Bruno Lemaire qui regarde Emmanuel Macron |
Dans son livre: "Mémoires provisoires" , (très bon titre à condition que ce soit vrai....), Bruno Lemaire nous assène cette longue description d'un regard d'Emmanuel Macron: "Il se tut, me fixa de son regard bleu sur lequel glissaient des éclats métalliques comme un lac accablé de soleil dont il aurait été impossible sous le scintillement des reflets de percer la surface."
Je distingue bien dans cette phrase le vouloir dire de la langue: les verbes sont bien conjugués, la métaphore est filée...Euh...... très, très filée, j'irai même jusqu'à dire que ça tient plus de la corde, du câble que du fil. C'est grammaticalement imparable. C'est beau comme un camion neuf sur l'autoroute du soleil qui fait Pouêt! Pouêt!
Bruno Lemaire met le pied sur sa table de travail. Il est cool Bruno! |
Seulement voilà, du point de vue du vouloir dire de la parole, c'est-à-dire de ce qui dans l'ACTE de prendre la plume peut ici faire "évènement", et bien..... J'ai un peu de mal. Emmanuel Macron a les yeux bleus et pour ma part je me suis un peu "noyé dans le lac" parce que je ne vois pas du tout à quelle couleur ça peut correspondre: " bleu sur lequel glissaient des éclats métalliques comme un lac accablé de soleil dont il aurait été impossible sous le scintillement des reflets de percer la surface." Imaginons une autre scène:
- Tiens hier je me suis acheté un pull.
- Ah de quelle couleur?
- Bleu
- Tu veux dire bleu ciel, bleu turquoise?
- Non, plutôt "bleu sur lequel glissaient des éclats métalliques comme un lac accablé de soleil dont il aurait été impossible sous le scintillement des reflets de percer la surface."
- Ah oui, je vois bien. Super!
Regard bleu sur lequel glissaient des éclats métalliques comme un lac accablé de soleil dont il aurait été impossible sous le scintillement des reflets de percer la surface |
Quand une métaphore tombe-t-elle dans l'eau du lac bleu où les reflets machin chouette....? Quand est-elle mauvaise? Quand elle ne va nulle part, quand elle ne crée aucun effet de cohérence avec le personnage ni aucun effet de style avec l'atmosphère du roman...Bref ici, quand Bruno Lemaire écrit. Soyons clair: relier la pigmentation des yeux d'une personne à un lac "accablé" de soleil, c'est tout à fait possible (même si "accablé"....Bon! Passons!) mais encore faut-il que cela recouvre quelque chose quant à l'action, au caractère du "héros", à la situation. Relier des traits de la physionomie d'un personnage à des éléments du paysage et du temps, c'est très, très courant dans la littérature, mais chez les vrais auteurs , ça va quelque part, cela revêt un "sens" dans l'oeuvre, alors que là, tout ce que cela dénote, c'est la volonté d'un ministre de théâtraliser son président, pratique dont Bruno est apparemment fervent puisque dans une conférence de presse très modeste il avait parlé d'Emmanuel Macron sous les traits de Jupiter et de lui comme Hermès (je ne sais pas si c'est une bonne idée d'Olympiser comme ça à tout va parce que tôt ou tard, on va quand même se demander qui c'est la Gorgone, Cerbère, Pan, Bacchus?)
Regard bleu sur lequel glissaient ..machin truc...mais en plus crispé |
Une dernière précision: je n'ignore pas que Bruno Lemaire a été reçu premier à l'agrégation de Lettres Modernes. En fait, c'est absolument essentiel pour comprendre la différence entre ce que Maurice Merleau Ponty appelle la parole instituée et la parole constituée (ou se constituant). Je suis sûr que "mémoires provisoires" est un "chef d'oeuvre" mais plutôt de la parole instituée, c'est-à-dire de "non-littérature" absolue. On n'écrit pas si l'on ne ressent pas vivement la nécessité éventuellement douloureuse de prendre la parole. Annie Ernaux, par exemple, est à la fois diplômée et auteure, mais elle a quelque chose à faire entendre: le conflit entre ses origines sociales déclassées et le milieu au sein duquel elle s'est frayée un chemin par son talent. On n'écrit pas si l'on ne "balbutie" pas sa langue, comme dit Gilles Deleuze, c'est-à-dire si on ne la fait pas céder sous la pression bienheureuse des affects. C'est exactement cela: "brutaliser le vouloir dire de la langue par le vouloir dire de la parole."
Qu'on y réfléchisse un peu et nous nous rapprocherons d'un critère effectif de sélection entre les vrais auteurs et les autres puisque il semble aller de soi que la publication, en elle-même, ne peut pas en constituer un. En effet, que Monsieur Bruno Lemaire ait trouvé tout de suite un éditeur alors que Marcel Proust, non (le manuscrit de la Recherche a été d'abord refusé par Gallimard), pose quand même un peu question. L'avidité de ces "adoubés de naissance" est d'une veulerie sans bornes, mais cela peut parfaitement se comprendre car il est une dimension (la seule authentique, en fait) de l'existence dont l'évitement et le ratage portent la marque et signent la garantie même même de leur réussite. Est-ce que Monsieur Lemaire sait écrire (au sens du vouloir dire de la langue: accorder les participes, déployer les relatives et les conjonctives, veiller à la syntaxe et la conformité grammaticale de ses phrases)? Oui, et mieux que quiconque. Est-ce que Monsieur Lemaire a quelque chose à écrire (au sens du vouloir dire de la parole, d'une efficience existentielle à exprimer, d'un élan idiosyncrasique qui puisse tenir la gageure d'un style authentique)? Non.
Une femme (Annie Ernaux) qui écrit (vraiment) sur la table sans mettre les pieds dessus. |
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