1)
Lecture et choix du sujet
Pourquoi choisir de traiter
un texte plutôt qu’une question ? Pourquoi préférer un travail
d’explication à l’exercice de la dissertation ? Le premier critère est
celui d’une certaine compréhension du
texte. Il ne s’agit pas d’avoir, en seulement trois lectures, parfaitement
saisi la pensée de l’auteur dans ses moindres détails. C’est impossible (ça
l’est aussi pour un spécialiste de l’auteur en question). Par
« certaine » compréhension, il faut seulement entendre que nous avons
compris en quoi il est « un »
texte, c’est-à-dire que nous avons perçu que l’auteur ne dit finalement ici
qu’une seule chose. Il défend « une » seule thèse. Si nous avons le
sentiment que l’auteur se contredit, cela signifie que nous avons mal lu. Il
est absolument impossible de choisir
le texte si on ne parvient pas à dépasser cette impression. Au bout de cinq
lectures sans résultat (c’est-à-dire que l’on ne perçoit pas que le texte
défend une seule idée), il vaut mieux renoncer et choisir un autre sujet.
Le second critère réside
dans notre capacité à nous familiariser avec le passage à expliquer. C’est une
chose de percevoir l’unité d’un texte, autre chose de s’estimer capable de
« polariser » son esprit d’analyse et de réflexion sur lui pendant
quatre heures. Il ne s’agit pas d’écrire ce que nous pensons du texte mais de
penser « en » lui. Est-ce que le texte nous
« va » de la même façon qu’un vêtement que l’on essaie épouse
confortablement notre corps et que l’on se sent bien dedans ?
Il est une dernière
disposition d’esprit dans laquelle il convient d’emblée de se situer : « faire place nette au texte ».
Quand nous rédigeons une dissertation, nous décidons des arguments, des
références, des enchaînements d’idées, etc. Ici, nous essayons d’abord de faire
le vide, d’accueillir la pensée de l’auteur, de détruire le plus que nous
pouvons les couches de préjugés qui la plupart du temps font que nous
n’écoutons pas « vraiment » les arguments d’une personne avec qui
nous discutons. Nous l’interprétons, nous la cataloguons en fonction de nos valeurs,
de nos a priori. Tout texte philosophique décrit la cohérence d’une
affirmation. Nous ne sommes pas obligés de nous accorder avec elle, mais nous
ne pouvons pas en ignorer la pertinence, la rigueur, la justesse argumentative.
Plus nous nous dépouillerons de nos préjugés en lisant le texte, mieux nous
l’expliquerons.
2)
La distinction du thème et de la thèse (rédiger
l’introduction)
a)
l’idée essentielle
Si nous avons choisi le
texte, nous avons perçu, même confusément, son unité. L'auteur veut nous dire
quelque chose et il a les moyens de le justifier. Il convient maintenant de
préciser la thèse qui donne à ces lignes une unité de convergence. Il avance
plusieurs idées qui s’enchaînent mais il en est une dont nous percevons bien
qu’elle constitue le but, la finalité des autres. Il veut en venir quelque part
et ce « quelque part » est nécessairement présent dans le texte. Une
fois lu dans sa totalité, nous réalisons que toutes ces phrases aboutissent à
une affirmation qui se détache des autres par son amplitude et sûrement aussi
par son originalité, « sa puissance ». La compréhension de ce qui
rend une phrase philosophiquement plus
puissante qu’une autre ne s’acquiert pas « du premier coup ». C’est
souvent une question de résonance, comme ces propositions que l’on ne comprend
pas tout de suite mais dont on perçoit déjà qu’elle « vont loin »,
qu’elles sont le fruit d’un travail de réflexion préalable. Il importe de
saisir dans le texte la thèse dont la puissance et la résonance se détachent
des autres tout en en étant l’aboutissement, l’horizon. Cette idée essentielle
doit être exprimée en une phrase suffisamment synthétique et précise pour être
sans aucun doute le point auquel Simone Weil veut « en venir ». Il a
construit une machine argumentative pour fonder cette affirmation.
Cette formulation, c’est ce
que nous situerons à la fin de notre introduction. Auparavant, nous amènerons
la thèse par la description du thème
qui est très différent.
b)
Le thème
Notre introduction ne peut absolument pas commencer
par : « ce texte nous interroge sur… » ou « il est question
dans ce texte ». Il faut amener le texte et non partir du principe qu’il
est donné. L'auteur prend position sur une question que de nombreux autres
philosophes ont également traitée. Il s’agit donc d’évoquer ce problème, en
évitant les formulations trop « passe-partout » du style « les
hommes se sont toujours interrogés sur » ou « De tout temps,
l’humanité, etc. » Le thème est nécessairement un sujet très vaste qu’il
n’est pas bien difficile de poser. Une fois rédigées ces premières lignes dans
lesquelles nous l’évoquons, nous pouvons formuler l’idée essentielle du texte
en marquant bien le passage du thème à la thèse essentielle par le biais de la
formule : « Ici Simone Weil soutient que… » ou « on trouve
ici sous la plume de Nietzsche », ou autre (mais toujours avec l’expression claire
d’une focalisation : avant on évoquait un sujet général, maintenant on en
vient à ce texte là »). Il faut
bien dissocier ici l’ordre de découverte d’un texte (Thèse – Thème) et celui de notre introduction rédigée qui est
exactement l’inverse (Thème – Thèse)
3)
La structure du texte
Après l’introduction, il importe de donner idée de la
façon dont le texte « fonctionne », en tant que machine à
argumentation. L'auteur veut nous convaincre de la pertinence de sa thèse et a
utilisé pour le faire un ensemble de phrases qui ne sont pas reliées les unes
aux autres n’importe comment. Il utilise des figures de style, des procédés
rhétoriques, peut-être des images, etc. Il convient donc de décrire ce travail
mis en place par l’auteur. Un texte est un discours qui nous saisit, qui nous
capte en un certain lieu et qui nous
« dépose » en un autre lieu. C’est un mouvement. Il est très
important de saisir cela. Car s’il y a un certain passage qui nous pose
problème, il suffit de revenir à cette unité dynamique du texte : nous ne
comprenons tel moment mais nous avons compris celui d’avant et d’après. Nous
réaliserons ce qui nous échappe en nous interrogeant sur la pièce qui
nécessairement manque au « puzzle ». S’il dit telle chose ici et
telle autre là, ce qui relie l’une à l’autre ne peut être que celle-ci.
Si nous prêtons attention aux connecteurs logiques,
nous voyons à quel point le texte est ponctué de « par conséquent, donc,
or, car ». Cela nous fournit des indications très précises sur le mode de
fonctionnement du texte, sur ses articulations. Nous pourrons nous appuyer sur
ces indications pour rédiger ce paragraphe décrivant la structure du passage à
expliquer.
4)
L’explication linéaire du texte
Le terme
d’ « explication linéaire » ne signifie pas qu’il soit
nécessaire d’expliquer le texte ligne à ligne, bien au contraire. Plus on découpe
le texte, plus on l’éclaire du mauvais côté, en le présentant comme ce qu’il
n’est pas: un ensemble qu’il serait possible de diviser en parties. Il est
plutôt un mouvement qui se déploie. Rien d‘autre à faire que de suivre ce
mouvement en étant attaché à rendre toutes ses nuances, tous ses détails.
Il convient de prendre le terme
d’ « explication » au pied de la lettre : comment nous y
prendrions-nous pour rendre clair à une autre personne la totalité de ce
passage ? L’auteur a utilisé ses mots pour nous convaincre du bien-fondé
de sa thèse. Nous avons compris là où il voulait en venir, nous voyons clair
dans son « jeu » et nous allons essayer de rendre ce mouvement plus
familier à un éventuel lecteur. Rien ne saurait davantage convaincre notre
correcteur de notre compréhension du texte que notre aptitude à le
« recouvrir » d’autres mots, à connecter notre utilisation de la
langue à la sienne sans la recopier et sans nous éloigner. Les défauts majeurs
dont il faut nous éloigner sont, en effet :
- la paraphrase : elle consiste à se tenir au
plus prés du texte sans manifester la plus petite capacité d’assimilation. On
le suit tellement « pas à pas » qu’on effectue une très mauvaise
traduction. Expliquer un texte suppose que l’on est capable de prendre un peu
de hauteur. Un déclic se produit alors : on réalise que ce que l’auteur
dit éventuellement avec la langue de son époque, avec un langage nécessairement
philosophique, peut se dire autrement. C’est cela une explication :
d’abord une entente entre deux mouvements : celui du texte et celui de l’enveloppement
de son sens par votre esprit. Il s’agit alors de porter témoignage de cet
enveloppement en prenant tout de même un risque relatif. Par risque, il s’agit
de désigner le fait que nous pensons saisir suffisamment le mouvement de la
démonstration de l’auteur (là où il veut en venir) pour nous éloigner un peu de
son vocabulaire, de son chemin afin de le restituer. C’est exactement ce que
l’on entend finalement par « enseigner ». Un professeur fait
comprendre à ses élèves le sens du texte d’un auteur en utilisant sa propre
puissance de conviction à lui, en la mettant au service d’un philosophe, quitte
à faire usage de sa propre façon de parler, de ses exemples. S’il est sûr de
comprendre ce qu’il explique, il sait bien qu’il retombera toujours sur ses
pieds, c’est-à-dire sur ce que l’auteur a exactement voulu dire. Eviter la
paraphrase, c’est prendre ce risque là, risque très relatif dans la mesure ou,
en principe, si nous avons choisi ce sujet là, c’est bien que nous pensons
avoir compris le sens du texte.
- L’éloignement du texte : s’il y a
« risque », c’est bien par rapport à un danger et ce danger réside
dans le fait de sortir complètement du texte, voire de faire un contre sens.
Pour éviter ce piège, il importe d’être vraiment certain d’avoir cerné le
mouvement du texte, c’est-à-dire d’avoir vu comment le philosophe « avance
ses pions » ainsi que là où il veut en venir. On peut prendre certains
détours d’explication du moment que l’on sait que l’on ira toujours dans cette
direction qui est celle où l’auteur veut nous conduire. Il convient ici de
marquer très clairement où nous nous situons dans nos développements : il
est possible d’utiliser d’autres philosophes, et même d’opposer à l’auteur des
arguments, d’autres écrivains. Tout est acceptable à partir du moment où notre
correcteur pourra percevoir à quel point notre critique, notre explication ou
notre volonté de prolonger le propos du texte reste cadrée dans un champ
problématique imposé par le texte. C’est sur ce point que l’image du vêtement
convient le mieux : nous avons choisi ce texte parce qu’il « nous
va », comme une veste ou une chemise : nous pouvons y faire des
mouvements suffisamment amples pour manifester la vigueur de notre corps dans
une coupe dont on sait qu’on n’en déchirera jamais la toile. Toutes les
actualisations (utiliser des exemples d’aujourd’hui pour expliquer un texte
d’hier, c’est-à-dire des siècles passés) du texte sont autorisées si nous
sommes sûrs de rester dans les limites de ce que l’auteur pose comme problème.
L’utilisation persistante du style
indirect : « l’auteur dit que », « il soutient
que… », etc. est déconseillée. Nous devons partir du principe que nous
parlons toujours déjà à partir du texte, c’est-à-dire « en » lui. Quand
nous exposons la pensée d’un autre auteur pour conforter ou objecter quelque
chose à ce qui est défendu ici, il convient, par contre, de l’énoncer très
clairement pour éviter les confusions. Choisir l’explication de texte (le 3e
sujet), c’est s’engager à ne jamais s’écarter d’une ligne tracée par l’auteur.
Réfléchissons bien à cela au moment de la réception des sujets.
5)
Conclusion
Pour conclure notre
explication, nous devons premièrement insister sur l’idée essentielle. Après
notre travail, peut-être nous apparaît-elle autrement, plus riche qu’au début
de l’épreuve. On peut donc essayer de rendre compte de cet excédent de
subtilité maintenant en entrant davantage dans les nuances de ce que l’auteur a
voulu poser. Deuxièmement, il convient de montrer ce que l’auteur a apporté
dans le traitement global du thème qu’il a abordé dans l’histoire de la pensée,
éventuellement dans celle des sociétés. En quoi ce texte a-t-il apporté un
éclairage nouveau sur la question qu’il a traitée ?
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