CSD Cours Semi Distanciel Tle HLP Groupe 2 20/11/2020 10h05
Il a beaucoup été question dans les interventions de fin de cours et la discussion qui s'en est suivie d'une vidéo que j'avais montrée l'année dernière à Nina et à Evie. Elle est très intéressante sur la question de savoir jusqu'à quel point un pouvoir (du metteur en scène) peut s'exercer sur une actrice pour libérer sa puissance. Cela a donné lieu à des échanges vraiment intéressants.Voici la vidéo:
Le
dernier cours (13 novembre) concernant le texte de Merleau-Ponty
(pourquoi l'art nous émeut-il sauf au musée?) a évoqué la dissection.
Quel rapport avec l'art ? La médecine a progressé grâce à la dissection
et parallèlement on peut dire que l'art s'est fait connaître, s'est
peut-être mieux fait comprendre grâce aux musées publics, notamment
lorsque ceux-ci exposent des collections privées. Mais le parallèle
entre la médecine et l'art peut être approfondi avec beaucoup de profit
et nous permettre de mieux aborder la pensée développée par Maurice
Merleau-Ponty dans ce texte. Toutefois il faut pour cela bien saisir les
termes de ce parallèle: la médecine qui a progressé grâce à la
dissection est alors comparable à la connaissance des œuvres par la
culture, par l'histoire de l'art. Or la médecine qui a beaucoup gagné à
la pratique de la dissection c'est la médecine "mécaniste", celle pour
laquelle un corps est d'abord un assemblage d'organes (l'ouverture des
corps permet de mieux comprendre son fonctionnement exactement comme
l'ouverture du capot permet de comprendre comment le moteur
fonctionne).
Si
nous suivons le parallèle cela signifie que l'exposition des œuvres
permet de mieux les comprendre en tant qu'oeuvre. Si cela était vrai,
alors Maurice Merleau-Ponty aurait "tout faux". Mais lorsque nous y
réfléchissons, une considération extrêmement simple permet de suivre ce
parallèle et de donner a contrario complètement raison à cet auteur.
Laquelle? La dissection permet peut-être de comprendre comment un corps
fonctionne mais lorsque elle s'opère sur des animaux, elle consiste dans
une pratique paradoxale qui commence par priver le corps de cela même
qu'en un sens on est censé étudier d'abord, à savoir la vie. De la même
façon, la question se pose de savoir dans quelle mesure le fait
d'exposer des toiles comme des objets successivement disposés
n'enlèverait pas aux œuvres leur nature première, authentique, à savoir
qu'elles ne sont aucunement des objets mais des instantanés de vie, de
nature naturante (Dieu quoi!) pris sur le vif.
Allons
encore plus loin: la médecine mécaniste (celle de la dissection et de
la "diagnose" (connaître en divisant, en disséquant)) se trompe sur
toute la ligne
tout simplement parce qu'aussi loin que l'on puisse pousser la
connaissance mécaniste d'un corps, c'est-à-dire sa réduction à des
organes dont chacun assure une fonction, comme les pièces d'un
mécanisme, on ne comprend pas ce qui le fait tenir à la vie parce que
cela c'est ce que Spinoza appellerait son conatus, l'effort de son être
pour persévérer dans son être, pour accroître sa puissance et que cela
ne peut se disséquer, ni même se diviser. Tant qu'une certaine
conception de la médecine s'entêtera dans ce présupposé au regard duquel
une maladie ou un dysfonctionnement ne peuvent se traiter autrement
qu'à partir de ce schéma d'un corps divisible du corps, elle se réduira à
diagnostiquer des pathologies mais pas à les guérir. Identiquement la
croyance que l'on comprend une œuvre à partir de son exposition revient à
croire que l'on est sensible à l'art pour peu que nous ayons une
"culture", une connaissance des mouvements artistiques, des techniques
picturales, musicales, etc. bref tant que finalement on se contentera
d'une perception anesthésiée à tous points, morbide, chosifiante. C'est
exactement comme la dissection d'un animal dont on pense qu'elle nous
apprendra quelque chose sur la façon dont il vit, alors même qu'on a
commencé par le priver de notre objet d'étude. Le musée se prive de cela
même qu'il est censé favoriser, provoquer, à savoir la réalisation de
l’œuvre, ce qui fait de la toile une œuvre, et non un trophée devant
lequel il conviendrait de s'extasier béatement avant de passer au
suivant. Le parallèle est donc très riche: pas davantage que la
dissection ne fait comprendre au médecin ce qui rend vivant un corps, le
musée ne favorise la saisie de l’œuvre, sa puissance de décharge
esthésique, son "trauma", ce que Heidegger appellerait son ouverture à
la vérité. ce que la médecine nous fait comprendre du corps c'est
comment il fonctionne pas comment il vit. De même ce que le musée nous
fait comprendre de l’œuvre c'est quand elle a été faite, par qui, mais
pas ce qui en fait une œuvre. Ce que l'on peut reprocher de plus grave
c'est qu'en l'exposant, elle la réduit à une chose, à un objet, à une
icône qu'il nous faudrait vénérer comme une relique sacrée.
Comprenons-nous
mieux maintenant ce qu'est vraiment une œuvre? une séquence d'affects
dotés de cette puissance de stimulation au gré de laquelle le réel
révèle les rouages de son auto-engendrement, et cela à l'occasion d'une
pomme ou d'une montagne peinte, d'une musique ou d'un film. Voilà ce
qu'est une œuvre. Lorsque Courbet peint, dans l'origine du monde, un
sexe féminin, ce n'est ni plus ni moins une œuvre que lorsque Van Gogh
peint les souliers de la paysanne, ou Michel Ange la chapelle Sixtine.
La vie s'y révèle dans l'aveu de sa puissance d'auto-génération. Que la
plupart des spectatrices et spectateurs de cette œuvre ne puisse pas la
contempler sans arrière-pensée ne prouve aucunement son caractère
pornographique mais bien au contraire la présence d'une telle
prédisposition dans l'esprit de leur perception, ce qui justement les
empêche de la saisir telle qu'elle est: une œuvre. La performance de
Déborah de Robertis ne fait que les encourager dans cette erreur de
perspective, puisqu'il est vraiment impossible de réaliser ce qui, du
mimétisme de son attitude favoriserait de quelque manière l'abord
authentique de cette œuvre en tant qu’œuvre.
Toutes
les performances de cette plasticienne consistent à exhiber son corps
dans des contextes de sacralisation d'une nudité symbolique, politique
ou religieuse (Marianne dans une manifestation, La Vierge Marie à
Lourdes, etc.). La nudité des corps est un fait acté mais ce qui fait de
l'origine du monde une œuvre c'est l'attention portée au processus
d'incarnation de cette nudité là dans ce contexte là, processus qu'il ne
saurait en aucune manière être question d'imiter. Là où Courbet
célèbre, "souligne", on pourrait dire que Déborah de Robertis "grossit
le trait" surligne, manifeste, surtitre. Elle ne facilite en aucune
manière la perception juste, attentive, dynamique et finalement très
neutre qui devrait elle celle de toute œuvre. Elle la rend impossible au
contraire en surchargeant la connotation érotique, impudique,
provocatrice du motif au détriment de sa pudeur native, de la dimension
traumatique de l’œuvre mais traumatique au sens de première, littérale,
spontanée, originelle (ce que souligne bien le titre). On pourrait dire
ça autrement: toute œuvre d'art est, en fait, un scandale mais un
scandale dont la révélation est d'une justesse et d'une pudeur exacte,
sidérante, pure et donc candide: la nature naturante prise en flagrant
délit de "se naturer". Comparativement, le scandale de Déborah de
Robertis écartant les jambes devant la toile est vraiment petit,
dérisoire. Plus on lui accorde de l'importance, plus on brouille le
trauma de cette oeuvre d'art. Ce qui est intéressant par contre, c'est
de montrer que la petitesse de ce scandale est exactement proportionnel à
la faiblesse d'impact que le musée suscite dans son exposition. A son
insu la plasticienne nous donne un critère intéressant de la bonne
modalité de présentation des œuvres. Comment et où poser cette toile de
telle sorte que ce type de performance très peu performative soit
impossible, ou du moins y apparaisse pour ce qu'elle est: à côté de la
plaque?
Dés
lors que cette confusion est clairement perçue, on mesure tout ce
qu'elle doit au contexte même de toute exposition. Les toiles sont
"montrées", elles rendent possible que l'on se montre en les imitant, en
évitant ainsi le déploiement authentique inhérent au vrai scandale dans
lequel consiste toutes vraies toiles, à savoir libérer de la vérité,
prendre en flagrant délit le monde en train de se faire monde. Au
contraire, les toiles ne sont pas présentées dans une contextualisation
rendant possible et effective la diffusion du trouble, la communication
de cet étonnement fécond. L'exhibitionnisme de Déborah de Robertis est
donc le reflet parfait du fétichisme des Musées, lesquels se révèlent
pareillement inaptes à dévoiler ce qui fait d'une œuvre une œuvre à
savoir précisément son vérité de dévoilement d'aléthéïa, au sens grec du
terme, celui que reprend Heidegger. C'est là une erreur de perspective
que l'on pourrait assigne à la grammaire. Le "miroir de l'origine" (nom
de la performance de De Robertis) c'est la confusion née de la
dérivation réfléchie du dévoilement (différence entre dévoiler et se
dévoiler). Ce qui se dévoile, dans l’œuvre c'est le réel, pas nous.
2e heure Travail en temps limité sur le texte de Merleau Ponty
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