1) Définition: l’inconscient comme substantif et non comme adjectif
On ne peut comprendre l’Inconscient, dans son sens le plus fort et le plus déstabilisant qu’en le distinguant d’abord de l’ignorance et de l’inconscience:
Ignorer c’est ne pas connaître et nous pourrions rajouter: « des choses ou des doctrines, des théories « extérieures » à nous ». La connaissance se distingue de la conscience et il est donc logique que les contraires de chacune de ces notions soient eux aussi distincts. Prendre connaissance de la pandémie n’est pas du tout la même chose qu’en prendre conscience. Si je la connais, cela veut dire que j’en suis informé, que j’essaie de comprendre ses mécanismes, mais elle demeure extérieure à moi, comme un objet dont je suis libre d’entreprendre de la connaître ou pas. Connaître une chose suppose la mise en œuvre d’un savoir objectif à l’égard de cette chose sans qu’à aucun moment elle ne devienne une affaire qui implique un rapport à soi-même. Je la connais, je sais qu’elle existe, mais je peux parfaitement ne pas me sentir concerné. Il en va évidemment tout autrement de la conscience que j’en prends. Je réalise alors que cette pandémie existe sur un tout autre plan que celui-là seul de l’objectivité. Je considère qu’elle n’est pas seulement un élément extérieur sur lequel je pourrai objectivement scientifiquement me pencher. Elle s’impose à moi comme une réalité à l’égard de laquelle il faut que je m’engage, que je m’implique. Ça devient mon problème. Autant la connaissance suppose donc un rapport entre soi et une réalité extérieure, autant la conscience présuppose un rapport à soi.
Si nous réfléchissons à cette première distinction entre conscience et connaissance, nous comprenons pourquoi l’ignorance est incroyablement moins déstabilisante, troublante que l’inconscient. Autant il serait vraiment déraisonnable d’attendre d’un humain qu’il connaisse « Tout », autant il peut sembler justifié qu’il soit conscient de ce qu’il est, de ce qu’il vit, de ce qu’il pense, de ce qu’il fait. C’est finalement sur ce présupposé dont nous verrons qu’il est hautement discutable que notre existence citoyenne, politique, sociale, morale, légale se constitue. Tout citoyen a à répondre de ses actes pour la bonne et simple raison qu’en tant qu’être conscient, il sait ce qu’il fait. Si je suis conscient, je me rends compte de mes actes et de ce qui se passe dans mon esprit, j’exerce une maîtrise sur eux. Je suis donc libre de faire ou de ne pas faire ceci ou cela, Par conséquent. Je suis responsable aux yeux des autres, des lois, de la société en général, de ce que je fais et de ce que je pense.
Mais s’il est avéré que ce rapport de transparence par le biais duquel je me rendrais immédiatement compte de tout ce que je fais ou de tout ce que je ressens n’est aucunement viable, efficient, et qu’il existe dans ce rapport de moi à moi-même de l’opacité, de l’obscurité, du décalage, alors, tout se complique. Comment, en effet, considérer une personne responsable si elle ne sait pas exactement ce qu’elle fait ni ce qu’elle pense. Si, comme le dit Nietzsche, ce n’est pas moi qui pense, mais la pensée, ou « une » pensée qui se pense à travers moi, alors qui agit quand j’agis? Se pourrait-il que nous ne soyons que les agents d’actions combinées, aléatoires, absurdes qui ne feraient que s’effectuer en nous et qui nous utiliseraient comme de simples métaux conducteurs au travers desquels passeraient leurs différents courants?
Il ne convient pas du tout de répondre trop facilement « oui » à cette possibilité, en particulier du point de vue de Sigmund Freud lui-même, c’est-à-dire du théoricien de cet inconscient psychique car il existe selon lui une différence entre l’acte de reconnaître l’existence de cet inconscient et le fait de lui céder ou du moins de lui accorder tout pouvoir sur l’individu, et c’est bien là l’enjeu de ce que l’on appelle la psychanalyse. Pour le dire en d’autres termes, ce n’est pas parce qu’il y a de l’inconscient dans la psyché de tout individu qu’il serait impossible de faire émerger certains éléments de cet inconscient à la conscience et de gagner ainsi une forme de maîtrise de soi ou du moins de lucidité sur soi. Avec Freud, comme nous le verrons, nous sommes confrontés à un tout autre « connais-toi toi-même » que celui de Platon ou de Socrate. Pour les deux philosophes grecs, cette maxime signifiait « ne te prends pour ce que tu n’es pas , ne tombe pas dans la démesure de te croire plus que tu n’es et de ne pas t’occuper de ton âme », en premier lieu. Pour Freud, se connaître soi-même signifie d’abord: « accepte de reconnaître qu’il existe en toi une part de toi qui échappe à ton contrôle et essaie de la faire advenir à la surface de ra parle (talking cure) pour comprendre les ressorts qui sommeillent en toi.
Il importe également de bien saisir la différence entre l’inconscient et l’inconscience, laquelle désigne simplement un moment d’absence, une folie passagère. On peut agir de façon insouciante, inconsciente tout simplement par manque de concentration. Etre inconscient en ce sens là, c’est simplement manquer de conscience. Le substantif, comme son nom l’indique pose , au contraire, qu’il y a un inconscient substantiel, positif. Il existe en chacun de nous une force qui s’active et qui crée positivement de l’opacité, de la méconnaissance de moi à moi-même. C’est exactement comme découvrir qu’un inconnu habite dans votre maison, à votre insu. Quand on dit de quelqu’un qu’il fait preuve d’inconscience, on signifie seulement qu’il n’a pas mesuré le risque ou la gravité d’une situation. C’est un usage affaibli qui repose simplement sur l’idée selon laquelle nous serions fondamentalement et originellement, naturellement, génériquement conscients et l’inconscience ne définit alors que des moments durant lesquels cette surveillance de la conscience « cède », un peu par faiblesse, par manque de « tenue ». Nous pourrions donc parler de cette catégorisation comme du sens premier de ce ‘être inconscient signifie, c’est aussi le sens affaibli qui ne nous intéresse pas. A bien y réfléchir nous pouvons affirmer qu’il existe 4 sens de ce qu’être inconscient veut dire:
a) Être inconscient - Celui que nous venons de voir et dont il ne sera pas question dans ce cours: on est inconscient quand on se laisse aller, quand on ne maintient pas le principe de cette auto-surveillance de la conscience à l’égard de nos actes.
b) Les petites perceptions chez Leibniz (1746 - 1616). On peut également parler d’ « inconscient physique ». Leibniz n’utilisait pas ce terme mais il a évoqué ces « petites perceptions » que nous enregistrons sans vraiment nous en rendre compte. Dans les nouveaux essais sur l’entendement humain (écrit en 1704 et publiés en 1765), Leibniz prend l’exemple de la mer. Sur une plage, nous entendons le bruit de la mer. Pour qu’il insiste ainsi à nos oreilles, il faut bien que quelque chose se soit manifesté à nous, quelque c chose que nous avons assimilé, réceptionné. On peut dire tout simplement qu’un milieu nous impacte en nous envoyant des stimuli que nous percevons grâce à nos capteurs sensoriels. En l’occurrence nous parlerons ici du mugissement des vagues. C’est un bruit assourdissant. Pourquoi? Parce qu’il est composé de cette incroyable et incomptable profusion de gouttelettes de chaque vague qui s’abattent sur le rivage. Leibniz fait ici valoir un raisonnement apparemment simple mais dont les conséquences sont pourtant très troublantes. J’entends une totalité et je dis consciemment j’entends le bruit de la mer, mais comment pourrais je entendre ce tout sans en percevoir aussi chacune des infimes parties puisque de fait ce tout est composé d’une multitude de parties? Des parties au tout, nous passons d’un format de choses que nous percevons inconsciemment à une autre dimension de ces mêmes choses mais que nous percevons consciemment.
Qu’est-ce Mark Zuckerberg finalement? Un ado timide, craintif et refermé sur lui qui est parvenu à faire de son complexe relationnel un mode de relation médiatisé et virtuel à Autrui, entrainant ainsi dans sa perception psychotique de l’être humain des millions d’abonnés. Comment s’opère cette hiérarchisation si cruciale dont dépend notre être: surhomme (Van Gogh) ou esclave (Zuckerberg) ? Par deux étapes: la première nous menant du petit moi au Soi et la seconde du Soi au moi supérieur, c’est-à-dire au moi créateur. Qu’est-ce que le petit moi? C’est ce que l’on pourrait appeler cette membrane offerte à tous les coups de l’extérieur, aux influences, aux chocs, aux mouvement d’adhésion. Notre petit moi c’est ce qui nous fait plier à la moindre tentation addictive et nous rallier aux troupeaux de tous les addicts à Netflix, Amazon, FaceBook, etc. La tentation est donc grande et toujours menaçante de passer de cet être de surface à un être totalement superficiel. C’est ce qui arrive si nous ne passons par le Soi: « Sens et esprit ne sont qu’outils et jouets, derrière eux se cache encore le Soi. Le Soi cherche aussi avec les yeux des sens, il écoute aussi avec les oreilles de l’esprit. Toujours le soi écoute et cherche: il compare, soumet, conquiert, détruit. Il règne et il est aussi le maître qui règne sur l’esprit. Derrière tes pensées et sentiments, mon frère, se tient un maître impérieux, un sage inconnu, il s’appelle Soi. Il habite ton corps, il est ton corps. Il y a plus de raison dans ton corps que dans ta meilleure sagesse. »
d) La perspective de Sigmund Freud (1856 - 1939) est très différente, d’abord parce que c’est en tant que médecin qu’il aborde cette question, en tant qu’il est confronté à un certain type de troubles mentaux qu’il ne prend pas en compte de la même façon que ses collègues de cette époque (Théodor Meynert). C’est par l’hystérie que Freud en est petit à petit venu à cette notion d’inconscient. A bien des égards, sa démarche est scientifique: il part d’observations et considère que ses thèses sont davantage de nature que les autres à expliquer ses troubles. Si la psychanalyse ne peut être considéré comme une science, contre l’avis de Freud lui-même, ce n’est pas parce qu’elle serait inefficace, mais plutôt parce qu’elle donne à l’interprétation de l’analyste un rôle trop important qui ne peut pas se mesurer avec le travail d’explication d’un physicien ou d’un chimiste. Cette question de savoir si le propre d’une théorie est d’interpréter ou d’expliquer reste néanmoins largement sujette à caution, comme nous le verrons dans le cours sur la vérité.
Mais ce n’est pas parce qu’un trouble n’a aucune origine physique qu’il est fictif ou simulé. La pensée est assez étroitement mêlé au corps pour que le corps soit la manifestation de dysfonctionnements de la pensée, ces dysfonctionnements étant toujours en rapport avec un processus de dénégation, de refoulement, de refus d’une réalité dérangeante et déterminante. Nous refusons de prendre en compte des désirs, des expériences, des souvenirs, des composantes affectives ou sexuelles qui font pourtant bel et bien partie de nous, c’est de cette contrariété que naissent des symptômes, des troubles plus ou moins graves, tout simplement parce que ces éléments dynamiques de notre vie sexuelle et affective ne peuvent rester « lettre morte », se satisfaire d’être ainsi étouffés. Il existe donc des points de comparaison entre ses travaux et les thèses de Schopenhauer (qu’il avait lues) et celles de Nietzsche (dont il prétend qu’il ne les a pas lues tout en reconnaissant avoir conçu l’instance du « ça » en référence à son oeuvre, ce qui est contradictoire - Disons qu’il n’a pas la connaissance de l’oeuvre de Nietzsche dans son intégralité) puisque Freud insiste sur l’impossibilité radicale de réduire la psyché de l’être humain socialisé à la conscience. Toutefois, si Nietzsche n’a jamais diminué l’importance de la sexualité dans la compréhension de la volonté de puissance, il ne la considère pas comme la seule force de cette persévérance dans l’être que désigne cette volonté. Nietzsche évoque parfois le ça pour désigner le caractère impersonnel et naturel de la vie. Pour Freud, le ça deviendra le principe de plaisir exclusivement animé par une motivation sexuelle.
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