Il faut distinguer l’interruption volontaire de grossesse et l’interruption médicale de grossesse. En cas de grossesse non souhaitée, la femme dispose de deux possibilités:
L’IVG médicamenteuse qui peut s’effectuer jusqu’à la 5e semaine
L’IVG instrumentale qui suppose une intervention et peut être réalisée jusqu’au 3e mois
L’interruption médicale de grossesse, comme le précisent le collège national des gynécologues et obstétriciens français, «concerne des femmes en situation de danger personnel, de violences, de difficultés psychologiques majeures ou d’extrême précarité, rendant impossible la poursuite de leur grossesse alors même qu’elles dépassent le délai légal de l’IVG de quatorze semaines d’aménorrhée. Ces situations rendent compte d’une bonne part des déplacements à l’étranger pour interruption de grossesse, néfastes pour la santé, onéreux voire inaccessibles pour certaines femmes.»
Le délai légal de l’IMG n’est finalement pas limité puisque il peut aller jusqu’à neuf mois. 7000 interruptions médicales de grossesse ont lieu chaque année et très peu (250) le sont pour des raisons psycho-sociales, c’est-à-dire pour des raisons qui ne sont pas strictement médicales mais qui tiennent plutôt à la précarité économique de la mère ou à un état psychologique incompatible avec la maternité.
L’iMG existait donc avant (loi du 4 juillet 2001). Mais en aout 2020, un nouvel amendement voté par les députés a suscité une vive réaction des mouvements dits « pro-life » au anti-avortement. Certains intellectuels comme Michel Onfray ont emboîté le pas à cette contestation. Selon eux, le texte voté détourne l’IMG permettant ainsi de tuer un bébé arrivé à terme.
Voici le texte de l’article 20 de l’amendement 524:
« L’interruption médicale de grossesse (IMG) est un acte médical intervenant lorsqu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ou bien lorsque la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme enceinte, ce qui inclut des situations de détresse psychosociale. Cependant, nous ne pouvons que constater trop souvent des interrogations et des divergences d’interprétation sur l’opportunité de prendre en compte la détresse psychosociale parmi les causes de péril grave justifiant la réalisation d’une IMG. Il convient donc de clarifier le cadre juridique dans lequel le collège médical rend son avis sur l’opportunité de réaliser cet acte.
Tel est l'objet de cet amendement du groupe socialistes et apparentés, issu des travaux de la Délégation aux droits des femmes, qui rappelle que la poursuite d’une grossesse peut entraîner un péril grave pour la santé de la femme du fait de situations de détresse psychosociale. »
Certains juristes font remarquer que ce simple amendement annule purement et simplement toute protection de l’enfant à naître parce qu’il n’est pas reconnu comme un sujet de droit. La notion de détresse psycho-sociale prive l’enfant d’un statut, d’une reconnaissance juridique, comme s’il ne faisait pas partie des éléments à prendre en compte ici. C’est la position du délégué général de l’association Alliance Vita: Tugdual Derville: « Il y a une énorme ambivalence chez ceux qui proposent l’IMG comme solution, analyse Tugdual Derville . Sur le papier, on a l’impression que la décision d’avorter vient de la femme, mais il y a souvent bien d’autres facteurs de pression. Le compagnon, la société, parfois le corps médical. La tentation, c’est d’effacer le problème à savoir l’enfant, mais on fait subir à la femme un traumatisme sans l’aider là où elle en a réellement besoin. » Encore faut-il s’accorder sur le fait de considérer l’avortement comme « un traumatisme », la tendance allant plutôt à le présenter comme un droit inaliénable en faveur de l’émancipation des femmes. »
Nous retrouvons de nombreux arguments de ces associations dans cette vidéo:
La plupart des raisons ici alléguées consistent dans une pure et simple remise en cause du droit à l’avortement et ne prennent pas en compte le fait que cette loi ne fait que tenter de clarifier l’IMG sur tout le territoire. Ce débat est évidemment d’actualité, comme il l’a toujours été depuis la loi Weil. Par contre, la sur-réaction sur les réseaux sociaux ou dans cette vidéo est excessive dans la mesure où cet amendement consiste purement et simplement à inscrire dans la loi ce qui se pratique déjà dans les maternités comme le fait remarquer dans AFP actuel, la psychologie clinicienne Erika Teisseire:
Erika Teissiere, psychologue-clinicienne qui a travaillé au sein d'équipes pluridisciplinaire en charge d'approuver ou non les demandes d'IMG précise : "Les causes psychosociales peuvent être des troubles psychiatriques graves, des cas d’inceste ou de viol ayant mené à une grossesse, des cas de déficience intellectuelle ou des cas de précarité sociale grave".
Le CNGOF s’était d’ailleurs prononcé dans ce texte en faveur de la prise en compte de la détresse psychosociales pour l’IMG, expliquant que "ces situations rendent compte d’une bonne part des déplacements à l’étranger pour interruption de grossesse, néfastes pour la santé, onéreux voire inaccessibles pour certaines femmes".
"L’IMG d’indication maternelle (quand la décision est prise pour la santé de la mère, NDLR) prenait déjà en compte les causes psychosociales depuis 1975", affirme par ailleurs Israël Nisand. Mais le terme "psychosocial" n’apparaissait pas dans la loi.
"La différence avec ce nouvel amendement, c'est que c'est écrit noir sur blanc dans la loi. Mais nous avons toujours pris en compte les causes psychosociales dans ce que nous appelons la 'souffrance maternelle'", atteste Erika Teissiere.
Comme souvent, l’indignation est ici à relativiser, et l’on peut notamment discuter deux arguments assez contestables de la vidéo:
- Il semble assez douteux que cet amendement fasse exploser le nombre d’avortements tout simplement parce qu’il n’apporte strictement rien de nouveau à sa pratique, si ce n’est de rendre explicite une disposition qui était déjà appliquée. Les cas d’IMG sont proportionnellement très faibles.
- Il n’a jamais été question de prétendre que cette disposition effacera la détresse psychosociale. Bien au contraire, il s’agit ici d’en prendre acte et de ne pas tomber dans la dénégation d’une misère indiscutable, évidente.
Sur des questions aussi sensibles, il importe vraiment de ne pas argumenter à tort et à travers. La tonalité de la vidéo est plus émotive que convaincante. Elle ne prend pas en compte le fait que cette pratique de l’IMG est déjà extrêmement encadrée:
Dans le droit en vigueur, elle peut être pratiquée « si deux médecins membres d’une équipe pluridisciplinaire attestent, après que cette équipe a rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, soit qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic » (article L. 2213-1 du Code de la santé publique).
Le péril de la femme enceinte peut « résulter d’une détresse psychosociale », précise le projet de loi.
À l’heure actuelle, l’expression « inclut des situations de détresse psychosociale. Cependant, nous ne pouvons que constater trop souvent des interrogations et des divergences d’interprétation sur l’opportunité de prendre en compte la détresse psychosociale parmi les causes de péril grave justifiant la réalisation d’une IMG », justifient dans leur exposé des motifs les auteurs de l’amendement dont est issue la disposition.
Pour ces députés du groupe socialistes et apparentés, il faut « clarifier le cadre juridique dans lequel le collège médical rend son avis sur l’opportunité de réaliser cet acte ».
Les demandes d’interruption médicale de grossesse n’aboutissent pas systématiquement. « C’est du cas par cas », a indiqué le 4 août à l’Agence France-Presse (AFP) Israël Nisan, gynécologue et obstétricien. Selon le président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, « plus l’âge gestationnel avance, plus l’acceptation de l’IMG est rendue difficile pour les médecins ».
La mesure d’extension concerne seulement l’IMG et non l’interruption volontaire de grossesse. Le droit à l’IVG est ouvert inconditionnellement aux femmes enceintes, « jusqu’à la fin de la douzième semaine de grossesse » (article L. 2212-1 du Code publique).
Des utilisateurs des réseaux sociaux et des sites classés à droite ou à l’extrême droite dénoncent la réforme en publiant de fausses informations, ainsi que l’a repéré le site AFP Factuel. Le thème de l’avortement, parfois désigné comme un « assassinat » ou un « crime », fait l’objet de multiples fake news en ligne, visant notamment à dissuader les femmes d’y recourir.
« La détresse actuellement prise en compte est surtout psychiatrique » , précise le docteur Marc Leblanc, gynécologue obstétricien et chef de pôle Femme Mère Enfant inter-établissements à Vannes, indiquant qu’il s’agit généralement de femmes droguées, violées, ou prostituées et autres situations très critiques. »
Les arguments des opposants à l’avortement sont évidemment recevables. Ils l’ont pour la plupart d’entre eux, toujours été, même s’il est bon pour nous de nous souvenir des termes mêmes de Simone Weil défendant dans une assemblée composée pour une écrasante majorité d’hommes:« Mais c'est aussi avec la plus grande conviction que je défendrai un projet longuement réfléchi et délibéré par l'ensemble du gouvernement, un projet qui, selon les termes mêmes du président de la République, a pour objet de « mettre fin à une situation de désordre et d'injustice et d'apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps. » »
Il est par contre parfaitement faux et malhonnête d’incriminer ici une volonté sous-jacente du gouvernement ou de tel lobby. Cela tient davantage du délire complotiste que d’une analyse claire et posée de la situation et de la lecture de l’amendement qui finalement n’apporte quasiment rien de nouveau par rapport à une disposition mal connue des français mais déjà pratiquée depuis 2002. La question de l’avortement demeure mais ce décret n’ pas d’autre but avoué que de clarifier une situation ambigüe. S’il n’est pas certain qu’il y parvienne, ces prises de parole ne contribuent pas réellement à faciliter la compréhension des personnes les plus concernées, à savoir les femmes réellement confrontées à cette détresse.
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