » (Coluche résumait parfaitement cette contagion de la bêtise de la façon suivante : « quand on voit ce qu’on voit aujourd’hui, et qu’on entend ce qu’on entend, on a raison de penser ce qu’on pense »)
3- Mais le problème se manifeste alors dans toute son ambiguité : si la stigmatisation et la réduction à des stéréotypes sont des instruments de la bêtise, comment stigmatiser la bêtise, sans devenir bêtes à notre tour sachant en même temps qu’il serait pour le moins ennuyeux de se résoudre à consentir à la bêtise. Combattre la bêtise comme un mal, ce serait être gagné par la contagion de ce contre quoi nous prétendons lutter, mais en même temps, il est inconcevable que nous la laissions gagner (même si justement ce n’est pas ce terme là qu’il faut employer, puisque il appartient encore au registre lexical de la lutte).

(Il importe vraiment que nous exprimions clairement le fait que nous avons compris que le fond du problème se situe finalement dans le terme « lutter contre », cela installera d’emblée notre correcteur dans une disposition favorable puisque nous lui apporterons ainsi la preuve que  nous avons bien pressenti le danger du problème dans la question posée, et c’est exactement ce que nous devons faire dans toute introduction)

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