Tout ceci est un rappel du cours précédent:
Tout enfant qui vient au monde est animé par des pulsions qui veulent
être satisfaites immédiatement et ses pulsions ne sont pas seulement la
faim, la soif, etc. mais aussi la sexualité (une sexualité infantile
« polymorphe » (plusieurs formes) puisque orientée par une autre
finalité que celle de la reproduction - le fait que la sexualité de
l’enfant soit « en germe » ne signifie pas du tout qu’elle soit
inactive, bien au contraire, elle se diffuse dans toutes les autres
pulsions: nutrition, sensation, jeu, etc.). Ces pulsions premières,
Freud les appelle le « ça ».
Cette première instance, animée par la libido (principe de
plaisir) se confronte très rapidement à l’impossibilité physique de se
satisfaire pleinement et immédiatement, cette confrontation avec le
principe de réalité (il y a de l’impossible) c’est ce qui va constituer
« le moi ». Cette deuxième instance est donc né d’un tout premier
refoulement: la confrontation entre l’exigence de plaisir et la limite
physique de la réalité.
L’enfant va se trouver confronté à un deuxième type de répression:
celui de l’éducation. Une partie de sa psyché va s’identifier à
l’autorité et intégrer les interdits parentaux, en particulier ceux du
père. Cela signifie qu’une 3e instance va s’ajouter aux deux premières
aux deux premières. Le moi se retrouve donc coincé entre deux instances
qui n’ont de cesse qu’à lui adresser des mots d’ordre contradictoires:
autant le ça exige la jouissance, autant le Sur-moi la réprime. Le moi
est donc une sorte de ligne de fracture qui se dessine au fil de ce
tiraillement comme une ligne de faille se dessine au fil de l’écartement
de deux mouvements telluriques animés de directions opposées. Nous nous
« arrangeons » pour concilier dans notre psyché ces deux exigences
contraires. « Etre soi » définit donc une sorte de tentative permanente
visant à gérer un conflit interne, dans l’individu.
Il
faut compléter ce texte de Freud en insistant sur le fait que les
tendances psychiques refoulées par le gardien ne vont pas se satisfaire
d’avoir été exclues du pré-conscient et de la conscience. Elles
constituent cet ensemble qui, par suite, pèse de tout son poids sur les
actions de l’individu et vont profiter de la moindre brèche ouverte par
les moments d’absence (rêves, lapsus, actes manqués) de la conscience
pour essayer de se faire reconnaître du sujet lui-même. Si ces tendances
refoulées sont puissantes, elles feront tout pour forcer le passage,
pour s’imposer violemment, quitte à créer des troubles plus ou moins
graves. C’est alors que survient les névrosé et les psychoses. Toutes
les maladies mentales non génétiques peuvent se diviser en fonction de
cette classification. Le psychotique n’a pas conscience de ses troubles
et il finit par perdre tout contact avec la réalité (comme Norman Bates
dans psychose). Le névrotique est lucide sur ses troubles et s’en
plaint, ce qui rend son mal-être plus difficile à traiter. Nous sommes
tous des névrotiques plus ou moins atteints. Les paralysies hystériques à
partir desquelles Freud commença à développer ses thèses dont des
névroses: les patientes savant qu’elles sont aveugles ou paralysées et
en un sens, c’est tout le problème puisque on peut penser qu’elles se
racontent des histoires à elles-mêmes, qu’elles simulent, mais la vérité
est qu’elles se convainquent elles-mêmes de leur trouble jusque’à en
souffrir « réellement ». Avec les névroses nous avons un exemple parfait
de ceci que la psyché agit directement sur le corps, et que
l’inconscient des patients se sert de leur corps pour dire quelque
chose. Tout trouble de comportement devient un discours, une façon de
signifier par un trouble manifeste, un traumatisme latent, c’est-à-dire
une tendance psychique refoulée par le gardien.
Tout être
humain vient au monde animé par des pulsions de plaisir (libido),
c’est-à-dire par une propension à agir d’abord en vue de satisfaire des
pulsions de jouissance et cela ne se limite pas à la nutrition, ou, cela
peut emprunter le canal de la nutrition tout en ne s’y réduisant pas.
L’enfant ne tête pas seulement le sein maternel par désir de satisfaire
sa faim mais il y entre déjà du désir tout court. C’est cela le scandale
de la sexualité infantile révélé par Freud et rejette par l’écrasante
majorité de ses collègues de l’époque.
A ces pulsions, Freud
donne le nom de « ÇA ». Le pronom rend bien compte, comme son nom
l’indique de la nature impersonnelle de ces pulsions. Elles constituent
le lien originaire, primal, de notre être au monde. Nous sommes des
exigences de satisfaction de pulsions de plaisir. Puis nous faisons des
expériences, on pourrait dire que nous allons successivement entre dans
deux dimensions: celle de la réalité et celle de la société. De la
confrontation avec le réel nous retirerons d’abord cette expérience
qu’il y a de « l’impossible », c’est-à-dire que nos exigences ne peuvent
pas toutes se satisfaire parce que les adultes ne sont pas toujours à
notre service, parce que le monde physique n’est pas le prolongement de
nos pulsions. C’est ainsi qu’une instance va se constituer peu à peu: le
« MOI ». En d’autres termes notre caractère va se constituer au fil des
impossibilités et interdits dont nous allons subir successivement les
décrets. Qu’est-ce qu’un être humain, en tant qu’il va devoir se
socialiser? Réponse: des pulsions de plaisir sculptées, rabotées par des
impossibilités physiques et des interdits légaux, moraux, religieux
familiaux.
Nous reprenons maintenant le fil du cours. Nous en sommes à la 2e partie:
2) Le complexe d’œdipe et la prohibition de l’inceste (nature et culture)
Pour bien saisir cette articulation entre les thèses de Sigmund Freud et celles de Claude Lévi-Strauss (1908 - 2009 ethnologue français), il faut saisir le rapport entre la prohibition (l’interdiction) de l’inceste et l’exogamie (règle imposant de chercher son conjoint hors de sa propre tribu ou de sa famille). Il va de soi que dans le texte qui va suivre, Claude Lévi-Strauss se réfère au modèle le plus répandu d’organisation sociale: celui du patriarcat:
« Considérée comme interdiction, la prohibition de l'inceste se borne à affirmer, dans un domaine essentiel à la survie du groupe, la prééminence du social sur le naturel, du collectif sur l'individuel, de l'organisation sur l'arbitraire. Mais même à ce point de l'analyse, la règle en apparence négative a déjà engendré sa contrepartie : car toute interdiction est en même temps, et sous un autre rapport, une prescription. (…)
Explication: selon Lévi-Strauss, on mesure bien le caractère fondamental de la prohibition de l’inceste à ceci qu’elle constitue l’interdit culturel par excellence et que nous la retrouvons dans la plupart des sociétés humaines, comme si aucun collectif ne pouvait se constituer (ou disons pour l’écrasante majorité d’entre eux) autrement qu’à partir de cette interdiction là. Même si cette hypothèse sera contestée (mais jamais réfutée) par la suite: la prohibition de l’inceste est une interdiction universelle, c’est ce qui fonde une logique de socialisation de constitution de groupes humains. Première concession du désir propre de l’individu à l’intérêt du collectif dans lequel il s’intègre mais à la fondation il participe par ce renoncement même. Renoncer à sa mère ou à sa sœur, c’est consentir à créer un lien avec une autre cellule familiale qui petit-à-petit va se joindre à un « nous », à un collectif. C’est le renoncement à cette sexualité de proximité qui crée le principe d’association d’un collectif. L’idée même d’une autorité qui accorde à ses sujets ce qu’elle ne leur interdit pas se fonde ici, comme une ligne de marquage du désir sexuel: ce que tu peux, c’est tout ce qui se caractérise comme le négatif de ce que tu ne peux pas. La puissance, ici au sens sexuel du terme, se libère à partir de ce que le pouvoir m’interdit. La puissance naturelle se plie à des lignes de partage culturelle et autoritaire. Elle se canalise. Ce que tu peux maritalement se définit à partir de ce que ce que le pouvoir institutionnel t’interdit de pouvoir sexuellement. L’interdit de l’inceste est donc l’une des premières captures de la puissance naturelle par un pouvoir institué, construit, social. C’est déjà une politique de l’agencement qui s’insinue dans la matière brute d’une pulsion naturelle et primitive.
[...] l'aspect négatif n'est que l'aspect fruste de la prohibition. Le groupe au sein duquel le mariage est interdit évoque aussitôt la notion d'un autre groupe, [...] au sein duquel le mariage est, selon les cas, simplement possible, ou inévitable ; la prohibition de l'usage sexuel de la fille ou de la soeur contraint à donner en mariage la fille ou la soeur à un autre homme, et, en même temps, elle crée un droit sur la fille ou la soeur de cet autre homme.
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