Problématisation
Il nous est tous déjà
arrivé, souvent quand nous étions enfants, de rêver que nous volions. Grâce à
Freud, nous pouvons envisager l’hypothèse selon laquelle nos désirs qui n’ont
pas seulement été refoulés par la censure influencée par le sur-moi mais aussi
par le principe de réalité, se manifestent et produisent les images ainsi que
les sensations du vol. Dans le songe, nous faisons donc l’expérience de notre
capacité à susciter et à ressentir des actions dont nous savons bien, lorsque
nous sommes conscients et éveillés, qu’elles n’ont aucune possibilité de
s’effectuer réellement. Tout le propos de l’analyse consiste précisément, pour
Freud, à affirmer (et à théoriser le fait) qu’aussi irréalisables que soient
ses désirs, ils n’en sont pas pour autant dépourvus de sens, puisque ils font
signe de motivations, d’aspirations, de mouvements faisant partir intégrante de
notre psychisme, de notre être.
A l’échelle non plus de l’individu mais de
l’espèce, il n’est pas du tout inepte d’envisager que ces fantasmes nourrissant
nos rêves soient pour le moins à l’origine des efforts technologiques que
l’homme a fourni pour créer des engins capables de s’élever dans les airs. Il semble
donc qu’il existe en nous une sorte d’ « usine » capable de
concevoir des projets, de susciter des envies, des images et des sensations tout en demeurant totalement dissociée et
imperméable à la réalité de son époque, de son milieu, de ce qu’il est, à cet
instant et en ce lieu, possible de faire. Nous percevons bien, grâce à
Freud et, dans une toute autre perspective, grâce à tout ce que cette fabrique
a été capable de produire en termes d’innovations technologiques et
scientifiques, à quel point il serait dangereux et stupide de considérer
qu’elle ne formule que des inepties insignifiantes. Pour autant, c’est bien
dans la maîtrise et la résignation d’un corps qui ne vole pas que l’enfant
apprendra à marcher et les techniques décrites par Jules Verne pour aller de la
terre à la lune sont très loin d’être opérationnelles.
Aussi importante que
puisse nous apparaître cette « usine à fantasmes », c’est précisément
dans l’effort que nous produisons pour dépasser ce qui d’elle nous maintient
dans l’impossible que nous parvenons à la rendre utile. Désirer l’impossible
est un mouvement qui ne semble avoir de sens qu’à partir de l’instant où il est
dépassé, nié, c’est-à-dire qu’à compter du moment où ce qui l’anime, c’est-à-dire
le désir même se rationalise, se
clarifie, se spécifie, compose avec le réel jusqu’à devenir autre chose
que lui-même, à savoir une volonté calme et froide, raisonnée, de parvenir à
ses fins. S’il n’est sensé de désirer l’impossible qu’en vue de le rendre
possible, alors il est absurde de s’enfermer dans le désir de l’impossible, et
chacun de nous perçoit bien, dans son quotidien, tout ce qu’il doit de
souffrance à cette détestable habitude de désirer ce qui précisément n’est pas
son lot, cette inclination à doubler continuellement la ligne de la réalité de
cette double voie du conditionnel : « Ah ! Si seulement
j’étais ceci plutôt que cela », « Si j’avais choisi tel métier plutôt
que celui-là », « si un tel ou une telle étaient encore
vivants », etc.
Si le fait de désirer
l’impossible ne prend sens qu’à se concrétiser dans un processus qui le fait
devenir possible, alors il faut bien convenir que cet impossible n’en était pas
vraiment un et ne l’a finalement jamais été. La limite séparant l’impossible du
possible est fluctuante, indéterminable. Quelque chose de notre histoire
générique, de notre évolution humaine aussi bien que de notre destinée
individuelle se dessine dans le tracé de cette limite. Autrement dit, quelque
chose d’un Sens de la présence de l’être humain sur terre ainsi que de la
personne que je suis s’y effectue. Est-il
absurde de désirer quand il semble évident que c’est précisément toute à la
fois l’histoire de l’être humain ainsi que la mienne qui se dessinent dans
cette « ligne de crête » au fil de laquelle le possible et
l’impossible ne cessent de se susciter tout autant que de s’exclure, de
s’impliquer tout en s’ostracisant dans un mouvement dialectique et continu qui
pourrait bien en fin de compte décrire le réel même ?
Evidemment il semble
difficile de répondre : « oui », une fois le désir investi
d’une telle dimension, d’un tel enjeu, d’un statut proprement indépassable,
assimilable au cours même de nos existences (c’est comme si la texture même de
nos vies étaient tissées dans le flux de cette matière désirante). Mais c’est
précisément parce que nous nous situons à ce point crucial et décisif du
questionnement au sein duquel le désir nous apparaît dans tout ce que sa
puissance induit quant à l’énergie même alimentant, nourrissant et finalement
traçant nos existences que l’interrogation sur le sens apparaît également dans
sa dimension tragique la plus pure : n’est-ce
pas précisément parce que nos vies se réalisent dans le fil désirant de cette
dualité entre le possible et l’impossible qu’exister est tout bonnement
absurde ?
Il
n’est pas insensé de désirer l’impossible parce que c’est précisément ce
mouvement qui est à l’origine même de notre histoire tout aussi bien
génériquement (en tant qu’espèce) que personnellement mais en même temps, c’est
à cause de cela qu’il est peut-être totalement absurde de vivre. Nous croisons,
sur ce point, la thèse de Schopenhauer :
« Déjà en considérant la
nature brute, nous avons reconnu pour son essence intime l’effort, un effort
continu, sans but, sans repos ; mais chez la bête et chez l’homme, la même
vérité éclate bien plus évidemment. Vouloir, s’efforcer, voilà tout leur être :
c’est comme une soif inextinguible.
Or tout vouloir a pour principe un besoin, un manque, donc une
douleur: c’est par nature, nécessairement, qu’ils doivent devenir la proie de
la douleur. Mais que la volonté vienne à manquer d’objet, qu’une prompte
satisfaction vienne à lui enlever tout motif de désirer, et les voilà tombés
dans un vide épouvantable, dans l’ennui : leur nature, leur existence leur pèse
d’un poids intolérable.
La vie donc oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la
souffrance à l’ennui : ce sont là les deux éléments dont elle est faite, en
somme. De là ce fait bien significatif par son étrangeté même : les hommes
ayant placé toutes les douleurs, toutes les souffrances dans l’enfer, pour
remplir le ciel n’ont plus trouvé que l’ennui. »
Arthur
Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, Livre IV.
Plan :
Nous avons vu ainsi se structurer des niveaux de
questionnement dans notre approche problématique du sujet :
1- Désirer l’impossible est un mouvement efficient,
notamment dans le rêve : il existe en nous une aptitude au fantasme qui
peut se tenir totalement à l’écart de la réalité et tenir pour rien les limites
physiques, techniques, morales ou légales de notre existence réelle, situé dans
un certain temps et dans un certain lieu. Mais cette aptitude peut s’imposer à
nous plutôt comme une fatalité et une dépendance d’abord parce qu’elle est la
marque de l’existence en nous d’un Inconscient (Freud), ensuite parce qu’elle
nous enferme dans le délire de l’hybris. Désirer c’est donc à la fois ce qui
fait de nous des sujets de Sens dont les rêves, les pensées et les mouvements
sont toujours à interpréter « comme symptômes » dans une perspective
analytique mais c’est aussi ce qui nous fait perdre toute mesure en suscitant
incessamment en nous des ambitions irréalisables, en doublant le fil du réel de
celui du conditionnel de telle sorte que nous perdons le sens de la distinction
entre le possible et l’impossible. Le désir en tant que « fabrique à
fantasmes » fait donc à la fois de nous des êtres lisibles, « à
double fond », pourrait–on dire, c’est-à-dire toujours à décrypter (que
nous ayons des désirs, cela « fait sens » et génère du progrès) et des êtres irrationnels, susceptibles d'agir au gré de motifs passionnels, voire délirants.
Mais cette usine crée
également les conditions mêmes de mon malheur en me faisant miroiter sans cesse
ce dont mon existence se constitue de cela même qu’elle l’exclue. Vivre
vraiment, résolument, c’est-à-dire aussi exister, affirmer mon existence, c’est
l’inscrire dans un milieu, sur un support dont il me faut bien accepter les
conditions, comme on dit d’une plume qu’elle doit composer avec le grain du
papier. Il me faut donc exister en dirigeant mon effort d’existence, en le concentrant
sur cette ligne de partage entre ce que je peux et ce que je ne peux pas
réaliser. C’est exactement ce mouvement que Descartes décrit dans la troisième
maxime de sa morale provisoire :
« Et ceci seul me semblait être suffisant pour
m'empêcher de rien désirer à l'avenir que je n'acquisse, et ainsi pour me
rendre content. Car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les
choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles,
il est certain que, si nous considérons tous les biens qui sont hors de nous
comme également éloignés de notre pouvoir, nous n'aurons pas plus de regret de
manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons
privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la
Chine ou de Mexique; et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne
désirerons pas davantage d'être sains, étant malades, ou d'être libres, étant
en prison, que nous faisons maintenant d'avoir des corps d'une matière aussi
peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux. »
2 – Nous voyons bien
toutefois qu’il y a un présupposé dans cette morale provisoire, à savoir que
l’entendement est la faculté qui désigne préalablement à la volonté vers quoi
il lui est possible de se tourner avec des chances de succès. Il est aussi
inutile de désirer être libre quand on est en prison que de vouloir être roi du
Mexique quand on est philosophe en Europe. L’expression utilisée par Descartes
est extrêmement juste et éclairante : « faire de nécessité
vertu » car elle marque la présence dans son esprit de la certitude qu’il
y a d’abord de la nécessité. L’ouvrage de la volonté du sujet peut dés lors
s’exprimer en l’acceptant, en voulant, à partir d’elle plutôt qu’en dépit de ce
qu’elle impose. Le sens que nous pouvons donner à notre action part précisément
de cette acceptation nécessaire de la réalité : « je suis en
prison ». Pourtant la question se pose de savoir sur le fond de quel
mouvement il convient d’accepter cette situation et de la vivre comme une
réalité si ce n’est précisément de cette usine à fantasme dont il était
question précédemment. Qu’il y ait de l’impossible et qu’il faille m’y
résoudre : n’est-ce pas ce que je ne pourrai absolument pas concevoir
indépendamment de ce désir même de le dépasser ? En d’autres termes, qu’il
me soit impossible d’être libre parce que je suis en prison, c’est ce que je ne
peux « réaliser » qu’en me situant sur cette ligne de frontière ténue
qui sépare l’expérience d’un « donné » (la prison) de mon désir de le dépasser (la liberté).
Ce
n’est pas parce qu’il y a d’abord une réalité que se dissocient à partir d’elle
ce que je peux et ce que je ne peux pas faire, c’est au contraire dans la
confrontation perpétuelle de ce qui m’est possible et de ce qui m’est
impossible que se dessine au fur et à mesure de cette dialectique la ligne de
fuite du réel, lequel ne consiste que dans cette fluctuation.
Dans la perspective de
Descartes, il est fondamental de noter qu’il définit cette attitude dans le
cadre de ce qu’il appelle une « morale » provisoire, ce qui signifie
qu’il décrit ici un comportement correspondant à une valeur, à une justesse, à
un Bien, à une norme. Autrement dit, changer ses désirs plutôt que l’ordre du
monde est « bien ». C’est cela qu’il faut faire. La valeur
indéfectible de cette attitude juste, adéquate, ne peut se concevoir sans faire
écho à l’émergence d’une réalité stable, posée, définitive. Il est toujours bon
de déterminer, à partir de ce qui est, le possible et l’impossible.
Pourtant,
si tel était bien le cas, comment pourrions expliquer que ces critères ne
cessent de changer et finalement de se révéler à nous moins comme des pôles
dirigeant notre action que comme des variables dans la fluctuation desquelles
ce sont bel et bien nos actes et les désirs qui les animent qui peu à peu
déplacent les curseurs et les normes ? Prenons un exemple : telle
personne de sexe masculin « prend acte » de sa détermination sexuelle
et juge impossible de vivre une sexualité féminine. Il serait absurde de
désirer cette impossibilité consistant à éprouver un désir de femme, puisque il
est homme. Mais ce désir demeure, s’affirme et finalement se fortifie jusqu’à
provoquer la décision de changer de sexe. Il n’est pas question ici simplement
d’évoquer la capacité d’un désir intersexué de faire bouger la ligne de partage
entre le possible et l’impossible, mais bel et bien de faire signe de cette
radicale inversion des termes par le biais de laquelle il apparaît clairement
que ce n’est pas à partir du réel qu’une séparation peut s’instituer entre nos
désirs réalisables et nos désirs impossibles, mais plutôt dans la fluctuation
continuelle de cette ligne de partage entre le possible et l’impossible que se
génère le flux du réel. Ce n’est pas parce qu’il y a de la réalité qu’il y a du
désir, c’est parce qu’il y a du désir que le réel « est » et surtout
qu’il est dynamique. Affirmer qu’il est absurde de désirer l’impossible
équivaudrait dés lors à juger préférable que la réalité cesse d’être ce qu’elle
est, c’est-à-dire dynamique.
C’est
ainsi qu’en 1995, « une enquête est menée par des médecins allemands sur
500 hommes mâles ayant effectué un passage à l’hôpital pour un traitement à l’urètre ou un cancer
superficiel de la vessie. Pour 275 d’entre eux, soit 55%, les caractéristiques
de leurs organes génitaux marquent sans ambiguïtés leur masculinité, mais pour
les autres, soient 45%, cette détermination demeure problématique. L’identité
sexuelle est ambiguë (hypospadie : conformation anormale du canal de
l’urètre) » - Elsa Dorlin : « Sexe, genre et sexualités ».
Il est finalement d’autant moins impossible
pour un homme mâle d’avoir une sexualité féminine que la nature elle-même
décrit en réalité moins une dualité des sexes qu’une sorte de « continuum ». Finalement notre
identité sexuelle est moins fixée par la nature que située par elle dans le
flux ambivalent d’une intersexualité que la société, au contraire, va s’efforcer
de contrarier en tant que tel, et d’inscrire, parfois violemment, comme se
situant d’un côté ou de l’autre. C’est le genre imposé par la norme culturelle
qui va nous assigner un sexe, mais la nature est beaucoup moins clivée comme
l’atteste cette étude. Il n’est pas absurde de désirer
l’impossible parce que c’est précisément le désir, dans tout ce qu’il induit de
confusion, de perméabilité et de fluidité entre les genres, les catégories, les
concepts qui fait « devenir »
le réel, qui le constitue au fil de cette tension incessante entre le possible
et l’impossible.
3 – Nous réalisons ainsi
que la thèse selon laquelle il y a de l’impossible au désir repose sur ce
présupposé : le désir se définit par rapport à un objet. Mais en
raisonnant de la sorte ne confondons-nous pas le désir avec la volonté qui, en
effet, s’assigne à elle-même une fin, et n’a de cesse que de la réaliser ?
Le désir, au contraire, désire désirer (alors que la volonté ne veut pas
vouloir). Pierre Pasquini, professeur
de Philosophie, illustre cette
capacité du désir à ne se nourrir que de lui-même par ce passage du film
« Forrest Gump » dans lequel le héros décide de courir :
« Qu’est-il
arrivé ? Ce qui étonne tous ceux qui le voient et qui le questionnent,
c’est que la force qui pousse Forrest Gump à courir n’est ni une contrainte, ni
un but extérieur. Il ne court pas parce qu’il y est obligé, et il ne court pas
en vue de quelque chose. Sa course, pourrait-on dire en vocabulaire plus
philosophique, n’a pas de fin. Il court parce qu’il est poussé par une force
qui l’amène à courir, et cette force ne se distingue pas de lui. C’est lui,
directement et sans rien qui soit au-dessus. »
Ce
n’est pas pour arriver quelque part que Forrest Gump court, c’est parce qu’il
court qu’il arrive « quelque part », ou plutôt qu’il ne cesse de
traverser des pays multiples puisque sa course va durer deux ans. L’objet ne
constitue pas le désir, c’est le désir qui épuise les objets et manifeste ainsi
leur profonde inanité, leur secondarité. C’est bien là presque littéralement le
renversement qu’opère la philosophie de Spinoza par rapport à cette
problématique du rapport entre le désir, le sujet et l’objet :
« Quand nous nous efforçons à une chose, quand
nous la voulons, ou aspirons à elle, ou la désirons, ce n’est jamais parce que
nous jugeons qu’elle est bonne ; mais au contraire, si nous jugeons qu’une
chose est bonne, c’est précisément parce que nous nous y efforçons, nous la
voulons, ou aspirons à elle, ou la désirons ».
Mais
précisément n’est-ce pas parce que le désir nous apparaît maintenant comme
cette force, cette puissance brute, anonyme et impersonnelle (au sens où elle
n’est seulement plus cette force inconsciente qui anime le psychisme des
sujets) qui dynamise le flux de la réalité même que la vie est absurde ?
N’est-ce pas justement parce que la trajectoire de cette ligne de partage entre
le possible n’est rien moins que floue, incertaine et finalement indécelable
qu’exister ne peut plus revêtir de sens puisque il n’y a plus de
finalité ? Selon Schopenhauer le vouloir-vivre (comme la volonté de
puissance chez Nietzsche ou le conatus chez Spinoza) constitue l’énergie
commune à la totalité du vivant et de l’être. Chez l’homme et chez l’animal,
elle s’impose de façon suffisamment exhaustive pour faire de nous de purs
élans, des appétits exclusivement occupés à satisfaire leur faim. Deux temps se
succèdent dont absurdement en nous : celui de la quête marquée par le
manque de ce que nous n’avons pas encore et celui de la satiété plein de
l’ennui provisoire de n’avoir plus de lièvre à courir : « La vie donc oscille, comme un
pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui : ce sont là les deux
éléments dont elle est faite, en somme. »
En
d’autres termes, nous désirons, nous acquérons, puis faisons l’expérience de
l’incapacité de cet objet à satisfaire un désir qui n’est aucunement de notre
fait (vouloir-vivre) et qui, par conséquent, nous incite à désirer encore, à
souffrir jusqu’au désespoir de l’acquisition prochaine laquelle inexorablement
stimulera par un nouveau manque la prochaine quête. Pendant que Schopenhauer se
désespère, Forrest Gump court parce qu’il est plus spinoziste que le philosophe
allemand et qu’il a parfaitement compris qu’il fallait dissocier totalement le
désir de l’idée même d’objet ou de but, ce que Schopenhauer ne fait pas. Le
sens qu’il y a à courir, c’est celui que la course se donne à elle-même en se
réalisant, et l’on peut être d’autant plus joyeux de courir qu’on ne s’est pas
vraiment fixé de ligne d’arrivée.
Conclusion
Il
n’est pas question d’affirmer que le désir ne cesse de faire reculer les
frontières du possible. Il y a toujours de l’impossible et, heureusement, il y
en aura toujours. Le monde n’est pas ce que nous voulons qu’il soit mais nous
ne pouvons nous opposer à lui qu’en nous confondant avec le dynamisme qui le fait à chaque instant devenir lui-même. Nous pourrions illustrer cette thèse en
reprenant l’exemple utilisé par Descartes et en le situant
historiquement : il est peut-être
absurde si je suis prisonnier à Dachau de désirer ma liberté puisque il n’est
pas possible que j’en jouisse, mais il n’est pas absurde que je désire y vivre,
persévérer dans mon être, dans cette affirmation de moi qui se dessine
peut-être à traits d’autant plus marqués que c’est justement cette existence là
qui se trouve menacée à un point extrême. Rien n’est plus sensé dès lors que de
désirer jouir de cette vie impossible.
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