Ne peut-on se connaître qu’en renonçant à être soi-même?
Lorsque Socrate fait sienne la maxime du fronton du temple de Delphes: « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les Dieux », nous relions cette revendication à l’attitude adoptée par le maître de Platon à l’égard de ses concitoyens: les exhorter à ne pas se tromper sur eux-mêmes, à ne pas se prendre pour ce qu’ils ne sont pas, à ne pas sombrer dans la démesure. De cette transparence de soi-même à soi-même naîtra, selon lui, la connaissance des Dieux et du monde extérieur. Chacun peut mesurer, en effet, à quel point le fait de ne pas se mentir à soi-même peut apparaître comme la condition incontournable de toute connaissance. Toutefois cette exhortation de Socrate repose sur deux présupposés: d’abord que cette connaissance est possible, ensuite qu’elle est la clé de toutes les autres. Or l’acte même d’instaurer dans le sujet comme impératif absolu et premier pour la connaissance la médiation de ce rapport de soi à soi pose problème parce qu’un homme qui se sait, qui se fait l’objet d’une observation dont il est aussi bien l’observateur que l’observé ne vit plus dans un rapport direct à l’existence, au sentiment, au monde. C’est comme si Socrate affirmait qu’il est préférable de ne pas se tromper sur soi plutôt que d’être soi. Mais que me resterait-il à observer si je n’étais pas d’abord, fondamentalement, moi-même? Ne payons-nous pas du prix de notre authenticité cette lucidité, cette constante médiation de soi à soi-même que l’on appelle la conscience? Faut-il vraiment convenir que ces deux actes: être et connaître ne peuvent s’effectuer que de façon décalée, imparfaite, désynchronisée, de telle sorte que celui que je connais dés lors que je me connais n’est plus ou pas exactement ce que je suis vraiment? Il faudrait alors adjoindre à toute observation sur moi dont je prendrai conscience qu’elle n’est pas absolument exacte, comme si justement ce que je suis était toujours en-deçà ou au-delà, voire à l’opposé de ce que je pense être. Ne conviendrait-il pas dés lors de concevoir l’identité à soi du sujet comme une fiction dans l’imposture de laquelle nous entretenons l’illusion d’être « une » personne, un être, une substance? Acquérir sur soi des certitudes avérées et objectives, n'est-ce pas d'abord, comme on le fait pour une personne introuvable, se signaler son propre avis de disparition?
(Nous avons insisté sur le fait que la première phase de l'introduction (amener la référence au sujet) devait se situer dans une dimension assez simple, voire banale, quotidienne,ce qui n'est pas le cas du commencement de cette introduction qui évoque immédiatement le "connais toi toi-même" du temple de Delphes. On peut opposer que cet adage, sans se situer au niveau de l'opinion commune est néanmoins très connu et qu'il est repris, plus ou moins fidèlement par quantité de conseils dits de "développement personnel", laquelle ne présente pas le moindre rapport avec la pratique philosophique- Sa mention rapide est donc pleinement justifiée)
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