Bonjour à toutes et à tous
Quelques mots avant d’en finir avec Nietzsche (snif!)
Nous venons de vivre une période très particulière nous imposant des conditions de vie et d’enseignement qui n’avaient jusque là jamais été pratiquées. C’est le genre d’expériences dont il faut simplement et humblement se réjouir de les avoir traversées. Aussi difficile soient-elles à subir pour nous-même ou pour nos proches, ces cinq semaines sont maintenant passées et chacune, chacun de nous, a fait ce qu’elle ou ce qu’il a pu avec la situation qui était la sienne, au moment présent. Tout le monde sait ça! Si certaines ou certains de nous sont aigris, déçus ou inquiets, il importe vraiment d’avoir ces évidences bien présentes à l’esprit, parce que les modalités de passage et d’évaluation du Baccalauréat sont totalement changées. Il est vraiment compréhensible que cela angoisse telle ou tel d’entre vous, mais il faut aussi que vous réalisiez que celles et ceux qui vont décider de l’obtention de l’examen, des mentions, des avis etc, ont bien conscience du cadre exceptionnel de la situation et décideront à partir des critères nouveaux imposés par cette situation inédite. Le souci de tous les enseignantes et de tous les enseignants est de faire en sorte que votre livret scolaire corresponde exactement à ce qu’ils ont perçu de vos compétences ET de votre implication. Ce critère n’est pas à négliger et les commissions tiendront compte également des appréciations, pas seulement des notes. Dans les quinze jours de vacances qui vous attendent, il est vraiment impératif de vous reposer et d’appliquer ce principe Stoïcien à ce qui nous attend après les vacances de Pâques (même si Nietzsche ici se moque des Stoïciens.......Sacré Friedrich!!):
- Bien distinguer les choses qui dépendent de vous et celles qui n’en dépendent pas. Engagez vous totalement dans ce qui dépend de vous et ne vous angoissez pas pour ce qu’il n’est pas en votre pouvoir d’influencer (surtout par rapport à des évènements qui échappent finalement au contrôle de tout le monde). Je contacterai individuellement celles et ceux d’entre vous dont l’obtention de l’examen est litigieuse ou qui, pour l’instant auraient à passer le second groupe d’épreuve (oral du baccalauréat).
Revenons à Friedrich, notre super-héros! Nous en sommes au tout dernier paragraphe. C’est cool!
Il y a des époques où l’homme raisonnable et l’homme intuitif vont de pair (§14)- Nietzsche n’a jamais souhaité publier cet écrit. Nous ne pouvons donc pas savoir s’il était prévu qu’il se termine de cette façon, mais c’est bien par l’opposition quasiment terme à terme de deux figures que se clôture cette oeuvre, comme si la question de savoir d’où vient cet instinct de vérité trouvait une forme de réponse dans la contradiction entre l’attitude Tragique et l’attitude Stoïcienne. Mais aussi opposée soit-elle, et elles le sont intégralement dans ce dernier §, c’est bel et bien cet instinct de la métaphorisation qui se trouve à l’origine de l’une et de l’autre. Mais pour autant l’une a plus de valeur que l’autre, et nous nous trouvons déjà ici en face de ce que Nietzsche appellera plus tard la transvaluation, à savoir la mise en place d’une nouvelle hiérarchisation des valeurs. C’est tout ce qui fait de l’auteur le contraire d’un Nihiliste, contrairement à la fausse réputation qui lui est parfois attachée, car il n’est pas question de détruire gratuitement mais bien de créer des valeurs autres là où les anciennes sont érodées par l’usage, comme des métaphores filées jusqu’à la corde.
Le Tragique Le Stoïcien
Intuitif Raisonnable
Mépris des concepts. Peur de l’inconnu
Irrationnel Mépris de l’art
Domination de l’art sur la vie Domination de la prévoyance
Amour du travestissement Maitrise de soi par le concept
Ivresse, Créativité Abnégation
Intensification des affects Impassibilité du sage
Transe, Théâtre Ataraxie
Qu’est-ce qui se joue de cet instinct de vérité dans ce duel de figures dont on voit très clairement vers lequel des deux personnages s’oriente la préférence de l’auteur? Une attitude, un style de vie, que l’on peut définir de la façon suivante en reprenant la formule de Nietzsche lui-même: « en n’admettant comme réelle que la vie travestie en apparence et en beauté ». La référence à la maison, au vêtement et à la cruche d’argile des grecs de l’antiquité constitue en fait une forme d’argumentation défendant l’existence de ce style de vie de l’homme des métaphores intuitives. Si cette figure n’avait pas existé, nous n’aurions pas trouvé des vestiges de cette gratuité du travestissement de la vie dans l’art. Or l’architecture, les vêtements, les objets artisanaux manifestent sans aucune contestation possible un souci purement esthétique, un culte des apparences. Si le Stoïcien avait triomphé, nous n’aurions découvert que des reliefs de la vie nécessaire hantée par le seul spectre de sa propre conservation, car cette abnégation du stoïcien cache en fait, comme toute adoration de la raison, une terreur panique devant l’inconnu et la multiplicité « baroque » (évidement ce terme n’est pas à prendre en tant que courant artistique puisque il apparaîtra bien plus tard en Europe) des forces de la vie.
Bien au contraire, tout ce que nous connaissons de la culture grecque de l’antiquité d’avant Socrate et Platon, nous emplit du sentiment d’une plénitude, d’une « vraie santé », d’une joie créatrice dans tous les domaines de l’Art. Rien ne se « retient », la vie créatrice se libère, s’accomplit dans la jouissance et la douleur, peu importe pourvu que la sensation ne se retourne pas contre elle-même, ne se reproche pas d’exister, ne se culpabilise pas d’être et de devenir images, au pluriel.
Ce que Nietzsche semble avoir en ligne de mire, c’est aussi l’idéal de l’ataraxie que l’on retrouve tout aussi bien, même s’il l’est sous des formes différentes, dans le stoïcisme et l’épicurisme. L’absence de trouble est un leurre, un signe de nihilisme: comment pourrions-nous tuer en nous le désir? Nietzsche n’hésite pas à la fin de sa vie à se définir lui-même comme l’anti-thèse absolue de Schopenhauer qui l’a pourtant beaucoup influencé mais ce point est central dans leur opposition car le vouloir-vivre est une puissance destructrice pair Schopenhauer. Alors que le surhomme Nietzschéen n’a pas d’autre objectif que de célébrer et de consentir à la volonté de puissance. Comment pourrait-il être question de s’interdire de désirer pour être heureux quand le désir est en nous cette force prolifique et féconde au gré de laquelle nous pouvons devenir ce que nous sommes? Schopenhauer ne désavoue pas cette ascèse du Stoïcien et il s’y retrouve à bien des titres, puisque le bouddhisme et l’Hindouisme, ces deux sources d’inspiration préconisent également la cessation de la douleur pour sortir de cette souffrance qu’est la vie. Nietzsche est un opposant farouche à ce nihilisme. Et cela se vérifiera par la suite dans la mesure où l’éternel retour est une intuition totalement opposée au « Nirvana » Bouddhiste dans la mesure où autant le second décrit la rupture définitive du cycle des réincarnations de la vie, autant le second dessine l’infinité d’un consentement suffisamment amoureux de la vie pour ne jamais se résigner à en sortir.
Le stoïcien « prend la pose » (nous pourrions presque dire qu’il pose pour la statue de la postérité du sage) là où le tragique vit à plein la grâce de chaque instant donné dans le travestissement, dans la création, dans la démesure joyeuse de la célébration. L’oubli est, pour Nietzsche une force positive qui nous permet non seulement de renouveler incessamment nos perceptions de la vie mais aussi de créer sans cesse de nouvelles métaphores à partir des sensations. Le Stoïcien au contraire, se calfeutre suffisamment dans son manteau ou dans « sa citadelle intérieure » contre les coups du sort qu’il se le tient pour « dit » et ne vit rien, toujours raisonnable, si capable d’anticiper les malheurs qu’ils se privent par ce même mouvement de la sensibilité d’accueillir les bonheurs et les jouissances de l’existence.
Conclusion
Cet ouvrage est divisé par l’auteur en deux parties, et nous venons de réaliser à quel point la seconde, plus courte est marquée par une dualité, par une confrontation constante entre la science et l’art, entre le rêve et la réalité, entre le Tragique et le Stoïcien. Nous pouvons être surpris du fait qu’une oeuvre dont le propos avéré, revendiqué est de trouver l’origine de cet instinct de vérité dont l’intellect humain, par ailleurs si ridicule et dérisoire aussi bien à l’échelle de l’univers que dans sa considération de l’univers se finisse par une simple opposition de caractères humains, de « figures ».
Au boulot maintenant! |
Vérité et mensonge au sens extra-moral? J'ai "a-do-ré"... |
Nietzsche ne croit pas à l’austérité trop ostentatoire du Stoïcien. Celui-ci joue mal parce qu’il ne se rend pas compte qu’il joue, parce qu’il ne perçoit pas la vérité qui se fait jour dans la façon d’être des Tragiques, des dionysiens, à savoir qu’il n’y a pas lieu de jouer des attitudes qui, en elles-mêmes, sont toujours déjà des « jeux », des masques, des postures. S’imposer à soi-même de porter le masque moral sur un visage qui est déjà en lui-même le masque ou plutôt les masques de la vie métaphorisante devient « lourd », voire ridicule. A l’aune de cette vérité là, l’acteur joue mieux le roi que le roi lui-même parce qu’il l’est « plus », plus intensément, plus modestement, plus esthétiquement (esthesis en grec signifie sensation).
Plus profondément encore, l’attitude Stoïcienne est empreinte de cette adoration que des philosophes comme Epictète, Marc-Aurèle portaient au Tout, à cette nature « Une » dont la considération fondait leur panthéisme (Tout est Dieu). Or, plus que toute autre attitude, c’est bien cette soumission de la supposée créature à une totalité qui l’écrase, Dieu, Nature ou Loi qui fait obstruction à notre surhumanité, à notre accession au stade de l’enfant. Etre irrespectueux par nature, naïveté ou manque de temps (trop occupés que nous devrions êtres à jouer, à créer, à devenir): c’est bien là la seule attitude qu’il convient d’opposer à la fausse impassibilité du Stoïcien:
« Il me semble important qu’on se débarrasse du Tout, de l’Unité, de je ne sais quelle force, de je ne sais quel absolu; on ne pourrait manquer de le prendre comme instance suprême, et de le baptiser « Dieu ». Il faut émietter l’Univers, perdre le respect du tout; reprendre comme proche et comme nôtre ce que nous avions donné à l’inconnu et au Tout. » (La volonté de puissance II)
Merci à toutes celles et tous ceux d’entre vous qui n’ont pas cessé de me donner des nouvelles et de s’impliquer dans les cours en me posant des questions et en demandant des éclaircissements sur différents passages. Sans cette présence et cette assiduité, il m’aurait été impossible d’assurer la continuité des séances sur ce blog et sur pronote. MERCI A VOUS!
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