"[…] De chaque objet possédé il
y a un double usage ; dans les deux cas il s'agit d'un usage de la chose en
tant que telle, mais pas en tant que telle de la même manière : l'un est propre
et l'autre n'est pas propre à l'objet. Ainsi une chaussure sert à chausser et
être échangée ; ce sont bien deux usages d'une chaussure en tant que telle, car
celui qui troque une chaussure avec celui qui en a besoin contre de l'argent ou
de la nourriture se sert aussi de la chaussure en tant que chaussure, mais pas
selon son usage propre : en effet, elle n'a pas été fabriquée en vue du troc.
Et il en est de même pour les autres choses que nous possédons. Car il y a
échange de tout : il a son origine première dans ce fait conforme à la nature
que les hommes ont parfois plus, parfois moins des choses qu'il faut. En ce
sens il est clair que le petit commerce n'appartient pas par nature à la
chrématistique, car c'est seulement dans la mesure où il le faut qu'on en vînt
nécessairement à pratiquer le troc. […] Car alors on échange des choses utiles
les unes contre les autres et rien de plus, par exemple on donne et on reçoit
du vin contre du blé, et ainsi pour chaque chose de cette sorte. Et cet
échange-là n'est ni contraire à la nature ni une espèce de chrématistique ; il
existait, en effet, pour compléter l'autarcie naturelle. C'est pourtant de lui
qu'est logiquement venue la chrématistique (l’accumulation de richesses).
Car quand on eut plus recours à l'étranger pour importer ce dont on manquait et exporter ce qu'on avait en surplus, nécessairement s'introduisit l'usage de la monnaie. Il n'est pas aisé, en effet, de transporter toutes les denrées naturellement indispensables ; c'est pourquoi pour les troquer on convint de quelque chose que l'on pût aussi bien donner que recevoir, et qui, tout en étant elle-même au nombre des choses utiles, ait la faculté de changer de mains pour les besoins de la vie (...) Une fois donc la monnaie inventée à cause des nécessités du troc, naquit une autre forme de chrématistique, la forme commerciale, ce qui se manifesta sans doute d'abord de manière simple, puis, l'expérience aidant, avec plus d'art en cherchant d'où et comment viendrait, par l'échange, le plus grand profit possible. C'est pourquoi les gens pensent que la chrématistique a principalement rapport avec la monnaie, et que sa fonction est d'avoir les moyens de faire connaître d'où l'on peut tirer une grande quantité de valeurs : elle semble, en effet, produire de la richesse et des valeurs. Car on pense souvent que la richesse c'est une masse de numéraire, parce que c'est au numéraire qu'on rapporte la chrématistique sous sa forme commerciale."
1)
Distinguez la
valeur d’usage et la valeur d’échange d’un objet.
2)
Pourquoi les
hommes s’échangent-ils des produits, selon Aristote ?
3)
A partir du
paragraphe suivant, formulez avec vos propres mots la définition de la
chrématistique :
Ce terme a été inventé par Aristote
pour désigner la capacité à accumuler de la richesse, c’est-à-dire de l’argent.
La chrématistique est toujours reliée dans les textes d’Aristote à l’apparition
de la monnaie, même si un bon usage de la monnaie est possible (la notion de
chrématistique est le plus souvent connotée de façon péjorative pour Aristote).
L’utilisation équitable de l’argent définit l’économie, au sens étymologique du
terme : la règle (nomos) imposée à la gestion de sa maison (Oîkos). Tant
qu’on accumule de la richesse pour assurer l’autosuffisance de la maison, on a
affaire à une chrématistique naturelle ou nécessaire. Celle-ci n’est pas
condamnable). Mais l’apparition de la monnaie rend possible l’accumulation de
l’argent pour lui-même, indépendamment de la stricte satisfaction des besoins
essentiels de chacun. Le marchand peut gagner de l’argent dans certaines
transactions sans rien produire de lui-même, en achetant à un certain prix une
quantité de produits qu’il va vendre à un prix plus élevé. Nous avons alors affaire
à la chrématistique commerciale.).
4)
L’autarcie
désigne la capacité à se suffire à soi-même. Pourquoi est-elle incompatible
avec la chrématistique commerciale ?
5)
Pourquoi les
hommes ont-ils inventé la monnaie ?
6)
Quand Aristote
écrit : « C’est pourquoi les gens pensent que la chrématistique
a principalement rapport avec la monnaie. », veut-il signifier que
« les gens » ont raison ou qu’ils ont tort ?
7)
Dans une
économie de type libérale, comme celle qui régule aujourd’hui les échanges
commerciaux dans le monde, diriez vous que la distinction entre l’économie et
la chrématistique est encore valide ? Justifiez votre réponse.
8)
En quoi ce texte
nous fait-il progresser dans la compréhension de ce qui crée l’aliénation du
travailleur ?
Très enrichissant et clair.
RépondreSupprimermerci !!