On ne peut pas choisir le sujet 3 sans consentir implicitement à trois règles:
a) Faire place nette à la pensée d’un auteur
Il importe d’abord d’adopter très clairement une attitude attentive et
suspensive. Notre opinion sur le texte n’intéresse personne. Nous
l’avons choisi parce que le sujet retient notre attention, pas du tout
parce que nous avons envie de réagir instinctivement à chaque phrase.
L’exercice requiert une humilité absolue. Nous accueillons dans notre
pensée la pensée d’un autre et même s’il sera vraiment nécessaire que
les mots que nous aurons choisis, nous et nous seuls, s’appliquent,
expriment et éclairent la pensée de cet auteur, notre jugement, en
revanche, ne sera jamais mobilisé. Que nous soyons d’accord ou pas avec
la thèse défendue n’est pas du tout essentiel. La seule chose qui
importe, c’est que nous ayons le sentiment que notre réflexion ne va pas
s’ennuyer « ici ». Par cet « ici », il faut entendre le champ de
questionnement, de notions, de termes (registre lexical), le style
ouvert par le texte. L’attitude qu’il convient d’adopter ne consiste
donc pas à penser que l’on a des choses à dire sur le texte mais plutôt
qu’il décrit les contours d’un lieu, d’une configuration topographique,
d’une sorte de paysage dans laquelle on peut réfléchir efficacement
parce qu’il nous donne les instruments pour le faire, exactement comme
un campement que l’on installe ici parce qu’il y a à proximité de l’eau,
du bois, un terrain plat et abrité, etc. Pour cela, il faut visiter le
lieu, l’accepter tel qu’il est avec cette arrière pensée que l’on va
peut-être s’y installer pour la nuit mais qu’on le laissera tel quel
après, sans l’avoir déformé, trahi, voire sali.
b) Accepter et saisir l’unité du texte
Le texte est un extrait: cela signifie qu’il a été découpé
dans l’oeuvre, par des enseignants de philosophie qui ont perçu qu’une
thèse, et seulement une, était développée dans ce passage. Par
conséquent, si dans notre lecture et relecture du texte, nous n’y
relevons pas la moindre unité, pas la moindre trace d’une seule et même
idée défendue et exposée par différents procédés, nous passons à côté de
son sens et si cette impression demeure, il serait vraiment suicidaire
de choisir ce texte parce que nous ne disposons pas du préalable sans
lequel il est impossible de l’expliquer.
c) Le principe de distinction entre la cohérence et l’adhésion
Pour les mêmes raisons, il nous est impossible d’envisager que le texte
se contredise dans son intention, c’est-à-dire dans son sens. Il
« veut » nous dire quelque chose, et cette volonté qui est philosophique
passe nécessairement par une démonstration, ou du moins par la volonté
construite de nous convaincre. Si nous avons choisi le 3e sujet, cela
signifie que nous allons analyser cette tentative de démonstration,
cette défense d’une idée, en relevant ses procédés, son style, ses
références, etc. Cela ne signifie aucunement que nous soyons contraints
d’être en accord avec la thèse défendue mais que nous avons bien perçu
sa cohérence, sachant que celle-ci est nécessairement à l’oeuvre dans le
texte
2) La lecture du texte
Il est évident que l’on ne peut envisager de traiter le 3e sujet
qu’en lisant plusieurs fois le texte. Chaque lecture doit s’effectuer en
mettant au premier plan de sa démarche une visée préalable et précise:
a) Première lecture: le principe d’unité
La première lecture consiste simplement à déterminer le taux de
« faisabilité » de l’explication. Qu’est-ce qui fait de ce passage
« UN » texte? Pourquoi nous le propose-t-on? Au-delà de la division
claire de ses paragraphes, de l’utilisation de procédés différents:
description, exemple, argumentation stricte, référence à des mythes ou à
d’autres philosophes, l’auteur veut nous convaincre d’une seule et même
thèse. Même si nous avons encore du mal à préciser clairement cette
thèse, nous voyons bien que tout va dans une seule direction. Nous
pourrions dire qu’il s’agit de répondre à la question: pourquoi ce
texte?
b) Deuxième lecture: Les temps de l’argumentation
Dans cette deuxième lecture qui, en un sens est l’inverse de la
première puisque nous allons détailler les étapes de démonstration du
passage au lieu de les synthétiser, nous portons toute notre attention
sur les divisions en paragraphes, sur les connecteurs logiques, de façon
à démonter la machine à convaincre de l’auteur (démonter au sens de
« disséquer », pas « contredire »). Ici il est question de comprendre le
« comment ? » du texte.
c) Troisième lecture: remonter les pièces et comprendre la machine
Nous venons de distinguer clairement les ressorts du texte, c’est-à-dire
la façon dont s’articulent non seulement les propositions mais aussi
les procédés, les figures de rhétorique, le fil des arguments, bref
toutes les pièces de « la machine à convaincre » de l’auteur. Dans cette
troisième lecture, nous suivons lentement la progression linéaire de
son écriture en sachant à l’avance où il veut en venir. C’est comme voir
fonctionner un appareil qui n’aurait plus de cache, de coque
dissimulant les circuits. Tout s’active « à ciel ouvert »? Nous voyons
circuler le courant « à vue d’oeil ». C’est ce que l’on pourrait
appeler, comprendre le pourquoi du comment du texte.
3) L’ utilisation du brouillon
Nous pouvons nous servir de notre brouillon pour accomplir trois tâches:
formuler clairement et précisément l’idée essentielle du texte
Repérer les phases de la démonstration de l’auteur
Evoquer les références possibles: qu’elles abondent ou pas dans le sens de la thèse défendue par le texte. L’essentiel est qu’elles traitent précisément le même sujet
Nous pouvons nous servir de notre brouillon pour accomplir trois tâches:
formuler clairement et précisément l’idée essentielle du texte
Repérer les phases de la démonstration de l’auteur
Evoquer les références possibles: qu’elles abondent ou pas dans le sens de la thèse défendue par le texte. L’essentiel est qu’elles traitent précisément le même sujet
4) L’introduction
Toute introduction d’explication de texte doit exprimer clairement
trois données fondamentales du passage: son thème, sa thèse et sa
problématique (enjeu):
- Le thème désigne la notion
« globale » dont il est question ici. Il s’agit dés les premières lignes
de notre copie de pointer sommairement sur le fond de quelle question
la réflexion de l’auteur va se constituer. Simone Weil n’a pas donné
naissance à la question de la dénégation morale. Celle-ci existait avant
comme le prouve d’ailleurs la référence à Gygès. Nous partons donc de
ce fond d’écran à partir duquel ce texte devient plus lisible, plus
légitime.
- La thèse est l’idée essentielle défendue par
l’auteur. Celle ci doit correspondre exactement et précisément (il ne
s’agit pas de résumer le texte) à l’intention du philosophe, à son
« vouloir dire ». Le passage étant une « machine à convaincre », il faut
formuler explicitement l’idée qu’il a pour objectif de défendre.
- L’enjeu du texte désigne un problème philosophique à l’intérieur
duquel la thèse défendue prend une importance cruciale, un changement
de perspective. Si Simone Weil a raison alors cela signifie que tel
problème philosophique auquel il est fait référence dans le texte sans
qu’il en constitue, pour autant le fond, peut être abordé ou tranché de
telle façon.
5) Expliquer
Qu’est-ce qu’expliquer? Ce n’est ni commenter, ni comprendre.
-
Commenter désigne l’acte par lequel nous greffons des pensées sur une
parole, un texte ou bien des images. Nous disons ou écrivons quelque
chose « à l’occasion » d’un texte. Il y a donc évidemment un rapport
entre le texte ou l’événement que nous commentons et ce que nous
exprimons à son propos, mais ce rapport n’est pas aussi rigoureux,
précis, polarisé que l’explication, laquelle ne tend qu’à rendre clair
le texte, qu’à le « déplier » (étymologiquement expliquer, c’est démêler
les plis). Commenter un texte signifie formuler tout ce à quoi le texte
nous fait penser, alors que l’explication désigne l’effort par lequel
une pensée (la notre) s’applique à une autre pensée (celle de l’auteur)
avec cette intention déterminée et ciblée d’élucider le texte, tout le
texte mais rien que le texte.
- Expliquer, ce n’est pas non plus
comprendre parce que l’on peut comprendre intuitivement, c’est-à-dire
spontanément, « d’un seul coup ». On peut réaliser une vérité ou une
évidence, du moins ce qui nous apparaîtra comme tel après l’instant de
notre révélation. L’explication ne peut pas être immédiate: elle suppose
des étapes, un raisonnement, un enchaînement de causalités. C’est cela
qui nous fait saisir qu’une explication consiste éventuellement à
formuler ce que l’auteur n’a pas forcément jugé bon d’exprimer, soit
parce qu’il l’avait dit avant, soit parce que c’est évident pour lui (il
nous donne le résultat du mécanisme mais sans en décrire les rouages).
-
Comprendre désigne un effort de synthèse par lequel nous embrassons la
totalité du texte et le résumons par une idée (comprendre, c’est
« prendre avec »), alors que l’explication décrit un effort analytique
grâce auquel nous détaillons chaque phrase et nous appliquons à
souligner la progression, les rapprochements ou les oppositions de
concepts au fil desquels le texte « avance » pas à pas. Évidemment, il
est nécessaire de comprendre un texte pour l’expliquer, mais ce n’est
pas parce qu’on le comprend qu’on peut l’expliquer. On peut dire que je
comprends un texte quand je réalise sa motivation, pourquoi il a été
écrit, je l’explique quand je rends compte du comment il a été écrit. Le
dernier point qui peut nous faire comprendre cette différence concerne
la distinction entre les causes et les motifs. Un auteur a écrit un
texte pour nous faire comprendre quelque chose: c’est son motif ou sa
motivation mais en même temps, il a, en suivant ce mouvement, donné
naissance à quelque chose qui est « là », présent sous mes yeux, comme
un phénomène. Le texte est un « fait »: il y a là des mots, des phrases,
des signes, et c’est ce fait là à l’intérieur duquel il importe de
discerner des causes et des conclusions.
Il
convient de bien garder en tête qu’une explication ne doit jamais
tomber dans la paraphrase, c’est-à-dire dans la simple répétition sans
effet de profondeur, sans élucidation et surtout sans « risque ». Cette
notion de prise de risque est vraiment fondamentale: aussi performante
soit-elle, toute explication est une « tentative » d’élucidation. Nous
devons prendre le risque d’utiliser des formulations qui sont les nôtres
et qui marquent une forme d’appropriation de la pensée de l’auteur. Ce
qu’il dit en ces termes, nous allons tenter de le rendre par des termes
plus simples et surtout par la mise en lumière de ressorts plus
évidents, plus clairs, plus dépliés. Tout texte est « complexe » au sens
propre du terme: il mêle des « plis », des concepts, des figures de
style, éventuellement des références dites ou non dites à des auteurs,
des niveaux de compréhension possibles. Il s’agit pour nous de les
"pointer », d’en souligner la présence de telle sorte que cette
éventuelle complexité du texte se révèle à nous comme lisible, comme
praticable de la même façon qu’un itinéraire que l’on dévoile sur une
carte en reliant les unes aux autres les villes que nous venons de
traverser. Le texte n’est pas complexe parce qu’il est difficile mais
parce qu’il embrasse dans la totalité de son mouvement et de son sens
des notions, des arguments, des exemples, distincts. Il nous revient à
la fois de discerner l’unité de ce dynamisme et toutes les « régions »
qu’il traverse.
Enfin, le pire défaut qui puisse
discréditer une explication de texte est l’éloignement par rapport à son
objet: le texte même. Aussi loin que puisse nous conduire telle
procédure d’élucidation de tel ou tel passage, il nous faut toujours
revenir au mouvement de ce texte, mouvement qui n’a pas été initié par
nous mais par l’auteur. Cela revient à l’un des présupposés qui a été
formulé au moment de la lecture. Notre pensée se met au service de la
pensée d’un autre et nous nous consacrons exclusivement à ce travail
d’élucidation là qui ne doit pas cependant nous interdire d’évoquer des
thèses précisément contraires à celles qui sont défendues dans le
passage expliqué. L’opposition avec des thèses contradictoires crée
toujours un effet de clarté.
6) Conclusion
En conclusion, nous pouvons souligner ce que la thèse apporte de
nouveau à la perspective du thème (distinction faire en introduction),
voire à la philosophie. Même si les textes proposés ne sont pas tous
d’égale importance en termes d’impact pour la pensée humaine, l’auteur
ne l’aurait pas rédigé s’il ne lui avait pas semblé nécessaire de le
faire et cette nécessité est reconnue, ne serait-ce que parce que ce
texte nous est proposé. C’est sur elle qu’il importe d’insister en
conclusion. Qu’est-ce que le texte nous apporte, finalement? A-t-il
transformé la façon d’aborder une question? On serait tenté de répondre
que c’est forcément le cas. Il est également possible d’évoquer
simplement les effets de l’explication de ce passage. Il y a
nécessairement des aspects du thème abordé que nous ne verrons pas de la
même façon.
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