"Ne commencez surtout pas à rédiger si vous n'êtes pas sûr d'être sur la bonne voie", mais que signifie "être sur la bonne voie?" Avoir compris là où veut en venir l'auteur du sujet. C'est pour cela qu'il vaut mieux rédiger votre introduction au brouillon. Mais on peut aussi insister en amont sur l'état d'esprit dans lequel il faut se lancer dans la rédaction d'une introduction et cette disposition préalable est celle de la plus grande clarté possible. Il faut vous concerter, vous sonder et vous interroger sur votre intention. Partez-vous avec l'arrière pensée de faire illusion sur votre compréhension du problème parce qu'en réalité, vous êtes sûr de n'avoir pas du tout réalisé en quoi un tel sujet cachait un problème philosophique insoluble? Il est CERTAIN que votre correcteur détectera très, très rapidement cette intention. Donc tant que vous en êtes là, il est inutile de commencer à rédiger quoi que ce soit. Autant on accueillera avec plus que de la bienveillance l'élève qui se sent dépassé(e) par le problème mais qui fera tout son possible pour rendre compte de son embarras dans une formulation claire, autant la correction sera dure pour quiconque essaie de "donner le change", de brouiller les cartes et d'envoyer une impression de maîtrise sur un sujet qui lui échappe complètement. En fait, formuler l'embarras posé par la question, c'est tout ce qu'on vous demande. C'est donc bien plus que de la bienveillance que le correcteur manifestera pour l'élève qui se confrontera honnêtement à un sujet littéralement infaisable (au sens d'insoluble).
Un cours de philosophie peut et même doit se dérouler dans un climat de confiance réciproque au fil duquel l'enseignant est ouvert à toutes les formulations, à toutes les questions concernant une question, mais le climat d'une copie est différent, beaucoup plus "sec", en l'occurrence. Une exigence de rigueur doit présider à l'enchaînement de toutes vos phrases. Rien ne peut être écrit "gratuitement"comme une affirmation qui se passerait de preuve ou de rapport avec ce qui se précède.
Mais précisément rien ne précède la première phrase d'une introduction. Il faut donc s'en tenir à ce qu'on appelle "le sens commun".Cette appellation est très difficile à situer, car nous avons sûrement tendance à penser que tout le monde tient des propos assez communs excepté nous, évidemment. Le sujet ne peut pas être trop compliqué dans sa formulation (dans son interrogation et son approfondissement il va se révéler vraiment problématique évidemment). Par conséquent il faut se situer à ce même degré de simplicité voire d'innocence (feinte) que la personne qui donne ce sujet.
- "Suis-je l'auteur de ma vie, en fait?"
- Ben oui, puisque c'est "ma" vie!
Voilà, nous tenons un début possible: chacune et chacun de nous considère sa vie comme lui appartenant en propre. C'est bien ce que suggère le pronom possessif. (en deux lignes, nous venons de poser l'amorce du sujet: c'est indiscutable, mais ça ne va pas bien loin: on fait tous ça: on parle de sa vie comme si c'était la notre). Mais possessif de quoi au juste et par qui? (ici on voit que l'on passe à une autre dimension: "on fait de la philo", on ne se satisfait pas du niveau de réflexion habituel concernant cet énoncé. Quelque chose ne va pas et on va le montrer).
Il faut absolument s'interdire de partir du principe que le sujet est donné. Toute introduction qui commence ainsi: "nous sommes interrogés sur la question" est hors des clous. Elle se prépare à blablater sur un sujet qui lui est extérieurement donnée alors qu'il faut le faire sien. En règle générale, ce genre de métadiscours dans le registre duquel vous dites ce qu'il faut faire plutôt que de le faire est suspect et sanctionnable. De plus, il ne faut pas passer trop de temps sur cette première étape parce que c'est souvent une remarque ou un exemple qui vaut dans un contexte particulier et tout ce qu'on attend de vous c'est que vous soyez capable de la poser à un niveau universel. Tout au long de votre dissertation, vous n'êtes plus votre nom propre, cette personne qui a tel vécu, telle expérience, vous êtes comme le "je pense" de Descartes, un "sujet" qui pense comme tout autre sujet et fait l'épreuve d'une dimension concernant de la même façon tous les sujets pensants. Ne consacrez pas plus de 3 lignes à cette première étape.
Mais possessif de quoi au juste et par qui? Cette vie que je dis mienne est-elle celle que j'ai décidée? Non puisque elle se compose de nombreux accidents, aléas, que je n'ai pas souhaités. Même le fait d'exister, en soi, n'est aucunement de mon fait. Pour autant, il semble délicat, faux voire irresponsable d'affirmer que cette vie n'est pas la mienne. Il y a bien un esprit de problématisation qui s'effectue ici à un niveau universel car tout homme dirait exactement la même chose. Il va falloir clarifier ici pour bien faire sentir à notre correcteur que nous sommes sur la piste du bon gibier: "le problème". Deux évidences se contredisent: c'est fantastique, nous percevons l'extrême acuité problématique d'une expression que pourtant nous utilisons tous les jours. L'important ici est de poser des questions mais pas trop, parce qu'alors on resterait dans un certain "flou" et nous sommes de bons pisteurs. Nous nous approprions les épisodes de notre existence en les incluant par cette expression: "ma vie" mais éprouvons en même temps cet écart parfois énorme entre notre existence telle qu'elle est et celle et celle que nous aurions souhaitée si nous avions pu décider de tout ce qui la compose, si nous avions pu l'écrire comme un auteur rédige l'histoire de ses personnages. Mais de quelle vie serions-nous plus légitimés à la considérer comme "notre" si ce n'est précisément "celle-ci", puisque de fait c'est bien celle que nous vivons réellement, dans les faits. Il y a un effet d'authentification qui vient de la réalité de nos vies, du fait que c'est bien l'existence que je vis et un autre effet d'authentification qui vient de la paternité et de l'esprit de responsabilisation que je peux exercer à l'égard de toute action que j'ai effectivement voulue, planifiée, conçue et effectuée. C'est l'opposition entre ces deux effets d'authentification qui pose la question de savoir si notre vie est bien cette succession d'épisodes qui sont nôtres parce que nous les assumons ou cette fatalité qui nous frappe arbitrairement, peut-être accidentellement et que nous subissons sans y être le moins du monde pour quoi que ce soit. Toutefois si je me considère moi-même comme cette entité étrange posée à part de sa vie. Si c'est ma propre vie qui m'exclue, ne serais-je pas réductible à du vide, à du rien, à un non sens absolu? Il faut être à la fois très rigoureux dans l'enchainement des phrases, dans la capacité à tirer les bonnes conclusions de celle qui précède et en même temps soucieux de se mettre soi-même dans l'embarras le plus profond. il faut voir clair dans la confusion. C'est justement parce qu'à ce moment là, nous avons conduit la question à son maximum de trouble, et cela de la façon la plus claire possible que nous sommes parfaitement dans le droit fil de la bonne introduction, d'un point de vue méthodologique.
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