« Derrière
la notion d’acte d’Etat, il y a celle de raison d’Etat. Selon cette théorie,
les actes de l’Etat – qui est par définition responsable de la survie d’un pays
et, partant, des lois qui garantissent cette survie – ne sont pas soumis aux
mêmes règles que les actes des citoyens de cet Etat. L’Etat de droit, conçu
afin d’éliminer la violence et la guerre de tous contre tous, dépend pour sa
survie des instruments de la violence. De même, un gouvernement peut se trouver
dans l’obligation de commettre des actes qui sont généralement considérés comme
des crimes afin d’assurer sa propre survie et celle de la loi (…)
A tort ou à raison – selon les cas – la raison
d’Etat fait appel à la nécessité, et
les crimes d’Etat commis en son nom (qui sont pleinement criminels en regard du
système juridique en vigueur) sont considérés comme des mesures d’exception,
des concessions faites aux exigences de la Realpolitik
(1) afin de préserver le pouvoir et, partant,
l’ensemble du système juridique en vigueur. Dans un système politico-juridique
normal, ces actes constituent des exceptions à la règle et ne sont pas
passibles de châtiment (ils sont gerichtsfrei
(2),
selon la théorie juridique allemande) parce qu’il y va de l’existence de l’Etat
même, et qu’aucune entité politique extérieure à l’Etat n’a le droit de dénier
à celui-ci son droit d’exister, ni de prescrire les formes que doit prendre
cette existence. Lorsque par contre un Etat est fondé sur des principes
criminels – et nous en avons vu un exemple dans la politique juive du IIIe
Reich – c’est l’inverse qui est vrai. C’est l’acte non criminel (tel que par
exemple, l’ordre de Himmler, à la fin de l’été 1944, de mettre un terme aux
déportations de Juifs) qui devient une concession à la nécessité, qui est
imposé par les évènements (en l’occurrence la défaite prévisible). C’est alors
qu’une nouvelle question se pose : quelle est la nature de la souveraineté
d’un tel Etat ? N’a-t-il pas violé la parité (par in parem non habet jurisdictionem (3))
que lui accorde le droit international ? Par in parem (4) signifie-t-il seulement les attributs secondaires de
la souveraineté ? Ou est-ce que ce principe implique également une égalité
qualitative, une similitude ? Peut-on appliquer le même principe
indifféremment à un appareil gouvernemental dont les crimes et les actes de
violence sont des cas limites, des exceptions, et à un système politique qui
légalise le crime et en fait une règle ? »
(1) realpolitik : « politique
réaliste, c’est-à-dire politique étrangère fondée sur le calcul des forces et
l’intérêt national »
(2) gerichtsfrei :
(en allemand) libres de jugement
(3) « par
in parem non habet juridictionem » : « il n’est aucun jugement
possible d’égal à égal » (en l’occurrence aucun état ne peut remettre en
cause la juridiction d’un autre état)
(4) D’égal à
égal
d'où c'est extrait ? (les références pour citer)
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimer"Eichmann à Jerusalem" - Rapport sur la banalité du mal, c'est dans le
Post-scriptum Collection folio p 465.