Comment préparer l’épreuve
de Philosophie qui débutera dans une semaine ? En faisant des fiches, en
relisant les cours, les textes, etc. ? Non, ce qu’il s’agit de faire
maintenant, c’est écrire. Plus on suspend la préparation d’un examen à des
conditionnels, plus on s’écarte de la seule voie efficace qui consiste
simplement à travailler, à tester sa capacité d’écrire, en un temps limité, sur
un sujet précis. Lequel ? Peu importe finalement. Il suffit que ce soit un
sujet crédible, susceptible de « tomber » et qu’il vous semble
particulièrement difficile, voire infaisable. On peut spéculer des heures et
des heures sur la question de savoir ce qui peut sortir ou pas, si le correcteur
sera sympathique ou non, si les thèmes vous plairont, etc. Ou bien vous pouvez
tout simplement réaliser qu’il ne va rien se passer de spectaculaire,
d’inattendu. Vous allez rentrer dans une salle, vous asseoir à la table qui
portera votre nom et réfléchir pendant quatre heures sur l’un des sujets qui
vous seront proposés. Tout le reste, c’est du temps perdu en suppositions.
Placez-vous dés à présent dans les circonstances de l’épreuve. Asseyez-vous à
votre table de travail. Demandez à n’être pas dérangé et donnez vous un sujet
ou un texte à travailler.
Accordez-vous
deux heures. C’est le temps qui vous sera nécessaire, mercredi prochain pour
rédiger au brouillon les premières idées qui vous viendront, ébaucher un plan,
faire une introduction et commencer à écrire « au propre » la version
finale (si possible la première partie). Contrairement à une idée reçue, la
philosophie n’est pas du tout une matière d’inspiration, c’est davantage un
travail d’enchaînement et la mise en application d’un esprit de nuances, de
problématisation et d’implication.
Un sujet
intéressant est une question qui suscite moins en vous le désir de répondre que
la compréhension de tous les sens différents ou de toutes les inflexions
subtiles qui font changer la signification de l’interrogation. « On peut
prendre le sujet comme ça, ou comme ça, ou alors comme ça…mais alors cela
renvoie à une question politique ou scientifique ou morale, etc… On n’en aura
jamais fini… » Si vous prenez conscience de cette multitude de strates, de
l’épaisseur problématique d’une simple interrogation qui, de prime abord,
n’avait l’air de rien, c’est que vous n’êtes pas en train de faire un hors
sujet. C’est donc extrêmement encourageant. Plus il vous semble que le sujet
déploie une réflexion dont on ne peut pas se sortir, plus vous êtes en train de
faire du bon, du très bon travail.
Prenons
par exemple le sujet suivant : « Y-a-t-il
une vertu spécifiquement politique ? » Si vous vous questionnez
seulement sur le problème qui consiste à se demander si la politique peut être
vertueuse, vous loupez complètement le sujet qui réside finalement en très
grande partie dans l’adverbe « spécifiquement ». Peut-on dire de la
politique qu’elle constitue un domaine, un territoire suffisamment important,
essentiel, fondamental pour se justifier par elle-même ? Suffit-il qu’une
action se justifie politiquement pour qu’elle soit finalement justifiée tout
court ? Le terme de « vertu » revêt en lui-même une connotation
morale (être vertueux). Il suffit donc de lire de sujet mais surtout de ne pas
passer à côté du double sens de ce terme. On dit par exemple d’une plante
qu’elle a des vertus médicinales quand elle possède des qualités curatives. De
la même façon y-a-t-il un « bien » en politique qui justifie
tout ? Suffit-il qu’une action soit nécessaire politiquement pour qu’elle
soit légitime, même si elle est totalement contraire à la morale ? On
mesure ainsi la profondeur du sujet : la question n’est pas de savoir si
certaines actions peuvent être considérées comme politiquement bonnes
(évidemment oui) mais si tout ce qui relève du gouvernement d’une cité ou d’un
état, de l’autorité civile, des lois, de la gestion des intérêts particuliers
par rapport à l’intérêt général délimite une sphère d’action suffisamment
« vitale », auto-fondatrice, pour que la question morale soit
suspendue, mise entre parenthèses par rapport à cette nécessité première. Il ne
faut jamais sous-estimer la dimension problématique d’une question. C’est
exactement dans la mesure où l’on ne voit pas de problème qu’il y a vraiment un
problème dans votre façon de prendre le sujet. C’est à cette aptitude à relever
cette épaisseur problématique d’une question qu’il faut s’entraîner maintenant.
Soit par
exemple cet autre sujet : « avons-nous
besoin de travailler ? » Il est absolument impossible
d’interpréter ce sujet comme une simple interrogation sur la question de savoir
si nous avons besoin de gagner de l’argent pour vivre. Finalement le sujet nous
interroge justement sur ce qui dépasse de ce premier niveau vraiment
superficiel. Travailler ne signifie pas exclusivement être salarié, c’est avant
cela, mettre en action des dispositions, mettre en œuvre des facultés de conception,
de réflexion, de manipulation. C’est transformer le milieu naturel dans lequel
nous vivons pour le ramener à quelque chose d’humainement utile, nécessaire.
Autant le désir peut désigner une motivation à créer, à générer quelque chose
de nouveau, de personnel, autant le besoin revêt une signification organique,
vitale, première. Il désigne un manque qu’il nous faut absolument combler pour
nous maintenir à un niveau d’existence presque minimal. Le travail est-il inscrit dans notre
« nature » ? Y-a-t-il quelque chose de notre condition humaine,
voire de notre simple statut d’être vivant qui nous inciterait presque
spontanément à travailler ?
On mesure ainsi l’enjeu d’une telle question
quand on la ramène à la vision négative du travail telle qu’elle est vécue par la
plupart des travailleurs. Ne vivrions-nous pas dans un paradoxe extrême qui
consisterait à subir une réalité dont l’efficience première en tant que simple
activation de nos facultés constituerait la réalisation même de notre être le
plus authentique ? Une « distorsion » se serait insinuée quelque
part, mais où ? Quelque chose de nous n’aspire qu’à se réaliser en
s’activant, en dispensant des efforts pour donner à notre potentiel une
réalisation effective, mais cette aspiration est niée, aliénée, transformée en
un marchandage dans lequel nous perdons toute la substance de cette vocation première
au travail.
….A moins
que l’étymologie et la référence biblique au travail comme torture et
malédiction ne fassent signe d’un malaise dans la notion autrement plus
conséquent que nous ne l’envisagions jusqu’à maintenant. Cette réalisation de
soi au travers d’une activité est tout ce que nous entendons par « activité
artistique » et l’œuvre jamais n’est le produit d’un travail, notamment
parce que l’artiste n’a pas d’idée très précise de ce qu’il est train de faire
quand il crée une œuvre. Tout travail désigne l’activité que nous exerçons au
sein d’une société pour nous faire reconnaître des autres comme membre à part
entière de la collectivité. Il y a un rapport entre le travail et l’identité
alors que l’artiste perd son identité dans son œuvre. Il s’y perd, s’y
« abîme » comme on dit d’une action dans laquelle on est trop
impliqué pour se rendre compte qu’on l’exécute.
Mais
alors qu’est-ce que le travail ? Nietzsche répond « la meilleure des
polices ». Le travail est ce que l’on a fait de mieux pour gérer une
population, pour la maintenir sous tutelle, dans la dépendance à l’égard d’une
rétribution qui lui donne de quoi subvenir aux besoins les plus essentiels.
Nous avons besoin de travailler pour vivre mais, de ce fait, nous ne sommes
plus animés du désir de travailler pour exister. Car il est difficile de
totalement négliger l’idée selon laquelle le travail définit d’abord et
peut-être surtout une forme de dynamisme fondamental, la compréhension de ce
que la réalité est meuble, toujours changeante offerte à de multiples
transformations. Tout est en travail, en chantier. Ce n’est pas que nous ayons
besoin de travailler, c’est plutôt qu’ « être en travail » est
le pivot de toute efficience dans l’Univers et qu’il n’est rien qui puisse se
« reposer » sur soi comme nous le dirions d’un dieu auto-suffisant.
Nous n’avons pas le loisir d’exister parce qu’exister est tout le contraire
d’un loisir.
Le suivi
de cette problématisation ne garantit pas une dissertation parfaite mais nous
permet pour le moins de franchir des degrés d’approfondissement de la question
et c’est le type même de démarche qu’il est impossible de mener à bien sans
passer par l’écriture. A une semaine de l’épreuve, il faut allumer « le
feu de l’écriture ». Que signifie cette expression ? Quand nous
parlons à quelqu’un, il y a une certaine
marge d’approximation qui est tolérée (même si cela dépend un peu de votre
interlocuteur). C’est cette marge que l’écriture court-circuite. Vous pouvez
avoir l’impression d’avoir compris en gros telle ou telle idée exposée par
l’enseignant pendant l’année mais vous savez vraiment si vous l’avez comprise
quand vous pouvez l’écrire avec vos mots et c’est à cela qu’il faut vous
exercer MAINTENANT.
(Je n’ai
quasiment pas utilisé de références pour traiter ces deux sujets volontairement
parce que la compréhension du sujet prime sur tout autre critère. Evidemment la
capacité du candidat à utiliser des auteurs est essentielle et joue un rôle
important dans la notation mais elle demeure néanmoins au second plan par rapport
à la problématisation)
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