jeudi 1 décembre 2016

Méthode de l'explication de texte - 3e sujet du baccalauréat (Terminales ES1 et S4)


1)    Lecture et  choix du sujet
Pourquoi choisir de traiter un texte plutôt qu’une question ? Pourquoi préférer un travail d’explication à l’exercice de la dissertation ? Le premier critère est celui d’une certaine compréhension du texte. Il ne s’agit pas d’avoir, en seulement trois lectures, parfaitement saisi la pensée de l’auteur dans ses moindres détails. C’est impossible (ça l’est aussi pour un spécialiste de l’auteur en question). Par « certaine » compréhension, il faut seulement entendre que nous avons compris en quoi il est « un » texte, c’est-à-dire que nous avons perçu que l’auteur ne dit finalement ici qu’une seule chose. Il défend « une » seule thèse. Si nous avons le sentiment que l’auteur se contredit, cela signifie que nous avons mal lu. Il est absolument impossible de choisir le texte si on ne parvient pas à dépasser cette impression. Au bout de cinq lectures sans résultat (c’est-à-dire que l’on ne perçoit pas que le texte défend une seule idée), il vaut mieux renoncer et choisir un autre sujet.
Le second critère réside dans notre capacité à nous familiariser avec le passage à expliquer. C’est une chose de percevoir l’unité d’un texte, autre chose de s’estimer capable de « polariser » son esprit d’analyse et de réflexion sur lui pendant quatre heures. Il ne s’agit pas d’écrire ce que nous pensons du texte mais de penser « en » lui. Est-ce que le texte nous « va » de la même façon qu’un vêtement que l’on essaie épouse confortablement notre corps et que l’on se sent bien dedans ?

Il est une dernière disposition d’esprit dans laquelle il convient d’emblée de se situer : « faire place nette au texte ». Quand nous rédigeons une dissertation, nous décidons des arguments, des références, des enchaînements d’idées, etc. Ici, nous essayons d’abord de faire le vide, d’accueillir la pensée de l’auteur, de détruire le plus que nous pouvons les couches de préjugés qui la plupart du temps font que nous n’écoutons pas « vraiment » les arguments d’une personne avec qui nous discutons. Nous l’interprétons, nous la cataloguons en fonction de nos valeurs, de nos a priori. Tout texte philosophique décrit la cohérence d’une affirmation. Nous ne sommes pas obligés de nous accorder avec elle, mais nous ne pouvons pas en ignorer la pertinence, la rigueur, la justesse argumentative. Plus nous nous dépouillerons de nos préjugés en lisant le texte, mieux nous l’expliquerons.

2)    La distinction du thème et de la thèse (rédiger l’introduction)
 a) l’idée essentielle
Si nous avons choisi le texte, nous avons perçu, même confusément, son unité. L'auteur veut nous dire quelque chose et il a les moyens de le justifier. Il convient maintenant de préciser la thèse qui donne à ces lignes une unité de convergence. Il avance plusieurs idées qui s’enchaînent mais il en est une dont nous percevons bien qu’elle constitue le but, la finalité des autres. Il veut en venir quelque part et ce « quelque part » est nécessairement présent dans le texte. Une fois lu dans sa totalité, nous réalisons que toutes ces phrases aboutissent à une affirmation qui se détache des autres par son amplitude et sûrement aussi par son originalité, « sa puissance ». La compréhension de ce qui rend une phrase philosophiquement  plus puissante qu’une autre ne s’acquiert pas « du premier coup ». C’est souvent une question de résonance, comme ces propositions que l’on ne comprend pas tout de suite mais dont on perçoit déjà qu’elle « vont loin », qu’elles sont le fruit d’un travail de réflexion préalable. Il importe de saisir dans le texte la thèse dont la puissance et la résonance se détachent des autres tout en en étant l’aboutissement, l’horizon. Cette idée essentielle doit être exprimée en une phrase suffisamment synthétique et précise pour être sans aucun doute le point auquel Simone Weil veut « en venir ». Il a construit une machine argumentative pour fonder cette affirmation.
Cette formulation, c’est ce que nous situerons à la fin de notre introduction. Auparavant, nous amènerons la thèse par la description du thème qui est très différent.


     b) Le thème
Notre introduction ne peut absolument pas commencer par : « ce texte nous interroge sur… » ou « il est question dans ce texte ». Il faut amener le texte et non partir du principe qu’il est donné. L'auteur prend position sur une question que de nombreux autres philosophes ont également traitée. Il s’agit donc d’évoquer ce problème, en évitant les formulations trop « passe-partout » du style « les hommes se sont toujours interrogés sur » ou « De tout temps, l’humanité, etc. » Le thème est nécessairement un sujet très vaste qu’il n’est pas bien difficile de poser. Une fois rédigées ces premières lignes dans lesquelles nous l’évoquons, nous pouvons formuler l’idée essentielle du texte en marquant bien le passage du thème à la thèse essentielle par le biais de la formule : « Ici Simone Weil soutient que… » ou « on trouve ici sous la plume de Nietzsche », ou autre (mais toujours avec l’expression claire d’une focalisation : avant on évoquait un sujet général, maintenant on en vient à ce texte là »). Il faut bien dissocier ici l’ordre de découverte d’un texte (Thèse – Thème) et celui de notre introduction rédigée qui est exactement l’inverse (Thème – Thèse)

3)    La structure du texte
Après l’introduction, il importe de donner idée de la façon dont le texte « fonctionne », en tant que machine à argumentation. L'auteur veut nous convaincre de la pertinence de sa thèse et a utilisé pour le faire un ensemble de phrases qui ne sont pas reliées les unes aux autres n’importe comment. Il utilise des figures de style, des procédés rhétoriques, peut-être des images, etc. Il convient donc de décrire ce travail mis en place par l’auteur. Un texte est un discours qui nous saisit, qui nous capte  en un certain lieu et qui nous « dépose » en un autre lieu. C’est un mouvement. Il est très important de saisir cela. Car s’il y a un certain passage qui nous pose problème, il suffit de revenir à cette unité dynamique du texte : nous ne comprenons tel moment mais nous avons compris celui d’avant et d’après. Nous réaliserons ce qui nous échappe en nous interrogeant sur la pièce qui nécessairement manque au « puzzle ». S’il dit telle chose ici et telle autre là, ce qui relie l’une à l’autre ne peut être que celle-ci.
Si nous prêtons attention aux connecteurs logiques, nous voyons à quel point le texte est ponctué de « par conséquent, donc, or, car ». Cela nous fournit des indications très précises sur le mode de fonctionnement du texte, sur ses articulations. Nous pourrons nous appuyer sur ces indications pour rédiger ce paragraphe décrivant la structure du passage à expliquer.

4)    L’explication linéaire du texte
 Le terme d’ « explication linéaire » ne signifie pas qu’il soit nécessaire d’expliquer le texte ligne à ligne, bien au contraire. Plus on découpe le texte, plus on l’éclaire du mauvais côté, en le présentant comme ce qu’il n’est pas: un ensemble qu’il serait possible de diviser en parties. Il est plutôt un mouvement qui se déploie. Rien d‘autre à faire que de suivre ce mouvement en étant attaché à rendre toutes ses nuances, tous ses détails.
Il convient de prendre le terme d’ « explication » au pied de la lettre : comment nous y prendrions-nous pour rendre clair à une autre personne la totalité de ce passage ? L’auteur a utilisé ses mots pour nous convaincre du bien-fondé de sa thèse. Nous avons compris là où il voulait en venir, nous voyons clair dans son « jeu » et nous allons essayer de rendre ce mouvement plus familier à un éventuel lecteur. Rien ne saurait davantage convaincre notre correcteur de notre compréhension du texte que notre aptitude à le « recouvrir » d’autres mots, à connecter notre utilisation de la langue à la sienne sans la recopier et sans nous éloigner. Les défauts majeurs dont il faut nous éloigner sont, en effet :
- la paraphrase : elle consiste à se tenir au plus prés du texte sans manifester la plus petite capacité d’assimilation. On le suit tellement « pas à pas » qu’on effectue une très mauvaise traduction. Expliquer un texte suppose que l’on est capable de prendre un peu de hauteur. Un déclic se produit alors : on réalise que ce que l’auteur dit éventuellement avec la langue de son époque, avec un langage nécessairement philosophique, peut se dire autrement. C’est cela une explication : d’abord une entente entre deux mouvements : celui du texte et celui de l’enveloppement de son sens par votre esprit. Il s’agit alors de porter témoignage de cet enveloppement en prenant tout de même un risque relatif. Par risque, il s’agit de désigner le fait que nous pensons saisir suffisamment le mouvement de la démonstration de l’auteur (là où il veut en venir) pour nous éloigner un peu de son vocabulaire, de son chemin afin de le restituer. C’est exactement ce que l’on entend finalement par « enseigner ». Un professeur fait comprendre à ses élèves le sens du texte d’un auteur en utilisant sa propre puissance de conviction à lui, en la mettant au service d’un philosophe, quitte à faire usage de sa propre façon de parler, de ses exemples. S’il est sûr de comprendre ce qu’il explique, il sait bien qu’il retombera toujours sur ses pieds, c’est-à-dire sur ce que l’auteur a exactement voulu dire. Eviter la paraphrase, c’est prendre ce risque là, risque très relatif dans la mesure ou, en principe, si nous avons choisi ce sujet là, c’est bien que nous pensons avoir compris le sens du texte.

- L’éloignement du texte : s’il y a « risque », c’est bien par rapport à un danger et ce danger réside dans le fait de sortir complètement du texte, voire de faire un contre sens. Pour éviter ce piège, il importe d’être vraiment certain d’avoir cerné le mouvement du texte, c’est-à-dire d’avoir vu comment le philosophe « avance ses pions » ainsi que là où il veut en venir. On peut prendre certains détours d’explication du moment que l’on sait que l’on ira toujours dans cette direction qui est celle où l’auteur veut nous conduire. Il convient ici de marquer très clairement où nous nous situons dans nos développements : il est possible d’utiliser d’autres philosophes, et même d’opposer à l’auteur des arguments, d’autres écrivains. Tout est acceptable à partir du moment où notre correcteur pourra percevoir à quel point notre critique, notre explication ou notre volonté de prolonger le propos du texte reste cadrée dans un champ problématique imposé par le texte. C’est sur ce point que l’image du vêtement convient le mieux : nous avons choisi ce texte parce qu’il « nous va », comme une veste ou une chemise : nous pouvons y faire des mouvements suffisamment amples pour manifester la vigueur de notre corps dans une coupe dont on sait qu’on n’en déchirera jamais la toile. Toutes les actualisations (utiliser des exemples d’aujourd’hui pour expliquer un texte d’hier, c’est-à-dire des siècles passés) du texte sont autorisées si nous sommes sûrs de rester dans les limites de ce que l’auteur pose comme problème.
L’utilisation persistante du style indirect : « l’auteur dit que », « il soutient que… », etc. est déconseillée. Nous devons partir du principe que nous parlons toujours déjà à partir du texte, c’est-à-dire « en » lui. Quand nous exposons la pensée d’un autre auteur pour conforter ou objecter quelque chose à ce qui est défendu ici, il convient, par contre, de l’énoncer très clairement pour éviter les confusions. Choisir l’explication de texte (le 3e sujet), c’est s’engager à ne jamais s’écarter d’une ligne tracée par l’auteur. Réfléchissons bien à cela au moment de la réception des sujets.

5)    Conclusion
Pour conclure notre explication, nous devons premièrement insister sur l’idée essentielle. Après notre travail, peut-être nous apparaît-elle autrement, plus riche qu’au début de l’épreuve. On peut donc essayer de rendre compte de cet excédent de subtilité maintenant en entrant davantage dans les nuances de ce que l’auteur a voulu poser. Deuxièmement, il convient de montrer ce que l’auteur a apporté dans le traitement global du thème qu’il a abordé dans l’histoire de la pensée, éventuellement dans celle des sociétés. En quoi ce texte a-t-il apporté un éclairage nouveau sur la question qu’il a traitée ?

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