La première question du 3e
sujet du baccalauréat portera toujours sur l’idée essentielle et les
articulations ou « les phases » de l’argumentation. Nous avons
déjà vu que si nous avons choisi ce sujet, c’est que nous avons perçu son
unité. Toutes ces phrases vont finalement dans un seul et même sens. Elles
visent toutes à nous convaincre de la pertinence et de la justesse d’une seule
affirmation. Il s’agit maintenant de formuler cette unité. Plus nous pourrons
manifester nos qualités d’attention et de neutralité (faire place nette au
texte sans l’interpréter à partir de nos préjugés), plus nous serons efficaces.
Il ne nous est pas demandé de résumer le passage en question mais au contraire,
d’en rendre toutes les nuances. Ce point est fondamental : il existe en
chacun de nous, une machine à expédier la lecture, à « broyer » du
sens sous le poids de grandes formules plus ou moins éclairantes. Il convient
de ne pas la laisser s’exprimer. Rien
n’est évident dans la lecture appliquée d’un texte philosophique. S’il
subsiste en nous la moindre tendance à « globaliser », à banaliser, à
généraliser, c’est-à-dire à penser : « EN GROS, il dit
que…. », nous allons passer à côté de l’exercice et en subir les
conséquences au niveau de la notation. Nietzsche ne dit rien « EN
GROS ». Il n’est pas question pour nous de nous élever par rapport à lui
pour le réduire à une idée générale, mais, au contraire, de l’éclairer
« par le dessous », comme le dit très bien le verbe
anglais : « To understand » (comprendre : tenir par le
dessous). En français, être subtil vient du latin « sub tela » :
sous la toile. Faire preuve de subtilité, se situer « sous la toile du
texte » qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Par rapport à ce passage en
particulier, cela veut dire d’abord saisir les moments clé, les phrases qui
nous permettent vraiment de comprendre ce que l’auteur veut produire comme effet.
Ici, « la promesse de toujours
aimer quelqu’un signifie donc… » est cruciale parce que nous nous
rendons compte que Nietzsche fait quasiment un travail de
« traduction » mais qui ne consiste pas à exprimer dans une
langue ce qui est dit dans une autre. Il s’agit plutôt d’exposer ce qui agit
« souterrainement » derrière un certain type d’énoncé. Promettre à
quelqu’un que nous lui vouerons éternellement un sentiment est impossible et
pourtant nous le faisons. Il doit donc bien exister quelque chose dans cette
promesse en deçà de son sens manifeste (évident, dit). Il y a du non dit
derrière ce dit. Derrière la promesse d’un sentiment, il y a la promesse d’un
acte, lequel devrait toujours laisser le destinataire de ce message dans
l’incertitude quant à l’authenticité du sentiment.
Nietzsche a dit, dans un
autre livre: « nous ne nous comprenons que par quiproquos »,
c’est-à-dire que c’est précisément quand nous croyons nous comprendre que nous
ne comprenons en réalité pas du tout. Nous pensons nous comprendre au niveau
des sentiments alors qu’en réalité nous ne faisons que sceller un pacte qui
repose sur des actes. Une fois compris que l’on ne peut pas promettre ce qu’on
prétend promettre, reste à savoir ce que l’on promet « vraiment », ce
qui se trame derrière cet acte, à l’insu des deux protagonistes.
Finalement cette réflexion
sur l’amour et la promesse reprend exactement le schéma de ce travail ardu que
nous mettons en œuvre pour conjuguer la sauvagerie, la nature passionnée et
irrationnelle de notre être véritable, authentique avec les impératifs de la
vie sociale au premier rang desquels il faut situer « la sécurité ».
Nous voulons compter sur l’autre personne ou bien nous espérons être pour elle
un appui sincère, durable mais nous savons bien que ces aspirations sont vaines
parce qu’elles se fondent sur un support qui n’a rien de stable. Ce qui nous
touche dans la déclaration « démente » de Phèdre, c’est qu’elle
« avoue » cela, qu’elle rompt le silence, qu’elle exprime exactement
cette vérité que nous nous accordons socialement à dissimuler. Vivre en société
c’est signer une sorte de pacte implicite dans les termes duquel nous nous
engageons à ne jamais nous comporter comme Phèdre, c’est-à-dire comme nous
sommes.
Ici Nietzsche exprime
l’ambiguité des motifs qui agissent souterrainement et déterminent nos actions
pour exposer la véritable teneur de nos serments. Il n’est pas du tout question
pour lui de dénoncer, en soi, l’acte de
promettre comme on l’entend parfois dans la bouche d’électeurs
déçus : « Beaucoup de promesses, peu d’actes » mais plutôt
de définir l’objet véritable de ces engagements. Nous pouvons assurer Autrui
que nous agirons de telle ou telle façon car cela est du domaine de nos actions,
mais aucunement de nos sentiments car nous entrons alors dans la sphère non
contrôlable de nos passions. Nous
retrouvons ici les termes mêmes de la phrase de Spinoza : « les
hommes sont conscients de leurs actes mais ignorants des causes qui les
déterminent. » On ne voit pas comment nous pourrions nous engager
concernant ce qu’il n’est pas en notre puissance de posséder. Promettre un sentiment c’est présumer de
ses forces, voire présumer de notre exposition à des forces qui nous dépassent,
celle de nos passions. (Il y a dans
ces développements des éléments qui nous permettent de formuler l’idée
essentielle du texte)
Mais comment Nietzsche
ordonne-t-il ses arguments pour nous convaincre de la justesse de sa
thèse ? Il pose d’emblée la
distinction entre l’acte volontaire et l’affect involontaire. Cette
différence est illustrée ensuite par l’exemple
de l’amour, de la haine et de la fidélité. La référence à ces sentiments nous
permet alors de saisir le fond de la question qui tient à la perversion du rapport entre la cause à l’effet : dans la
vie sociale, nous ne cessons de présumer de la cause, du motif quand on ne nous
manifeste qu’un effet. Nous induisons d’un bouquet de fleurs l’émotion de celui
ou celle qui nous l’offre, mais à la vérité tout ce que nous avons, c’est un
bouquet de fleurs et pas forcément l’amour
ou l’amitié qui sont censés avoir motivé le geste, lequel peut en
réalité être causé par le désir arriviste de retirer un avantage du fait
d’avoir gagné notre affection. Il y a dans les rapports humains en société une codification du rapport entre les causes
sentimentales et les effets matériels, mais cette codification nous induit en
erreur. Il faut voir ce qu’il y a dessous. D’où
la nécessité d’une « traduction » (« signifie donc »).
Nous passons ainsi au second moment du texte : celui de l’exploration rigoureuse du sens
authentique de la promesse de sentiment. Ce que cela veut dire,
c’est : « je te promets de « sauver l’apparence » de
ce que je prétends pourtant de promettre authentiquement. » Quand on vous
promet ça ( un sentiment) sachez que vous ne pouvez vous fier qu’à ça (des
actes) : on ressort de ce texte avec une compréhension plus affûtée et
peut-être un peu plus triste des engagements sentimentaux. (il y a ici dans ce dernier paragraphe des éléments qui nous permettent
de décrire les articulations du texte).
Questions :
1) Aidez-vous de ces explications pour exprimer avec
précision, ce que Nietzsche veut démontrer dans ce texte.
2) En une dizaine de lignes, décrivez le cheminement
qu’il suit pour y parvenir (Comment débute-t-il le texte ? Pour faire quoi
ensuite ? etc.)
3) Citez deux passages du texte qui vous semblent
déterminants pour comprendre l’intention de l’auteur. Justifiez votre choix.
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