1)
Le choix du 3e sujet
Si nous avons choisi le 3e sujet plutôt que l’un des deux premiers, le
jour de l’épreuve, cela signifiera, dans l’esprit de notre correcteur que nous
avons volontairement opté pour un certain style d’exercice différent de
la dissertation. Il faut bien comprendre les implications de ce choix sous
peine de ne pas répondre aux attentes. Lorsque nous rédigeons une dissertation,
nous devons organiser les éléments d’une réflexion dont le but est de traiter
un problème contenu dans le sujet. Pour le 3e sujet, nous sommes mis
en présence non seulement d’un problème mais aussi de la thèse défendue par
l’auteur pour y répondre, ou du moins pour l’approfondir. Cela suppose de notre
part une certaine « humilité », une attitude fondée entièrement sur
l’écoute et la compréhension plutôt que sur la convocation personnelle de telle
ou telle idée sur la question.
En décidant de traiter le 3e sujet,
nous nous engageons à faire la place
au sein de notre pensée à la pensée d’un autre. Cet autre étant un « auteur »,
il va de soi que nous lui accordons d’emblée ce crédit d’être pertinent,
parfaitement cohérent, et plus encore intéressant. Cela ne signifie pas
nécessairement que nous adhérons à la thèse qu’il défend mais nous nous
engageons à la saisir, à la détailler dans le processus de sa démonstration, à
la rendre parfaitement claire pour nous et pour les autres, et, éventuellement
à lui objecter certains arguments ou d’autres auteurs si nous en sommes
capables.
Par conséquent, lors de l’épreuve du baccalauréat,
si après avoir lu le texte quatre à cinq fois, nous avons le sentiment que
l’auteur se contredit ou que sa thèse n’est pas cohérente, il est préférable de
choisir un autre sujet, car la toute première chose à comprendre est que ce
texte est UN texte, c’est-à-dire qu’il défend UNE thèse et que toutes les
phrases, tous les mots, chaque élément de ponctuation sont écrits dans UN seul
but qui est de nous convaincre de la justesse d’UNE thèse.
2)
L’introduction
Ce qui se joue dans notre introduction, c’est déjà
la compréhension du texte, autrement dit, notre correcteur la lira avec une
attente très simple mais aussi très exigeante : celle de notre aptitude à
avoir clairement et précisément déterminé le
thème, la thèse et la problématique de l’extrait à expliquer.
a) Le thème
Aucun auteur ne se lève un matin en se disant
qu’il va écrire sur tel ou tel sujet. Son travail de rédaction s’articule à un
thème qui préexiste évidemment à sa réflexion. Le thème désigne ce « fond
d’écran », cette question globale sur le fond de laquelle se détache se
texte en particulier. On peut prendre cette image au pied de la lettre. C’est
comme un paysage que nous regardons d’abord dans son ensemble et dans lequel
nous allons détacher un motif en particulier (le texte) sur lequel nous allons
porter notre attention comme un élément que l’objectif de notre appareil va
agrandir par un processus de focalisation. Il convient d’éviter à tout prix,
pour commencer, les formules vagues, grandiloquentes et
« passe-partout » du style « les hommes se sont toujours
posés la question de savoir si… ».
b) La thèse
Dans un second temps, notre introduction devra
avec précision situer la position de l’auteur par rapport à ce thème. Il ne
faut pas hésiter à marquer explicitement ce seuil à partir duquel c’est à la
thèse du texte que nous allons nous attaquer en la formulant : « Ici
Aristote soutient que… ». Cette thèse peut être formulée avec une ou deux
phrases dont les termes auront été très « réfléchis ». Notre
correcteur nous « attend » sur ce point crucial. Si nous passons à
côté, nous nous apprêtons à faire du hors texte, l’équivalent du hors sujet
pour la dissertation. Si nous restons vagues, désinvoltes, en évoquant un terme
très général, nous créons d’emblée une impression très défavorable qu’il sera difficile
de démentir par la suite. La thèse doit exprimer ce que l’auteur apporte ici
par l’écriture de ce passage. C’est le fond de l’intention du philosophe qu’il
s’agit de retranscrire sans se tromper.
c)
La problématique
La problématique ne désigne pas ici méthodologiquement la même
chose que pour une dissertation. Elle n’est pas le processus de questionnement
qu’il nous faut amorcer pour aller du sujet au problème (de toute façon, il n’y
a pas ici de « sujet »). La thèse défendue par l’auteur se détache progressivement
en traçant ce que l’on pourrait appeler « son chemin » dans le cours
de plusieurs problèmes mettant en présence, voire en confrontation certains
concepts. C’est ce cheminement qu’il nous décrire à la fin de notre
introduction en évoquant à la fois les notions par rapport auxquelles le texte
va clarifier sa position mais aussi les enjeux qui vont se dégager de cette
élucidation. Pour être clair, il est ici question de spécifier la voie choisie
par l’auteur pour soutenir sa thèse, en décrivant à la fois le plan suivi par
l’auteur et les enjeux philosophiques qui se détachent progressivement de ce
cheminement.
Mais nous ne serions
jamais arrivés à un tel résultat sans avoir d’abord décrypté les phrases,
lesquelles ne sont, après tout, que des signes graphiques. Cela signifie que
les mots de l’auteur n’auraient pas été compris sans faire écho à notre propre
faculté d’utiliser des mots. C’est sur le fond de notre capacité de langage et
d’expression que nous avons accueilli, transcrit et « réalisé » le
sens de ce texte. Le terme de « réalisation » est ici crucial. Nous avons
« réalisé » ce que l’auteur voulait nous dire. Cela veut dire que
notre compréhension n’a pas été passive. Elle a « créé » quelque
chose. Il s’agit bien de comprendre exactement la pensée de l’auteur, d’en
saisir toutes les subtilités et tous les détails, mais en même temps, ce
travail de précision suppose qu’à un moment donné, « mes mots » aient
fait droit au sein de « ma » propre faculté d’expression aux
« mots » d’un autre.
Pour résumer, Il convient de toujours
appliquer à notre introduction cette structure ternaire : Thème / Thèse /
Problématique.
Le thème désigne globalement le sujet
sur lequel le texte prend une position précise (cette position désignant la
thèse du texte). Il faut saisir assez rapidement de quoi il est question
(pour Aristote ici, c’est la chrématistique) et amener le plus simplement
possible cette notion. Il s’agit de préparer le terrain à la seconde étape
en posant « la toile » sur le fond de laquelle le texte va surgir (la
dynamique de notre esprit doit être ici rétroactive : nous avons déjà lu
et compris le texte, il nous faut réfléchir au cadre dont il se dégage, comme
un appareil photo dont l’objectif opérerait un mouvement d’élargissement pour
se refocaliser ensuite sur la thèse).
La thèse désigne l’idée essentielle (Ici
Aristote affirme que…). Nous avons bien saisi que ce texte constituait une
unité. Cela signifie qu’il défend «UNE » idée. Laquelle ? N’hésitons
pas à manifester de la précision. Il n’est pas question de résumer mais de
mener à bien un acte de compréhension. Il y a forcément quelque chose de
fondamental dans cet extrait (sans quoi on ne nous l’aurait pas proposé. Une
idée essentielle se caractérise à la fois par sa densité philosophique, sa
puissance d’impact et la subtilité de ses nuances (c’est bien le cas ici :
la distinction entre la chrématistique naturelle et la chrématistique
commerciale prouve que le problème ne vient pas tant de la monnaie que d’un
certain usage qui en fait (dans la fonction d’évaluation et de mesure des
produits échangés, assurée par la monnaie, l’homme a insinué de la démesure).
La problématique se caractérise, dans
ce cadre là (il faut distinguer le travail problématique pour un sujet de
dissertation et pour une explication de texte), par trois traits
essentiels : a) opposition de concepts, b) progression linéaire (plan
du texte), c) enjeux. Toute texte philosophique est une mise en rapport de
concepts. Il décrit le cheminement d’une réflexion argumentée entre des notions
et c’est dans cette texture là qu’il évolue, qu’il dessine sa trajectoire. Il
nous revient donc de décrire ce trajet en le situant clairement dans son milieu
d’origine. Le texte fait sens, « prend » du sens progressivement en
se constituant au fil de la mise en rapport successive de plusieurs concepts,
soit contradictoires, soit proches. Comme il ne pourrait pas exister de textes
philosophiques sans problème, le moteur de cette progression est nécessairement
problématique. C’est ce qui explique que ce travail soit aussi une exposition
du plan de l’auteur. Ces problématiques ont nécessairement soit des implications philosophiques en elles-mêmes , soit des échos dans la réalité de notre époque. C’est pourquoi nous devons
également évoquer dans la problématique les différents enjeux de la thèse défendue
par l’auteur (ici la compréhension de la dimension structurellement dépressive
ou récessive du capitalisme boursier, dans toutes les conséquences désastreuses
que cela implique pour les populations)
3) L’explication
Que
signifie : « expliquer » ? Pour répondre correctement
à cette question, il faut peut-être d’abord s’interroger sur ce qui fait que
nous comprenons un énoncé. Notre pensée lit les phrases d’un philosophe. Nous
pouvons avoir du mal, buter sur certains mots, ne pas faire le rapprochement
avec un exemple, et puis, au bout d’un certain moment, cela s’éclaire et nous
disons que nous avons « compris ». Que s’est-il passé ? Nous
avons suivi les traces, les indications laissées par les mots jusqu’à l’idée.
Nous avons compris ce « qu’il veut dire ». Tout ceci a été animé par
une intention, et, dans le cas d’un texte philosophique, cette intention ne
fait pas que s’auto-affirmer, mais elle suit une démarche démonstrative qui
nous permet de réaliser rétroactivement pourquoi il a commencé par nous parler
de ceci puis cela, etc. Nous comprenons non seulement l’aboutissement de toute
cette écriture.
C’est la raison pour
laquelle nous comprenons la pensée d’une autre personne lorsque nous sommes capables d’exprimer exactement la même nuance de
sens mais avec des mots qui nous sont propres, et nous pouvons même les
clarifier, les combiner autrement, faire jouer d’autres oppositions, d’autres
rapprochements, nous avons alors l’impression jouissive de maîtriser les
concepts évoqués par un autre sans le trahir pour autant, et cela nous apporte
quelque chose. C’est un peu comme rentrer dans une maison qui n’est pas la
notre et se familiariser tellement avec le mobilier que l’on finit par
comprendre ce que c’est qu’en être l’habitant.
Cette image nous permet de
rendre exactement compte des deux défauts qu’il convient d’éviter dans toute
explication :
1)
L’éloignement
par rapport au texte. Il faut saisir ce sens et ne jamais s’en écarter. Toute
référence extérieure ou mise en perspective avec un auteur opposé à celui du
texte est possible et même souhaitable mais toujours en restant dans la
dynamique du sens impulsée par ce texte et pas un autre (Ne nous trompons pas
de maison)
2)
La paraphrase. Nous n’avons pas compris le
sens et nous limitons à faire une sorte de traduction terme à terme de phrases
dont nous ne voyons pas exactement où elles nous mènent. La paraphrase est le
plus souvent provoquée par une forme de « précipitation », de malentendu
sur la nature d’un texte philosophique. Celui-ci ne nous expose pas tant des
mots qu’il ne véhicule un sens. C’est en suivant les premiers qu’il faut
toujours viser le second. Les termes ne visent qu’à être dépassés vers
l’intention de l’auteur. C’est moins ce qu’un texte dit que ce qu’un auteur
« veut dire » qui doit attirer et polariser notre attention. Une fois
bien compris ce dépassement, le souci du texte peut prévaloir mais précisément
à la lumière que la conscience que nous avons des nuances précises de sens qui
s’y exprime.
Il convient donc que nous nous
attardions sur chacune des articulations de la démonstration de l’auteur,
celles-là même que nous avons évoquées dans la problématique. Notre pensée suit
le fil de la pensée d’un autre parce qu’elle s’y est « retrouvée » et
cela ne signifie pas nécessairement que nous nous accordons avec elle, mais
nous saisissons « comment » l’on peut soutenir cette thèse. En un
sens, c’est presque plus facile à faire quand précisément nous ne sommes pas d’accord
avec elle, parce que les rouages apparaissent plus nettement à une pensée qui
n’est pas, a priori, du même côté que de l’idée défendue par l’auteur.
Il est possible de mener au mieux ce travail
d’explication dés lors que la
certitude d’avoir correctement déterminé son idée
essentielle nous anime suffisamment pour savoir que tel passage difficile (et
éventuellement mal compris par nous) va nécessairement dans le même Sens que
tel autre qui nous est parfaitement clair. Puisque nous savons où l’auteur veut
en venir, il nous revient d’appliquer notre capacité d’analyse à cette
difficulté jusqu’à ce que nous puissions l’assimiler au sens global du texte
dans sa totalité : peut-être l’auteur est-il ironique ? Peut-être
évoque-t-il une objection pour mieux la réfuter mais alors ce que je prenais
pour une contradiction est en fait une argumentation de la thèse défendue…
Nous pouvons également intégrer dans le cours de
cette explication des illustrations, des prolongements de la thèse défendue,
ses implications. Tout est envisageable dés lors que l’on ne s’écarte pas de
cette dynamique qu’est le sens du texte étudié. S’il nous faut comprendre la
pensée de l’auteur, il nous revient également et modestement de ne le créditer
d’aucun consentement d’office. Nous n’avons pas à être intimidé par sa
réputation. S’il a écrit ce texte, c’est que lui-même nous reprocherait
d’adhérer sans examen à son affirmation. Il nous est donc permis de lui opposer
des arguments si nous les jugeons viables et performants.
Nous devons également rester vigilants à l’égard de
trois pièges : a) le faux sens : nous ne comprenons pas l’un des
termes principaux du texte (par exemple, l’utilisation par Kant du terme de
minorité dans « qu’est-ce que les lumières ? » b) le contre
sens, nous saisissons une phrase à l’inverse de ce qu’elle veut dire (exemple
dans le texte : « quand on eut plus recours à l’étranger »,
plus signifie davantage) c) le non sens : interpréter des phrases en ne
partant pas du principe qu’elles vont toutes dans un seul sens, celui de la
thèse défendue. C’est, au sens propre, « n’importe quoi ».
Il convient d'utiliser un style direct en se situant d'emblée dans le texte sans évoquer constamment l'auteur. Des formulations de type:"Aristote dit que.." "L'auteur évoque alors...." ou "il est dit que...." finiraient à la longue par être indigestes.
Il convient d'utiliser un style direct en se situant d'emblée dans le texte sans évoquer constamment l'auteur. Des formulations de type:"Aristote dit que.." "L'auteur évoque alors...." ou "il est dit que...." finiraient à la longue par être indigestes.
4) La
conclusion
La
conclusion se compose de deux moments : a) reformuler l’intention de l’auteur,
c’est-à-dire le sens du texte, en
exposant les arguments qui plaident en sa faveur ou au contraire qui le
desservent. Pourquoi sa démonstration est-elle inattaquable, ou au contraire,
vulnérable ? b) Qu’est-ce que ce texte a amené à l’évolution de cette
problématique, dans la philosophie, dans l’histoire et éventuellement dans l’actualité
(si le sujet s’y prête). On peut concevoir cette dernière phase comme une
conclusion à l’évocation du thème dans l’introduction. Ce texte se prononce sur
un problème qui lui préexistait. Que lui a-t-il apporté ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire