L’épreuve de philosophie du baccalauréat ne peut pas être abordée
comme un exercice de mémoire en vue duquel il s’agirait de « caser »
des développements tout faits ou des citations d’auteurs. C’est au contraire la
souplesse de notre capacité de réflexion, son aptitude à s’activer sur un
problème dont la formulation est nouvelle pour nous qui décidera de notre note.
Pour autant, les références aux connaissances assimilées pendant l’année sont
légitimement attendues et, contrairement à certaines idées reçues, l’épreuve de philosophie se travaille et se
prépare. Des citations d’auteurs philosophiques bien comprises et surtout
bien situées permettront à la personne qui corrigera notre copie de se faire
une idée juste de notre implication en cours et de nos acquis. Il importe
néanmoins pour cela que la mention de cette citation soit toujours accompagnée
de son explication ainsi que de l’expression claire de son apport argumentatif
au sujet donné. Il peut malheureusement arriver que la volonté des candidats de
montrer à tout prix leurs connaissances soit précisément la cause de
l’évacuation du traitement précis du problème. La référence à la citation doit
donc venir de notre réflexion sur la question. Si c’est bien le cas, elle
affleurera à la surface de notre mémoire au gré d’un travail de concentration,
de polarisation de notre pensée sur le sujet. Notre copie doit porter la trace
écrite de cet effort de mémoire. Autant
dire qu’une citation ne peut d’aucune manière se contenter d’être simplement
retranscrite. Nombre d’entre elles se résument assez souvent à des formules
courtes et lapidaires qui pourraient être comprises dans un tout autre sens. Il
convient donc que nous justifions sa présence à la fois par son explication et
par l’expression claire de la perspective nouvelle qui se profile à partir
d’elle sur le problème que nous sommes en train de traiter.
Conscience / Inconscient /
Désir / Science / Technique / Esprit / Matière/ Liberté
" Je suis plus sage que cet homme-là; il se peut qu'
aucun de nous deux ne sache rien de beau ni de bon; mais lui croit savoir
quelque chose, alors qu'il ne sait rien, tandis que moi, si je ne sais pas, je
ne crois pas non plus savoir. Il me semble donc que je suis un peu plus sage que
lui par le fait même que ce que je ne sais pas, je ne pense pas non plus le
savoir ".
« L’apologie
de Socrate » - Platon
« Science sans conscience n’est que ruine de
l’âme »
« Pantagruel »
– Rabelais
On possède une connaissance mais on exerce sa conscience.
La conscience ouvre ce que la connaissance a plutôt pour vocation de limiter,
de forclore. La science désigne le savoir complet que l’on peut détenir sur un
objet. La conscience marque au contraire l’effort d’implication par le biais
duquel on se sent touché, concerné par une question, par un événement, par une
condition. Rabelais nous avertit donc qu’il est dangereux de détenir ou plutôt
de penser détenir un savoir sans s ‘interroger en conscience sur cette
maîtrise. Einstein découvre la formule autorisant la conversion d’une masse en
énergie: E=mc 2 (l’énergie d’une particule est égale à sa masse multipliée par
la vitesse de la lumière au carré) et rend du même coup possible, en tant qu'"application", la bombe
atomique (alors que ce n'était pas du tout le but de sa démarche). La conscience, parce qu’elle revêt une dimension morale, pose la
question de savoir si nous devons nécessairement et aveuglément donner suite à
ce que la science rend possible. Ceci étant dit, peut-être importe-t-il de
problématiser et de préciser la citation de Rabelais : est-ce vraiment la
science qu’il convient de mettre ainsi en accusation ou la technique ? Les
deux notions se recouvrent d’autant moins qu’il faut aujourd’hui en inventer un
troisième : entre science et technique se glisse la
« techno-science ». Celui qui en parle le mieux est peut-être Bergson
à la fin de son livre « Les deux sources de la morale et de la religion » :
« Ajoutons que le corps agrandi attend un supplément
d’âme, et que la mécanique exigerait une mystique. Les origines de cette
mécanique sont peut-être plus mystiques qu’on ne le croirait ; elle ne
retrouvera sa direction vraie, elle ne rendra des services proportionnels à sa
puissance, que si l’humanité qu’elle a courbée encore davantage vers la terre
arrive par elle à se redresser, et à regarder le ciel. »
La science désigne finalement cette recherche rigoureuse
et rationnelle visant à nous donner une explication des phénomènes qui nous
entourent. C’est sous l’influence de Descartes, de Galilée, de ce que l’on a
appelé la science moderne et après elle du positivisme d’Auguste Comte qu’elle
est devenue une application directe des connaissances en inventions, en
« moyens », en applications visant à rendre notre vie plus durable,
plus confortable, « plus » (en un mot). Bergson fait remarquer que la
technologie (ou la techno-science) contribue finalement à prolonger notre
corps. Ce que mon corps peut faire (courir, sentir, porter, frapper, etc.)
l’instrument technique le fait plus et mieux. Plus nous développons la
techno-science, plus nous donnons à notre corps un développement conséquent,
voire exponentiel.
Par la technique, le corps humain devient surdimensionné. Il
lui faut donc une âme proportionnelle à son corps (Rabelais dirait une
conscience). Bergson reformule donc la citation de l’auteur de
Pantagruel : « une mécanique sans mystique serait un corps sans
âme », un corps obèse qui aurait tous les pouvoirs à sa disposition sans
inspiration, ni orientation, ni perspective. Il importe donc de revenir à
l’origine même de la mécanique, de cette compréhension et de cette utilisation
des forces physiques qui nous entourent et s’exercent sur nous. Nous ne
baptisons pas l’installation utilisant la force du vent :
« Eolienne » sans raison. C’est cette intuition mystique de la
présence des Dieux dans les sources, le vent, les éléments qu’il nous faut
aujourd’hui adapter aux progrès technologiques (sur ce sujet, il faut voir le
film de Spike Jonze « Her »)
« Les hommes
sont conscients de leurs désirs et inconscients des causes qui les
déterminent »
« Lettre à Schuller » -
Baruch Spinoza
Il est une notion impliquée
dans cette citation sans y être explicitement présente, c’est celle de liberté.
Les hommes se croient libres parce qu’ils ne sont pas conscients des causes
réelles qui motivent leurs désirs. Plus tard dans la lettre, Spinoza utilise
des exemples simples et éclairants. L’ivrogne pense que c’est de son plein gré
qu’il se saoule, sans s’apercevoir que c’est parce qu’il est alcoolique. Nous
pourrions utiliser d’autres exemples, encore plus efficients : tel fils de
notaire pense que c’est librement qu’il reprend l’étude de son père sans
percevoir le déterminisme à l’œuvre dans ce prétendu « choix ». Que
chacun de nous se penche honnêtement sur sa vie et il n’y verra qu’une
succession de déterminations. Nous ne faisons que ce que nous pouvons faire en
fonction de notre situation, de notre implication (au sens littéral : être
pris dans les plis de… ») dans un milieu ou dans une nature qui nous
imposent ses lois. Il existe donc une conception de la liberté du sujet à
laquelle Spinoza ne croit pas : c’est celle de l’initiative, d’être les
auteurs purs et comme « sortis de rien » de nos actes.
Sur ce point
comme sur finalement tous les autres, Spinoza s’oppose à Descartes et
« préfigure » trois philosophes sur lesquels se fondera plus tard ce
que nous pourrions appeler une nouvelle ère philosophique: «Marx,
Nietzsche et Freud» (le point commun de ces trois philosophes, au-delà de
leurs profondes différences, est de considérer le sujet humain comme pris dans un
ensemble de structures et de forces qui décident de lui, lui qui, à tort, croit
décider de tout par lui-même). Pour Spinoza, l’homme ne voit qu’un moment du
dynamisme qui le projette dans telle direction, vers tel but qu’il pense s’être
volontairement fixé à lui-même, comme une pierre qui n’aurait pas conscience d’avoir
été lancée et qui croirait se diriger par elle-même vers telle direction.
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