Dans cette rubrique, nous publierons
les contributions de toutes celles et ceux qui souhaitent mettre leur
"grain de sel" dans la cuisine de ce modeste laboratoire de pensées
en tout genre. Après Kevin Ozanon, c’est Théo Padovani qui évoque ici cette
démarche qu’est « l’écriture dans un blog » et tout ce qui la
différencie d’un certain type de transmission « savante » de savoir
(sur le modèle de ce que le cinéaste Jean-Luc Godard appelait avec humour "les professionnels de la profession"). Le rapprochement qu’il suggère à
la fin de son texte avec la Philosophie ouvre, à mon sens, des pistes nouvelles
et riches de sens à quiconque s’interroge sur la différence entre
« connaître » et « réaliser », au double sens de ce
terme : percevoir et créer. Quelque chose de l’héritage de Socrate demeure
indiscutablement en jeu dans cette question. Un grand merci à Théo pour cette
sensibilisation ainsi que pour ces talents « d’archer ».
Lorsqu'on se lance
dans un travail d'écriture « publique », et ce indépendamment de la
composition de ce même public, il semble se profiler un devoir
« informatif », la transmission d'un savoir primordial, à la fois
utile et pertinent pour les lecteurs potentiels. C'est précisément ce qui
d'ailleurs, pour ma part en tout cas, à tendance à freiner mes envies de
partage en les reconsidérant comme des matières pas assez « nobles »
pour être libérées et ainsi exposées. Si l'on se penche sur l'aspect historique
de cette question de l'information « utile », il me semble que
majoritairement, il a toujours été question d'êtres « sachant » - détenteur
d'un certain bagage dans le domaine évoqué - qui s'adressaient à des individus
si ce n'est « ignorants », du moins « sachant moins »
De
ce fait, l'acte de se prononcer, d'émettre même une simple conjecture apparaît
comme un acte prétentieux. L'homme qui
dit est celui qui sait, et si je veux dire, je ne peux me permettre de ne
pas savoir. Il est cependant assez courant, dans la vie de tous les jours,
de se retrouver face à des messages sans grand intérêt, de se dire qu'on ne
doit pas franchement être la « cible » -au sens marketing du terme-
de telle ou telle annonce publique. De même, face à un interlocuteur exprimant une
certaine idée, qui n'a jamais pensé « qu'il
aurait mieux fait de se taire sur ce coup » ?
Ainsi, tout message,
tout texte, n'importe quelle image devient sujet à interprétation et se
présente à nous par le prisme d'une instance -interne, personnelle et sans
doute parfois inconsciente – jugeant de l'utilité de la chose perçue. Il semble
parallèlement que plus le message est clairement adressé et centré sur notre
personne, plus cette instance est sévère puisque elle base son verdict par
rapport à un étalonnage affiné et connu : notre Moi. Quand une personne
s'adresse à nous, directement, nous sommes la seule cible et de ce fait une
partie de nous même attend une certaine « personnalisation
du message émis ».
Toutefois, je pense
qu'Internet et plus précisément la démarche de partage, notamment via des blogs
comme celui-ci, est empreinte d'une certaine idée de « transmission
libre ». On vient y piocher telle ou telle information, telle ou telle
référence mais c'est dans tous les cas une démarche personnelle et jamais
forcée. En parcourant les innombrables articles de la toile, on vient chercher
le message que l'on veut, du moins on affine « nos critères de
recherche » de manière à reposer cette « instance décidant de
l'utilité d'un apprentissage ». Même si je suis loin de prêcher en faveur
de ces oeillères que l'on place sur le côté de nos yeux en affinant justement
notre recherche, elle rassure cependant celui qui écrit. « Celui qui me
lira l'aura un peu cherché » si je puis dire.
Dans ce
détachement avec la réalité du lecteur potentiel, il me semble que l'on évoque
le versant « artistique » de
l'écriture publique. Il s'agit alors d'un acte d'expression au sens de
partage d'impressions, non pas la transmission de savoirs primordiaux mais la
mise en lumière de résonances souvent communes. L'artiste se positionne dans
une démarche désintéressée, il ne cherche pas à convaincre mais plutôt à éveiller, à mettre en tension des
expériences dans chacun de nos esprits. Son message n'en est pas pour autant
moins personnel, puisqu'il se livre en exposant son propre ressenti ;
cependant, en refusant d'adresser le message porté par la toile qu'il peint ou
la musique qu'il joue à une personne en particulier (une cible marketing), il
ne fait qu'exposer. Le spectateur,
l'auditeur a alors tout le loisir de s'émouvoir ou de rester hermétique devant
son œuvre, mais il l'aborde froidement, comme une chose pas « faite pour
lui ». Cette idée qui consiste à faire « confiance » au
destinataire du message, en l'invitant à s'imprégner de nos paroles, à
s' y confronter, est à mon sens très proche de ce qu'est la philosophie.
Il s'agit davantage d'une
prise de conscience de cette aptitude à penser que chacun détient, plutôt que
de la transmission d'un savoir nécessaire et primordial. Cela ne signifie pas
qu'elle n'a rien à voir avec Autrui, bien au contraire. Gilles Deleuze dit
cette phrase très juste à mon sens : «Les gens qui se font réveiller
à un moment, se font toujours réveiller par quelqu'un ». L'artiste, le
bloggeur et le philosophe -qui peuvent être une seule personne- sont en ce sens
des « marchands de réveil »
à l'inverse des « vendeurs de rêves » pour qui l'on est une
cible.
Pour conclure, je pense qu'un blog est résolument ancré dans ce devenir de la philosophie qu'évoque Deleuze. Un devenir expérimental, sorte de vitrine toujours ouverte sur le « champ des possibles » de bloggeurs dématérialisés que l'on rencontre via leurs écrits, par rapport auxquels on se positionne et qui constitueront bientôt des parties de nos agencements personnels. C'est cette spectaculaire quantité de « flèches lancées » sans connaître leur cible -sans s'arrêter sur cette dernière mais en la traversant- qui fait toute la richesse de ces blogs. Voila ce qui pour moi, me donne envie d'écrire ici. Seulement pour tirer une flèche dans le champ des possibles, pour voir se déployer une intelligence au sens premier du terme : créer du lien. Non pas travailler ensemble sur quelque chose, mais créer entre des « cibles-archers » sphériques, ouvertes dans toutes les directions.
Théo Padovani
Pour conclure, je pense qu'un blog est résolument ancré dans ce devenir de la philosophie qu'évoque Deleuze. Un devenir expérimental, sorte de vitrine toujours ouverte sur le « champ des possibles » de bloggeurs dématérialisés que l'on rencontre via leurs écrits, par rapport auxquels on se positionne et qui constitueront bientôt des parties de nos agencements personnels. C'est cette spectaculaire quantité de « flèches lancées » sans connaître leur cible -sans s'arrêter sur cette dernière mais en la traversant- qui fait toute la richesse de ces blogs. Voila ce qui pour moi, me donne envie d'écrire ici. Seulement pour tirer une flèche dans le champ des possibles, pour voir se déployer une intelligence au sens premier du terme : créer du lien. Non pas travailler ensemble sur quelque chose, mais créer entre des « cibles-archers » sphériques, ouvertes dans toutes les directions.
Théo Padovani
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