samedi 7 décembre 2024

Ecriture libre - Nouvelle de Gwendoline Marle (terminale 4): Elle est moi

Sujet: Créez une nouvelle, une poésie, un conte, un récit, une vidéo, une bande dessinée, un roman, un film, une épopée qui met en scène la rencontre d’un être humain avec un autre (à moins que ce ne soit pas tout à fait un humain, à vous de voir (un répliquant?)) doté (artificiellement ou pas) du même passé que lui. Est-il réellement en présence de lui-même ou d’un autre?





ELLE EST MOI


Une alarme stridente résonne et me réveille. En ouvrant les yeux, je découvre des lumières rouges clignotantes. Je suis désorientée et je peine à me redresser. Petit à petit, je prends conscience que je suis dans un lit d’hôpital, des machines m’entourent, j’y suis reliée par plusieurs câbles. Les conditions dans lesquelles j’ai été brusquement réveillé montrent le caractère urgent de la situation, c’est pourquoi je débranche tous ces câbles. Les appareils se mettent en défaut et sonnent. Assourdie par ce vacarme, je quitte la pièce. Le couloir est désert, les lampes sont éteintes, seuls les panneaux « EXIT » et les LED rouges l’éclairent. Je m’engage dans le couloir étroit, effrayée et encore étourdie, je décide de jouer la naïveté et de suivre les panneaux qui indiquent une sortie. Pendant de longues minutes, j'avance, sans croiser aucune autre chambre, avant d’arriver devant une porte. Évidemment, je ne peux pas l’ouvrir… Je me dis que mon expérience en jeux vidéo d’horreur pourrait éventuellement m’aider. Plus jeune, je jouais beaucoup à des jeux d’horreur et si j’ai bien appris une chose en y jouant, c’est qu’il ne faut pas faire de bruit. Je rebrousse chemin jusqu’à ma chambre.




 Les néons fonctionnent et je vois clairement ce qui s’y trouve. Il y a un carnet, dedans sont notés des chiffres, probablement mes constantes. Je sais que je ne peux pas rester là, alors par réflexe, je prends avec moi un morceau de barre en fer qui constituait le pied d’une machine. Je prends cette fois-ci à gauche et au bout de quelques pas, l’alarme s’arrête et les lumières se rallument. Je vois enfin où je marche, sur un carrelage blanc taché de sang… Toujours saisie par la peur, je continue.  Le couloir se termine sur un ascenseur, je ne veux pas le prendre, mais il ne semble pas y avoir d’autre moyen de sortir. Les portes s’ouvrent, j’entre et je m’immobilise face à mon reflet. Des bandages font le tour de mon crâne, j’ai des bleus un peu partout sur les bras et les jambes et quelque chose est tatoué sur mon poignet droit. Le tatouage indique « D66 ».  L’ascenseur se ferme et sans que je puisse choisir l’étage où aller, il monte. Cela signifie que je devais être au sous-sol. Je suis désormais dans un hall, tout est carrelé. Les lumières blanches me font mal aux yeux. Il y a deux portes, une de chaque côté de ce qui parait être l’accueil. Celle de gauche est verrouillée, pas celle de droite…  J’entre avec ma barre de fer à la main. Il fait sombre, je trébuche et me retrouve au sol. Soudain, l’éclairage s’allume et je crie de terreur. Je suis face à un cadavre… Je me relève en sursaut et je scrute chaque coin de la pièce. C’est une sorte de bloc opératoire, du sang tapisse le sol autour du corps. L’arrière de son crâne est découpé. Sans perdre de temps, je sors de cette pièce et la referme. Je me précipite vers le bureau dans l’espoir d’y trouver des informations me permettant de comprendre ce que je fais ici. J’ouvre les tiroirs, des dossiers sont rangés par dates. J’en ouvre un au hasard et une feuille en tombe :

« Nous sommes le 21 avril 2084, à New York, je suis le Dr. Kirk. Jour 203 de l’expérience de clonage.

Après de nombreux essais, je parviens enfin à reproduire des copies exactes de visage humain sur d’autres humains. Mon objectif à présent est d’introduire des données mémorielles et existentielles d’un individu A à l’individu B. Pour cela, il me faut encore faire plusieurs expériences, car les sujets C09 et C10 sont morts suite à mes expérimentations. Cependant, les sujets C11 et C12 qui sont maintenant de parfaits sosies sont encore vivants, s'il ne me reste qu’à implanter les souvenirs de C11 dans le cerveau de C12. Je pense qu’une méthode progressive serait plus efficace. Effectuer cette démarche en plusieurs opérations me semble plus sûr. 

– 23 avril 2084, jour 205 de l’expérience. Je suis le docteur en neurologie Mylon Kirk.

Aujourd'hui, j’ai découvert une technique pour dupliquer les données. Il suffit de placer la partie de l’encéphale souhaitée dans un bocal contenant des PCR afin que celles-ci clonent les données. Ensuite, je place la matière organique produite dans le cerveau du second individu. Cette technique doit subir des changements, car déjà quatre couples de sujets sont morts. » 



 Le reste de la page est déchiré. Je comprends que le tatouage sur mon poignet est en fait mon numéro de cobaye. Je cherche mon dossier, je ne le trouve pas et je me sens de moins en moins en sécurité. J’entends l’ascenseur se refermer et monter, les minutes passent et il revient, s’ouvre et un homme en blouse en sort. Je me colle au bureau, une main sur ma bouche pour ne pas faire de bruit. Il jette quelque chose sur le bureau et se dirige vers la porte qui était verrouillée. Il entre dans la pièce alors, je prends ce qu’il a laissé sur le meuble. C’est mon dossier, je le feuillette rapidement. Ce psychopathe a toutes mes informations… Avant que je ne puisse finir de le lire, il ressort et vient pour récupérer ce qu’il vient de poser. Malheureusement, je n’ai pas pu reposer le dossier et, comme s’il savait que j’étais là, il se penche au-dessus du bureau pour attraper mon bras. Je le fixe, incapable d’émettre le moindre son. Je lis sur sa blouse son nom, c’est lui, c’est le docteur Kirk. Il finit par tirer mon bras vers lui, ce geste me ramène à moi. Je me débats en vain avant de parvenir à le frapper avec la barre en fer. Par chance, j’ai touché sa tête ; alors, il me lâche et vacille. Je cours en direction de l’ascenseur, mais une fois dedans, les portes mettent du temps à se fermer. Le docteur se relève et vient vers moi. Alors que je m’excite sur le bouton du haut, il parvient à entrer, puis l’ascenseur monte. Il m’arrache la barre des mains sans que je puisse faire quoi que ce soit. Il agrippe l’un de mes bras et me force à le suivre, et tout ça sans dire un mot. Nous entrons dans ce qui parait être son cabinet. Il me désigne du doigt une chaise sur laquelle je m’assieds. L’homme prend place en face de moi. À ce moment précis, je ne pense qu’à une chose : « Game over ». J’ai perdu la partie, je me suis fait repérer et maintenant, il va probablement m’éliminer…




— N’ayez pas peur, mademoiselle Rose. Je ne veux pas vous faire de mal.

Sa voix nasillarde me sort de mes pensées. En entendant ce qu’il vient de dire je ne peux m’empêcher d’échapper un rictus. J’ai un bandage sur la tête, j’étais dans un sous-sol et je suis l’un de ses nombreux cobayes humains mais il ne veut pas me faire de mal. 

—Comme vous avez fouillé dans mes affaires, vous savez qui je suis. Inutile de vous donner les détails alors j’irai droit au but. Vous avez dû être réveillé par une alarme. Il se trouve qu’après des mois de travail j’ai enfin réussi à créer un clone. Le vôtre ! Tout était parfait, les traits du visage étaient les mêmes que les vôtres et j’ai reproduits à l’identique vos cicatrices.

Je déglutis bruyamment en réalisant que pour reproduire mes cicatrices sur mon clone, il m’a vu complètement nue. Cette image me met terriblement mal à l’aise. Il poursuit :

— Les souvenirs de votre clone sont un « copier-coller » des vôtres. En résumé, j’avais créé votre jumelle Johanna ! Cependant le sujet D67 s’est réveillé plus tôt que prévu et a trouvé un moyen de sortir de sa chambre… 

—Si j’ai bien compris vous avez effacé tous les souvenirs d’une pauvre femme pour lui implanter les miens ? Et non seulement vous avez trifouillé dans nos cerveaux mais en plus vous lui fait subir de la chirurgie plastique ? je l’interromps

—C’est l’idée. Mais le plus important c’est que j’ai besoin de vous pour retrouver D67. Etant votre exacte copie vous devriez savoir où elle se trouve. Ou devrais-je dire où, vous, vous vous trouvez.

—Très bien mais avant je veux voir mon dossier ! 

Il me tend le dossier, je l’ouvre délicatement et commence la lecture. Tout ce que je peux voir me terrifie. Comment quelqu’un peut faire ça à des êtres humains ? En terminant le dossier je réalise que je suis enfermée ici depuis plus de quatre mois…

—Pourquoi je suis ici ? Pourquoi moi ? Quels sont vos critères concernant le choix de vos cobayes ?! Je lui pose ces questions avec un ton violent. 

—Je ne choisis que des orphelins… Et en général, pour que personne ne vous cherche, je me sers des téléphones des patients pour prévenir vos contacte que vous déménagez sur un autre continent.

Les larmes me montent aux yeux. Je suis tellement en colère que mes mains se crispent sur les accoudoirs. Frustrée je lui lance le pot à crayon à la figure et l’insultant de tous les noms. Il reste stoïque et s’approche. Je parviens à me calmer et Dr Kirk en profite pour m’expliquer ce qu’il attend de moi. J’exige mon téléphone mais avant de me le donner il me chuchote :

—Si vous prévenez qui que ce soit de ce qui se passe ici… je m’assurerai que Lila ne puisse plus vous revoir. 

J’ai un moment de réflexion, je ne comprends pas de qui il parle. Les pseudo-médicaments qu’il a utilisés pour me maintenir endormie doivent avoir laissé mon cerveau en sale état. Il remarque ma confusion puis me montre une photo sur mon téléphone. C’est moi, dos à dos avec une femme, je suppose que c’est Lila, nous sommes maquillées pour Halloween. 



Je suis déguisée en Joker et elle en Harley Quinn. Après un moment, la mémoire ne me revient toujours pas, alors il change de photo. Nous sommes toujours déguisées, mais là, il suffit d’une seconde pour que je me souvienne d’elle. Lila est ma petite amie depuis deux ans…  Ma première pensée, c'est de lui sauter dessus, de le frapper de toutes mes forces, mais je suis consciente que dans mon état, il me maitriserait vite. J’inspire profondément, puis j’accepte de faire ce qu’il me demande, même si cela ne plait pas. Une fois que le docteur Kirk m’a enlevé tous mes bandages et redonné mes vêtements, il me laisse sortir de son cabinet. La lumière du jour me surprend et je sens enfin, après des mois de captivité, la chaleur des rayons de soleil. Comme il faut éviter d’attirer l’attention, je ne reste pas longtemps devant le cabinet médical. J’ai envie de rentrer chez moi, mais au plus vite, je retrouve D67, au plus vite, je serais libre. Je réfléchis un moment, pensant à mes endroits préférés pour avoir une idée d’où peut être mon double. Je suis à pied, donc me déplacer me prend du temps, mais je parviens à aller à deux des endroits auxquels j’ai pensé. Elle n’y est pas… Mon estomac commence à se faire entendre, je me rends à mon restaurant préféré sur la cinquième avenue. Heureusement que j’ai des billets dans ma coque de téléphone. Je m’installe et commande. Je profite de mon plat dans l’ambiance chaleureuse de l’établissement. En levant les yeux sur les personnes qui viennent d’entrer, je manque de m’étouffer. Je vois Lila avec D67 ! Il ne faut pas qu’elles me voient, alors je mets ma capuche et baisse la tête lorsqu’elles passent. Maintenant que je l’ai trouvée, je dois la suivre et la ramener à Mylon Kirk.

Un sentiment de colère coule dans mes veines quand je réalise que D67 a pris ma vie. J’essaie de garder à l’esprit que ce n’est pas sa faute, qu’elle a comme été programmée pour suivre ma vie, mais j’ai du mal à l’accepter. Je les suis de loin jusqu’à un parc près de chez nous. Elles s’assoient sur l’herbe et discutent. Je saisis ma chance quand Lila s’éloigne. Je passe discrètement derrière Johanna numéro 2 pour voler ses clés de maison qui sont en fait mes clés.  Je compte l’enlever dans la nuit et m’introduire dans la maison. Sachant que la porte d’entrée a deux niveaux de sécurité : les clés et la biométrie du visage. Je m’éloigne et je vais attendre que la nuit tombe quelques rues plus loin. Mon téléphone sonne et j’aperçois le nom du contact, c’est le neurologue.

— Allô ?

— Vous l’avez retrouvé ? Souvenez-vous qu’il faut rester discret, sinon vous savez ce qui vous attend. Pensez à mettre votre masque.

— Oui, je l’ai retrouvé, je vais aller la chercher cette nuit et je vous la ramène… Mais je peux savoir ce que vous allez en faire après ?  

— Ne vous inquiétez pas pour ça, ce qui importe est que vous repreniez une vie normale et que vous oubliez tout ça.

Il raccroche précipitamment, je reste dubitative quant au traitement qu’il réserve à D67.

La nuit est tombée, il est tard et j’espère que Lila et mon double dorment. J’arrive devant la porte, j’insère les clés, le scanne s’active et examine mon visage. La porte se déverrouille. J’entre sur la pointe des pieds en remettant mon masque, mais mes chevilles craquent. Je m’arrête en grimaçant et j’attends de savoir si elles sont réveillées. Les lumières demeurent éteintes et il n’y a pas un bruit dans la maison. Je continue mon chemin jusqu’à la chambre que j’entre-ouvre. Elles sont endormies, donc je me faufile. Évidemment, elles sont dans les bras l’une de l’autre, sinon ça serait trop simple… Je tente d’être la plus délicate possible, j’attrape le bras de D67 et le passe au-dessus de mon épaule. Je parviens à la dégager tant bien que mal. Je tire sur son t-shirt pour réussir à la porter, mais il craque. Mes muscles se crispent, car le bruit a résonné dans la pièce, mais aucune ne se réveille. Le corps de ma jumelle est plutôt lourd, j’ai du mal à le trainer dans la maison. Je l’allonge sur le sol du salon et je sors une seringue du produit que le Dr. Kirk utilise sur ses cobayes. J’hésite longuement avant de planter l’aiguille dans son bras. Elle ouvre brusquement les yeux, mais n’a pas le temps d’émettre un son. Elle est plongée dans un sommeil artificiel qui durera au mieux quatre heures. J’ai tout juste le temps de la transporter jusqu’au cabinet médical. Je m’apprête à prendre D67 sur les épaules quand, soudain, les lampes s’allument. Je me redresse et vois Lila encore un peu vaseuse qui me fixe. Les mots de psychopathe résonnent dans ma tête, je ne perds pas plus de temps et je soulève le corps de mon double. Mes yeux croisent ceux de Lila juste avant que je sorte. Je vais aussi vite que possible en direction du cabinet. Je ne tarde pas à entendre des sirènes de voitures de police. Je ne peux pas continuer à me balader dans la rue avec une personne sur les épaules, alors je vais me cacher dans le parking souterrain à environ 800 mètres du cabinet.

    Coincée depuis deux heures à cause de la police qui me cherche, je suis toujours dans le parking. Le produit commence à se dissiper et D67 se réveille petit à petit. J’aurais pu appeler le docteur, mais je ne peux pas me résoudre à livrer cette pauvre femme à ce psychopathe. Certes, c’est une expérience, mais elle a eu une vie et elle mérite de la retrouver. Je suis accroupie à son niveau quand elle se réveille. Je tente de lui expliquer la situation. Sans que je puisse le voir arriver, elle m’envoie son poing dans la figure. Je tombe sur les fesses, puis elle se jette sur moi en m’étranglant. Je me défends en la frappant dans les côtes. Nous nous relevons et nous sommes désormais face à face. Elle fond sur moi et j’anticipe ses coups avec une facilité déconcertante. Je suis perplexe et, à mon tour, je lui envoie des coups qu’elle pare avec succès. Après plusieurs échanges de coups, nous nous écartons l’une de l’autre, essoufflées… Je comprends alors que je ne suis pas simplement en train de me battre, mais que je suis en duel avec moi-même… Je n’y avais pas pensé avant, mais cette femme a exactement les mêmes souvenirs que moi.




 Cela signifie qu’elle a les mêmes réflexes que moi, qu’elle maitrise les mêmes coups, qu’elle connait mes points faibles. Autrement dit, aucune de nous ne peut gagner, sauf si l’une de nous « improvise », ce qui ne veut pas dire que l’autre sera en échec pour autant. Je m’arrête un moment et essaie de lui expliquer la situation. Elle ne me laisse pas le temps de parler et sort son téléphone. Je la vois se décomposer petit à petit, puis elle me lance un regard menaçant. Je comprends que D67 ne trouve pas ce qu’elle cherche dans ce téléphone, car c’est le sien, enfin celui qu’elle avait avant de devenir moi. 

— Écoute-moi. Je ne veux pas te faire de mal, mais il faut que tu me laisses t’expliquer ce qu’il se passe. Je lui dis doucement 

— Qui es-tu ? me lance-t-elle méchamment

— Je suis toi, enfin, plus exactement, tu es moi ! Nous avons été les cobayes d’un psychopathe qui a joué avec nos mémoires. Il voulait créer des doubles, des sosies parfaites dans je ne sais quel but et toi, tu es mon double. Il est allé jusqu’à faire de la chirurgie esthétique sur toi pour que tu me ressembles…

— Pourquoi je te croirai ? C’est peut-être toi la psychopathe après tout. 

Je réfléchis pour trouver une preuve de ce que j’avance. Je ne me savais pas aussi méfiante… Je me passe la main dans mes cheveux et au même moment, j'aperçois mon tatouage. Je me précipite vers elle. Je relève ma manche droite et lui montre l’inscription.

— Tu vois ça ? C’est un tatouage pour nous numéroter, tu devrais en avoir un aussi. L’inscription « D67 » sur ton poignet droit.

Elle vérifie, sceptique, mais découvre que c’est la vérité. J’anticipe sa prochaine question et je lui dis que ce n’est pas moi qui lui ai fait. 

— Je sais que tu n’as pas envie de me croire, mais si tu me poses des questions sur toi, je peux y répondre sans souci. Je fais des guillemets avec mes doigts en disant « toi ».  




Des policiers débarquent avec leurs lampes torches et crient. Je ne dois pas être vu en même temps que D67, alors je cours dans la direction opposée et je suis surprise de voir qu’elle me suit. Malgré mes quatre mois de coma, je parviens à courir aussi vite qu’avant. J’emprunte tous les passages que je connais pour semer les agents de police. Alors que je pense les avoir distancés, je me retourne et ne vois plus personne. J’attends un instant et je finis par voir mon clone arriver en courant accompagné des gyrophares de police. Je me prépare à repartir, mais quelqu’un m’attrape en mettant une main sur ma bouche et me tire dans la pénombre. Une fois que nous sommes loin de la rue, il me chuchote :

— Que faites-vous ?  Je vous avais dit de ne pas attirer l’attention !

— J’allais vous l’amener, mais elle est comme moi, elle ne se laisse pas faire facilement. 

— Vous aviez trois heures pour me l’amener, trois heures où elle devait dormir grâce à ma seringue ! me réprimande-t-il

— J’ai fait ce que j’ai pu avec les flics au cul ! Je le pousse violemment 

— Si je ne peux pas avoir D67, alors je me contenterai de vous avoir vous, D66…

Il me donne un coup de pied dans la jambe, me forçant à mettre un genou à terre, puis il m’enfonce une aiguille dans le cou. Je me débats, combattant le produit qui doit m’endormir. Ma vision devient de plus en plus trouble, j’ai l’impression que mes veines brûlent, finalement, je succombe.  Je me réveille de nouveau dans cette chambre au sous-sol. Je suis attachée au lit cette fois. Je hurle le nom du docteur Kirk. Je m’épuise rapidement et je n’ai aucune notion du temps. Je patiente longtemps et j’essaie de défaire mes attaches sans succès. J’entends enfin le bruit d’une porte, alors de nouveau, je crie. Il arrive, il est calme et me fixe avec un sourire méprisable. Il m’explique que maintenant, je vais lui servir de patiente pour d’autres expérimentations. D’abord, il a prévu de faire part de son exploit à une sorte de comité scientifique et de montrer qu’il est possible de fabriquer des clones. Ensuite, il se servira de moi comme bête de foire avant de faire de nouvelles expériences sur moi et, il espère, d’autres orphelins…  Il prend un malin plaisir à me détailler ses futures procédures. Chaque seconde de l’intervention est décrite minutieusement, ce qui me fait peur.......

Le lendemain, il revient, il me détache et m’entraine de force avec lui. Il ne dit rien et me fait pénétrer dans une pièce plongée dans le noir. J’entends la porte se verrouiller dans mon dos. Je tends l’oreille à la recherche d’un potentiel bruit, mais je ne suis pas sûre de ce que j’entends. Je perçois des bruits de respiration qui proviennent de devant moi. Soudain, les lumières s’allument, me forçant à fermer les yeux un instant. En les ouvrant de nouveau, je découvre une salle entièrement peinte en orange, il y a un miroir devant moi. La pièce est petite et elle résonne. Je marche vers le miroir, pensant que si je me mets dos à lui, tout ce qui pourrait entrer, je le verrais directement. Je pose ma main dessus et il se sépare en deux parties, chacune coulissant dans les murs de la pièce. Le miroir s’ouvre sur une autre salle dans le noir. Par réflexe, je retourne vers la porte de mon côté, comme ça si quelqu’un se trouve dans le noir, il sera obligé d’entrer dans la lumière avant de m’atteindre. Il se passe un certain temps avant que je ne me décide à bouger. La curiosité l’emporte et m’entraine dans la partie non éclairée. En franchissant la démarcation au sol, les lumières finissent par s’allumer elles aussi. D67 se tient debout face à moi… Elle me regarde avec une expression que je ne parviens pas à déchiffrer. Enfin, l’écho de la voix du docteur Kirk nous sort du silence. 



— Devine où je suis allé chercher ta jumelle ! Je l’ai trouvé au commissariat… Elle a failli me dénoncer, mais le problème, c'est que je suis arrivée avant qu’elle en ait eu le temps. Tu devrais te réjouir, je pourrais te laisser repartir maintenant. 

Je regarde D67, je sais très bien ce qui lui arrivera si je décide de la laisser là. Elle ne mérite pas ça, elle n’a pas mérité tout ce que ce taré lui a fait subir… Alors, je reste debout face à elle et j’attends que le Dr. Kirk reprenne la parole. 

— Tu restes ?! C’est courageux de ta part. Bien, je vous propose d’enfiler les tenues qui se trouvent sur l’étagère à votre gauche respective. 

Nous allons vers les tenues, elles sont identiques. Il y a un jean noir troué au genou gauche, un t-shirt blanc uni et une chemise à manches courtes à carreaux rouges et noirs. Mon regard se pose sur les chaussures qui accompagnent les vêtements. J’entends mon double dans le fond de la pièce :

— Ce sont les mêmes converses que celles que Lila m’a offertes pour mes 23 ans ! 

Les chaussures en toiles sont bordeaux, il y a une rose blanche brodée sur les côtés extérieurs, les lacets sont blancs, mais l’embout est de couleur noir. Je sens une larme couler sur ma joue, une larme de nostalgie, mais surtout de jalousie. J’accepte mal le fait que je partage ma vie avec une autre personne, littéralement.   

— Enfin… C’est plutôt à toi qu’elle les a offerts… Je suis désolée de ne pas t’avoir cru quand tu m’as dit ce qui se passait. Mais aujourd’hui, je vois que tu ne mentais pas et je suis désolée que tu aies dû vivre ça. Enfin, je veux dire consciemment, tu as toujours su qui tu étais et tu m’as vu avec ta petite amie, alors ça a dû être difficile à supporter.

Je lui adresse un sourire pour lui faire comprendre que ce n’est pas sa faute. Ses mots me touchent profondément et me serrent la gorge. J’enfile le t-shirt puis le reste de la tenue. En laçant les converses, je prends une grande inspiration, comme pour anticiper un moment de stress. Je lève la tête et je vois D67, vêtu exactement comme moi. Puis, je me dis que je ne connais pas son prénom. À vrai dire, elle ne doit plus s’en souvenir… L’homme qui nous retient ici m’indique que je dois me rapprocher de mon clone. Ce que je fais sans me poser de questions, mon sort n’est plus réellement entre mes mains, mais entre les siennes. Le miroir se referme et une sorte de couloir s’ouvre devant nous. Je passe devant en avance dans le corridor.  Nous sommes désormais dans une petite pièce blanche, une vitre opaque face à nous. Je pense qu’il est derrière et qu'il nous voit. La vitre change de teint quelques secondes et je reste figée en voyant Lila à ses côtés.

— Je crois que je n’ai pas besoin de faire les présentations. Il ricane. Celle qui sera reconnue comme l’authentique Johanna par Lila pourra partir sans problème et l’autre restera avec moi. 

La consigne est claire. Malheureusement, l’une de nous ne tirera rien de cette situation. Je ne peux pas me résoudre à lui laisser ma vie sans rien faire, mais je ne peux pas non plus délaisser ma jumelle. D’un côté, si je l’abandonne, c'est comme si je m’abandonnais moi-même, est-ce que je peux vraiment faire un choix entre elle et moi sachant qu’elle est moi ?  La situation est délicate et je commence à me perdre en essayant de démêler tout ça. La voix de ma copine sort des haut-parleurs :

— Laquelle de vous est Johanna Rose ? elle est désemparée en nous voyant.

— C’est moi ! nous répondons à l’unisson 

Évidemment que nous allons répondre à l’identique à chaque question, puisque nous avons les mêmes souvenirs et elle est persuadée d’être moi. La question suivante nous demande de répondre par notre nom, prénom, âge et date de naissance. Mais cette fois-ci, Lila exige que nous répondions chacune notre tour, mon double répond à cette question et je répondrai à la prochaine. 

— Je m’appelle Johanna Rose, j’ai 24 ans. Je suis née le 6 novembre 2062, c’était un jeudi…

Elle répond correctement et je suis surprise qu’elle mentionne quel jour c’était. Cela me perturbe beaucoup, je dois l’admettre, mais je dois rester concentrée. Lila m’interroge sur ma profession.

— Je suis autrice depuis six ans et avant, je travaillais dans la logistique. 

C’est en sortant ma réponse qu’il y a un moyen de me différencier de mon double. Je suis autrice, j’ai l’habitude d’utiliser des mots plus savants, plus soutenus, en bref, je cherche des mots différents de ceux que nous employons tous les jours ! J’écoute attentivement les réponses de D67, je m’efforce de parler comme si j’écrivais. J’ai l’impression que ça marche, mais rapidement les questions s’enchainent et Lila ne semble pas remarquer mes efforts. Je suis déstabilisée, je ne sais plus comment faire pour qu’elle me reconnaisse. Le médecin demande à plusieurs reprises si elle sait qui est qui, mais elle fait non de la tête. Je la vois paniquée, c’est normal, elle a la vie d’une personne entre les mains et même si elle me choisit, mon double n’aura pas la vie qu’elle mérite. Kirk finit par lui donner un indice, il lui dit que celle qui était avec elle hier, c'était mon clone. Mais elle ne s’en est pas rendu compte, car mon clone possède mes souvenirs. Soudain, je suis frappée par un détail qui peut tout changer. Physiquement, nous sommes identiques, mais D67 ne possède que mes souvenirs… Elle ne peut pas savoir ce que j’ai appris après son opération. 

— Demande-lui quelle date était inscrite sur le compte-rendu du Dr. Kirk, celui qui parlait de C11 et C12 ! Je crie pour qu’elle m’entende bien, même si ce n’est pas nécessaire.

Lila lui demande et D67 reste silencieuse. J'ai finalement réussi à trouver la faille ! Je réponds évidemment juste et je suis soulagée d’entendre ma copine m’appeler. Le médecin s’exclame :

— Sujet D66, vous êtes désormais libre ! Bien sûr, aucune information sur ce qui se passe ici ne doit être divulguée sinon vous pourriez avoir des ennuis. 

La vitre se teinte et j’attends qu’il vienne me chercher. Je vois D67 qui pleure, j’ai de la peine et je ne veux pas la laisser. Une idée me parvient et je lui murmure à l’oreille :




— Je ne vais pas t’abandonner, alors tu vas te placer ici et sourire, comme si tu étais choisi à ma place. Dès qu’il entre, je lui envoie un coup de pied dans les côtes et on s’enfuit toutes les trois. 

Elle me serre dans ses bras et acquiesce. Nous nous mettons en place, la porte s’ouvre. Lila saute dans les bras de D67, le psychopathe entre à son tour et je lui envoie mon talon dans les côtes. Il tombe et gémit de douleur. Lila ne comprend pas et je lui montre mon poignet sur lequel est marqué « D66 », alors elle comprend. Je prends les devants, je cours dans le couloir que je reconnais et me dirige vers l’ascenseur. Les filles sont derrière moi. J’appuie sur le bouton qui désigne le rez-de-chaussée, l’ascenseur se ferme et monte. Le cauchemar semble enfin prendre fin. Une fois à l’étage souhaité, un code pour ouvrir la porte, pour accéder au cabinet, nous ramène à la réalité. D67 se jette dessus, essaie les codes basiques tels que 0000 ou bien 1234. Rien ne fonctionne. La porte ne s’ouvre pas. Elle commence à inspecter toute la pièce à la recherche d’un indice ou même du code. Rien… il n’y a rien.

Quelques minutes passent, puis nous entendons que l’ascenseur redescend. La peur remplit la pièce, le docteur ne devrait pas tarder à arriver. Je prends un peu de recul et je m’élance pour finalement rentrer dans la porte. Elle ne bouge pas, les filles placent un meuble devant les portes de l’ascenseur pour ralentir Kirk. Je recommence encore trois fois et la porte craque. D67 m’accompagne dans la dernière tentative. Je compte jusqu’à trois et nous nous projetons contre la porte qui s’ouvre enfin. Nous entrons dans le cabinet, Lila récupère son téléphone et compose le numéro de la police. Nous parvenons à sortir du bâtiment, mais un coup de feu résonne alors dans la rue. Lorsque je me retourne pour voir qui a été touchée, je vois D67 qui tombe de tout son poids sur le sol. Je m’arrête pour aller la chercher, mais Kirk est dans l’entrée, une arme pointée sur nous.  Le temps semble s’être arrêté, je le regarde les yeux dans les yeux. Mes battements de cœur s’accélèrent, mais ce n’est pas la peur, c’est plutôt de l’adrénaline. La voix étouffée de Lila est la seule chose que j’entends, ça et un sifflement qui traverse mes oreilles. Un homme en sweat à capuche arrive sur ma gauche, il sort un pistolet de sa ceinture et hurle. Le coup de feu me sort de l’état dans lequel j’étais. Kirk gémit de douleur et se tient le bras. L’homme se précipite pour le maintenir au sol. Les voitures de police arrivent autour de nous, des policiers s’approchent de Kirk et d’autres viennent nous aider. Mon double est transporté en urgence à l’hôpital. Nous y sommes conduites aussi.

Après quelques examens, je suis emmenée dans une salle pour être interrogée. Je suis encore préoccupée par la santé de D67. On me rassure, puis les questions s’enchainent, je tente d’être la plus précise possible. Tout se passe très vite, la police finit par me conseiller de rentrer chez moi. Ce que je fais, je reste plusieurs heures, assise sur une chaise de la cuisine, à me demander si tout ce qu’il vient de se passer est réel. Lila pose ses mains sur mes épaules. Je finis par aller me coucher.

Plusieurs jours se sont écoulés, nous avons appris que D67 s’appelait Sandra. Elle s’en est sortie et des médecins essayent de lui redonner sa vie à partir des informations qu’ils ont. Je suis encore régulièrement appelée avec Sandra pour des émissions de télévision ou pour des interviews. J’ai gardé mon tatouage sur mon poignet et à chaque fois que je serre des mains, les gens s’extasient devant. Il arrive encore à Sandra de répondre à ma place lorsqu’on m’appelle, ou bien d’entrer chez moi comme si elle y habitait. Mais je ne lui en veux pas, car elle ne le fait pas exprès et que d’un côté, c'est comme si on m’interdisait à moi de vivre ma vie. J’ai longuement réfléchi et j’ai décidé d’écrire notre histoire à Sandra et à moi. Une histoire qui aujourd’hui se vend dans tout le pays. L’histoire de deux femmes identiques qui sont contraintes de se partager un même début de vie.




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