dimanche 13 septembre 2020

Nicolas Sarkozy à l'université du MEDEF 2019

         

Cette intervention du président Nicolas Sarkozy  a eu lieu à l’université d’été du Medef en 2019. Il n’existe pas d’obstacle plus difficile à surmonter pour la cohérence d’un discours que la complaisance d’un auditoire entièrement gagné à sa cause. C’est le propre d’un grand orateur de savoir doter sa démonstration d’une ligne argumentative suffisamment solide, éprouvée, pour que n’importe quel public se trouve comme embarqué dans un raisonnement qui tient de lui-même sans éclairs de connivence ni œillade complice. De ce point de vue, le discours de Nicolas Sarkozy ne peut qu'éveiller en nous l'esprit d'une suspicion très légitime tant la moindre de ses allusions crée dans l'assistance un frisson de jouissance et d'adhésion béates, limite extatiques. Pourtant, une fois examiné, il apparaît clairement que ce propos n’aurait pas pu se développer ailleurs sans être contredit voire interrompu tant les incohérences logiques, les préjugés idéologiques (pour ne pas dire plus) et les attaques ad hominem (mais sans jamais citer la personne ciblée) y sont nombreuses, jusqu’à constituer finalement la totalité de l’intervention.
            
Nicolas Sarkozy imite Louis de Funès


                Il n’est pas du tout inutile d’écouter ainsi un défenseur de l’ancien monde argumenter ou croire qu’il le fait, mais qu’est-ce qui me permet de l’appeler ainsi? Pourquoi les mots qu’il utilise sont-ils à ce point empreints d’une intelligence qui, sur ce sujet, atteint drastiquement sa limite de réflexion, alors même qu’il est paradoxalement convaincu de défendre une pensée nouvelle et originale?
        Cette phrase peut-être: « des dérèglements climatiques, le monde en a déj
à connu mais un bouleversement démographique comme celui que nous allons vivre, le monde ne l’a jamais connu. » Pour Nicolas Sarkozy, l’être humain vit en société AVANT de vivre dans le monde, car lorsqu’il utilise le terme « monde », ce n’est ni du cosmos, ni du système solaire, ni même de la terre qu’il parle mais de la société des hommes. Il distingue tout au long de son discours deux questions qui sont absolument indissociables: l’augmentation exponentielle de la population mondiale et le dérèglement climatique. Il ne nie pas le réchauffement mais il refuse de lui assigner une cause humaine, car lorsqu’il affirme que la nature déjà éprouvé des dérèglements climatiques, il dit la vérité sauf que ces dérèglements sont ceux-là même qui, à l’intérieur des cycles naturels dessinent les passages d’une ère climatique à une autre avec les dégâts collatéraux, , comme du pléistocène à l’holocène alors que le dérèglement auquel nous sommes confrontés a une origine humaine. C’est tout le sens du terme « anthropocène ».
Nicolas Sarkozy fait des blagues (sacré Nicolas!)

Cela veut dire qu’il a raison également lorsque évoquant la surpopulation dans certaines villes africaines, il la considère comme cause de pollution, mais on a beau réfléchir, on ne voit pas bien en quoi cela rend caduque et inutile le tri de nos déchets, action concrète, salvatrice, participant de la prise de conscience par le citoyen de l’impact de ses déchets domestiques sur le traitement des ordures. Que la surpopulation participe de la pollution et du réchauffement climatique est une évidence qui ne définit en aucun cas la priorité d’une problématique sur l’autre. Il est tout aussi urgent de traiter la question démographique que celle de notre attitude face au dégagement de gaz à effet de serre. Lorsqu’il affirme que 22 millions de gens qui consomment mal font plus de dégâts qu’un million qui consomme bien, on voit bien qu’il exclue la possibilité que les 22 millions apprennent les moyens de mieux consommer, pour la bonne et simple raison que sa réflexion nourrie d’éclairages géo-stratégiques sur les différences entre pays développés et en voie de développement a clairement posé que « le danger » vient de l’Afrique (c’est là que se situent tous les exemples qu’il prend). Le problème, selon lui, c’est que plus un pays est développé, moins sa population fait d’enfants. Par conséquent il faut aider les pays « en retard » à augmenter le PIB par habitant de façon à ce que sa population cesse de se reproduire. Une telle interprétation de la solution maintient l’objectif de croissance mondiale et remet à plus tard le problème des effets humains des énergies thermo-industrielles  sur la planète.
         
Nicolas Sarkozy imite le tamanoir (très fort!)
 
Travailler avec l’Afrique pour mettre en oeuvre un immense plan de rénovation des infra-structures, c’est cela que ça veut dire (faire en sorte de diminuer la natalité du continent africain - car sur le fond qu’y-a-t-il de scandaleux à ce que la population du Nigéria soit supérieure à celle des EU?) , et nous passons sur le fond nauséabond d’histoire coloniale que charrie une telle idée pour nous questionner sur les regrets que doit ressentir monsieur Sarkozy en songeant qu’une telle pensée géniale ne lui soit pas venue quand il était à l’Elysée (Dieu soit loué!).
        Vient le passage hallucinant sur Nicolas Hulot dont Monsieur Sarkozy fait semblant d’avoir oublié le nom (quel acteur!) et dont le tort est d’avoir évoqué la fin des centrales nucléaires tout en appelant de ses voeux la voiture électrique. Le raisonnement de Nicolas Sarkozy est aussi simple qu’un plan de licenciement  à Arcellor Mittal: "qui dit voiture électrique dit électricité qui dit électricité dit nucléaire. Rideau!"
      
Nicolas Sarkozy fait le Panda (on le tient plus, Nicolas!)



La possibilité de faire de l’électricité à partir d’un mix d’énergies renouvelables a pourtant été clairement prouvée et précisément définie par un rapport récent de l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (De l’éolien terrestre et marin, de l’hydraulique, du photovoltaïque, de la géothermie, de la cogénération au bois, de la méthanisation des ordures ménagères, des énergies marines (énergie des marées, des vagues, des courants), du solaire thermodynamique а concentration, des centrales hydroélectriques à réservoir). L’affirmation de Nicolas Hulot est donc parfaitement raisonnable mais il est certain que de nombreux entrepreneurs riant beaucoup dans le public souriraient moins si enfin, la population française les mettait en demeure de tirer concrètement les implications d’un tel rapport, scientifiquement fondé. Le rôle de certains hommes politiques est de creuser le fossé entre les scientifiques et la population. C’est à nous, simples citoyens de le restaurer contre cette complicité toxique entre les charges publiques et les intérêts privés.
        Enfin nous apprenons que Monsieur Sarkozy n’a rien contre les adolescentes suédoises mais à condition qu’elles soient agréables, souriantes et originales. Greta Thunberg, donc, est « disqualifiée », faute de sex-appeal et d’idées nouvelles comme le prouve aisément son initiative « Friday for future », mouvement sans équivalent dans l’histoire des révolutions lycéennes.
Nicolas Sarkozy imite Droopy!

            Je suppose qu’après cette journée chargée au cours de laquelle il lui a fallu défendre ses valeurs becs et ongles contre un public hostile, ne cessant de lui demander des comptes, Monsieur Sarkozy est rentré chez lui content , avec le sentiment du devoir accompli. Très récemment il a, sur un plateau télé, repris une citation entière de, je cite, « crimes et châtiments » de Dostoïevski dont l’histoire déploie sur toute la durée du roman la progression du sentiment de culpabilité dans la conscience d’un locataire qui a tué sa logeuse. Le problème c’est que le livre ne raconte donc qu’un seul crime et que le titre en est « crime et châtiment » au singulier (oui, il faut lire aussi la couverture, Nicolas! ) Monsieur le président n’a pas commis de crime en ce sens là, si ce n’est contre la littérature dont on sait bien qu’il ne l’aime guère (« la comédie française, c’est pas normal qu’on s’y emmerde autant! » Citation dans le texte), mais son incapacité notoire à se situer sur ce terrain à la hauteur des mots de son prédécesseur Jacques Chirac (« notre maison brûle et nous regardons ailleurs »), marquera son image au-delà de son quinquennat. Il serait donc urgent qu’il aille chercher le vrai livre de Dostoïevski et se familiarise, au plus vite, avec le remords d’avoir énoncé, un jour, devant un parterre de chefs d’entreprise en pâmoison, un discours d’une rare platitude (notons, en effet, que ces derniers mots sont: "je n'ai pas la solution") et d’une ironie consternante.

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