(Une
dernière remarque sur ces citations utiles pour l’épreuve de Philosophie au
baccalauréat : ce qui peut disposer très favorablement le jugement de
notre correcteur, c’est moins le fait que nous connaissions des citations que
la présence d’esprit dont il a fallu faire preuve pour penser, à ce moment
là, à l’occasion de ce sujet là, à cette citation là. C’est la raison pour laquelle la justification de son
utilisation est aussi déterminante. Ce qui manifeste une qualité d’implication
et de compréhension authentique par rapport à cette matière, c’est cette
aptitude à faire le lien entre une question ou un élément de réflexion
concernant le sujet et les paroles d’un auteur dont on a parfaitement assimilé
le sens. Le rappel de la citation ne peut donc aspirer à la moindre
reconnaissance de la part du correcteur, en termes de notation, s’il n’est pas
accompagné de son explication et de l’indice de progression qu’il nous permet
de réaliser par rapport au traitement précis du sujet)
« Un fait scientifique, c’est ce que fait la
science en se faisant » - Georges Canguilhem (1904 – 1995)
Il convient de ramener cette
citation de Georges Canguilhem à la préface de la seconde édition de « la
critique de la raison pure » d’Emmanuel Kant : « Ils comprirent que la raison ne voit
que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans et qu’elle doit
prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant
des lois immuables, qu’elle doit obliger la nature à répondre à ses questions
et ne pas se laisser conduire pour ainsi dire à la laisse par elle; car
autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé d’avance, nos observations
ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et
dont elle a besoin. » « Ils »
désignent Galilée, Stahl et Torricelli, les tenants de ce que l’on
appellera : « la science moderne ». Le fait scientifique ne
marque pas en aucune manière la prise d’initiative de la nature. Quand une
expérience fait signe de l’efficience d’une réalité, cette dernière ne paraît
qu’à l’occasion de la question préalable du scientifique, à savoir l’hypothèse.
Celle-ci est toujours première et cette antériorité détermine la texture même
du fait qui se trouve être scientifique et non naturelle. Il existe au cœur des
organismes naturels des processus immunitaires mais l’idée du vaccin n’est pas
pour autant « naturelle », elle est, de bout en bout scientifique.
Nous pouvons même aller plus loin : c’est toujours sur le fond préalable
d’une question scientifique formulée dans des termes techniquement définis par
leur époque que les réalités se dévoilent et elles ne se dévoilent jamais comme
des faits définitifs. Par exemple, la nature des anneaux de Saturne ne cessera
jamais d’évoluer, en fonction des instruments et des questionnements des
scientifiques de leur époque (on a cru longtemps qu’ils étaient faits de débris
de météorites, puis on a pensé à de la glace, puis aujourd’hui on parle de
composition gazeuse ; nous progresserons nécessairement dans la
connaissance des ses gazs et ainsi de suite). Nous réalisons que la nature même
de cette réalité « donnée » (Saturne a bien des anneaux) est en
réalité « construite », c’est-à-dire scientifique déterminée. Les
anneaux de Saturne sont, donc, en ce sens un fait scientifique dans la connaissance
progressive duquel il apparaît clairement que la science ne cesse jamais de se
« faire », de se constituer et de se perfectionner. La science s'effectue donc dans ce mouvement par le biais duquel les faits sont pris dans la dynamique d'un "devenir scientifique" qui anime la réalité même.
« Un concept sans intuition est vide, une
intuition sans concept est aveugle. »
Emmanuel Kant
Par cette phrase, Emmanuel
Kant essaie de résoudre la querelle entre l’innéisme (il existe dans l’esprit
des idées innées) et l’empirisme (nous n’avons d’idées qu’à partir de nos
sensations). Si nous avions l’idée (le concept) de cube sans avoir jamais perçu
physiquement de cube, nous n’aurions aucune matière sur laquelle notre esprit
pourrait exercer son travail de synthèse. Il faut bien que l’œuvre de
généralisation, de classification et de recueillement de notre esprit
s’effectue sur quelque chose dont nous faisons sensitivement l’épreuve. Je peux
savoir qu’un cercle est une figure dont tous les points se situent à égale
distance de son centre, cette conceptualisation ne me sera d’aucune utilité si
je fais pas l’expérience concrète, matérielle d’un cercle. Inversement, si je
n’avais que des données intuitives, sensibles sans concept, je serai incapable
de savoir ce que c’est, de synthétiser tous les angles et toutes les
perspectives dans « une » figure. Il importe donc que mon entendement
et ma sensibilité, tout en étant distincts l’un de l’ autre participent l’un de
l’autre.
« Il
n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été d’abord dans les sens excepté
l’entendement lui-même. » Leibniz
Cette phrase pourrait être considérée
comme le leitmotiv de la position innéiste. Leibniz fait d’abord semblant de
défendre une position empiriste (jusqu’à excepté) avant de la prendre
littéralement à contre-pied. Pour que des données sensibles entrent dans mon
entendement et y deviennent des concepts, encore faut-il que mon entendement
soit d’emblée et structurellement, dans sa nature même
« conceptualisant ». Cela signifie qu’il obéit déjà à des lois :
celle de la rationalité et de la logique, lesquelles ne sont pas le produit
d’une expérience. Ces lois sont « le dedans » d’un entendement. Elles
peuvent s’exercer sur le dehors des sensations nées de ce que nous éprouvons, mais elles n’en sont pas le
fruit. C’est finalement l’existence même de ces lois que Socrate, dans le
dialogue de Platon : « Ménon », révèle chez un esclave
n’ayant jamais été instruit par un précepteur. Cela signifie bien que toute
personne dotée d’un entendement détient en lui ces lois, indépendamment de tout
enseignement.
« L’Etat,
c'est le plus froid de tous les monstres froids : il ment froidement
et voici le mensonge qui rampe
de sa bouche : « Moi, l'État, je suis le Peuple. » »
Friedrich Nietzsche
Nietzsche exprime ici
le mensonge inhérent à la notion même d’état, laquelle consiste à aseptiser, à
anémier, et finalement à éteindre la vigueur même d’une nation, à savoir le
peuple. Nous retrouvons donc dans cette citation l’affirmation de la
distinction fondamentale entre l’Etat et la Nation. Autant le premier désigne
une structure légale s’imposant à un territoire pour en faire une juridiction,
autant le second fait écho à la culture d’un peuple, à son histoire, sa langue,
ses traditions. Il existe des nations sans états ou des Etats regroupant tant
bien que mal plusieurs nations (l’éclatement de l’URSS a montré la multitude de
nations maintenues artificiellement sous le sceau de lois communes, pendant
l’ère communiste). L’Etat est aussi froid, abstrait, désincarné, que la nation
est « chaude », profonde, viscérale, irrationnelle et enflammée. Le
général de Gaulle, à Londres, appelle à la résistance de la nation
française quand l’Etat français, c’est-à-dire le territoire, est envahi et se
prépare à collaborer avec l’occupant. Le vocabulaire qu’utilise le général ne
contient que des expressions empruntées au registre lexical de la nation, par
opposition à l’Etat.
« Afin donc que le pacte social ne soit pas un vain formulaire, il
renferme tacitement cet engagement qui seul peut donner de la force aux autres,
que quiconque refusera d'obéir à la volonté générale y sera contraint par tout
le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera d'être
libre. » Le contrat social – Rousseau
Cette citation est vraiment
fondamentale dans la mesure où elle contient toutes les notions autour
desquelles s’articule le projet Rousseauiste de rendre le statut de citoyen et
la condition de liberté non seulement compatibles mais surtout indissociables
et corrélatifs. Afin que l’Etat assure aux hommes la possibilité de jouir de
leur liberté individuelle, il importe qu’il se désincarne dans une instance
abstraite, anonyme, symbolique. C’est exactement le rôle joué par la volonté
générale. Obéir à l’Etat, ce n’est pas obéir à quelqu’un mais à tout le monde.
On pourrait tout aussi bien dire : « à personne », voire à
soi-même, puisque nous sommes représentés, au même titre que tous les citoyens
de l’Etat, par cette volonté générale. Ne pas se rallier à cette volonté
générale sous le prétexte qu’elle n’est pas une personne physique serait donc
aussi illégal, vain que stupide et liberticide. C’est justement parce que
l’Etat est une personne morale, et non physique que nous ne nous soumettons à
personne en le respectant et en appliquant ses décrets. Si un citoyen se
démarquait de son statut et revenait à sa condition d’homme opposé aux
décisions de la volonté générale au sein de l’Etat, il reviendrait à la force
publique de le ramener par la force à lui-même, c’est-à-dire à la liberté dont
il semble avoir oublié la condition première, soit le caractère anonyme,
symbolique et artificiel de l’Etat. Par « artificiel », il ne faut
pas entendre ici : « inutile ou accessoire » mais plutôt
« non naturel », produit par un processus rationnel, comme l’est une
machine. L’Etat est donc bel et bien « une machine » parce qu’il faut
que les hommes construisent ensemble une entité, une instance susceptible de
les représenter tous sans pour autant être personne. Artificiel signifie donc
« contractuel », issu du consentement réfléchi et rationnel des hommes.
Sur ce point là, et sur celui-ci
seulement, Hobbes et Rousseau sont donc d’accord. Forcer l’homme à être
libre revient donc à le libérer « malgré lui », ce qui pose
évidemment beaucoup de problème : « peut-on libérer un homme
contre son gré ? » Oui, répond Rousseau, s’il n’est pas assez lucide
pour saisir la vraie nature de sa liberté de citoyen, laquelle passe par le
contrat, par la représentation et par le respect de la volonté générale.
« Non, mon ami : la liberté consiste à vouloir que les choses arrivent, non comme il te plaît, mais comme
elles arrivent. »
Epictète, Entretiens, livre I, XXXV.
Epictète, Entretiens, livre I, XXXV.
Cette citation exprime
l’une des thèses fondamentales des Stoïciens. Il est non seulement vain mais
aussi inexact de définir la liberté comme le pouvoir de faire tout ce qui nous
plaît, c’est-à-dire n’importe quoi. La liberté ne consiste pas à nier toutes
les contraintes, bien au contraire. Si je veux appeler mon ami, encore faut-il
que je l’interpelle par son nom, lequel est imposé, donné. Il en va de même pour
tout ce qui nous arrive. Si je suis marié, que j’aime mon épouse et que
celle-ci meure, je serai nécessairement triste, mais il serait faux d’affirmer
que ma liberté d’homme marié a été niée par cet événement. Il n’est pas
question d’affirmer que ma liberté consiste à vouloir qu’il m’arrive quelque
chose de bien mais plutôt à réaliser que tout ce qui m’arrive est bien. Vouloir
ne pas être veuf quand je le suis n’a, au sens propre, pas « lieu
d’être » parce que c’est déjà en tant que veuf que j’exprime le désir de
ne pas l’être. Il ne s’agit donc pas de pleurer sa prétendue liberté perdue
parce qu’il nous est arrivé quelque chose que nous ne voulions pas mais de
comprendre au contraire que nous ne pouvons vouloir qu’à partir de ce qui nous
arrive. Que je le veuille ou pas, c’est en tant que veuf qu’il m’appartient
désormais de « vouloir », et c’est cela que signifie la définition
donnée par Epictète de la liberté : « vouloir que les choses
arrivent comme elles arrivent », parce que c’est là que ma volonté commence
et non là où elle finit.
« L'art ne reproduit pas le visible;
il rend visible. »
Paul Klee
Pour bien
comprendre le sens profond de cette citation, il faut se rappeler qu’il existe
trois définitions opposées de l’Art : imitation (Platon, Aristote),
création de l’esprit (Hegel), capture des forces, (Bergson, Deleuze). Cette
affirmation de Klee se range dans la troisième conception, par opposition à la
première. Puisque elle évoque la visibilité, il est clair que Klee évoque
plutôt les arts visuels mais elle s’applique pareillement à la musique (l’art
ne reproduit pas le sonore, il rend sonore) et à toutes formes d’Art. Quand Van
Gogh, Cézanne, Monet peignent des paysages, ils n’essaient pas de peindre des
arbres, de l’herbe, des rochers, etc. Ils ne peignent pas un motif mais rendent
compte de ce processus par le biais duquel c’est sur le fond naturel de forces
efficientes qu’un instant « vient au monde ». Les cyprès de Van Gogh
sont des flammes vertes au sein desquelles les forces thermiques, telluriques,
végétales, atmosphériques se mêlent et créent la confusion. En fait, il n’y a
que de la confusion. Ce qui importe à l’artiste, c’est de se tenir au plus prés
de la soudaineté de ce processus par le bais duquel des forces ne cessent de faire
venir au monde des instants dynamiques, exclusifs, uniques. Notre réel n’est
tissé que de points remarquables mais le langage, la fonctionnalité et l’habitude parasitent suffisamment nos
yeux pour que nous n’apercevions que des lieux communs. Nous ne voyons pas
l’action continue de ces forces. C’est donc ce que le peintre s’efforce de
rendre visible au travers de ses toiles.
« Dieu ne joue pas aux dés. »
Albert
Einstein
Il serait très hasardeux de
déduire précipitamment de cette citation qu’Einstein croit vraiment en Dieu, du
moins comme le fidèle d’une religion. Ce serait contraire à tous les
témoignages, ainsi qu’à l’extrait de cette lettre qu’il envoya au rabbin
Goldstein, en avril 1929 : « Je crois au Dieu de Spinoza, qui se révèle dans l'ordre
harmonieux de ce qui existe, et non en un dieu qui se préoccupe du sort et des
actions des êtres humains."
Le Dieu de Spinoza, comme il a été dit lors
d’un article précédent, c’est la nature, la manifestation d’une causalité
rigoureuse entre les phénomènes. L’ordre harmonieux de ce qui existe, c’est
justement tout le contraire de celui qu’une intelligence supérieure et
transcendante lui imposerait « du dessus ». Il n’y a « que ce
qui est », et il se trouve que « ce qui est » est sensé,
rationnel, organisé. C’est précisément ce déterminisme des causes et des effets
au sein de la nature qu’Einstein tient ici à défendre face à l’émergence d’une
physique faisant de plus en plus droit, sous l’impulsion de la physique
quantique, à l’aléatoire. La physique quantique doit beaucoup à la théorie de
la relativité générale mais Einstein n’est pas pour autant favorable à tout ce
que certaines implications de la physique quantique recèlent de proprement
révolutionnaire pour les Sciences. En affirmant que « Dieu ne joue pas aux
dés », Einstein exprime l’idée qu’il tient encore finalement à
la notion de Sens. Il faut bien que l’univers ait un sens. Si Dieu jouait aux
dés, cela signifierait que tout ce qui aujourd’hui existe aurait pu exister
différemment et que l’univers ne serait doté d’aucune lisibilité.
Il est difficile de ne pas relier
cette citation aux réflexions actuelles sur la notion de multivers. Les travaux
d’Einstein, dans le domaine de la cosmologie, contribuent à donner un certain
poids à cette idée, mais paradoxalement, il semble difficile d’explorer
vraiment et durablement les aboutissants des univers multiples, sans parvenir à
une conclusion qui contredit l’auteur de la théorie de la relativité. Si
l’univers est infini (parmi les trois modélisations proposées par Einstein,
deux décrivent un univers infini), alors il ne l’est pas seulement dans
l’espace mais aussi dans le temps. Ce que l’on y fait une fois s’y accomplit
donc une infinité de fois. Jouer aux dés une fois dans un plurivers, c’est rendre
réelle l’infinité de tous les tirages possibles. La proposition d’Einstein est
alors susceptible d’être inversée : « Si Dieu ne joue pas aux
dés, il devient envisageable de considérer qu’au sein d’un plurivers les dés ne
jouent pas Dieu. »
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