lundi 1 décembre 2014

Explication du texte de Nietzsche (TSTL - STI1 - STMG1) - Répondre à la question 1


La première question du 3e sujet du baccalauréat portera toujours sur l’idée essentielle et les articulations ou « les phases »  de l’argumentation. Nous avons déjà vu que si nous avons choisi ce sujet, c’est que nous avons perçu son unité. Toutes ces phrases vont finalement dans un seul et même sens. Elles visent toutes à nous convaincre de la pertinence et de la justesse d’une seule affirmation. Il s’agit maintenant de formuler cette unité. Plus nous pourrons manifester nos qualités d’attention et de neutralité (faire place nette au texte sans l’interpréter à partir de nos préjugés), plus nous serons efficaces. Il ne nous est pas demandé de résumer le passage en question mais au contraire, d’en rendre toutes les nuances. Ce point est fondamental : il existe en chacun de nous, une machine à expédier la lecture, à « broyer » du sens sous le poids de grandes formules plus ou moins éclairantes. Il convient de ne pas la laisser s’exprimer. Rien n’est évident dans la lecture appliquée d’un texte philosophique. S’il subsiste en nous la moindre tendance à « globaliser », à banaliser, à généraliser, c’est-à-dire à penser : « EN GROS, il dit que…. », nous allons passer à côté de l’exercice et en subir les conséquences au niveau de la notation. Nietzsche ne dit rien « EN GROS ». Il n’est pas question pour nous de nous élever par rapport à lui pour le réduire à une idée générale, mais, au contraire, de l’éclairer « par le dessous », comme le dit très bien le verbe anglais : « To understand » (comprendre : tenir par le dessous). En français, être subtil vient du latin « sub tela » : sous la toile. Faire preuve de subtilité, se situer « sous la toile du texte » qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?

Par rapport à ce passage en particulier, cela veut dire d’abord saisir les moments clé, les phrases qui nous permettent vraiment de comprendre ce que l’auteur veut produire comme effet. Ici, « la promesse de toujours aimer quelqu’un signifie donc… » est cruciale parce que nous nous rendons compte que Nietzsche fait quasiment un travail de « traduction » mais qui ne consiste pas à exprimer dans une langue ce qui est dit dans une autre. Il s’agit plutôt d’exposer ce qui agit « souterrainement » derrière un certain type d’énoncé. Promettre à quelqu’un que nous lui vouerons éternellement un sentiment est impossible et pourtant nous le faisons. Il doit donc bien exister quelque chose dans cette promesse en deçà de son sens manifeste (évident, dit). Il y a du non dit derrière ce dit. Derrière la promesse d’un sentiment, il y a la promesse d’un acte, lequel devrait toujours laisser le destinataire de ce message dans l’incertitude quant à l’authenticité du sentiment.
Nietzsche a dit, dans un autre livre: « nous ne nous comprenons que par quiproquos », c’est-à-dire que c’est précisément quand nous croyons nous comprendre que nous ne comprenons en réalité pas du tout. Nous pensons nous comprendre au niveau des sentiments alors qu’en réalité nous ne faisons que sceller un pacte qui repose sur des actes. Une fois compris que l’on ne peut pas promettre ce qu’on prétend promettre, reste à savoir ce que l’on promet « vraiment », ce qui se trame derrière cet acte, à l’insu des deux protagonistes.

Finalement cette réflexion sur l’amour et la promesse reprend exactement le schéma de ce travail ardu que nous mettons en œuvre pour conjuguer la sauvagerie, la nature passionnée et irrationnelle de notre être véritable, authentique avec les impératifs de la vie sociale au premier rang desquels il faut situer « la sécurité ». Nous voulons compter sur l’autre personne ou bien nous espérons être pour elle un appui sincère, durable mais nous savons bien que ces aspirations sont vaines parce qu’elles se fondent sur un support qui n’a rien de stable. Ce qui nous touche dans la déclaration « démente » de Phèdre, c’est qu’elle « avoue » cela, qu’elle rompt le silence, qu’elle exprime exactement cette vérité que nous nous accordons socialement à dissimuler. Vivre en société c’est signer une sorte de pacte implicite dans les termes duquel nous nous engageons à ne jamais nous comporter comme Phèdre, c’est-à-dire comme nous sommes.

Ici Nietzsche exprime l’ambiguité des motifs qui agissent souterrainement et déterminent nos actions pour exposer la véritable teneur de nos serments. Il n’est pas du tout question pour lui de dénoncer, en soi,  l’acte de promettre comme on l’entend parfois dans la bouche d’électeurs déçus : « Beaucoup de promesses, peu d’actes » mais plutôt de définir l’objet véritable de ces engagements. Nous pouvons assurer Autrui que nous agirons de telle ou telle façon car cela est du domaine de nos actions, mais aucunement de nos sentiments car nous entrons alors dans la sphère non contrôlable de nos passions. Nous retrouvons ici les termes mêmes de la phrase de Spinoza : « les hommes sont conscients de leurs actes mais ignorants des causes qui les déterminent. » On ne voit pas comment nous pourrions nous engager concernant ce qu’il n’est pas en notre puissance de posséder. Promettre un sentiment c’est présumer de ses forces, voire présumer de notre exposition à des forces qui nous dépassent, celle de nos passions. (Il y a dans ces développements des éléments qui nous permettent de formuler l’idée essentielle du texte)

Mais comment Nietzsche ordonne-t-il ses arguments pour nous convaincre de la justesse de sa thèse ? Il pose d’emblée la distinction entre l’acte volontaire et l’affect involontaire. Cette différence est illustrée ensuite par l’exemple de l’amour, de la haine et de la fidélité. La référence à ces sentiments nous permet alors de saisir le fond de la question qui tient à la perversion du rapport entre la cause à l’effet : dans la vie sociale, nous ne cessons de présumer de la cause, du motif quand on ne nous manifeste qu’un effet. Nous induisons d’un bouquet de fleurs l’émotion de celui ou celle qui nous l’offre, mais à la vérité tout ce que nous avons, c’est un bouquet de fleurs et pas forcément l’amour  ou l’amitié qui sont censés avoir motivé le geste, lequel peut en réalité être causé par le désir arriviste de retirer un avantage du fait d’avoir gagné notre affection. Il y a dans les rapports humains en société une codification du rapport entre les causes sentimentales et les effets matériels, mais cette codification nous induit en erreur. Il faut voir ce qu’il y a dessous. D’où la nécessité d’une « traduction » (« signifie donc »). Nous passons ainsi au second moment du texte : celui de l’exploration rigoureuse du sens authentique de la promesse de sentiment. Ce que cela veut dire, c’est : « je te promets de « sauver l’apparence » de ce que je prétends pourtant de promettre authentiquement. » Quand on vous promet ça ( un sentiment) sachez que vous ne pouvez vous fier qu’à ça (des actes) : on ressort de ce texte avec une compréhension plus affûtée et peut-être un peu plus triste des engagements sentimentaux. (il y a ici dans ce dernier paragraphe des éléments qui nous permettent de décrire les articulations du texte).

Questions :


1)    Aidez-vous de ces explications pour exprimer avec précision, ce que Nietzsche veut démontrer dans ce texte.
2)    En une dizaine de lignes, décrivez le cheminement qu’il suit pour y parvenir (Comment débute-t-il le texte ? Pour faire quoi ensuite ? etc.)
3)    Citez deux passages du texte qui vous semblent déterminants pour comprendre l’intention de l’auteur. Justifiez votre choix. 


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