L’amour est une affection que nous ne nous sentons ni tenus ni capables d’expliquer, de justifier. Quiconque se laisse tenter par ce défi qui consiste à exposer les raisons de l’amour qu’il éprouve pour tel ou tel s’aperçoit au fur et à mesure qu’il déploie son argumentaire qu’il s’enfonce non pas tant dans une entreprise difficile que dans un non-sens absolu car, à supposer qu’il puisse en effet rendre raison du sentiment qui le trouble, cette émotion cesserait immédiatement d’être ressentie pour ce qu’elle est. Si nous aimions à cause de… ou parce que….la personne aimée ne serait pour nous que le « moyen » grâce auquel nous poursuivons telle ou telle finalité. Si par exemple, j’affirme que j’aime telle femme à cause de sa beauté cela signifie qu’elle n’est pour moi que l’instrument d’un objectif qui la dépasse: celui de tendre vers la Beauté Universelle dont elle ne serait que l’une des dépositaires remplaçables et accessoires. Or, ce que l’on aime de cette personne, c’est justement qu’elle soit cette personne et pas une autre. Quelque chose est ici, dans l’amour, inexplicable, « donné », non négociable, du moins pendant tout le temps que dure cette affection. Nous éprouvons un irrésistible penchant pour elle. Mais voilà que nous rencontrons une autre femme ou un autre homme et qu’ils nous attirent également. Par fidélité à la personne auprès de laquelle nous nous sommes engagés, légalement ou pas, nous nous abstenons pourtant de lui faire la cour. Qu’est-ce à dire? Ne s’agit-il pas également d’une pulsion de la même façon que nous ressentons une inclination pour la personne dont nous partageons la vie? Nous nous faisons un devoir de la respecter, de ne pas la tromper, c’est-à-dire de ne pas violer un pacte qui, tacitement ou pas, scelle notre union. Par conséquent, le fait d’aimer une personne peut indiscutablement créer des obligations, une responsabilité, un devoir: autant de termes moraux dont nous pensions que l’amour, en tant que passion, était épuré, débarrassé. Mais d’où vient cette exigence morale de respect dans l’amour qui relie entre eux les amants? Est-elle imposée par le caractère particulier de la relation, ou au contraire, du simple fait que la personne que j’aime est « autre ». Toute personne en tant qu’elle est autrui serait alors digne d’être respectée, et puisque il semble avéré que l’amour n’est aucunement incompatible avec le devoir, on peut s’interroger sur la force du lien qui unit ces deux mouvements. Se pourrait-il dire qu’ils soient bien plus qu’incompatibles: corrélés et que l’amour d’autrui, en tant qu’il est autrui, soit pour nous une obligation?
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