Le toucher ne nous
instruit de rien, donc. Il nous « avertit » simplement de la présence
de quelque chose, ou plus exactement (car c’est déjà trop d’affirmer que c’est
« une » chose) de plusieurs « coupes » successives, de
séquences tactiles consécutives manifestant le frôlement de surfaces planes et
pointues, rugueuses et lisses, de saillies et d’encoignures etc. Voilà ce qu’à
strictement parler, nous « touchons ». Nous nous faisons ainsi une
idée du niveau d’analyse requis par ce texte, niveau élevé puisqu’ aucun de
nous dans la vie courante ne va se situer à de degré de précision, ne serait-ce
que pour éviter de nous faire passer pour des aliénés aux yeux de nos
semblables. Mais en même temps nous réalisons bien qu’Alain a raison, notamment
grâce à la référence aux illusions d’optique que nous avons évoquée dans
l’article précédent. Je perçois donc une succession d’impressions confuses,
fragmentées, partielles, chaotiques à partir desquelles je vais
« juger » que cet objet est un cube.
De la même façon, je vais juger
que cette personne est mon ami à partir des données parcellaires et échelonnées
dans la durée que je vais recueillir à l’occasion de notre rencontre. Comme le
dit si bien la langue, je vais alors le « reconnaître », ce qui
signifie qu’à partir de tel profil ou de telle couleur de vêtement que mes yeux
ont enregistrés, je vais « compléter les blancs », parfaire le
tableau, ajouter à ce que j’ai bel et bien perçu tout ce dont je n’ai pas fait
l’expérience directe mais que j’estime pouvoir rajouter puisque c’est mon ami,
et c’est à ce moment là, qu’en effet, il peut arriver que je me trompe, surtout
si je n’ai aperçu mon ami que de loin.
Cela signifie qu’à un
moment donné, j’aurai bel et bien reconstitué à partir de mon expérience passée
de l’apparence de mon ami sa physionomie d’aujourd’hui. Ce que l’on pourrait
appeler son idée générale, son « concept », ou finalement « son
nom propre » se seront suffisamment imposés à mon entendement pour que ce
soit sous leur direction, on pourrait dire sous leur « supervision »
(sous l’action de leur supervisée) que j’aborde l’expérience de voir en face de
moi mon ami. Il est bien vrai que c’est lui, mais il n’en est pas moins exact
que cette présence qui me semble toute entière effective d’un point de vue
physique ici et maintenant ne saurait l’être intégralement puisque de nombreux
processus d’imagination, de remémoration, de conceptualisation se sont passés
la main afin d’aboutir à ce « résultat ». Je ne fais pas que voir mon
ami, j’ai interprété tous les signes envoyés à mes sens de façon à reconstituer
la scène que je vis à présent, laquelle ne saurait exclusivement être
considérée comme subie passivement par mon corps et ma pensée. En d’autres
termes, aucun événement ne m’arrive sans
que j’aie quelque chose à voir dans le fait qu’il arrive de cette façon, sous
telle apparence, à tel moment. Ce que je perçois, dés lors que je l’identifie,
que je le « réalise », devient ce que je reconstitue.
Ce dernier terme est
particulièrement intéressant : je « réalise » qu’il y a un dé.
Cela signifie : « je me rends compte » qu’il y a un dé devant
moi, mais ce que nous comprenons maintenant, c’est que l’on peut aussi ajouter
ce second sens au verbe réaliser : « produire ». Je construis
l’image mentale du dé, je synthétise la diversité des angles, des surfaces et
des perspectives dans un jugement : « ceci est un dé », ou
« je suis en face de mon ami », une fois comblées les absences et les
angles morts de la configuration spatiale particulière de notre rencontre
(nécessairement partielle et tronquée)
En ce sens, il n’est pas
excessif d’affirmer que je ne connais
rien, je « reconnais » toujours, c’est-à-dire que j’ai toujours
une idée préalable, préconçue de ce que je perçois sans quoi il me serait
impossible de constituer une idée complète de ce que fatalement je ne peux
jamais voir autrement qu’imparfaitement, que partiellement. Cela ne pose pas de
problème quand il s’agit de reconnaître mon ami, je reconstitue le portrait
complet à partir de ma mémoire, du souvenir que j’ai de son visage, de son
apparence globale et c’est ça que je vois. Mais c’est beaucoup plus difficile à
concevoir pour des figures, surtout quand c’est la première fois que nous les
touchons. Un bébé fait l’expérience de toucher un cube. Que touche-t-il
exactement ? Où va-t-il trouver ce « préalable », ce présupposé
à partir duquel tous les angles, toutes les surfaces, les angles, et les
pointes vont se rassembler dans l’expérience d’un seul et même objet qui sera
« un » cube ?
Nous sommes ainsi de
plain-pied avec ce « fort loin » pointé par Alain concernant la
direction de cette analyse. C’est la
querelle entre l’innéisme et l’empirisme. Disposons-nous préalablement, en tant qu'êtres humains dotés de conscience et de raison,
d’idées innées grâce auxquelles nos perceptions sont d’emblée et justement
orientées vers ce travail de synthèse qui nous permettra de distinguer des
figures, de produire des rapports de causalité, d’égalité, d’inférence et de
déduction (je ne touche pas en même temps les six faces égales du cube,
mais je « sais » qu’elles le sont, de telle sorte que j’acquiers la
certitude d’être en face d’un cube) ? Si nous répondons : « oui »,
nous sommes innéistes. N’est-ce pas, au contraire, à force de toucher des
surfaces de dimensions égales que finit par se forger peu à peu la notion
d’égalité, laquelle n’est finalement que le souvenir de toutes les perceptions
de surfaces ou de segments égaux dont j’ai fait l’expérience sensible dans ma
vie ? Si je réponds oui, je suis empiriste. Dans ce dernier cas, j’ai des
idées parce que j’ai d’abord des sens. Dans le premier, j’ai des perceptions
identifiables parce que j’ai d’abord des idées.
Le philosophe empiriste écossais David Hume exprime ici
une thèse essentielle dans la relation entre « la chose » (par
exemple toutes les surfaces que nous touchons) et l’idée (le cube) : « Mais
former l’idée d’un objet et former tout simplement une idée, c’est la même
chose, puisque la référence de l’idée à un objet est une dénomination
extrinsèque dont elle ne porte ni marque, ni caractère en elle-même. »
« La référence de l’idée à un objet est une
dénomination extrinsèque dont elle ne porte ni marque ni caractère en
elle-même » : il n’est rien du cube réel qui fasse écho au terme de
cube. Quand je dis de telle perception qu’elle est celle d’un cube, j’accomplis
un acte linguistique, mental, culturel qui n’a aucun rapport avec le ressenti
des surfaces ou la vison des angles. Comprenons bien ce qui est avancé ici par
David Hume. Cela va bien au-delà de l’idée selon laquelle on aurait pu appeler
ça « licorne » ou « enclume », plutôt que
« cube ». Le philosophe ne nous parle pas de l’arbitraire culturel
des langues (la différence entre chien et dog, par exemple, si ce n’était que
cela, ce ne serait pas très intéressant). Ce que veut nous dire David Hume,
c’est que l’objet est une croyance. Le « cube » n’est pas dans la réalité
mais dans l’esprit qui, guidé par le présupposé linguistique de toute
dénomination va unifier, orienté qu’il est par la conjecture de la désignation,
toutes les surfaces en un objet. Ce que cette affirmation a d’essentiel, c’est
de mettre au premier plan le rôle du langage. Ce n’est pas parce qu’il y a des
choses qu’il y a des mots, c’est parce que nous utilisons des mots que nous
voyons des choses.
Le terme crucial ici est donc celui de dénomination
extrinsèque (c’est-à-dire extérieure). Sur le fond d’une multitude de petites
perceptions confuses, chaotiques et infiniment fluctuantes, nous
« construisons », grâce au langage, des unités (cube, rouge, chien,
homme, femme, etc.) qui nous permettent de distinguer des objets, mais les
hommes sont les seuls à imposer ce type de découpage aux flux divers de cette
incessante émission de forces libérées dans la venue au monde de « ce
monde là maintenant ».
Mais quelle est la différence entre former une idée
« comme ça », sans raison, lancer et émettre maintenant le jugement :
« cet objet est un cube » ? Juste l’occasion, pour Hume :
c’est à l’occasion de ce flux de perceptions, de surfaces, d’angles et de
pointes que je dis que c’est un cube, mais le cube n’est pas davantage la
vérité de toutes ces perceptions multiples que si je lançais devant une
assemblée de personnes l’appel à concevoir un cube, sans en présenter ou en
dessiner un. Dans ces deux cas de figure, je « forme une idée » et
que je la forme dans le premier à partir de perceptions réelles ne change absolument
rien à la nature purement mentale de la notion de cube, laquelle pour le
philosophe écossais ne saurait donc être autre chose qu’une croyance.
C’est sur ce point finalement que l’empirisme et
l’innéisme s’opposent le plus frontalement, car pour Descartes, notamment il y
aura bien une intuition du cube par mon esprit (comme il y avait bien une
intuition de « La » cire là où mes sens me décrivent deux réalités
sans rapport (le cube et la flaque de cire fondue)). Pour Hume, il n’y a pas
d’intuition du cube, pas davantage d’ailleurs qu’il n’y a d’intuition de mon
ami ou du « moi » (on pourrait dire qu’il y a une très forte
probabilité mais une probabilité, ce n’est jamais qu’une croyance)
On réalise ainsi qu’Alain n’est pas d’accord avec Hume,
notamment lorsqu’il nous questionne : « Apercevez-vous la ressemblance entre cette action de compter et cette
autre opération par laquelle je reconnais que des apparences successives, pour
la main et pour l'œil, me font connaître un cube ? » Pour
compter les points noirs de chaque face du dé et pour compter le nombre de
faces d’un cube, il faut bien que je considère que l’objet est le même. Ce
n’est pas parce que cet objet a six faces carrées égales qu’il est un cube,
c’est parce que je synthétise les visions successives de ces six faces carrées
que je les perçois comme composant le « même cube », mais, une fois
posée, pour Alain, cette opération de reconnaissance (plus que de
connaissance), il n’en demeure pas moins que je connais ce cube. La reconnaissance
est devenue connaissance. Mais comment ? Hume serait peut-être tenté de
dire, ironiquement, par l’opération du Saint-Esprit.
C’est peut-être sous cet
angle qu’il convient d’aborder la fameuse expérience de Molyneux dont nous
avons déjà parlée. Bien sûr, les innéistes affirment que l’aveugle-né
reconnaitrait le cube et la sphère parce que le toucher aurait suscité dans son
esprit l’éveil et l’activation de ces idées générales et innées grâce auxquels
quelque chose d’un concept de cube serait bel et bien effectif dans sa pensée
et pourrait dés lors s’appliquer sans problème au cube et à la sphère vus, une
fois la vision recouvrée. Les empiristes contesteraient une telle conclusion au
motif que rien dans notre esprit ne pourrait s’éveiller autrement qu’en étant
l’effet d’une sensation. A Leibniz, qui est un innéiste et qui affirme
qu’ « il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été d’abord dans les
sens, excepté l’entendement lui-même »,
Hume répondrait que : « non, pas même lui, il n’y a rien dans
l’entendement qui n’ait été d’abord dans les sens parce que l’entendement, en
lui-même, n’est qu’un « produit », le moment d’un processus
d’atténuation, d’association et d’habitude de nos sensations.
Mais si nous allons
jusqu’au bout de cette querelle, au sujet du problème de Molyneux, nous
arrivons à cette conclusion que, pour un empiriste radical, l’aveugle ne
reconnaîtrait pas le cube et la sphère parce qu’il n’y a ni cube ni sphère à
percevoir. Supposons qu’un aveugle-né puisse voir pour la première fois. Nul
doute qu’il gagnerait dans cette nouvelle sensibilité à la lumière, aux
couleurs, aux tonalités chromatiques des impressions nouvelles. Mais pourquoi
vouloir à toute force les rabattre sur des objets, sur des idées ? Dans
quelle mesure ne pourrait-il pas jouir, dans l’émergence de ces flux de
sensations intégralement nouveaux pour lui, de la révélation du fait que ce
qu’il avait peut-être pris pour des objets avant n’en sont pas, parce que les
impressions débordent de toutes parts l’effet de banalisation et de classification
de nos ressentis derrière des concepts ?
« Cette analyse
conduit fort loin » dit Alain, et nous avons vu que par ce « fort
loin », il était possible d’entendre la texture mentale plus que physique
de notre rapport aux choses, aux êtres, au monde. Nous sommes certes passifs
dans cette multitude de données physiques qui sans cesse assaillent nos sens
(beaucoup plus que nous n’en avons conscience), mais l’activité de notre esprit
découpant dans la matière fluctuante de ce chaos perceptif, des objets, des volumes,
des choses opère rapidement et de façon
tellement systématique que nous nous laissons aller à croire que nous touchons
le dé.
La présence autour de nous
d’autres consciences effectuant les mêmes processus de découpage (distinguer les faces visibles du cube du
fond de couleurs dont elles se détachent) et de synthèse (les relier les unes
aux autres dans la construction d’un cube
perçu par une conscience) participe
à la certitude et à l’apaisement d’une réalité qui n’est plus aussi chaotique
que celle qui rigoureusement se manifeste à nos sens.
Il ne serait pas faux, de
ce point de vue, d’affirmer que le Robinson de Michel Tournier « perd
l’esprit », au sens propre, c’est-à-dire qu’il accède à une perception
pure, qui n’est plus structurée par du mental. Ce faisant, il ne vit plus dans
un monde « humain ». Le présupposé de la distinction entre un sujet
et un objet de perception s’estompe jusqu’à ce qu’il éprouve, à la fin du
roman, le sentiment troublant d’une confusion avec l’île qu’il habite.
L’œuvre de Michel Tournier nous décrit finalement
cette sorte de traversée du miroir par le biais de laquelle Robinson finira par
réaliser ce fond de justesse et d’authenticité d’une perception crue du réel,
c’est-à-dire exclusivement physique, au sein de laquelle les objets et les êtres reviennent à ce qu’ils sont :
à savoir des indices fluctuants sur l’échelle de toutes les forces qui
concourent à faire en sorte que cet instant « soit ». Que nous
parlions, des objets, des animaux ou des êtres humains, il y a bel et bien
quelque chose qui nous unit, qui, au-delà de nos différences, nous rassemble
dans la coulée d’une seule et même « chair » mondaine, c’est le fait
d’effectuer à tout instant au cœur des forces physiques un certain chiffre
d’émission de leurs puissances. De fait, nous émettons une certaine quantité de
chaleur, de lumière, de densité, de son. Nous produisons un effet de masse et
de pesanteur, et ainsi de suite. Cela signifie, par exemple, que je ne touche
pas seulement ce dé en tant qu’objet distinct de moi, mais que je le touche
aussi comme un certain chiffre de densité (celui de ma main) rencontre un autre
chiffre de densité (plus élevé: celui de la matière (mettons le bois) dans
laquelle le dé a été sculpté). Si le dé n’a pas été touché depuis longtemps, le
chiffre de chaleur dégagée par mon corps va rencontrer un autre chiffre plus
faible, et ainsi de suite. Il existe donc une hauteur (ou une proximité, c’est
selon) de vue des rencontres et des perceptions, à l’aune de laquelle rien
d’autre ne se produit que des équilibres entre des variables au gré de toutes
les forces dont l’émission constitue finalement la texture la plus
matériellement vraie de chaque instant du réel. Aborder le monde sous cet
angle, c’est tout simplement en avoir fini avec « l’illusion » de
l’altérité.
(Petite parenthèse pour se
repérer dans l’histoire de la Philosophie : c’est là une option
philosophique « forte » dont l’affirmation a toujours été l’occasion
d’une opposition entre deux « camps » de philosophes : ceux qui
croit ainsi à l’unité du monde, à son immanence (c’est-à-dire ceux qui pensent
que l’altérité est une illusion) : Les Stoïciens, Spinoza, Bergson,
Deleuze et ceux que croit à sa distinction, à la transcendance d’un principe ou
d’un être infini : Platon, Descartes, Kant, Lévinas) – Il existe plusieurs
axes de différences que nous pouvons relever au fil de cette opposition, mais
les premiers ne sont pas nécessairement athées car il est possible de croire à
la présence de Dieu dans le monde comme
monde. Dieu c’est alors la nature, comme le dit Spinoza, mais ça n’est pas
moins Dieu).
Nous pouvons plus
modestement pointer l’opposition entre deux épopées pour illustrer ce rapport
différent avec l’objet. La quête du Graal raconte la recherche de la coupe
ayant recueilli le sang du Christ par les chevaliers de la Table Ronde. Il
s’agit bel et bien d’un objet dont il faut s’assurer la possession. Dans un
tout autre cadre, à savoir celui d’une œuvre purement littéraire (et non
religieuse), la Trilogie de Tolkien raconte les aventures de tous les héros de
la communauté de l’anneau dont le but est non pas d’acquérir un objet mais de
le détruire. Il convient de prêter une très grande attention à ce point.
Frodon, Sam, Aragorn, Legolas, Gandalf, etc. n’aspirent qu’à une seule chose :
que l’anneau de Sauron redevienne ce qu’en réalité il n’a jamais tout-à-fait
cesser d’être : de l’or fondu dans le feu de la montagne du Destin car
c’est là qu’il a été forgé.
Nous mesurons bien à quel
point tous les personnages, à l’exception très notable de Sam le jardinier,
sont, à un moment ou à un autre, tentés par l’appropriation de
l’objet : « anneau », précisément parce qu’il est perçu en
tant que tel, résultat d’un ouvrage mêlant la forge et la magie : OBJET
donnant le pouvoir absolu qui le possède. L’assimilation de l’objet et du
pouvoir, c’est très exactement la conception qui prévaut aujourd’hui comme
critère de considération et de reconnaissance de chacun de nous au sein de la
société. L’objectif avoué de la communauté de l’anneau, en-deçà de la défaite
de Sauron, consiste finalement à confondre l’anneau, à le ramener dans le flux
de son origine élémentaire, dans le creuset des forces physiques dont il n’est
finalement qu’une phase, qu’un moment provisoire et éphémère.
Nous réalisons alors
qu’après tout, le mouvement accéléré des progrès technologiques nous ont fait
perdre de vue une réalité incontournable : les découvertes les plus
révolutionnaires manifestant l’étendue du pouvoir humain sur « les
choses » ne sont elles-mêmes que des transformations provisoires de forces
et d’éléments naturels. L’anneau a beau avoir été forgé à partir du minerai et
du feu, il n’est jamais que ça : cette association de forces, de mutations
et d’éléments par quoi aucune chose, être ou animal jamais n’est tout-à-fait distinct d’une autre
chose, d’un autre être ou d’un autre animal. L’aventure humaine, dans son
intégralité, n’est qu’un moment de l’incessante évolution des forces
universelles et physiques sous l’effet desquelles ce qui est « est ».
Revenons au dé, comme nous
y invite Alain, la considération que nous venons de développer est, une autre
manière d’instaurer une certaine distance à l’égard de la thèse défendue par
l’auteur. Il serait plus honnête d’affirmer qu’elle revient à se situer à un
niveau qu’il ne prend pas du tout en compte, parce qu’il s’agit précisément de
« toucher le dé », finalement et de montrer tout ce que cette
perception doit au mental, à l’entendement. Mais, contre ce mental, contre
cette affirmation qu’une perception juste est une perception pensée, capable de
se détacher des erreurs de perspectives qui viendrait de nos sens, le livre de
Michel Tournier et celui de Tolkien nous dessinent, de façon très différentes,
une autre voie, celle du corps, celle d’un univers ramené à ce qu’il est
irréductiblement, soit la donne de sa plasticité élémentaire, physique et
dynamique. Alain a raison tant que nous nous plaçons dans cette perspective
commune selon laquelle il y a bel et bien un dé à percevoir, mais peut-être
n’est-il pas allé aussi loin qu’il le pensait dans la réfutation de ce que l’on
soutient « communément ». Pour qu’il y ait ce cube sculpté à
appréhender en tant qu’objet, encore faudrait-il que je sois sûr d’être fait
d’un bois différent, d’une texture existentielle distincte, ce qui est très
loin d’être certain.
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