p 189: « Le champ où la liberté a toujours été connue, non comme un problème certes, mais comme un fait de la vie quotidienne est le domaine politique. Et même aujourd’hui, que nous le sachions ou non, la question de la politique et le fait que l’homme possède le don de l’action doivent toujours être présents à notre esprit quand nous parlons du problème de la liberté; car l’action et la politique, parmi toutes les capacités et possibilités de la vie humaine, sont les seules choses dont nous ne pourrions même pas avoir l’idée sans présumer au moins que la liberté existe, et nous ne pouvons toucher à une seule question politique sans mettre le doigt sur une question où la liberté humaine est en jeu. La liberté, en outre, n’est pas seulement l’un des nombreux problèmes et phénomènes du domaine politique proprement dit, comme la justice, le pouvoir ou l’égalité; la liberté, qui ne devient que rarement - dans les périodes de crise ou de révolution - le but de l’action politique - est réellement la condition qui fait que les hommes vivent ensemble dans une organisation politique. Sans elle la vie politique comme telle serait dépourvue de sens. La raison d’être de la politique est la liberté et son champ d’expérience est l’action.
Cette liberté, que nous prenons pour allant de soi dans toute théorie politique et que même ceux qui louent la tyrannie doivent encore prendre en compte, est l’opposé même de la « liberté intérieure », cet espace intérieur dans lequel les hommes peuvent échapper à la contrainte et se sentir libres. Ce sentiment interne demeure sans manifestation externe et de ce fait, par définition, ne relève pas de la politique. Quelle que puisse être sa légitimité, et si éloquemment qu’on ait pu le décrire dans l’antiquité tardive, il est historiquement un phénomène tardif, et il fut à l’origine le résultat d’une retraite hors du monde dans laquelle les expériences mondaines furent transformées en expériences intérieures du moi. Les expériences de la liberté intérieure sont dérivées en cela qu’elles présupposent toujours un repli hors du monde, où la liberté était refusée, dans une intériorité à laquelle nul autre n’a accès. »
Questions:
- Formulez plusieurs définitions de la liberté, parmi lesquelles doit figurer celle du sens commun (Monsieur tout le monde) et précisez celle qui est défendue par Hannah Arendt.
- La liberté pour Hannah Arendt est-elle un sentiment, un concept, une finalité, un devoir ou un fait?
- Pourquoi la liberté ne se situe-t-elle pas, par rapport à la politique, dans la même position que la justice, l’égalité, le pouvoir?
- Pourquoi la liberté politique est-elle « l’opposé même de la liberté intérieure »?
- Comment les Stoïciens (Epictète) définissent-ils la liberté? Pourquoi Hannah Arendt insiste-t-elle autant sur le caractère tardif dans l’Antiquité de cette conception intérieure de la liberté?
- A la lumière de ce que vous avez compris de ce texte, reformulez votre définition de la liberté selon Hannah Arendt.
- Pour Rousseau, le contrat social a pour but de permettre à l’homme d’être à la fois citoyen d’un état et libre. Pour Hobbes, l’homme, en adhérant au pacte social, échange sa liberté totale contre une liberté restreinte mais garantie (sa vie est protégée). En quoi la conception de la politique de Hannah Arendt décrite dans ce texte s’oppose-t-elle à l’un et à l’autre?
- Pourquoi la conception que Hannah Arendt défend de la liberté nous amène-t-elle à la conclusion selon laquelle le totalitarisme n’est pas un régime politique?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire