A)
Les sujets 1 et 2
1)
Eviter le hors sujet (trouver la problématique)
Comment peut-on être sûr que l’on n’est pas hors sujet ? Quand
nous réalisons que la question posée se relance constamment, c’est-à-dire quand
nous nous apercevons que cette interrogation que nous considérions peut-être
dans un premier temps comme « facile », n’en finit pas de
s’approfondir, de se compliquer, de se nuancer. Tout sujet de philosophie
suppose une certaine « consistance ». En d’autres termes, c’est
justement parce que la réponse : « oui » ou
« non » ne s’impose pas définitivement qu’on nous l’a proposé.
Cela suppose qu’on soit capable de ne pas se décourager au fur et à
mesure que des arguments tout à la fois cohérents et opposés se présentent à
notre esprit. C’est justement quand on commence à rentrer vraiment dans le
sujet que certains candidats perdent pied parce qu’ils comprennent que la
question est insoluble mais ils ne veulent pas structurer cette complexité (ce
qui s’appelle un plan). Donc plus la question se déploie, plus elle réclame de
nous des mises au point des clarifications, des distinctions, plus on la traite
« vraiment » et inversement plus elle nous semble facile, plus il est
probable que l’on est en train de s’écarter du vrai sujet. Par conséquent, le critère le plus fiable
d’un traitement correct de la question consiste dans la multiplication des implications problématiques. Moins c’est simple,
plus nous sommes « dedans ». Et la grande difficulté résidera
dans l’exigence de clarté de notre style d’écriture. Une dissertation de
philosophie se définit comme la tentative de voir clair dans la confusion
induite par une question vraiment problématique.
Si nous considérons par exemple le sujet « Peut-on tout
démontrer ? », nous saisissons sans problème la signification première de la
question : « Tout peut-il être objet de
démonstration ? » Mais pour que le sujet ait une vraie consistance,
il faut que nous réalisions tout de suite que la question ne porte par sur la
possibilité de tout expliquer, mais plutôt sur le statut d’exclusivité de la
démonstration comme méthode. N’y a-t-il pas des propositions que nous admettons
sans démonstration tout simplement parce que celle-ci est impossible ? Peut-on
démontrer qu’il y a de l’espace, que je ne suis pas en train de rêver, que Dieu
existe, que je suis amoureux de telle ou telle personne, que Le cri de Munch
est une œuvre d’art ? Nous faisons l’expérience de vérité auxquelles nous
adhérons sans démonstration. Avons-nous à argumenter la confiance que nous
faisons à un proche lorsqu’il s’engage à nous aider ? La démonstration est
une modalité d’adhésion à une thèse qui suppose un enchaînement très rigoureux de
preuves, mais la question se pose de savoir si elle constitue la seule façon
d’admettre quelque chose. D’autre part, nous pouvons faire remarquer qu’une
démonstration a besoin d’axiomes, de principes et la question acquiert de ce
biais une certaine profondeur : « Peut-on tout démontrer dans
l’acte même de démontrer ? » N’est-il pas nécessaire que la
démonstration s’accorde à elle-même de ne pas s’exercer sur tout pour pouvoir
s’exercer ? Nous pressentons alors que nous avons donné au terme
« tout » présent dans le sujet tout son sens, toute sa densité
problématique : aucune démonstration ne peut commencer à partir de rien,
il lui faut bien admettre quelque chose, un principe, pour pouvoir déployer le processus implacable
d’enchainement logique dans lequel elle consiste. Cela suppose qu’il faut pour
qu’il y ait démonstration que tout ne soit pas démontré.
2)
Rédiger l’introduction
Un correcteur du baccalauréat repère dés l’introduction la copie du
candidat qui « veut en finir le plus vite possible », ou bien qui n’a
pas compris la dimension problématique d’un sujet (nous ne choisissons pas un
sujet parce qu’il est facile mais au contraire parce qu’on le sentiment qu’on
ne se sortira jamais de son questionnement). Le plus souvent, une mauvaise
copie commence par « ce sujet nous interroge sur… » ou pire
encore : « De tout temps les hommes se sont posés cette
question… ». L’introduction consiste à partir de la pensée commune pour la
dépasser très rapidement et montrer que ce que l’opinion courante croit pouvoir
résoudre en deux minutes, la philosophie l’approfondit et en révèle la
difficulté implicite. Il ne s’agit pas de compliquer « pour le
plaisir ». Nous avons besoin pour vivre de faire comme si certaines choses
étaient évidentes, tout simplement parce que la vie en société réclame de nous
que nous adhérions à certaines idées, mais la philosophie est cette discipline
dans laquelle le temps nous est donné d’examiner rigoureusement certains
préjugés.
Considérons le sujet
« Sommes-nous responsables de nos actes ? » Légalement cela va de soi, sauf s’il est avéré qu’au moment du
délit, nous n’étions pas conscients. On ne peut considérer comme responsable
d’un crime qu’une personne qui savait ce qu’elle faisait en tuant. Nous
réalisons ainsi que nos lois partent du principe que nous sommes des êtres
conscients, ce qui n’est pas toujours vrai et ce que les thèses de Sigmund
Freud ont remis en question. Le sujet se complique encore lorsque nous prenons
en compte le déterminisme social. Une mère de famille au chômage qui essaie de
dérober de la nourriture dans un supermarché pour ses enfants est bien
consciente de ce qu’elle fait mais elle ne le fait pas vraiment « de son
plein gré ». Certains actes nous sont imposés parce que nous sommes pris
dans des nécessités économiques. Il peut aussi arriver qu’un adolescent issu
d’un milieu défavorisé, dont les parents ne peuvent assurer l’éducation passent
par plusieurs familles d’accueil, et finissent par commettre des actes
illégaux. Il sera jugé comme responsable de ses actes, mais il ne fait aucun
doute que son passé constitue une partie de l’explication, du moins en partie,
de sa conduite, dans une perspective sociologique.
Nous comprenons le problème quand nous saisissons d’une part
qu’aucune société ne peut vraiment se concevoir si chacun de ses membres
n’endosse pas la responsabilité de ses actes (autrement il nous faudrait dire
qu’ « il y a des meurtres », sur le même mode impersonnel que
nous affirmons qu’ « il y a » de la pluie ou du soleil) et
d’autre part qu’il n’est pas du tout évident que nous jouissions d’une liberté
suffisante pour pouvoir réellement être considéré comme les auteurs de nos
actions. En un sens, la responsabilité (pouvoir répondre de ce que nous
faisons) « postule » un sujet, un « je » libre, sorti de
nulle part, neutre, « pur » de toutes déterminations. C’est
totalement illusoire, nous sommes nécessairement influencés par notre
environnement et notre origine sociale. Il faut foncer droit vers la
difficulté, exprimer le cœur de ce paradoxe : d’un côté nous n’imaginons
pas une société sans Droit, donc sans sujet de Droit auquel on peut imputer la
responsabilité de ses actes mais d’un autre côté, nous réalisons que cette
absolue nécessité du Droit nous amène, au gré d’une modalité rétroactive et
illusoire, à présupposer l’existence d’un sujet libre, comme si la société se
gratifiait arbitrairement d’une fausse légitimité, c’est-à-dire comme si elle
se donnait à elle-même ce dont elle a besoin pour être elle-même, à savoir un
citoyen responsable et libre qui seul décide de ce qu’il fait.
Nous sommes maintenant en mesure de rédiger l’introduction :
Lorsque une personne commet un crime, il nous
semble aller de soi qu’elle réponde de son geste devant la justice. Cela
suppose qu’elle est l’élément « moteur », l’agent de cette
action : tuer. Mais il peut arriver qu’en prenant conscience de son passé
ou bien des conditions dans lesquelles les faits se sont déroulés, ce rapport
déterminant entre un sujet et une action se « brouille » un
peu : nous apprenons, par exemple, que cet homme, mari trompé, a tué l’amant
de son épouse, sous le coup de la colère, ou bien encore que cette femme a tué
son époux qui la battait chaque soir. Finalement ce dont doivent répondre ces
deux meurtriers, ce n’est pas d’un acte qu’ils ont pris la décision de faire,
mais au contraire de n’avoir pas pu prendre la distance nécessaire par rapport
à leurs émotions et de ne s’être pas comporté comme des sujets libres. En
d’autres termes, le Droit leur reproche de n’avoir pas été ce qu’il est
absolument nécessaire qu’ils soient pour qu’il y ait du Droit : à savoir
responsables de leurs actes. « Nul n’est censé ignorer la loi » dit
aussi une célèbre maxime pénale, c’est-à-dire qu’aucun accusé ne peut se
défendre en invoquant l’ignorance des lois. Pour qu’il y ait du droit, il faut
donc que nous partions de ce faux principe qu’est l’omniscience du droit de
tous les citoyens, ce qui est évidemment une fiction. Mais l’hypothèse d’un
sujet libre et responsable n’est-elle pas elle aussi une illusion juridique ?
Nous ne voyons pas comment une société pourrait se constituer sans assurer pour
chacun de nous la puissance de décider de sa propre vie, mais en même temps,
nous réalisons que ce projet s’appuie sur une capacité à revendiquer l’entière
responsabilité de ses actions sans que cette capacité soit vraiment certaine. La liberté du citoyen est-elle le fondement
authentique de toute société de droit ou au contraire la fiction dont le droit
a besoin pour régir la société en postulant la responsabilité de chacun de ses
membres ?
A la fin de notre introduction, la formulation de notre
problématique (ici en gras) montre le « chemin que nous avons
parcouru » depuis l’instant pendant lequel nous avons pris connaissance du
sujet. Cela signifie que des l’introduction, le correcteur de notre copie
pourra juger de notre volonté et de notre capacité à foncer tête baissée vers
ce qui pose problème et à le formuler le plus clairement possible. Cette phase
est donc cruciale (il faut lui consacrer du temps) : elle permet de faire
la différence entre les candidats qui veulent éviter le problème (hors sujet)
et ceux qui ont compris qu’il fallait s’y investir avec un certain sens du
paradoxe ainsi qu’une ferme volonté d’élucidation.
3)
Construire un plan (introduire des références à des textes)
Il convient de ne pas s’enfermer dans un plan conçu trop tôt. Une
fois que nous avons compris le sujet, c’est-à-dire vu à quel point le problème
qu’il contient est profond, insoluble. Il faut structurer l’exploration que
nous allons faire de cette profondeur là, distinguer les « strates »
de cette difficulté, de cette insolubilité. C’est à cela que sert le plan mais
il doit rester dynamique, pris dans le mouvement d’une pensée qui ne cesse
d’avancer, de remettre en cause, de chercher, quitte à ce que nous modifions le
plan en cours de route. Toute dissertation est une réflexion en acte. Il serait vraiment dommage de réfléchir seulement
au début de l’épreuve pour ne faire que recopier ensuite car toute pensée capable de se concentrer
quatre heures de suite sur un sujet finit nécessairement par formuler des idées
pertinentes sur la question posée, quelque soit, par ailleurs la culture ou les
plus ou moins grandes facilités d’écriture du candidat. Ce point est vraiment
fondamental. L’épreuve de philosophie est avant tout une question
d’endurance et de concentration : pouvons-nous passer quatre heures de
suite à approfondir une seule question, à parcourir les nuances, les paradoxes
et les complications d’une seule interrogation ?
Mais alors à quoi sert le plan, s’il est
possible de le faire évoluer en cours de route ? Il y a des directions
suffisamment décisives et vastes pour ne pas pouvoir changer, au gré de notre
réflexion. Nous pouvons réaliser des aspects nouveaux d’un problème à
l’intérieur d’un cadre donné. Rédiger un plan nous permet d’aiguiller notre
pensée vers les bons « embranchements », en nous assurant que notre
traitement jouira d’une certaine « globalité ». Il nous faut traiter « rien que le
sujet » et pour autant que nous puissions nous rapprocher de cet
idéal : « tout le sujet » (faire du moins tout notre possible
dans ce sens). Rédiger un plan revient donc à faire la synthèse entre ce
« rien que » et ce « tout ».
Considérons le sujet : « Y-a-t-il une vertu
spécifiquement politique ? » Le
problème est le suivant : « peut-on concevoir le politique comme
un domaine d’activités humaines suffisamment
déterminant pour justifier « tout », c’est-à-dire pour valoir,
au-delà de la morale, comme critère de nos actes ? Peut-on accepter qu’une
action moralement, juridiquement et humainement inacceptable soit cependant
promue, choisie au nom d’un intérêt supérieur justifiable politiquement ?
(exemple : il n’est pas moralement défendable d’empêcher les proches d’une
personne décédée de lui rendre les honneurs funéraires mais il peut être habile
politiquement de le déclarer traître à sa patrie s’il vient de perdre une
guerre civile de façon à ce que la paix se fasse sur la visibilité de son
cadavre (sa dépouille n’est pas autorisée à enrichir la terre de nos ancêtres).
« Malheurs aux vaincus » surtout si cela permet aux survivants de
reconstruire une paix civile. C’est le point de vue de Créon dans la pièce de
Sophocle : « Antigone »)
Le sujet est plus clair maintenant :
peut-on accepter l’idée qu’il y ait une conception politique du Bien au nom de
laquelle nous pourrions museler, détruire ou instrumentaliser la notion pure,
morale du Bien. Jusqu’où pouvons-nous aller dans cette idée que le bien
politique justifie tout ?
Il convient d’abord de montrer les forces en
présence dans cette question, d’opposer le oui et le non. Mais il faut aussi
nous interroger, nous sonder nous-mêmes pour avoir une idée même confuse ou
encore incertaine à ce moment de notre travail (nous n’en sommes encore qu’au
début) de ce qui nous semble le plus pertinent, de la réponse qui nous paraît
la plus profonde, la mieux argumentée, la plus convaincante et surtout la plus subtile. Supposons que nous
nous sentions à la fois davantage porté mais aussi philosophiquement armé pour
répondre « Non », un plan se dessine alors dans ses très grandes
lignes. Il nous faut commencer par un « non » assez classique,
simple, appuyé sur des auteurs fondamentaux auquel nous pourrons opposer dans
un second temps un « oui » suffisamment solide pour ébranler les
éléments avancés dans la première partie. La troisième partie apparaîtra
alors comme une prise de position
capable de dépasser les arguments de ce « oui », parce qu’allant plus
loin que les thèses avancées dans la partie 1. L’essentiel est ici de marquer
une progression. Le paragraphe qui succède à un autre est forcément plus
intéressant que lui, il va plus loin, il approfondit le problème, il interroge
un aspect que le précédent n’avait pas vu.
C’est ici que le fait d’être porté par des
références vues pendant l’année constitue une aide précieuse, comme des
passants qui nous confirmeraient que nous suivons le bon chemin (il faudra
utiliser bien évidemment utiliser dans notre dissertation les indications
données par ces « passants »). Il se peut que le souvenir de la
pensée de tel ou tel auteur ne vienne pas tout de suite et ce n’est pas grave
mais il faut savoir que la référence à des philosophes est un atout crucial qui
aura une poids certain dans la note qui nous sera attribuée.
Un plan commence à se dessiner :
1) Il n’y a pas de vertu spécifiquement politique
a) Pour
qu’il y ait une vertu spécifiquement politique, il faudrait que nous soyons des
citoyens avant d’être des hommes, mais il existe des devoirs auxquels nous
sommes tenus en tant qu’être humains. C’est finalement tout ce qui fait la
résistance d’Antigone à Créon : le pouvoir du roi de Thèbes (droit
positif) s’arrête là où commence nos obligations envers ce qu’Antigone appelle
les lois des Dieux (droit naturel). On ne peut pas tout sacrifier au bien de sa
cité parce qu’au-delà de la paix civile, il y a le rapport de notre conscience
à un droit naturel, plus « sacré » que celui de notre inscription de
citoyen d’un Etat.
b) En
même temps, il ne faut pas sous-estimer ce que nous devons à cette inscription,
c’est en tant que citoyen que nous éveillons à notre statut d’être libre,
conscient, pensant par lui-même. Nous sommes fondamentalement des êtres liés à
l’intégration de notre existence dans une organisation politique (au sens grec
du terme Polis : cité). Aristote soutient que : « L’homme est un
animal politique », c’est-à-dire que ce n’est qu’au sein de la cité, d’un
vivre ensemble que nous pouvons développer et parvenir à l’excellence de tout
ce qu’induit notre humanité. Mais ce n’est pas parce que l’homme ne peut
s’accomplir en tant qu’homme que dans la cité qu’il existe un bien politique
qui devrait l’emporter du le bien moral. C’est même le contraire qui est
vrai : le bien politique est le moyen en vue de réaliser notre statut
humain, l’excellence de ce que nous sommes, de ce en vue de quoi nous sommes
faits : la raison.
2) Il y a une vertu spécifiquement politique
a) Mais pouvons-nous vraiment parvenir à cet accomplissement de soi
sans nous identifier profondément à une nation (distinction entre l’état et la
nation) ? Avec Carl Schmitt , théoricien politique du 3e Reich,
nous allons très loin dans la nécessité pour tout être humain de s’ancrer dans les
racines de son peuple, d’éprouver dans la guerre et l’opposition aux autres
peuples, la dimension fondamentale de son existence. Il y a une vertu
spécifiquement politique parce qu’il n’est rien de plus authentique selon lui
que ce rattachement viscéral aux valeurs distinctives de notre nation.
b) Il nous a été donné historiquement de voir le résultat d’une
telle doctrine. L’idée qu’il existe une vertu spécifiquement politique peut
prétendre à une pertinence qui dépasse largement de tels dévoiements du
politique. Machiavel dans « le prince » développe des thèses
autrement plus convaincantes en faveur d’une vertu spécifiquement politique,
notamment en réinterrogeant l’origine étymologique du mot vertu (latin
vir : « la force »). La « virtu » selon machiavel
c’est ce qu’un Prince doit cultiver pour rester au pouvoir et surtout maintenir
la cohérence d’une unité politique, laquelle prévaut sur toute autre
considération. Aucun homme politique ne peut assurer la cohésion d’un Etat sans
user d’habileté, de ruse, de duplicité :
« Il est sans doute très louable aux princes
d'être fidèles à leurs engagements ; mais parmi ceux de notre temps qu'on a vu
faire de grandes choses, il en est peu qui se soient piqués de cette fidélité,
et qui se soient fait un scrupule de tromper ceux qui se reposaient en leur
loyauté.
Vous devez donc savoir qu'il y a deux manières de combattre, l'une
avec des lois, l'autre avec la force. La première est propre aux hommes,
l'autre nous est commune avec les bêtes ; mais lorsque les lois sont
impuissantes, il faut bien recourir à la force ; un prince doit savoir
combattre avec ces deux espèces d'armes [...].
Or les animaux dont le prince
doit savoir revêtir les formes sont le renard et le lion. Le premier se défend
mal contre le loup, et l'autre donne facilement dans les pièges qu'on lui tend.
Le prince apprendra du premier à être adroit, et de l'autre à être fort.
Ceux
qui dédaignent le rôle de renard n'entendent guère leur métier ; en d'autres
termes un prince prudent ne peut ni ne doit tenir sa parole, que lorsqu'il le
peut sans se faire tort, et que les circonstances dans lesquelles il a
contracté un engagement subsistent encore.
Je n'aurais garde de donner un tel
précepte, si tous les hommes étaient bons; mais
comme ils sont tous méchants et toujours prêts à manquer à leur parole, le
prince ne doit pas se piquer d'être le plus fidèle à la sienne ; et ce manque
de foi est toujours facile à justifier. Je pourrais donner dix preuves pour
une, et montrer combien d'engagements et de traités ont été rompus par
l'infidélité des princes, dont le plus heureux est toujours celui qui sait le
mieux se couvrir de la peau du renard. Le point est de bien jouer son rôle, et
de savoir à propos feindre et dissimuler. Et les hommes sont si simples et si
faibles que celui qui veut tromper trouve aisément des dupes. »
Machiavel - Le prince
3) Il n’y a pas de vertu spécifiquement politique
mais il y a un cosmopolitisme de la vertu (Kant)
Les conseils de Machiavel sont très avisés et pertinents. Ils révèlent
une connaissance profonde de la nature humaine, mais ils partent peut-être un
peu trop rapidement de l’idée qu’il y en a une. Que les hommes soient toujours
méchants et prêts à manquer à leur parole, c’est ce qu’ils ont montré jusqu’ici
mais n’est-ce pas justement parce que nous les avons toujours connus maintenus
sous la tutelle du politique ?
D’autre part, les thèses de Machiavel ne valent que dans les limites
d’un état. A Aristote qui affirme qu’il n’y a de politique, de cité qu’en vue
d’accomplir la vertu, Machiavel répond qu’il n’y a de vertu qu’à l’intérieur du
politique, mais ce politique est lui-même limité aux frontières d’un état. Ne
serait-il pas possible de concilier ces deux positions en concédant à Machiavel
qu’il ne peut exister de vertu que politiquement mais à Aristote que cette
politique ne peut valoir que soumise à une finalité humaine, raisonnable donc
universelle ? C’est avec Emmanuel Kant que nous pouvons envisager une
telle conciliation car après tout son célèbre impératif
catégorique : « "Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux aussi
vouloir que cette maxime devienne une loi universelle" est aussi politique
que moral, mais il l’est « cosmo-politiquement ». La question que
nous devons nous poser pour poser la valeur morale de nos décisions est celle
de savoir si nous pouvons vouloir que « la cité humaine » se
constitue sur cette base là, sur le respect de cette loi. Finalement, lorsque
nous poussons jusqu’à sa limite la réflexion sur ce qu’est un acte moral, une
actien vertueuse (ce que fait Kant), nous aboutissons à un impératif de
cosmopolitisme : la maxime de mon action peut-elle faire de moi le
législateur d’un monde agissant conformément à cette maxime ?
4)
Ecrire (savoir faire des transitions)
Pourquoi les enseignants de Philosophie
insistent-ils autant sur les transitions de partie à partie de paragraphe à
paragraphe ? Parce qu’elles sont la preuve indiscutable que nous sommes en
train de traiter un problème et non de « caser des auteurs ». Il faut
qu’une pensée s’active sur un sujet et non qu’une tête bien pleine comme dirait
Montaigne déverse sur la copie toutes les connaissances qu’en « oie bien
gavée » elle s’est contrainte inutilement à avaler. Toute transition
manifeste le primat que vous accordez là maintenant, dans l’instant de la
réflexion au sujet par rapport au rappel automatique de tel ou tel auteur.
C’est tout ce qui distingue une pensée autonome d’un pilote automatique. Si
nous écrivons maintenant ce paragraphe c’est parce qu’il suit les implications
du précédent. Une dissertation, c’est un processus « d’enfantement
continué » tout au long duquel nous ne cessons de faire accoucher chaque
paragraphe de tout ce potentiel de sens, de consécution logique contenu en lui.
Une implication peut parfois se révéler tellement vide, ou irrecevable que nous
nous devons d’explorer une autre direction, voire la direction contraire mais
ce sera toujours le trajet d’une réflexion qui aura déterminé cette inflexion
et cela doit se percevoir dans nos transitions.
Votre pensée suit son propre mouvement et c’est
pour cela que vous faites des transitions, et non pour « passer »
dune partie à une autre parce que votre « supposé plan » l’exigerait.
C’est la raison pour laquelle les formulations suivantes sont à éviter absolument : « nous
allons maintenant développer la deuxième partie » ou « maintenant que
nous avons vu le « oui », explorons le « non » ».
Soit le sujet : « Méritons-nous
d’être aimé(e) ? », le
problème posé est celui de savoir si l’amour qui est un sentiment peut
s’appuyer, voire être provoqué par un jugement au terme duquel nous
considérerions une personne comme «étant « digne » de notre amour.
Supposons que nous ayons d’abord défendu l’idée selon laquelle l’amour est un
sentiment irrationnel, incompréhensible se produisant indépendamment de toute
référence à un modèle, à un devoir, à la morale. Comment rédiger la transition
à la partie qui va prendre le contre-pied de la précédente ? L’une des
meilleures méthodes de transition consiste dans le questionnement. Si l’on suit
les implications de la thèse précédente, nous aboutissons à des conséquences
ultimes, assez difficiles à accepter.
Mais
si l’amour ne connaît ni la raison, ni la reconnaissance, ni le mérite, alors cela signifie que notre
affection n’est aucunement motivée par le mouvement libre d’une volonté attirée
par un objet avec lequel elle souhaite s’unir de son plein gré. Nous sommes
séduits, c’est-à-dire aveuglés (étymologie « se ducere » : être
dévié du droit chemin) par une personne dont nous ne percevons pas la
légitimité à être, pour nous, l’objet de notre amour. Une telle attraction
a-t-elle encore un sens ? Pouvons-nous vraiment concevoir que quelque chose
s’y accomplisse si c’est sans le vouloir, voire sans le savoir que nous y
« cédons » ? (nous n’avons plus qu’à développer ensuite un
paragraphe qui défendra la réponse non à cette dernière question)
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