B) Le sujet 3
1)
Comprendre le texte (trouver l’idée essentielle)
Sur quel critère pouvons-nous nous appuyer pour
savoir avec certitude que nous pouvons choisir le texte ? C’est très
simple : si, au terme de trois ou quatre lectures, nous voyons bien que ce
texte va dans un seul sens, qu’il défend vraiment UNE idée, et une seule, même si nous ne sommes pas encore capable
de formuler précisément cette thèse, le choix du texte est viable. Si par
contre, nous avons le sentiment que l’auteur se contredit ou que son discours
se disperse, c’est que nous n’avons pas compris tout ce qui en fait UN texte. Il vaut mieux opter pour le
sujet 1 ou 2.
Il reste cependant à saisir vraiment en quoi
consiste cette idée. Deux critères peuvent nous aider dans cette
recherche :
- La force : ce texte ne nous aurait pas été proposé s’il ne
contenait pas une idée « marquante », une thèse susceptible
d’imprégner suffisamment les esprits de son temps et ceux des époques
ultérieures.
- La cohérence : une idée essentielle désigne le point de
convergence de toutes les phrases, de toutes les affirmations, de toutes les
nuances et les figures de styles dont le passage est composé.
Considérons le texte suivant de Pascal :
« Nous
ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre
être. Nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire, et nous
nous efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment à embellir
et conserver notre être imaginaire, et négligeons le véritable. Et si nous
avons ou la tranquillité ou la générosité ou la fidélité, nous nous empressons
de le faire savoir afin d’attacher ces vertus-là à notre autre être et les
détacherions plutôt de nous pour les joindre à l’autre. Nous serions de bon
cœur poltrons pour en acquérir la réputation d’être vaillants. Grande marque du
néant de notre propre être, de n’être pas satisfait de l’un sans l’autre, et
d’échanger souvent l’un pour l’autre. »
Nous
percevons assez rapidement que globalement Pascal nous parle ici de la
distinction entre l’être et le paraître, mais cela ne suffit pas du tout à définir
l’idée essentielle, car ce qui intéresse le philosophe c’est précisément la
réalisation concrète de cette séparation et son caractère absurde. Il ne nous
suffit pas de faire en nous la séparation entre ce que nous sommes et celui que
vous voulons sembler aux yeux des autres mais encore faut-il que nous donnions
au second l’avantage sur le premier jusqu’à n’être plus que des fantômes, des
écorces vides. Plus nous manifesterons une aptitude à cerner avec précision les
nuances les plus subtiles de la pensée d’un auteur, plus nous ferons impression
sur notre correcteur. Nous pouvons formuler ainsi l’idée essentielle de cet
texte : Pascal dénonce ici non pas
la scission entre l’être que nous sommes et celui que nous paraissons en
société mais le principe même de cette inversion des valeurs par le biais
duquel nous sacrifions au paraître les qualités de l’être. C’est ainsi
volontairement que nous travaillons à vider notre être authentique de toute
épaisseur au profit d’une apparence que nous ne faisons que revêtir
superficiellement.
2)
Rédiger l’introduction
Il faut absolument nous interdire de commencer
notre introduction par « ce texte nous interroge sur.. » ou bien
encore « le texte qui nous est proposé ». Nous devons amener la
référence à ce texte et à son idée essentielle, il importe donc de ne pas
partir du fait qu’il nous est donné.
Le principe de rédaction est
simple : 1 - Le thème 2- La thèse (l’idée essentielle). Le thème
désigne le cadre, le contexte, le fond notionnel sur la base duquel le texte « prend
déploie son argument. Pascal nous dit quelque chose mais il le soutient sur le
fond problématique de tout ce qui a été dit avant lui par d’autres, de tout ce
qui a été vécu et formulé par d’autres hommes. C’est ça le thème. La thèse
désigne la prise de position spécifique de l’auteur par rapport à ce thème. La
thèse est donc beaucoup plus précise, détaillée, aventureuse que le thème (par
aventureuse, il faut entendre que l’auteur s’affirme, s’expose dans une
argumentation, prend donc un risque.)
Introduction :
Notre comportement n’est jamais exactement identique quand nous sommes seuls et
lorsque nous sommes en compagnie d’une autre personne. Dés que nous paraissons
au regard d’autrui, nous jouons un rôle. Tel adolescent fume pour revendiquer
une maturité qu’il est loin de posséder et nombreux sont ceux qui semblent
avoir leur portable collé à l’oreille pour montrer à leur entourage immédiat
qu’ils ont beaucoup d’amis. A vrai dire, cette dissociation entre ce que nous
sommes et ce que nous paraissons va beaucoup plus loin que de tels exemples le
laissent à penser, car pour nous intégrer à un groupe, pour nous faire
apprécier, voire tout simplement pour ne pas déroger à tous les codes en
vigueur dans nos mentalités, nos traditions, nos normes familiales, professionnelles
ou sociales, nous sacrifions notre authenticité à notre apparence. Nous
n’existons qu’à la surface du personnage que nous jouons pour nous faire
accepter des autres, pour incarner à leurs yeux l’image de la réussite (thème).
Ici Pascal fustige cette attitude en en dénonçant l’absurdité, la caducité, car
c’est de notre propre mouvement que nous nous vidons de nous-même pour incarner
une marionnette. Nous préférons perdre les qualités authentiques que nous avons
en les exhibant, en les dénaturant, en les mimant plutôt que de les cultiver
pour ce qu’elles sont en réalité. Le propos de Pascal est donc de dénoncer
cette inversion des valeurs par le biais de laquelle il nous est devenu
tellement naturel de feindre que nous ne pouvons ni nous réjouir de cette
apparence superficielle que nous faisons semblant d’être, ni nous contenter de
cette authenticité qui définit vraiment notre personnalité. Il nous est
communément impossible d’être sans vouloir paraître et de paraître sans désirer
être nous-mêmes. Nous oscillons ainsi constamment entre l’envie d’être vraiment
celui que nous sommes et l’ambition de le faire savoir aux autres, biais par
lequel nous ne le sommes plus authentiquement (thèse).
3)
La structure du texte
Il est impossible d’expliquer un texte sans
comprendre sa structure, c’est-à-dire son mode de fonctionnement. On peut avoir
l’impression que le passage en question est figé, clos sur lui-même, mais c’est
faux : il ne serait pas proposé s’il n’était pas à même de dynamiser toute
pensée faisant preuve de suffisant de bonne volonté pour percevoir son
mouvement. En d’autres termes, tout texte philosophique est une « machine
à convaincre » qui essaie de nous faire convenir d’une idée essentielle.
Il s’agit maintenant pour nous de saisir son mode fonctionnement. Comme pour la
dissertation, le correcteur du bac fera facilement la différence entre les
candidats qui essaient de s’ouvrir à la pensée d’un auteur (ce qui ne signifie
que nous devions nécessairement être d’accord avec lui) et ceux qui veulent en
finir le plus vite possible. C’est une affaire de disposition d’esprit dans
laquelle il faut se mettre avant même de commencer l’épreuve. Le passage doit
susciter en nous le désir de penser, la volonté d’expliquer vraiment ce texte
là, sans nous en écarter mais aussi d’exprimer tout ce qu’implique les thèses
défendues, ce qu’elles évoquent, ce qu’elles induisent. Il s’agit de se
maintenir constamment entre ces deux défauts qui seront également
sanctionné: la paraphrase et le dépassement.
Comprendre un texte, c’est aussi distinguer
clairement sa façon d’argumenter l’idée qu’il défend. Il y a un cheminement
d’esprit grâce auquel l’idée petit à petit progresse, suit son cours. Ce n’est
pas que l’auteur prenne des détours, c’est plutôt qu’il est impossible que sa
thèse s’impose à nous « d’un seul coup ». Ce n’est pas une
révélation, c’est nécessairement une démarche.
Prenons
comme exemple ce texte d’Emmanuel Kant :
« L'homme est un animal qui, du moment où il vit
parmi d'autres individus de son espèce, a besoin d'un maître. Car il abuse à
coup sûr de sa liberté à l'égard de ses semblables ; et, quoique, en tant que
créature raisonnable, il souhaite une loi qui limite la liberté de tous, son
penchant animal à l'égoïsme l'incite toutefois à se réserver dans toute la
mesure du possible un régime d'exception pour lui-même. Il lui faut donc un
maître qui batte en brèche sa volonté particulière et le force à obéir à une
volonté universellement valable, grâce à laquelle chacun puisse être libre.
Mais où va-t-il trouver ce maître? Nulle part ailleurs que dans l'espèce
humaine. Or ce maître, à son tour, est tout comme lui un animal qui a besoin
d'un maître. De quelque façon qu'il s'y prenne, on ne conçoit vraiment pas
comment il pourrait se procurer pour établir la justice publique un chef juste
par lui-même : soit qu'il choisisse à cet effet une personne unique, soit qu'il
s'adresse à une élite de personnes triées au sein d'une société. Car chacune
d'elles abusera toujours de la liberté si elle n'a personne au-dessus d'elle
pour imposer vis-à-vis d'elle-même l'autorité des lois. Or le chef suprême doit
être juste pour lui-même, et cependant être un homme. Cette tâche est par
conséquent la plus difficile à remplir de toutes ; à vrai dire sa solution
parfaite est impossible. »
Kant
expose un problème que nous ne pouvons résoudre que partiellement,
imparfaitement : le gouvernement de l’homme par l’homme. Il s’agit donc
pour lui de nous faire convenir d’une impasse, d’une situation bloquée et toute
son argumentation consiste à mettre en place une souricière parce que nous ne
pouvons ni évacuer la difficulté ni la solutionner. La rigueur de la
progression ici est implacable, logique.
Nous
sommes d’emblée placés devant la question du maître, car tout homme possède
deux caractéristiques fondamentales : il est raisonnable d’une part mais
aussi porté à favoriser son intérêt propre en toute circonstance, de telle
sorte qu’il lui faut une autorité pour faire en lui pencher la balance du
« bon » côté. L’homme comprend le devoir d’être raisonnable quand il
réfléchit mais cède à ses inclinations quand il se laisse gouverner par ses
appétits : voilà le problème qui appelle comme solution « le
maître ». Malheureusement l’autorité n’échappe pas aux conditions
préalables de la difficulté qu’elle est censée résoudre puisque ce dirigeant
sera lui-même un homme sujet à la même dualité que ceux qu’il doit régir :
animalité et raison. L’homme est assez conscient de ce qu’il est pour
comprendre qu’il a besoin d’une justice supérieure mais il est aussi trop
faible pour l’incarner. Comme la solution ne peut résoudre le problème, reste
le problème. Le point crucial du texte est la question : « Mais
où va-t-il trouver ce maître ? » puisque la
réponse : »nulle part ailleurs que dans l’espèce humaine. » nous replonge dans les termes mêmes du
problème.
4) Expliquer le texte
Il n’est
pas plus envisageable de prétendre à la totale compréhension d’un texte que de
croire que l’on peut répondre à la question posée dans le sujet 1 ou 2. La
plupart des candidats rendent des copies trop courtes parce qu’ils pensent
avoir globalement compris le passage. Comprendre, c’est dans leur esprit,
« résumer », mais c’est la démarche exactement contraire qu’il faut
adopter. Tout texte est en lui-même « une matière à réflexion », au
sens propre. Il convient donc de suivre son évolution sans jamais le trahir
mais sans se fermer non plus à ce que chacune de ses nuances peut susciter en
nous de questionnement, de prolongement voire d’esprit d’opposition. Evoquer
des auteurs défendant des positions radicalement contraires nous permettra de
mieux saisir l’enjeu du texte, la résonance des thèses défendues.
Il
convient d’éviter le plus possible les formules de style
indirect : « l’auteur dit que….Il pense que…etc. » Il est
compris dans ce type d’exercice que nous parlons « dans » le texte. Il
s’agit finalement de rendre compte de l’impact d’une pensée sur la notre étant
entendu qu’en choisissant ce type de sujet, nous nous sommes engagés à rendre
compte avec nos mots d’une réflexion
qui sans être la notre trouve en nous un interlocuteur attentif et rigoureux.
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