(Cette copie contient des maladresses. On peut notamment lui reprocher d'opter continuellement et systématiquement pour une vision résolument anti-sociale du travail. Mais elle a le mérite de prendre des risques et de manifester un intérêt authentique pour la question, sans la confiner dans un traitement exclusivement scolaire. A ce titre, elle marque un effort d'assimilation. La philosophie c'est aussi le contraire de l'attitude qui se complaît dans la routine du "C'est pas mon problème". Le mouvement par le biais duquel on passe progressivement de l'affirmation d'un sens transcendant donné "de l'extérieur" au travail à un sens immanent qui se forge en lui et se définit comme une pure temporisation est très clair et très finement construit, probablement parce que c'est l'intuition la plus profonde du rédacteur, celle qu'il est vraiment question pour lui de formuler. Jamais une copie n'est plus pertinente et simplement efficace que lorsque elle "a quelque chose à dire". C'est, sans conteste, le cas de celle-ci)
N’est-il pas fréquent, au
sein de la vie quotidienne, qu’autrui nous pose la question de notre
profession ? Combien sont ceux dont la réponse spontanée à cette autre
question qu’est le sens d’un acte au sein de leur activité s’énonce
ainsi : « C’est mon travail. Alors je ne me pose pas de
questions. » On pourrait s’interroger sur la question de savoir jusqu’où
peut aller l’acceptation de normes sociales et combien sont ceux nourris par
l’exercice de leur travail, lorsque l’on entend des échos du « burn
out ». Alors qu’il faut bien vivre en société et travailler afin
d’assouvir des besoins primaires, à savoir manger, dormir, on en oublie
d’exister d’agir en résonance avec son être.
La question est de savoir
si le travail nous donne les moyens d’exister dans sa pratique. Afin de
conduire nos raisonnements de façon à tenter de couvrir le sujet dans son
ensemble, il nous semble intéressant d’étudier le travail à l’échelle de
l’individu, puis de l’humanité, avant de terminer sur le travail lui-même, tout
en attribuant une signification propre au mot « sens » pour chacune
des parties.
Le cœur de notre sujet réside dans la distinction entre
vivre (voire survivre) et exister. Si le travail, jamais reconnu en tant que
tel, se positionne dans une optique de survivance, propice à l’assouvissement
des besoins naturels ou bien dans une recherche de valeur d’estime, pratique
d’un métier en vue d’un ressenti d’utilité aux yeux d’autrui, il n’est jamais
régi que par des nécessités extérieures ; Hegel l’énonce bien au travers
de sa dialectique du maître et de l’esclave : « Et l’esclave ne
peut travailler pour le maître, c’est-à-dire pour un autre que lui, qu’en
refoulant ses propres désirs. Il se transcende donc en travaillant. »
Faut-il alors travailler pour vivre ou « vivre » pour
travailler ? Il s’agit d’une situation sans issue, dépourvue de sens,
menant à l’absurdité des codes sociaux.
Si, d’après Karl Marx
l’homme ne travaille que pour satisfaire ses besoins il n’en reste pas moins
que ce dernier ne trouve pas d’existence propre dans le travail. Cependant le
corps n’est rien d’autre que de la matière organique, contrainte dans un monde
physique de forces qui interagissent. Faut-il alors travailler à l’affirmation
du « je suis vivant », en optant pour un sens transcendant au
travail, au risque de passer à côté de l’acte d’exister ? Exister à tout
prix au risque de mourir, en réponse à la banalisation de la vie, sorte de
revendication de soi de sorte à exister en tant qu’être. C’est d’ailleurs pour
cela que la plupart des hommes savent pourquoi ils travaillent mais non pour
quoi ils travaillent.
Travailler au sens de
volonté, dans une optique d’objectivité et de compétition, typique de l’Agôn,
revient à dire ici que « pouvoir donner du sens au travail, c’est
précisément ne pas trouver dans la travail de quoi s’y nourrir (au sens
d’intérêt) et, de ce fait, de quoi vivre, car si les normes sociales nous font
miroiter que le travail nous permet de survivre, étant entendu que le soi-même
n’est ailleurs que dans le fait d’exister, l’absurdité de nos actes nous
conduisent à l’absence radicale de sens, au burn out ou encore à l’aliénation
des chaînes de montage, au temps modernes de Charlie Chaplin. C’est lorsqu’on
passe d’un rapport déterminant à un rapport aliénant, lorsque le travail
devient le médiateur de la survie, lorsque l’acceptation d’un univers soumis à
la norme ne manifeste plus aucune limite.
Le travail auquel on
assigne un sens de finalité ne fait que placer les hommes les uns par rapport
aux autres en attribuant au travail fourni une certaine valeur. Cette valeur
d’estime « faire médecin » contribue à l’image de l’individu. Ce qui nous
amène à nous questionner sur un aspect déconcertant : le travail rend-t-il
libre ? La plupart du temps, le travail d’un individu est le fruit d’une
volonté propre, et si cette intentionnalité peut sembler conduire à une
liberté, il n’en est rien puisque elle n’est que l’illusion que l’image de son
travail veut bien lui donner. Cette liberté traduite matériellement par du
temps libre et un bon compte en banque n’est autre que le fruit d’un imaginaire
collectif, car chacun guidé par l’appât du gain, donne à un moment par son
travail, pour ensuite recevoir d’autrui ce moment de soi-disant liberté, de
façon transcendante à ses désirs, mais en aucun cas il ne trouve de sens par
son travail, au sein de son travail.
Mais c’est lorsque cette
dépendance au monde physique n’est plus, comme c’est le cas dans les camps de
concentration où les conditions de vie son tellement infimes et finissent par
devenir inexistantes, que le « soi » reprend le dessus.
Lorsque le travail n’a
plus de sens, emmener un rocher d’un point A à un point B puis du point B au
point A, ou encore le mythe de Sisyphe
que ceux qui tiennent ne sont autres que ceux qui en dehors de toute
considération clinique exercent jusqu’au bout l’acte d’exister, en deçà d’un
travail dépourvu de sens. Mais combien sommes-nous à persévérer dans cette voie
du labeur injustifié qu’il faut faire ou du « c’est mon métier donc je ne
me pose pas de question. » ?
Si nous continuons notre
observation dans un sens transcendant, nous nous rendons compte d’une évidence
selon laquelle donner du sens au travail est cause perdue dés lors que la
visibilité quant à la continuité du travail dans quelque chose de plus grand
que nous n’est pas atteinte. C’est lorsque notre travail fait partie d’un tout.
Prenons l’exemple de l’éboueur. Ce dernier ne donne probablement pas de sens à
son travail pour la bonne raison qu’il ne perçoit pas nécessairement que ces
ordures qu’il ramasse sont vouées à être retraitées. Il participe à quelque
chose de plus grand que lui, à savoir le tri.
Dans « la mort de
l’homme », Michel Foucault décrit la fin de l’idéologie des droits de
l’homme. De toute évidence, il va sans dire que la politique et l’économie sont
des aspects bien distincts. En effet, ce n’est pas la révolution française de
1789 qui a transformé la politique de production. Il s’agira toujours des mêmes
exploités, on assiste simplement au passage d’un régime d’exploitation à un
autre, étant entendu que l’homme est constitué, fondé par son travail, car en
transformant un monde de forces en un monde habitable, il se forge lui-même.
Marx et Hegel s’entendent
sur le fait que le travail rend libre mais Marx lui souligne les dérives du
capitalisme d’un point de vue économique en théorisant sur la valeur du travail
et la valeur d’usage : ce qu’il est nécessaire de travail à l’ouvrier en
vue de produire pour vivre, or cette part de travail ne représente que la
moitié de ce que l’ouvrier est capable de produire en tout (valeur d’usage). Or
il ne peut y avoir de travail sans exploitation. Paradoxalement c’est cette
même production qui contribue à l’essor de l’humanité, au progrès et à son
histoire au détriment d’un non sens du travail à l’échelle transcendante.
Cependant cette auto-gestion de l’ouvrier, ce « communisme à la
Marx » n’a pourtant jamais été tenté.
Bien souvent, aussi,
l’homme qui a fait un travail pour l’intérêt qu’il y trouvait à s’y réaliser en
tant que soi a perdu cet engouement à la suite d’un jeu de perversions
sociales, là où des contraintes multiples inversent la courbe de la passion
pour aboutir à un non sens. C’est le cas des sage-femme : lieu de
rencontre du travail et du vivant, et paradoxalement le lieu où la société
s’impose comme contrainte à un travail pourvu de sens.
Revenons à présent au
cœur de la question. Peut-on réellement trouver au sein du travail de quoi s’y
réaliser pleinement ? On a pu observer sans détours qu’à force de vouloir
travailler pour vivre, on en oublie d’exister ! Le millionnaire opte pour
la réussite sociale de sa vie, quitte à sacrifier son existence, tandis que’un
artiste vrai ne se pose pas cette question. Ce dernier préfère mourir plutôt
que se trahir. Et il ne peut faire autrement. Einstein ou encore Van Gogh ne
peuvent expliquer pourquoi ils font telle ou telle chose, en revanche ils
savent pourquoi ils travaillent. En réalité le travail est pour eux un
mécanisme régi par l’inconscient qui permet la concrétisation de leurs idées
nées d’un contact avec un monde de forces. Un inventeur voit le monde tel qu’il
est et tente de toucher les sens d’Autrui par une évidence manifeste. Donner du
sens au travail, c’est œuvrer à quelque chose, trouver de l’intérêt à cette
chose et s’en nourrir. La résultante d’un vrai travail étant l’accomplissement
de soi et le prolongement de l’être en-deçà de l’image sociale et des codes de
« vie ». Trouver un sens à son travail, c’est justement la
concrétisation (faisant suite à une production réglée et définie) se transforme
en création, lorsqu’il est question de style et d’unicité.
On n’arrive à trouver un
sens à son travail que si l’on parvient à comprendre qui l’on est vraiment, à la
fameuse réplique : « Tu reprendras l’usine mon
fils ! » Spinoza répond : « Je ne veux pas de mon
héritage. » (il ne s’agissait pas d’une usine évidemment). Si, comme le
dit Sartre, « l’existence précède l’essence », nous sommes tous
enfants de la vie avant d’être les enfants de nos parents. On ne décèle
vraiment le soi que lorsque l’on se place dans une dimension anonyme de
l’existence (comme un accouchement permanent mais sous X), lorsque l’on ne
parvient plus à discerner le nom ni le « moi ». Cela revient à
chercher l’action de « qui je suis en deçà de mon nom ».
C’est dans cette
perspective que Marx a peut-être senti l’avènement de la 3e
révolution industrielle en écrivant : « Supposons que nous
produisions comme des êtres humains, chacun de nous s’affirmerait doublement
dans sa production, soi-même et l’autre. » Par cette phrase, Marx anticipe,
sans le savoir, sur les « Fab Lab », un moyen de production collectif
court-circuitant la distinction entre les producteurs et les propriétaires des
moyens de production.
Et si le travail, c’était
la temporisation ? On a d’une part l’Agôn, dimension compétitive de
réussite sociale et de l’autre l’Aïon, rapport au temps, sorte de vérité
factuelle inaliénable, dimension de l’instant non épuisée par l’événement.
Pénélope, assiégée par les prétendants au trône (partisans de l’Agôn) parvient
à stopper l’épopée en suspendant le temps. Elle trouve un subterfuge un rapport
étrange au travail en tissant et en détissant sa toile. Mais il y a là un
témoignage d’une sagesse inouïe. Pénélope ne tisse pas pour faire une toile,
elle tisse pour tisser. On assiste là à une nécessité intérieure. C’est trouver
de l’intérêt au travail dans l’instant, c’est comme vivre le temps en tant que
temps. Comme dirait Spinoza, c’est être l’énergie que l’on investit dans le
fait d’être, savoir ainsi ce que l’on peut. Le travail est, en quelque sorte,
la résultante pure de l’existence pure ?
Que l’on prenne le
travail au sens transcendant ou immanent on s’aperçoit que la liberté n‘existe
pas. Libre à chacun, cependant, de « travailler pour vivre » ou bien
d’œuvrer à exister. Suivre la doctrine Stoïcienne de l’antiquité « faire
de sa vie une œuvre d’art » peut être la solution, là où la quasi-totalité
de l’humanité suit une existence aveuglée par l’appât du gain.
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