Bonjour à toutes et à tous, j'espère que vous êtes en forme.....
Parce que...aujourd'hui.....This is a very special one...Si Si! |
Ce cours en temps réel prendrait, beaucoup plus de temps que les deux heures censées se dérouler aujourd'hui. Votre professeur ne serait-il pas un peu fatigué?
Euh.....hé!hé! |
Vous trouverez dans ce qui suit la suite de l'explication de l’œuvre de Nietzsche dans sa totalité (ce qui explique la longueur de l'article). Plutôt que de partir dans une longue argumentation de la nécessité de lire cet article jusqu'au bout, je vais me contenter de dresser le portrait des élèves qui le doivent absolument sachant que vous ne vous reconnaîtrez pas toutes et tous dans cette description et si c'est le cas, et bien soyons clair: ne vous sentez pas obligé(e)s de lire l'intégralité de ce qui suit. Mais dans le cas contraire:
Au travail! |
Il est important de lire cette explication si:
- Vous envisagez des classes prépas l'année prochaine
- Votre moyenne générale est entre 8 et 10 et que vous envisagez de présenter cette matière pour l'épreuve orale du baccalauréat 2020
- Vous avez envie de connaître la suite de "Nietzsche et Tchoupi font du ballon!"
- Vous n'avez rien de mieux à faire
(Avec cette œuvre, ce sont les notions de langage, de Science, de Raison / Réel, d'Interprétation, d'Histoire, de Nature / Culture, de Désir qui sont pour le moins abordées voire traitées)
Vous êtes prêtes? Vous êtes prêts? Allons-y!
Repensons particulièrement au problème de la formation…..indémontrable que son contraire (§6)
Quiconque entre dans la philosophie de Platon est immédiatement marqué par le rapport qu’elle implique et impose aux Idées. La vérité de nos sensations se situe au-delà d’elles, dans l’effort que nous faisons pour progresser, pallier par pallier, vers l’idée pure Une, idéale. Aussi paradoxal que cela puisse rien sembler, aucune philosophie ne suit plus immédiatement et logiquement les conséquences de ce qu’est le langage, soit l’assimilation du concept au mot. Finalement Platon inconsciemment n’a fait que suivre le postulat inhérent à toute langue, soit le recoupement arbitraire d’une multitude de cas différents réunis derrière un seul terme. Les concepts sont une suite logique et inhérente à l’usage même de la langue. Le rapport vertical à l’expérience vécue n’est pas du tout le souci du concept mais c’est plutôt son aptitude à valoir pour une multitude de situations ou de sensations différentes mais unifiantes sous un certain angle qui prévaut.
Conceptualiser revient à généraliser, à « prendre de la hauteur », à voir comment des phénomènes incompréhensibles si l’on demeure les yeux collés à leur stricte émergence peuvent s’expliquer, se recouper ou s’exclure dés lors qu’on les symbolise, qu’on les marque du sceau d’un même terme en vertu d’une ressemblance et que l’on fait valoir entre eux des opérations syntaxique, mathématiques, scientifique. Conceptualiser permet de rationaliser, ce qui nous permet de voir les lois à l’oeuvre dans l’univers. Mais pour cela il faut convenir que telle forme végétale se rapproche suffisamment de telle autre pour pouvoir être désignée du même nom: « feuille ». Si l’on commence à arguer que cette feuille n’a pas les mêmes nervures, alors pas de « feuilles », pas « d’arbres », pas de « floraison » ou de « croissance » et rien de ce qui fait croître les arbres et tomber les feuilles ne deviendra jamais compréhensible aux yeux des hommes.
Nietzsche ne serait pas en désaccord avec cette argumentation, mais il prendrait soin néanmoins de nous rappeler que cette « compréhension », ou du moins que cette représentation repose fondamentalement sur cette assimilation de feuilles non-identiques derrière le terme identique de « feuille », et qu’il y a donc aussi précise que soit la représentation scientifique de la croissance des feuilles, un décalage par le biais duquel cette représentation est une métaphore de ce qu’elle décrit et qu’elle nous en apprend qu’une métaphore nous éclaire sur la réalité qu’elle métaphorise. Tout concept est donc un ratage, une approximation qui d’emblée décrit le niveau de comparaison auquel il faut nous situer pour saisir ce qu’il nous fait réaliser d’un phénomène. C’est par analogie que nous saisissons par exemple le rapport entre le dessin sur la plaque de Chladni et l’archet d’une part et le rapport entre le champ sonore et le son de l’archet d’autre part. Ce rapprochement est très éclairant, ne serait-ce que parce qu’il me fait saisir la notion d’ « onde », mais ce n’est pas pour autant que le sourd « verra » du son. De la même façon, les rapports entre le sens du mot feuille et le sens du mot arbre que je pourrai établir dans la langue me feront bien comprendre quelque chose du rapport entre la feuille réelle et l’arbre réel, mais ce n’est pas pour autant que ces mots me permettront de saisir la vérité de ce phénomène végétal là, de son émergence pure dans le monde, et surtout parce que dés l’abord, en la nommant, je l’ai perdu, je m’en suis désintéressé. « En vérité je vous le dis, voilà la feuille »: telle est la pétition de principe auto-proclamée de tout concept, de toute métaphorisation conceptuelle de nos expériences. Nous ne pouvons rien rationaliser de la nature si ce n’est en la conceptualisant mais en même temps la conceptualiser, c’est renoncer d’emblée à la saisir dans ce qui fait sa réalité, à savoir sa multiplicité. Ce qu’il y a dans la nature c’est du divers, du différent, pire encore: du différent qui ne cesse de différer, de se transformer, de muter, et tout ce que nous pouvons en saisir, c’est ce le fruit de cette étrange « pêche » au cours de laquelle nous ne retirons d’elle que ce qui se prend au piège de ces filets à grosses mailles que sont nos concepts.
Mais ici encore notre vanité est telle que nous nourrissons la prétention de savoir mieux que la nature ce en quoi elle doit consister. De là naissent ces courants philosophiques disqualifiant la multiplicité du sensible, la diversité des sensations, la confusion de la nature. Nous irions presque jusqu’à nous étonner que la nature comme la mauvaise ouvrière d’une chaîne de montage s’obstine à faire des feuilles distinctes, difformes au lieu de se plier sagement à l’uniformité triomphante du modèle conceptuel. Cette image est loin d’être sans résonance car la technologie de masse et les industries de consommation illustrent exactement et dramatiquement la substitution d’une modalité de production uniforme et répétitive à un flux naturel toujours créateur de nouveautés et d’originalités.
Evoquer « l’honnêteté » juste après avoir utilisé l’exemple de « la feuille » est très habile: si le concept de feuille crée cette représentation de « LA » feuille archétypale gommant toutes les distinctions réelles entre ces formations végétales, a fortiori l’usage de termes désignant des qualités morales peut-il nous sembler très hasardeux. Dans la multitude d’actions, de mentalités, de comportements, de caractères humains différents, nous pointons « UNE » attitude ou un « pli comportemental » que nous baptisons « honnêteté » et grâce auquel nous insinuons dans cette multitude d’affects et d’actions distinctes une sorte de « coupe transversale » délimitant la corporation des gens honnêtes. Le concept est toujours déjà dans le mot, ce qui signifie que l’on ne peut utiliser les mots notamment dans le jugement des hommes sans nécessairement instaurer des pôles, ou des normes qui créent des zones de recoupement au sein desquelles les dissemblances sont abolies au profit d’une logique de ressemblance, de troupeau. Comme pour la feuille, la visée poursuivie est de faire oublier l’existence de l’individualité. On crée le semblant d’une corporation de gens honnêtes par ressemblance conceptuelles pour abolir nos dissemblances réelles.
« L’omission de l’élément individuel et réel nous fournit le concept, comme elle nous donne aussi la forme. » Par forme, il faut entendre ici ce qui s’oppose à la matière. En grec Forme se dit « eidos » et désigne finalement l’essence des choses, ce qui fait qu’elles sont ce qu’elles sont. Mais c’est précisément aussi à partir de cette adhésion à la forme que se gomment toutes les distinctions. La distinction entre la forme et la matière recoupe exactement celle de l’essence à l’existence. Si je pose la question de l’essence de Paul, c’est la notion d’homme qui immédiatement nous vient à l’esprit, autrement dit ce par quoi Paul ne se distingue aucunement de Pierre ou Jacques. Poser la question de savoir ce qu’est un être ou une chose, un élément, c’est déjà prendre le parti de l’identification formelle de ce qui, existentiellement n’est pas identique.
Dans la nature, il n’y a rien que réalités disparates et existence confondue, dynamique, fluide, mutante. Il y a de l’X, autant dire de l’inconnaissable, l’inconnue de l’équation humaine. Ce paragraphe dans son intégralité est une remise en cause de Platon pour qui le sensible n’est qu’une pâle copie de l’intelligible dans lequel séjourne les idées pures, abstraites. La philosophie de Nietzsche est une philosophie de l’immanence, un rejet sans condition de toute transcendance. Que sont finalement ces théories posant la prévalence des Idées (Platon), ou de l’idée d’infini (Descartes) ou de l’universel (Kant)? Des pseudo conceptions qui en réalité ne se rendent pas compte qu’elles déplient vainement et surtout tautologiquement les présupposés du langage. On pourrait ici citer l’expérience de l’esprit de Descartes qui à l’occasion du changement d’apparences qu’une flamme fait subir à un bloc de cire (du bloc à une flaque) déduit la nécessité de poser une cire identique là où nos sens font l’expérience de deux réalités distinctes. C’est pour le philosophe français la preuve que notre entendement perçoit la cire UNE là orle sens échouent, puisque faut bien que cette cire soit « UNE ». Mais la perspective nietzschéenne est ici très éclairante: où est cette unité de la cire? Dans le concept et celui-ci n’est nulle part ailleurs que dans le mot. Nous annulons les métamorphoses réelles et existentielles de ce qui s’effectue devant nos sens parce que nous partons de cet arbitraire du concept de cire.
Quelque chose de crucial est ici en train de se jouer qui préfigure la référence à la science, laquelle ne va pas tarder dans l’oeuvre. Nous faudrait-il suivre Nietzsche et soutenir que la vapeur, un bloc de glace et de l’eau liquide sont des réalités dissemblables? Toutes sont pourtant des états différents d’une seule et même molécule: H2O. La démarche conceptuelle ici ne se trompe pas et nous permet bien de saisir la réalité d’une seule et même substance soumise à des températures et des opérations différentes. Faut-il ici encore concevoir que la « vérité » conceptuelle est trompeuse, alors même qu’elle nous permet de poser l’existence de l’eau au-delà de ses apparences multiples?
Nietzsche répondrait ici sans aucun doute que nous sommes aussi bien ici que pour l’exemple de la feuille ou de l’honnêteté confrontés à un processus de métaphorisation du réel. Que la symbolisation de l’eau par la molécule H2O et la mise en rapport mathématique, physique (au sens de la science physique) de cette molécule avec d’autres nous permettent de poser des propriétés, de transformer, voire de réaliser des caractéristiques et des opérations de cette eau réelle ne saurait remettre en cause le fait qu’il s’agit bel et bien d’une métaphorisation. Le scientifique ne détient pas davantage la vérité de cette eau en la baptisant H2O, que Holderlin ne détient la vérité du Rhin en composant un poème en son honneur.
La fin du § est d’ailleurs particulièrement éclairante sur ce point: l’opposition entre individu et genre est effective dans l’esprit humain qui cible la nature, pas dans la nature, mais ce n’est pas pour autant qu’elle ne rendrait pas compte de quelque chose de naturel. Toute métaphore fonctionne par analogie et il y a bien quelque chose de la faucille d’or dans le champ des étoiles qui nous dit une réalité de la lune, soit sa forme quand elle comment de se dégager de l’ombre de la terre par rapport au soleil. Le problème n’est pas la métaphore en soi, mais la croyance que la métaphore dit le vrai et que H2O nous dise la vérité de l’eau.
Quelque chose de profondément Nietzschéen s’exprime ici: nous sommes tous plus ou moins convaincus que la science est plus vraie que l’art ou que la mythologie, mais dés lors que le langage et la science nous apparaissent sous leur véritable jour de métaphorisations de la réalité, alors la science et l’art ne se distinguent plus d’une façon aussi radicale qu’auparavant puisque dans les deux cas nous avons affaire à des métaphorisations de la nature, mais l’une est plus assumée que l’autre (l’art se donne à interpréter alors que la science se présente comme explication) . Si nous déplaçons le curseur de la vérité en considérant que celle-ci ne consiste pas dans l’universalité du concept mais dans le dévoilement du réel, et plus encore dans « le dévoilement du voile de la nature », alors le poème d’Holderlin n’est pas moins vrai que l’analyse scientifique de la molécule H2O.
« Qu’est-ce donc que la vérité?….la grand-mère de tout concept (§7): Nous voici à un moment crucial de l’ouvrage, celui dans lequel Nietzsche redéfinit la vérité à partir de tout ce qu’il vient de mettre à jour, notamment dans son rapport au langage et également celui qui va permettre à Nietzsche de revenir à la formulation précise du problème qu’il veut traiter: l’instinct de vérité.
Revenons à des définitions strictes: la métaphore, comme nous l’avons vu, désigne cette figure de langage qui consiste dans une modification de sens par substitution analogique. Le sens du mot faucille n’a rien à faire « dans le champ des étoiles », mais la forme de la lune justifie l’assimilation en tant qu’image, puisque visuellement la lune ressemble à une faucille. La métaphore suppose que nous acceptions de passer d’un domaine à un autre avec lequel il n’entretient habituellement aucun rapport, mais il existe une analogie au niveau de l’image. Il n’y a pas de loup à la cour de Louis XIV mais La Fontaine suggère que les nobles sont comme des loups qui se donnent l’apparence de leur bon droit.
Une métonymie se définit en tant que figure par laquelle on désigne un objet ou une idée par un autre terme que celui qui lui conviendrait littéralement. Un écrivain n’est pas une plume mais on dira de lui qu’il est une bonne plume par métonymie (la plume étant l’instrument qu’il utilise pour écrire). Personne ne boit de verre mais son contenu. Dans toute métonymie, on compte sur la compréhension figurée d’un énoncé qui littéralement serait absurde. Je ne vais pas manger la région du Cantal, mais un fromage qui vient du cantal.
Ce qui est important dans ces figures rhétoriques, c’est que nous les comprenions immédiatement alors même qu’elles ne sont pas littéralement compréhensibles. Echanger des propos dans une langue suppose donc que nous « misions » inconsciemment et sans jamais « perdre » sur une entente se situant au niveau du sens figuré des images et des recoupements suscités par l’expression utilisée. Toute compréhension d’une métaphore ou d’une métonymie m’intronise comme membre à part entière d’une communauté linguistique. C’est comme s’il y avait un mot de passe secret dans tel énoncé et qu’en le relevant inconsciemment j’ai gagné le droit de me joindre aux autres.
La fonction de ces figures est donc de fédérer des communautés autour de leur usage et aucunement de dire la vérité extérieure quant à ce qu’elles affirment. Si je dis que la pierre est dure, je ne dis pas la vérité de la pierre, je valide des assimilations métonymiques et métaphoriques, à savoir que le mot « pierre » vaut pour tous les échantillons minéraux et que « dure » regroupe toutes les excitations nerveuses de fermeté au toucher, que tous les prédicats peuvent être assignés à des sujets, à des substances par le biais de la copule « Etre ». « Dire la vérité », c’est finalement valider l’accord de tous autour d’une formulation qui fera consensus. Toute vérité de ce type est auto-proclamée. Si je dis que "la pierre est plus dure que la boue », je ne dis pas quelque chose d’insensé, ni d’inintéressant, mais ce sera toujours sur le fond d’assimilations métaphoriques (analogie) et métonymiques (contiguïté) que je l’aurai émise.
Toute « vérité » énonce ce qui peut être dit d’une situation mais en aucune façon la vérité de ce qui, d’elle, est à vivre, de telle sorte que l’homme ne fait que vérifier des implications logiques entre des opérateurs de langage sans jamais en apprendre vraiment sur la vérité de ce qu’il vit dans son rapport au monde. Le langage situe ce que nous vivons sur un autre rapport en faisant valoir une relation de simple analogie entre ce qui est vécu et ce qui en est dit. C’est en ce sens qu’il y a illusion, parce que de la vie au discours, nous passons nécessairement du littéral au figuré et nous « comprenons », mais par « analogie » et aucunement par intuition directe de la situation. L’efficacité même de la compréhension repose sur ce décalage de dimension qu’opère la métaphore. C’est justement parce que le puissant n’est pas le loup que j’ai l’impression de comprendre ce qu’est le puissant par analogie avec le loup, et ce n’est pas totalement faux, bien sur…sauf que le puissant n’est pas un loup. Je dis que qu’il est vrai que les puissants sont des loups, au figuré, alors même que c’est littéralement « faux ». Nous pourrons exactement formuler le même raisonnement avec la molécule H2O: c’est justement parce que l’eau réelle n’est pas une formule que la formule m’en apprend un peu sur la réalité, mais nous nous laissons à oublier que la formule est la métaphore de l’eau réelle, exactement comme une pièce de monnaie dont nous oublierions qu’elle n’est qu’une monnaie d’échange et que nous assimilerions à du pur métal.
Mais la métaphore n’est pas seulement illusion, elle devient mensonge quand nous l’assimilons à ce dont elle n’est qu’une image, quand nous oublions le décalage dans lequel elle consiste, dans lequel elle installe toute activité humaine. Quoique l’homme puisse dire de la réalité, il ne le dira que « métaphoriquement », parce que le langage a pris une importance fondamentale dans son développement. C’est donc justement quand il croit dire la vérité qu’il dit autre chose, qu’il pratique autre chose que la vérité. L’oubli de la dimension métaphorique de son rapport au réel transforme sa vérité en mensonge et c’est inconsciemment qu’il ment et c’est aussi inconsciemment qu’il croit dire la vérité. La vérité, ou plutôt la croyance que l’on est dans le vrai, c’est l’inconscience de la métaphore. Le langage et son lot de conventions arbitraires entraînent inconsciemment l’homme dans un criblage conceptuel du réel qui lui impose de percevoir des identités là où ne s’effectuent que des dissemblances. Plus il travaillera au nom de la vérité de ces fautes assimilations, plus il s’enferrera dans le mensonge de l’arbitraire humain de ces classifications. Mais alors d’où vient le sentiment d’être dans le vrai ? De l’unanimité de la communauté, du troupeau, et seulement d’elle.
Jusque là il n’y a pas d’instinct de vérité, parce que derrière ce terme se cache simplement ce devoir de ne pas s’écarter du troupeau. Il y a quelque chose qui tient du pléonasme dans la morale Kantienne quand elle impose de toujours dire la vérité par devoir. Il s’agit en réalité de faire son devoir par devoir, d’adhérer aveuglément et universellement à des concepts susceptibles de faire société, de ne jamais suivre la vérité de sa nature, pas plus que celle de la nature.
Le paragraphe qui suit va introduire deux éléments fondamentaux dans la réflexion:
- La référence explicite à la science
- La mention des métaphores intuitives qui implique leur opposition aux métaphores conceptuelles
L’acte de dénomination va petit-à-petit se charger d’une dimension morale, comme si le commandement de son adhésion avait à compenser le décalage métaphorique de son étiquetage. Il va devenir « respectable » de souscrire à la symbolisation des sensations par des noms. Imaginons une personne qui aurait lu ce commentaire de Gilles Deleuze sur l’intuition du Présent chez les Stoïciens: « Pour les Stoïciens, l’arbre n’est pas vert, il verdoie » (autrement dit, il y a toujours un biais par lequel le présent ne cadre jamais pleinement aux dénominations, l’arbre n’est pas simplement vert, il est dans cette mouvance, dans ce devenir chromatique) et qui donc émettrait une réserve sur la stricte application d’un qualificatif sur la couleur de l’arbre, il se verrait lui-même stigmatisé en tant que menteur. Puis va se mettre en place une succession anthropocentrique de réactions en chaîne au terme de laquelle de la dénomination à la morale puis de la morale à la connaissance, l’humanité suit un processus de dévitalisation consternant comme si plus nous nous éloignions de la sensation, plus nous progresserions vers la vérité.
Il faut « appeler les choses par leur noms », par quoi je gagne une respectabilité parmi mes prochains, ce qui va également me donner le statut d’être raisonnable, lequel est seul à même de se différencier des animaux en progressant de pallier de généralisation en pallier de généralisation jusqu’à l’abstraction pure du concept. Nous passons par métaphore de la sensation à l’image et de l’image au concept. « Il ne souffre plus de se laisser emporter par des impressions soudaines » signifie ici: « il ne supporte plus ». L’homme passe ainsi du réel au concept, du monde naturel au monde humain, de la métaphore intuitive, particulière, à la métaphore généralisante en croyant agrandir son univers quand, en réalité, il le restreint dramatiquement. Nietzsche ici ne fait ni plus ni moins qu’exposer les ravages de l’intelligence symbolique, ce qu’elle induit d’éloignement par rapport à la vivacité des premières métaphores intuitives (on peut penser ici à l’art et à la mythologie).
Les métaphores conceptuelles sont des métaphores trop filées qui précisément perdent quelque chose de leur vivacité dans la longévité et la postérité de « ce filage ». Les métaphores poétiques ou mythologiques gardent, au contraire, de ce tremblement provoqué par la rencontre du monde, l’impact physique et sensible avec la violence des éléments. C’est l’importance du schéma qui, selon Nietzsche joue ici un rôle décisif. A parti du moment où l’on passe de la première métaphorisation à la seconde, on entre dans la métaphore conceptuelle, celle-là même qui ne se sait pas métaphore ou qui l’oublie, qui donc se solidifie en se prenant pour une connaissance alors qu’elle n’est qu’une interprétation. Schématiser c’est franchir un seuil de symbolisation supplémentaire, c’est formaliser jusqu’à finalement ne plus entretenir le moindre rapport avec la réalité physique du monde, et c’est bien ce que font les mathématiques.
Nietzsche utilise alors l’image du colombarium. De quoi s’agit-il? D’un bâtiment funéraire composé de cases dans lesquelles on entrepose les urnes mortuaires où sont renfermées les cendres des défunts. Tout fait sens ici évidemment:
La fonction nominale qui donne à chaque défunt sa case
La superficialité de ces cases lisses et distinctes par le biais desquelles la science prétend rendre compte de la profusion confuse et dynamique de la nature (pensons à la table des éléments de Mendeleiev)
La connotation mortifère du bâtiment en question qui rend compte de tout ce que le concept anesthésie, édulcorée et finalement tue de ce qu’il recoupe (comprend-t-on vraiment le vivant par la direction?)
Imposer une hiérarchie aux espèces de la même façon que les familles riches disposent de cases plus importantes, plus fleuries, etc.
Il convient ici de ne pas oublier l’impact suscité chez Nietzsche par la lecture de Schopenhauer, surtout à l’époque où il écrit cette oeuvre (1873). Pour Schopenhauer, un vouloir-vivre cyclique, d’une force inouïe et chaotique anime à tout moment l’univers, lequel n’est finalement que le théâtre de ce déchaînement de puissances. On mesure bien ce que ce colombarium peut représenter de tentative illusoire par l’homme visant à se dissimuler à lui-même la violence de ce déferlement dans lequel il est pris, malmené, ballotté sans cesse d’une passion à une autre. Nous nous rassurons dans l’édification doublement métaphorique et froide de ce colombarium valant prétendument pour la nature afin de ne pas reconnaître l’efficience du vouloir vivre, et plus tard de la volonté de puissance (notion cette fois-ci pleinement nietzschéenne).
La référence finale au dé octogonal et osseux du concept n’a pas seulement pour but d’alourdir le rapprochement morbide avec l’ossuaire? Nietzsche y glisse déjà une nuance généalogique décisive. Avec ce colombarium nous atteignons le paroxysme de la métaphorisation, celle-là même qui se perd dans l’inconscience de ce qu’elle est. Mais, en réalité, elle est bel et bien la fille ou la petite fille des premières métaphores, celle de la tragédie, de l’art, de la mythologie. Le logos est fils de Mythos et si nous avions des yeux suffisamment aiguisés pour « voir », nous réaliserions que le concept et avec lui ce monument funéraire de la science est l’illusion née initialement de cette première métaphorisation par l’entremise de laquelle uns stimulation nerveuse est transformée en image. Déjà pointe avec cette filiation l’amorce de la réponse de. Nietzsche à la question qu’il s’est posée: l’instinct de vérité est à l’oeuvre dans les premières métaphores intuitives, mais il ne l’est plus du tout dans la science, du moins celle qui se déploie dans l’air confiné et délétère de ce colombarium.
« Mais à l’intérieur de ce jeu de dés….avec les choses mêmes; (§8):
Nietzsche approfondit sa comparaison entre le concept et le dé. Qui
oserait en effet prétendre, en jouant aux dés, qu’il met à jour une
vérité authentiquement « universelle », au sens de « venant de
l’univers » (cette acception est importante: mesurons notre
anthropocentrisme à l’étroitesse de sens que nous accordons
habituellement à la notion d’universel, notamment chez Emmanuel Kant -
Universel signifie valable pour tous les hommes, en tout lieu, et tout
temps, comme si l’univers se limitait à un consensus humain). Nous
jouons aux dés, additionnons les chiffres tombés et désignons le
vainqueur d’un tour en fonction du jeu, mais à aucun moment, quoi que ce
soit de vrai « en soi » n’a été révélé. C’est exactement la même chose
pour « la science », car même si le terme n’a pas encore été écrit,
c’est bien elle qui est la cible des attaques Nietzschéennes depuis le
paragraphe précédent. Nous établissons la table des éléments de
Mendeleiev, c’est-à-dire posons l’efficience d’ « unités », d’éléments
dont pourtant nous ne faisons jamais l’expérience isolément dans notre
rapport direct avec la nature, puis nous faisons valoir des rapports
mathématiques entre ces éléments, comme on joue aux dés. Nous en tirons
alors des conclusions qui valent indiscutablement « pour nous,
humains », mais pas dans la nature, indépendamment de nous. Nous ne
sortons donc jamais vraiment du colombarium.
C’est exactement ce que nous faisons, par exemple, en géographie, lorsque nous divisons notre planète en parallèle et en méridien. Cela nous permet de repérer rapidement un point dés que nous possédons ses coordonnées. Dire que ce découpage est « utile » est absolument évident, indiscutable, dire qu’il est « vrai » est faux, tout simplement. C’est pourtant ce type de confusion entre le pratique, le nécessaire d’un point de vue humain et la vérité « objective », « exacte » que nous commettons continuellement sans nous interroger le moins du monde sur la nature anthropomorphique ce cette supposée vérité.
La référence aux étrusques et aux romains est évidemment à analyser avec
précision, principalement parce qu’un rapprochement entre science et
religion y est explicitement suggéré, lien fondamental pour Nietzsche
(Dieu, mort, remplacé par la religion). Au-delà de leurs différences,
quelque chose, en effet rapproche ces deux pratiques: le sens de la
délimitation, de la découpe. Le fait religieux se définit en effet, pour
tous les philosophes s’étant penché sur ce « phénomène », sur la
distinction entre le profane et le sacré (ici tu pries, ici tu « vis »).
Etre religieux, c’est d’abord considérer qu’il y a des lieux sacrés
dans lesquels tout n’est pas permis: l’église, le temple, l’espace
rituel. Voilà pourquoi Nietzsche insiste sur « l’extrême clôture » des
temples étrusques, et c’est bien cette référence qui suivra son cours
dans la mention de la « cathédrale conceptuelle ». L’esprit scientifique
et religieux est très soucieux de limiter, de diviser, de
« diagnostiquer », au sens étymologique (connaître en divisant).
Finalement l’être humain connaît en divisant ce qui se réalise en se
confondant.
Il convient ici d’expliquer précisément ce passage où quelque chose de fondamental se dit contre la science, ou plutôt (car le propos de Nietzsche n’est pas de stigmatiser la science mais la croyance selon laquelle elle dirait « la vérité »). Imagions un étudiant en biologie qui lirait dans un ouvrage scientifique un chapitre consacré à la coagulation alors qu’il vient juste de se couper. Tout en apprenant que ce qui se passe directement sur sa peau a rapport à l’homéostasie et qu’un caillot de fibrine est en train de se former sur le facteur tissulaire pour stopper l’hémorragie. Un « clou plaquettaire » se constitue immédiatement per le biais duquel les plaquettes du sang vont lancer le processus de coagulation avant que les protéines plasmatiques ne s’activent contribuant ainsi à renforcer le clou plaquettaire. Quelque chose de cette description nous éclaire indiscutablement, en nous faisant pressentir l’extrême complexité de notre épiderme, de son pouvoir naturel de « réparation » ainsi que celui du sang. Mais il faut bien reconnaître que ce que l’étudiant comprend « dia-gnostiquement », séparément, c’est-à-dire par ce préalable de la distinction des forces, des actions et des éléments qui s’activent sur sa coupure, c’est exactement ce qui en réalité ne s’effectue pas distinctement, mais syncrétiquement. Or nous savons bien que l’étudiant va allègrement franchir le pas qui sépare la compréhension humaine et divisée d’un phénomène biologique avec son déroulement effectif, réel et a fortiori, que ses professeurs vont confirmer cette erreur en lui donnant une très bonne note s’il fait comme si la description de tous ces éléments et termes compliqués lui avait donné la connaissance réelle du phénomène alors même qu’en fait il a assimilé tout ce qu’un homme pouvait comprendre du phénomène.
Il convient ici d’expliquer précisément ce passage où quelque chose de fondamental se dit contre la science, ou plutôt (car le propos de Nietzsche n’est pas de stigmatiser la science mais la croyance selon laquelle elle dirait « la vérité »). Imagions un étudiant en biologie qui lirait dans un ouvrage scientifique un chapitre consacré à la coagulation alors qu’il vient juste de se couper. Tout en apprenant que ce qui se passe directement sur sa peau a rapport à l’homéostasie et qu’un caillot de fibrine est en train de se former sur le facteur tissulaire pour stopper l’hémorragie. Un « clou plaquettaire » se constitue immédiatement per le biais duquel les plaquettes du sang vont lancer le processus de coagulation avant que les protéines plasmatiques ne s’activent contribuant ainsi à renforcer le clou plaquettaire. Quelque chose de cette description nous éclaire indiscutablement, en nous faisant pressentir l’extrême complexité de notre épiderme, de son pouvoir naturel de « réparation » ainsi que celui du sang. Mais il faut bien reconnaître que ce que l’étudiant comprend « dia-gnostiquement », séparément, c’est-à-dire par ce préalable de la distinction des forces, des actions et des éléments qui s’activent sur sa coupure, c’est exactement ce qui en réalité ne s’effectue pas distinctement, mais syncrétiquement. Or nous savons bien que l’étudiant va allègrement franchir le pas qui sépare la compréhension humaine et divisée d’un phénomène biologique avec son déroulement effectif, réel et a fortiori, que ses professeurs vont confirmer cette erreur en lui donnant une très bonne note s’il fait comme si la description de tous ces éléments et termes compliqués lui avait donné la connaissance réelle du phénomène alors même qu’en fait il a assimilé tout ce qu’un homme pouvait comprendre du phénomène.
Et c’est ainsi que se diffuse dans une société d’hommes savants et
d’hommes tout court cette certitude parfaitement illusoire selon
laquelle l’homme comprend la nature grâce à la science. Cette discipline
peut se définir comme une métaphore éclairante de la nature, mais
absolument pas comme une vérité. Ce qui s’est produit c’est le flux
d’un devenir au gré duquel un épiderme contusionné a oeuvré pour se
renfermer, et ce devenir reste obscur à l’esprit humain qui peut bien
s’en faire une image, une « re-présentation » instructive mais
aucunement « dernière », ni même conforme à ce qui s’est effectivement
produit. Ce flux d’un devenir qui suit continuellement son cours dans la
nature est exactement ce qui explique les notions d’ « eau courante »
ou de « vague », telles que nous les retrouvons dans le paragraphe. Et
il convient de noter que les termes élogieux utilisés par l’auteur ne
sont probablement ironiques, en tout cas pas seulement, car c’est
vraiment un tour de force que d’avoir construit ce colombarium figé,
froid, immuable comme les pyramides d’Egypte sur la base d’une réalité
aussi profondément fluide, dynamique, mouvante. C’est, reprend
Nietzsche, comme une toile d’araignée suffisamment rigide pour résister
aux coups de vent soufflant sur les brins d’herbe qu’elle relie par sa
texture. De fait, « ça tient » mais non pas par sa vérité, plutôt par sa
cohérence interne et close sur elle-même. C’est précisément parce que
ce jeu de métaphores conceptuelles se maintient hors du réel et dans le
maillage très resserré de rapports mathématiques étroits que nous le
croyons capable de nous révéler la vérité pure des phénomènes naturels,
alors même que les présupposés métaphoriques des termes et des notions
utilisés nous situent d’emblée dans une autre dimension que celle de la
réalité.
L’intellect est une arme qui fonctionne à plein dans ce jeu de dupes de la conceptualisation du réel telle qu’elle s’effectue dans la science. Nous ne nous rendons pas compte que nous défendons becs et ongles quelque chose: notre cohésion, notre unité, une sorte d’aveuglement commun qui acquiert une très forte légitimité et crédibilité sociales du fait même que la connaissance qui s’y déploie fonctionne exactement comme un alibi. Nous sommes toujours dans le rêve de l’enfance humaine prématurée qui s’auto-suggère qu’il est fort, qu’il comprend la nature, qu’il construit un règne triomphant, conquérant, pénétrant les plus subtiles arcanes de la vie. Ce qui est admirable dans ce rêve, c’est de voir le mal que nous nous donnons pour le faire tenir sur « rien » (le vent est toujours susceptible de crever la toile), de mesurer la force de cet intellect qui nous convainc que nous comprenons mieux la nature quand nous ne faisons que nous enferrer dans les illusions dont le but caché est purement et vitalement notre simple conservation.
L’intellect est une arme qui fonctionne à plein dans ce jeu de dupes de la conceptualisation du réel telle qu’elle s’effectue dans la science. Nous ne nous rendons pas compte que nous défendons becs et ongles quelque chose: notre cohésion, notre unité, une sorte d’aveuglement commun qui acquiert une très forte légitimité et crédibilité sociales du fait même que la connaissance qui s’y déploie fonctionne exactement comme un alibi. Nous sommes toujours dans le rêve de l’enfance humaine prématurée qui s’auto-suggère qu’il est fort, qu’il comprend la nature, qu’il construit un règne triomphant, conquérant, pénétrant les plus subtiles arcanes de la vie. Ce qui est admirable dans ce rêve, c’est de voir le mal que nous nous donnons pour le faire tenir sur « rien » (le vent est toujours susceptible de crever la toile), de mesurer la force de cet intellect qui nous convainc que nous comprenons mieux la nature quand nous ne faisons que nous enferrer dans les illusions dont le but caché est purement et vitalement notre simple conservation.
L’abeille aussi construit des cellules assez proches de celles d’un
columbarium mais elle le fait à partir de ce qu’elle trouve dans la
nature alors que ce vaste édifice mortuaire est bâti à partir de notre
intellect humain, sans aucun apport extérieur. Il ne le pourrait pas,
sous peine de révéler l’imposture dans laquelle il consiste. Nietzsche
utilise alors deux exemples donnant parfaitement idée de ce jeu de dupes
dans lequel la science consiste à ses yeux. Si l’on cache un trésor
dans un buisson et qu’on l’y retrouve, il n’y rien dans tout cela de
vraiment remarquable ou étonnant et l’homme de science ressemble un peu à
cet étrange chercheur de trésor qui ne trouverait que ce qu’il a fait
semblant de se cache à lui-même. Il est, en effet assez logique, qu’une
fois l’écoulement du sang nommé « hémorragie », l’action des plaquettes
désignée sous l’appellation « clou plaquettaire » et ainsi de suite, on
finisse par penser que l’on a tout compris de la coagulation, mais en
vérité on s’est dissimulé à soi-même l’action dynamique et conjuguée
d’éléments multiples et on fait semblant de la retrouver comme la mise
en relation d’éléments distincts, ce qu’ils ne sont précisément pas dans
le syncrétisme de ce qui fait la coagulation.
En marge de la dénonciation Nietzschéenne de la pensée conceptuelle qui atteint probablement ici son apogée, il convient de relativiser la violence de son attaque: la précision du vocabulaire et des recherches scientifiques ne nous laissent pas aussi démunis, ignorants de ce qui se passe dans l’émergence du phénomène. Cette conceptualisation ne cesse jamais de se perfectionner, de relever l’influence d’agents de plus en plus discrets, indétectables à l’oeil nu, dans tous ces phénomènes. Il y a sans conteste un voile d’ignorance qui se lève continuellement dans les progrès de la science. Mais en même temps demeure le fond de la critique nIetzschéenne qui, lui, demeure efficient, à savoir que nous ne pouvons pas établir avec certitude que nous avons progressé dans la vérité du phénomène naturel. Où avons-nous progressé alors? Dans « notre » connaissance », dans le processus de métaphorisation de ce que NOUS pouvons penser, en tant qu’humains de ce qui se passe naturellement.
En marge de la dénonciation Nietzschéenne de la pensée conceptuelle qui atteint probablement ici son apogée, il convient de relativiser la violence de son attaque: la précision du vocabulaire et des recherches scientifiques ne nous laissent pas aussi démunis, ignorants de ce qui se passe dans l’émergence du phénomène. Cette conceptualisation ne cesse jamais de se perfectionner, de relever l’influence d’agents de plus en plus discrets, indétectables à l’oeil nu, dans tous ces phénomènes. Il y a sans conteste un voile d’ignorance qui se lève continuellement dans les progrès de la science. Mais en même temps demeure le fond de la critique nIetzschéenne qui, lui, demeure efficient, à savoir que nous ne pouvons pas établir avec certitude que nous avons progressé dans la vérité du phénomène naturel. Où avons-nous progressé alors? Dans « notre » connaissance », dans le processus de métaphorisation de ce que NOUS pouvons penser, en tant qu’humains de ce qui se passe naturellement.
L’homme pose (impose) la définition des mammifères puis affirme que le
chameau est un mammifère, ce qui est « vrai » si nous consentons à ce
que LE mammifère soit, et à ce que LE chameau soit, ce qui est
discutable puisque aucun chameau n’est exactement un autre chameau et a
fortiori puisque les mammifères sont tous différents non seulement en
tant qu’individus mais aussi en tant qu’espèces. La notion même de
mammifère insinue une coupe transversale cohérente et légitime dans
cette totalité des espèces animales, mais elle n’est qu’une
interprétation, qu’un axe de recoupement tout aussi cohérent qu’un
autre. On peut « s’amuser » à faire valoir tout un jeu de différences et
d’assimilations à partir de cet axe, cela n’en restera pas moins une
interprétation humaine d’une réalité naturelle assez chaotique. L’homme
alors ne « comprend » rien mais crée de toutes pièces des métaphores lui
permettant de saisir par analogie certains traits de cette réalité. Il
bâtit des théories dont le critère n’est pas la vérité de la réalité
étudiée mais la cohérence extrême de la théorie qui l’étudie, de telle
sorte qu’il ne s’extasie jamais devant autre chose que la rigueur de sa
logique interne, laquelle n’est elle-même qu’une interprétation possible
des phénomènes naturels. « Celui qui recherche de telles vérités ne
cherche au fond que la métamorphose du monde dans les hommes, il se bat
pour une compréhension du monde en tant que chose humaine, et conquiert,
dans le meilleur des cas, le sentiment d’une assimilation » La
métamorphose du monde dans les hommes: le scientifique métaphorise
(méta-phore: porter au-delà) une métamorphose (méta-morphe: au-delà des
formes), mais il ne perçoit dans son travail qu’un seul « méta », le
deuxième, celui de la métamorphose, croyant ainsi rendre compte des
transformations, par exemple de la coagulation, sans s’apercevoir qu’il
le fait au travers du premier, celui de la métaphore. La métamorphose
est elle-même métaphorisée, « portée au-delà », dans une autre dimension
avec laquelle elle entretient certes un rapport d’analogie mais
sûrement pas d’assimilation. Et c’est exactement de cette façon qu’il
pense avoir eu accès au phénomène « même » alors qu’il n’a jamais
travaillé que sur une image « Autre ».
« L’homme est la mesure de toutes choses » est la thèse défendue par
Protagoras, le sophiste, dans le dialogue de Platon: le « Théétète »,
selon laquelle il convient de ramener toute connaissance à la sensation
que l’homme peut en éprouver, thèse à laquelle Socrate évidemment
s’oppose. Il ne fait aucun doute que Nietzsche se situe davantage par
rapport à cette question, du côté de Protagoras, en en général des
sophistes, plutôt que de celui du Socrate de Platon. Alors pourquoi
utilise-t-il ici cette citation dans une visée plutôt péjorative et
polémique? Parce que ce qui prévaut ici est finalement moins la thèse
elle-même que la conscience que le chercheur peut en avoir, ou pas. Son
procédé réel est de prendre l’homme comme mesure de toutes choses, mais
sans se rendre compte qu’il le fait. C’est ainsi que l’astronome porte
sur les étoiles un regard exclusivement soucieux d’y lire le destin des
existences humaines. Nietzsche semble ici confondre l’astronome avec
l’astrologue, ce qui pose question, car les scientifiques sont
aujourd’hui les premiers à se défendre contre certaines tentatives
(heureusement vaines) de l’astrologie à se faire reconnaître en tant que
science. Probablement Nietzsche se situe-t-il ici à un niveau
historique, et il convient de ne pas négliger qu’il n’a pas encore
utiliser le vocable de « Science ». De fait, les hommes ont très vite
poser sur le ciel un regard très anthropocentriste, voire égoïste.
L’homme étant la mesure de toute chose, on doit pouvoir se voir, se
reconnaître et finalement se pressentir au coeur des aléas même de sa
propre existence dans ce miroir à ciel ouvert que serait finalement la
voûte céleste elle-même.
La portée de cette citation est donc à reformuler: « l’homme se prend pour la mesure de toutes choses » comme si ces choses étaient simplement posées distinctement devant lui. Nous en sommes restés à ce critère de la vérité que l’on trouve chez Descartes de « l’idée claire et distincte. »: « la connaissance sur laquelle on peut établir un jugement indubitable doit être non seulement claire, mais aussi distincte. J'appelle claire celle qui est présente et manifeste à un esprit attentif ; de même que nous disons voir assez fort, et que nos yeux sont disposés à les regarder ; et distincte, celle qui est tellement précise et différente de toutes les autres, qu'elle ne comprend en soi que ce qui paraît manifestement à celui qui la considère comme il faut. »
Mesurons à quel point cette définition de l’idée vraie selon René Descartes est anthropocentriste: Une connaissance est vraie quand nous pouvons la concevoir clairement et distinctement, c’est donc dans la clarté de la représentation de l’objet que l’homme peut concevoir que se situe l’effectivité de sa vérité. Cette « vérité » prête totalement le flanc à la critique de Nietzsche ici, dans la mesure où elle fait consister la vérité dans le rapport entre l’objet et l’esprit humain, procédé par lequel l’homme va chercher derrière le buisson le trésor qu’il y avait déposé.
La portée de cette citation est donc à reformuler: « l’homme se prend pour la mesure de toutes choses » comme si ces choses étaient simplement posées distinctement devant lui. Nous en sommes restés à ce critère de la vérité que l’on trouve chez Descartes de « l’idée claire et distincte. »: « la connaissance sur laquelle on peut établir un jugement indubitable doit être non seulement claire, mais aussi distincte. J'appelle claire celle qui est présente et manifeste à un esprit attentif ; de même que nous disons voir assez fort, et que nos yeux sont disposés à les regarder ; et distincte, celle qui est tellement précise et différente de toutes les autres, qu'elle ne comprend en soi que ce qui paraît manifestement à celui qui la considère comme il faut. »
Mesurons à quel point cette définition de l’idée vraie selon René Descartes est anthropocentriste: Une connaissance est vraie quand nous pouvons la concevoir clairement et distinctement, c’est donc dans la clarté de la représentation de l’objet que l’homme peut concevoir que se situe l’effectivité de sa vérité. Cette « vérité » prête totalement le flanc à la critique de Nietzsche ici, dans la mesure où elle fait consister la vérité dans le rapport entre l’objet et l’esprit humain, procédé par lequel l’homme va chercher derrière le buisson le trésor qu’il y avait déposé.
C’est précisément sur cette notion de distinction qu’une fois de plus il
faut insister, car la nature ne se manifeste aucunement à nous comme un
objet mais bien comme une réalité dans laquelle nous sommes confondus
et immergés. En 1835, Auguste Comte, dans son cours de philosophie,
affirme: “nous ne saurons jamais étudier, par aucun moyen la composition
chimique des étoiles”. Il se trouve que c’est à la même époque que
l’astrophysique a pu pourtant établir clairement que le soleil et les
étoiles étaient composés d’Hydrogène et d’Hélium. Or il est très
révélateur de situer Nietzsche par rapport à ce cruel démenti du
philosophe français par l’astronomie, car il se situerait ni du côté de
l’un ni du côté des autres. Auguste Compte a donné naissance au courant
positiviste, courant selon lequel le travail de la science est de servir
l’homme, de lui donner une emprise effective sur le monde et de
favoriser ainsi les progrès de l’homme. On mesure, rien qu’en le
formulant, l’amplitude du désaccord fondamentale entre le positivisme et
les thèses Nietzschéenne. Elles se situent aux antipodes l’une de
l’autre puisque le positivisme revendique un anthropocentrisme forcené.
Pour autant la composition chimique des étoiles par l’astrophysique ne
convainc que moyennement le philosophe allemand. Cette composition aussi
éclairante soit-elle nous apporte des éléments sur ces étoiles mais
aucunement leur vérité. Ce qui est plus intéressant encore consiste à
pointer que l’hydrogène est également ce qui se retrouve dans le corps
humain dans une proportion de 10%. L’univers le plus éloigné est ce
« dans quoi » nous sommes constitués, et non un objet de science. Si
extériorité il nous faut conquérir, c’est dans l’humilité de notre
immersion au sein d’un univers qui nous dépasse, nous compose et suit
son cours indépendamment de nous. Pour ce faire, les métaphores
premières de la tragédie et de la mythologie nous sont aussi utiles que
les métaphores secondes et conceptuelles de la science.
Seul l’oubli de ce monde métaphorique….légitimité exclusive de cette métaphore (§9):
Nous suivons les thèses Nietzschéennes jusqu’à leurs principes
fondamentaux, car dans cette remise en cause des métaphores
conceptuelles de la science, se profile une perspective bien plus
radicale encore: l’affirmation de la nature esthétique entre
l’excitation nerveuse et l’image que nous en concevons. En d’autres
termes, le fait que nous passions immédiatement et comme automatiquement
de la sensation de la piqure à l’image de l’aiguille est
« accessoire », ou du moins gratuite, en tout cas absolument pas
nécessaire. Il n’existe aucune relation de causalité entre l’aiguille et
la piqure. Comment peut-on dire ça? Une telle affirmation ne peut que
nous sembler profondément délirante, inexacte, incompréhensible, car
nous n’éprouvons jamais de sensation sans immédiatement lui assigner la
cause qui explique à nos yeux que nous la ressentions. C’est exactement
la raison pour laquelle nous dissocions toujours le sujet affecté et
l’objet qui l’affecte, en l’occurrence l’aiguille. Mais c’est justement
en cela que nous nous trompons, et si jusqu’à maintenant l’insistance de
Nietzsche à pointer le rapport fondamentalement métaphorique de l’homme
à la réalité nous semblait envisageable voire cohérent, il nous
convient de le suivre jusqu’à ses conséquences les plus dérangeantes
pour notre santé mentale et nos conceptions habituelles.
Il s’est bel et bien passé quelque chose: la sensation de la piqure, mais que celle-ci ait été causée par l’image que je me représente de l’aiguille est une supposition, une représentation, une « illusion objective », entendons par là: l’illusion de poser comme cause de cette piqure un objet extérieur que l’on s’imagine de cette façon. Pourquoi semble-t-il impossible de comprendre l’oeuvre de Nietzsche sans partir de cette constante qu’est le primat qu’il accorde au monde esthétique sur le monde scientifique? Tout simplement parce que c’est métaphoriquement que nous passons de la piqure à l’aiguille, et qu’en ce sens, nous sommes des artistes, des écrivains nés. Métaphoriser, c’est porter au-delà, précisément porter la piqure dans cet au-delà qu’est l’aiguille et créer ainsi de toute pièce un monde d’objets qui serait comme une sorte de prolongement, de conjecture idéale, d’extrapolation rêvée, d’utopie logique créé par notre désir de « monde » et probablement au-delà de lui, notre instinct de croître et de survivre. S’il y a une piqure, il doit bien y avoir une aiguille. « Il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations »: cela veut dire aussi qu’il n’y a pas d’aiguille, en tout cas pas d’aiguille objective. Des faisceaux d’interprétation impressive qui foisonnent, s’entrecroisent et tissent continuellement cette sorte de maillage dans les fils desquels se tricotent nos existences: telle est la réalité.
Il s’est bel et bien passé quelque chose: la sensation de la piqure, mais que celle-ci ait été causée par l’image que je me représente de l’aiguille est une supposition, une représentation, une « illusion objective », entendons par là: l’illusion de poser comme cause de cette piqure un objet extérieur que l’on s’imagine de cette façon. Pourquoi semble-t-il impossible de comprendre l’oeuvre de Nietzsche sans partir de cette constante qu’est le primat qu’il accorde au monde esthétique sur le monde scientifique? Tout simplement parce que c’est métaphoriquement que nous passons de la piqure à l’aiguille, et qu’en ce sens, nous sommes des artistes, des écrivains nés. Métaphoriser, c’est porter au-delà, précisément porter la piqure dans cet au-delà qu’est l’aiguille et créer ainsi de toute pièce un monde d’objets qui serait comme une sorte de prolongement, de conjecture idéale, d’extrapolation rêvée, d’utopie logique créé par notre désir de « monde » et probablement au-delà de lui, notre instinct de croître et de survivre. S’il y a une piqure, il doit bien y avoir une aiguille. « Il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations »: cela veut dire aussi qu’il n’y a pas d’aiguille, en tout cas pas d’aiguille objective. Des faisceaux d’interprétation impressive qui foisonnent, s’entrecroisent et tissent continuellement cette sorte de maillage dans les fils desquels se tricotent nos existences: telle est la réalité.
Il faut aller jusque là: le rapport au monde qui s’instaure dés la
perception, dans son émergence la plus immédiate et la plus brute est
« poétisée ». Toutes ces images auxquelles nous faisons crédit, que nous
considérons comme « dignes de foi » sont des métaphores des sensations.
Dans la hiérarchie des facultés de connaissance, telle qu’elle a été
instaurée, Nietzsche appelle à une redistribution de la donne: ce que
nous nous représentons réellement du monde n’est ni le pur produit de
nos sens puisque nous les dépassons, mais ce n’est pas non plus le
produit de l’entendement: le concept puisque celui-ci est une
extrapolation des métaphores conceptuelles, c’est donc le fruit de notre
imagination:
« Notre monde extérieur est un produit imaginaire où des imaginations antérieures ont de nouveau été utilisées, comme activités habituelles et rompues à l’exercice, pour le construire. Les sons, les couleurs sont des produits de l’imagination et ne correspondent pas du tout de manière exacte au processus mécanique effectif, mais à notre condition personnelle. »
Nous sommes pris dans les filets du langage, lequel consiste, comme nous l’avons vu, dans l’efficience constante d’un processus de métaphorisation du réel. Quelle que soit la réalité brute qui nous touche, nous la « portons au-delà », nous la transposons sous la forme d’une image avec laquelle elle entretient des rapports indirects d’analogie, mais comprenons bien à quel point aucune perception dés lors n’échappe à cette transposition. Nous poétisons inconsciemment et continuellement notre rapport au monde. C’est en ce sens que nous sommes des rêveurs nés ou des artistes nés, comme on voudra. Dés lors toute définition de la vérité en tant que conformité s’écroule. Les métaphores les plus vraies sont les métaphores les plus vives, les plus fortes, les moins usées, les moins sclérosées dans l’habitude. Nous comprenons ainsi comment le vrai est ainsi en train de glisser vers un autre critère qui pourrait bien être celui de l’art. Tout comme un bon écrivain se distingue d’un mauvais en utilisant des métaphores inattendues, telles visions de mondes ne sont plus vraies que dans l’exacte mesure où elles sont plus intenses, plus originales, plus expressives. Nous sommes partie prenante de ces perceptions de la nature parce que la métaphorisation perceptive qui s’effectue à choc sensitif mobilise notre imagination, mais à cause de cela, nous sommes d’inlassables traducteurs du texte primitif du réel. Nous sommes les déchiffreurs d’une partition musicale dont l’interprétation correcte n’existe pas, comme c’est évidemment le cas pour toute composition.
« Notre monde extérieur est un produit imaginaire où des imaginations antérieures ont de nouveau été utilisées, comme activités habituelles et rompues à l’exercice, pour le construire. Les sons, les couleurs sont des produits de l’imagination et ne correspondent pas du tout de manière exacte au processus mécanique effectif, mais à notre condition personnelle. »
Nous sommes pris dans les filets du langage, lequel consiste, comme nous l’avons vu, dans l’efficience constante d’un processus de métaphorisation du réel. Quelle que soit la réalité brute qui nous touche, nous la « portons au-delà », nous la transposons sous la forme d’une image avec laquelle elle entretient des rapports indirects d’analogie, mais comprenons bien à quel point aucune perception dés lors n’échappe à cette transposition. Nous poétisons inconsciemment et continuellement notre rapport au monde. C’est en ce sens que nous sommes des rêveurs nés ou des artistes nés, comme on voudra. Dés lors toute définition de la vérité en tant que conformité s’écroule. Les métaphores les plus vraies sont les métaphores les plus vives, les plus fortes, les moins usées, les moins sclérosées dans l’habitude. Nous comprenons ainsi comment le vrai est ainsi en train de glisser vers un autre critère qui pourrait bien être celui de l’art. Tout comme un bon écrivain se distingue d’un mauvais en utilisant des métaphores inattendues, telles visions de mondes ne sont plus vraies que dans l’exacte mesure où elles sont plus intenses, plus originales, plus expressives. Nous sommes partie prenante de ces perceptions de la nature parce que la métaphorisation perceptive qui s’effectue à choc sensitif mobilise notre imagination, mais à cause de cela, nous sommes d’inlassables traducteurs du texte primitif du réel. Nous sommes les déchiffreurs d’une partition musicale dont l’interprétation correcte n’existe pas, comme c’est évidemment le cas pour toute composition.
La croyance en une vérité pure, objective et universelle de la nature
est donc non seulement une erreur totale de perspective, mais plus
encore un dogme étouffant, appauvrissant, stérilisant par le biais
duquel nous nous imposons des oeillères à nous-mêmes, nous entretenons
le mythe inhibant d’UNE perception correcte. L’erreur de perspective se
révèle une incompréhension du foisonnement de perspectives dans
lesquelles consiste le réel Il est impossible de comprendre autrement le
début de ce §, notamment la référence à « ce » soleil, à « cette »
fenêtre, etc. Nous nous ignorons créateurs, parce qu’il nous faudrait
aussi composer avec les implications de cette fatale absence de « monde
en soi », de vérité UNE, universelle. Il nous faudrait convenir que la
conscience que nous avons de nous-même est fallacieuse. Ô combien
trompeuse et rassurante est cette croyance dans un univers « UN », dans
une réalité donnée, posée en dehors de nous comme un objet perceptible
par un sujet libre, responsable et surtout conscient. « Un » soleil,
« Une » chaise, « Une » fenêtre.
L’idée que l’on puisse dire la vérité lorsqu’il y a adéquation entre la proposition et le fait, entre la chose et l’idée, entre le jugement portée sur une réalité et cette réalité même est « contradictoire », selon l’auteur puisque le rapport entre l’homme et le monde, entre le sujet et le supposé « objet » sont des rapports de métaphorisation. Personne n’attend de la dénomination: « « faucille d’or dans le champs des étoiles » qu’elle dise la vérité de la lune, qu’elle corresponde avec son objet puisque précisément le sens même dans lequel elle consiste réside dans la dimension autre dans laquelle elle nous fait passer et dans l’analogie de la forme. Toute la force de la position Nietzschéenne consiste à poser qu’il n’existe pas de description vraie, conforme de ce que la lune « est ». Même les analyses ou les clichés scientifiques les plus pointus de la lune constitueront dans des déplacements qui contiendront des éléments de comparaison intéressants mais certainement pas « vrais ».
L’idée que l’on puisse dire la vérité lorsqu’il y a adéquation entre la proposition et le fait, entre la chose et l’idée, entre le jugement portée sur une réalité et cette réalité même est « contradictoire », selon l’auteur puisque le rapport entre l’homme et le monde, entre le sujet et le supposé « objet » sont des rapports de métaphorisation. Personne n’attend de la dénomination: « « faucille d’or dans le champs des étoiles » qu’elle dise la vérité de la lune, qu’elle corresponde avec son objet puisque précisément le sens même dans lequel elle consiste réside dans la dimension autre dans laquelle elle nous fait passer et dans l’analogie de la forme. Toute la force de la position Nietzschéenne consiste à poser qu’il n’existe pas de description vraie, conforme de ce que la lune « est ». Même les analyses ou les clichés scientifiques les plus pointus de la lune constitueront dans des déplacements qui contiendront des éléments de comparaison intéressants mais certainement pas « vrais ».
Dans son commentaire de l’œuvre , Marc de Launay propose un exemple très
intéressant: connaîtrons-nous jamais la vérité d’un phénomène aussi
simple que la réfraction? On sait que Descartes nous en propose une
version géométrique, à savoir le rapport constant entre les sinus de
l’angle des rayons incident et celui du rayon réfléchi mais cette
« explication » nous donne une interprétation du comment et pas du
pourquoi, c’est-à-dire de la raison pour laquelle nous voyons le bâton
droit tordu dans l’eau. Deux siècles plus tard, on interrogera, dans une
perspective plus physique que mathématique la plus forte densité de
l’eau par rapport à l’air ralentissant la course des photons dans un
liquide et causant la distorsion visuelle du bâton. C’est
« scientifique » et pour autant, n’est-ce pas exactement à une
succession d’interprétations du réel, que nous avons affaire? Autant
dire qu’aussi bien dans la perspective de Descartes que pour celle,
physicienne, de Huygens, nous prenons connaissance de deux métaphores du
phénomène qui la transposent dans deux domaines « autres »,
« humains », différents de lui, celui de la géométrie et celui de la
physique. Ce n’est même pas que nous ne puissions pas connaître la
vérité de la réfraction, c’est tout simplement que celle-ci n’existe
pas. Nietzsche n’est pas tant sceptique que profondément empiriste,
« empiriste esthétique" en ce sens que nos sensations ne nous révèlent
rien mais stimulent exclusivement notre instinct créateur de métaphores,
notre puissance poétique, et cela aussi bien quand nous faisons de la
géométrie que de la littérature.
Une fois révoquée l’idée même qu’il y ait un lien de nécessité, de causalité entre la piqure et l’aiguille, entre la stimulation nerveuse et l’objet qui est supposé « la causer », le rapport de l’homme au monde n’est plus de connaissance, ni même de compréhension mais de création. Nous n’avons plus qu’à concevoir des images figurant un rapport d’analogie, comme « l’aurore aux doigts de rose », pour reprendre l’exemple de Homére cité par Marc De Launay, décrit l’aube.
Il n’y a pas d’essence des choses, de nature unique et profonde des choses. Nietzsche ne croit pas au monde la caverne de Platon. Par conséquent, le peintre manchot qui chanterait son tableau plutôt que de le peindre révèlerait plus son motif par cette transposition que ne le ferait la réalité sensible d’une supposée vérité intelligible dont elle serait l’apparence.
Une fois révoquée l’idée même qu’il y ait un lien de nécessité, de causalité entre la piqure et l’aiguille, entre la stimulation nerveuse et l’objet qui est supposé « la causer », le rapport de l’homme au monde n’est plus de connaissance, ni même de compréhension mais de création. Nous n’avons plus qu’à concevoir des images figurant un rapport d’analogie, comme « l’aurore aux doigts de rose », pour reprendre l’exemple de Homére cité par Marc De Launay, décrit l’aube.
Il n’y a pas d’essence des choses, de nature unique et profonde des choses. Nietzsche ne croit pas au monde la caverne de Platon. Par conséquent, le peintre manchot qui chanterait son tableau plutôt que de le peindre révèlerait plus son motif par cette transposition que ne le ferait la réalité sensible d’une supposée vérité intelligible dont elle serait l’apparence.
Mais alors pourquoi cette obstination à désigner l’aiguille comme cause
de la piqure? Pourquoi cette certitude que se profile un monde de
choses, de substances objectives dans le prolongement de nos sensations
subjectives? Tout simplement à cause de l’habitude, répond Nietzsche,
dans une perspective qui rappelle celle du philosophe écossais Hume.
Nous déduisons la causalité de la répétition. Ce n’est pas parce que je
vois toujours l’eau bouillir à 100° que ce sont les 100° degrés qui font
bouillir l’eau, et même si je crée moi-même l’ébullition en atteignant
les 100° je n’aurai prouvé que la corrélation, pas la causalité, j’aurai
joué sur le « ET »: l’eau est à 100° degrés ET elle bout mais je
n’aurai pas fondé le PARCE QUE. En un sens Emmanuel Kant n’est pas
totalement opposé à cette conception puisque il affirme que c’est à
partir des catégories de notre entendement parmi lesquelles il faut
compte la causalité que nous constituons les phénomènes, que nous posons
des rapports entre eux, mais il n’en considère pas moins que cette
causalité est effective parmi les phénomènes. Sur ce point, Marc De
Launay insiste sur la lecture rapide, superficielle, et peut-être
inexistante par rapport à tout ce qui d’elle concerne la connaissance de
l’oeuvre de Kant Par Nietzsche. De fait, ce passage est étonnant: « Le
mot « phénomène » contient des séductions nombreuses, et c’est pourquoi
je l’évite autant que possible: car il n’est pas vrai que l’essence des
choses apparaisse dans le monde empirique. » C’est précisément ce que
suppose le terme même de phénomènes et sa distinction Kantienne avec le
noumène (la chose en soi). La différence entre Kant et Nietzsche se
situe plutôt dans la considération de la chose en soi: elle n’existe pas
selon Nietzsche, un peu comme l’interprétation « correcte » d’une
symphonie de Beethoven n’existe pas mais s’effectue dans toutes ses
interprétations, dans et par la multiplicité. Kant distingue ce que nous
percevons de la réalité: le phénomène, et ce que nous ne pouvons pas en
percevoir: le noumène. Il pose des limites à la connaissance humaine,
alors que Nietzsche déplace radicalement la question: ce que nous
appelons connaissance est , plus encore que cette construction du
phénomène qui pour Kant se fait par le biais de « catégories » et accède
ainsi à une forme d’universalité « objective », une métaphorisation de
la réalité du fait de l’influence déterminante du langage sur nos
jugements, nos pensées, nos perceptions et finalement notre existence en
général. Autrement dit avec Nietzsche, il n’existe pas de
« face-à-face », de « vis-à-vis » de l’homme avec le monde. Ce « qu’il y
a » c’est simplement cette multiplicité de forces données, naturelles
(la volonté de puissance) dans lesquelles nous sommes purement et
simplement animés du désir de nous conserver, mais en empruntant pour ce
faire toutes les ressources possibles, parmi lesquelles se situe cet
intellect qui nous trompe et qui se trompe lui-même.
Quelle attitude adopter une fois comprise cette réalité là? La célébration, l’acceptation, le « oui » à la volonté de puissance. Cela signifie qu’il nous faut consentir à la vie contre elle-même, ou plutôt contre tout ce qui, d’elle, vise absurdement à se combattre, à se limiter, à s’anesthésier elle-même, c’est cela le nihilisme qu’il nous faut combattre, et cela passe non pas par le refus de cette métaphorisation qui fait partie intégrante de notre existence humaine, mais par sa compréhension, par son assomption, par l’acceptation totale du style d’existence qu’elle nous impose, à savoir que nous sommes des « artistes nés », dotés de cette aptitude à métaphoriser continuellement notre immersion dans le réel. Comme tout artiste, il nous revient de créer, de revitaliser constamment ces métaphores du réel auxquelles nous sommes vouées naturellement, exactement comme ce poème de Rilke l’affirme très explicitement au sujet de la fonction du poète:
Quelle attitude adopter une fois comprise cette réalité là? La célébration, l’acceptation, le « oui » à la volonté de puissance. Cela signifie qu’il nous faut consentir à la vie contre elle-même, ou plutôt contre tout ce qui, d’elle, vise absurdement à se combattre, à se limiter, à s’anesthésier elle-même, c’est cela le nihilisme qu’il nous faut combattre, et cela passe non pas par le refus de cette métaphorisation qui fait partie intégrante de notre existence humaine, mais par sa compréhension, par son assomption, par l’acceptation totale du style d’existence qu’elle nous impose, à savoir que nous sommes des « artistes nés », dotés de cette aptitude à métaphoriser continuellement notre immersion dans le réel. Comme tout artiste, il nous revient de créer, de revitaliser constamment ces métaphores du réel auxquelles nous sommes vouées naturellement, exactement comme ce poème de Rilke l’affirme très explicitement au sujet de la fonction du poète:
« Ô, dis-moi poète, ce que tu fais
- Je célèbre
Mais le mortel et le monstrueux,
Comment l’endures-tu, l’accueilles-tu ?
- Je célèbre
Mais le sans nom, l’anonyme
Comment poète, l’invoques-tu cependant ?
- Je célèbre
Où prends tu le droit d’être vrai
Dans tout costume, sous tout masque ?
- Je célèbre
Et comment le silence te connaît-il, et la fureur
Ainsi que l’étoile et la tempête ?-
- Parce que je célèbre. »
Rilke
Il est un passage particulièrement Nietzschéen dans ce poème: « Où prends-tu le droit d’être vrai, dans tout costume, sous tout masque? Je célèbre. » Cette célébration impose une « régénération » constante, tout simplement parce que la nature, la volonté de puissance est fondamentalement dynamique, fluide, mutante, mais cette puissance vitale, inconnue, monstrueuse nous terrorise et la peur anime le mouvement humain de notre connaissance, de telle sorte que nous adorons la causalité comme une idole et adhérons à cette croyance qu’est l’explication des phénomènes quand notre véritable fonction est de métaphoriser nos sensations, de mythologiser notre rapport à la nature. Mais c’est comme une force d’inertie qui nous maintient sous la tutelle d’un seul rapport entre l’excitation nerveuse et l’image comme si nous n’étions que de piètres écrivains incapable de nous raconter une autre histoire que celle de l’aiguille quand nous ressentons la piqure, du soleil quand nous éprouvons la chaleur, du froid quand nous touchons la neige. L’humanité écrit un mauvais roman parce qu’elle ne renouvelle pas ses métaphores, comme un rêveur qui finirait par croire qu’il vit la réalité tout simplement parce que c’est toujours le même rêve qu’il fait.
(Quiconque est familier de ces métaphores….relations spatio-numérico-temporelles sur le terrain des métaphores) - §10: Dans ce dixième §, Nietzsche se confronte enfin avec une objection qui déjà travaillait l’esprit du lecteur depuis plusieurs passages, à savoir que si ses thèses étaient vraiment exactes, nous ne pourrions pas rendre compte:
- De la fiabilité des lois qui indiscutablement nous semblent régir les faits naturels
- Du succès des expériences qui prouvent bien, comme Galilée l’avait affirmé que la nature est comme un livre écrits en langage mathématique et que les thèses scientifiques basées sur des concepts, sur des substances, sur des éléments fonctionnent « réellement »
- Je célèbre
Mais le mortel et le monstrueux,
Comment l’endures-tu, l’accueilles-tu ?
- Je célèbre
Mais le sans nom, l’anonyme
Comment poète, l’invoques-tu cependant ?
- Je célèbre
Où prends tu le droit d’être vrai
Dans tout costume, sous tout masque ?
- Je célèbre
Et comment le silence te connaît-il, et la fureur
Ainsi que l’étoile et la tempête ?-
- Parce que je célèbre. »
Rilke
Il est un passage particulièrement Nietzschéen dans ce poème: « Où prends-tu le droit d’être vrai, dans tout costume, sous tout masque? Je célèbre. » Cette célébration impose une « régénération » constante, tout simplement parce que la nature, la volonté de puissance est fondamentalement dynamique, fluide, mutante, mais cette puissance vitale, inconnue, monstrueuse nous terrorise et la peur anime le mouvement humain de notre connaissance, de telle sorte que nous adorons la causalité comme une idole et adhérons à cette croyance qu’est l’explication des phénomènes quand notre véritable fonction est de métaphoriser nos sensations, de mythologiser notre rapport à la nature. Mais c’est comme une force d’inertie qui nous maintient sous la tutelle d’un seul rapport entre l’excitation nerveuse et l’image comme si nous n’étions que de piètres écrivains incapable de nous raconter une autre histoire que celle de l’aiguille quand nous ressentons la piqure, du soleil quand nous éprouvons la chaleur, du froid quand nous touchons la neige. L’humanité écrit un mauvais roman parce qu’elle ne renouvelle pas ses métaphores, comme un rêveur qui finirait par croire qu’il vit la réalité tout simplement parce que c’est toujours le même rêve qu’il fait.
(Quiconque est familier de ces métaphores….relations spatio-numérico-temporelles sur le terrain des métaphores) - §10: Dans ce dixième §, Nietzsche se confronte enfin avec une objection qui déjà travaillait l’esprit du lecteur depuis plusieurs passages, à savoir que si ses thèses étaient vraiment exactes, nous ne pourrions pas rendre compte:
- De la fiabilité des lois qui indiscutablement nous semblent régir les faits naturels
- Du succès des expériences qui prouvent bien, comme Galilée l’avait affirmé que la nature est comme un livre écrits en langage mathématique et que les thèses scientifiques basées sur des concepts, sur des substances, sur des éléments fonctionnent « réellement »
Le paragraphe précédent s’était terminé sur une référence au rêve, et
l’on peut penser que c’est de ce songe dont Nietzsche parle lorsque il
évoque « l’idéalisme », mais il faut nous méfier de cette « défiance à
l’égard de tout idéalisme de ce genre », car la rationalité
scientifique, qui précisément se démarque de « toute foi », ou de toute
fantaisie, ne perçoit pas le primat de l’imagination métaphorique sur la
pensée logique et conceptuelle. Et c’est bien cela que Nietzsche veut
ici soutenir, à savoir tout ce qu’il développe à partir de « Il convient
de dire au contraire… » Aussi loin que nos observations puissent aller
dans l’infiniment grand ou dans l’infiniment petit, nous sommes toujours
confrontés à des phénomènes explicables, soumis à des lois et nous en
déduisons non seulement que l’univers est un cosmos plutôt qu’un chaos,
mais aussi que la science est, en quelque sorte, légitimée de
s’appliquer à la nature puisque celle-ci serait en elle-même régulière,
cohérente, méthodique finalement. La marque de fabrique de la science
réside dans l’extrême rigueur de ses conclusions, lesquelles s’appuient
toujours sur des preuves, des démonstrations, des raisonnements logiques
et jamais sur des présupposés idéologiques ou sur des principes
religieux ou des fantasmagories de l’imagination. Et tout, dans ce que
la science « découvre » (mais le découvre-t-elle vraiment?) se prête à
la rationalité de ce traitement, comme si les phénomènes se révélaient
déjà en eux-mêmes prédisposés à être scientifiquement expliqués.
Mais précisément, cette prédisposition n’est-elle pas suspecte? N’est-elle pas l’indice de ce que déjà le chercheur inconsciemment a déjà transposé les sensations dans une autre dimension que celle de la nature et leur applique ainsi sans difficultés une logique de rapports à laquelle elles peuvent d’autant moins se soustraire qu’elles ne sont plus les sensations brutes de la ralliés mais les images transposées par le savant dans un « imaginaire scientifique » ? Le paradoxe tient peut-être à ce que la science en se défiant de tout idéalisme tombe elle-même dans le piège d’un certain idéalisme: celui de la logique et surtout celui qui consiste à ne pas réaliser que toute perception humaine est d’emblée structurée par la métaphorisation linguistique. La science se méfie de la sensation parce que, comme l’a dit Descartes, nos sens nous trompent quelque fois, mais, selon Nietzsche, c’est plutôt l’homme qui se trompe à l’endroit de la sensation en lui assignant nécessairement une cause plutôt qu’une corrélation. C’est finalement faire preuve de réalisme que de ne pas se méprendre sur cette imagination qui nous conduit toujours à interpréter nos sensations, à les « porter au-delà », à les déporter de leur socle originel pour ne faire valoir que des analogies entre des dimensions différentes.
Mais précisément, cette prédisposition n’est-elle pas suspecte? N’est-elle pas l’indice de ce que déjà le chercheur inconsciemment a déjà transposé les sensations dans une autre dimension que celle de la nature et leur applique ainsi sans difficultés une logique de rapports à laquelle elles peuvent d’autant moins se soustraire qu’elles ne sont plus les sensations brutes de la ralliés mais les images transposées par le savant dans un « imaginaire scientifique » ? Le paradoxe tient peut-être à ce que la science en se défiant de tout idéalisme tombe elle-même dans le piège d’un certain idéalisme: celui de la logique et surtout celui qui consiste à ne pas réaliser que toute perception humaine est d’emblée structurée par la métaphorisation linguistique. La science se méfie de la sensation parce que, comme l’a dit Descartes, nos sens nous trompent quelque fois, mais, selon Nietzsche, c’est plutôt l’homme qui se trompe à l’endroit de la sensation en lui assignant nécessairement une cause plutôt qu’une corrélation. C’est finalement faire preuve de réalisme que de ne pas se méprendre sur cette imagination qui nous conduit toujours à interpréter nos sensations, à les « porter au-delà », à les déporter de leur socle originel pour ne faire valoir que des analogies entre des dimensions différentes.
C’est pour cette raison que Nietzsche évoque la possibilité d’avoir une
« sensibilité perspective distincte ». Il importe néanmoins d’être
extrêmement prudent: Nietzsche ne veut pas signifier ici que nous
pourrions éprouver la réalité avec les mêmes yeux ou la même sensibilité
acoustique qu’une chauve-souris, mais il y a bien des sensations
animales du monde. Nous vivons tous originairement dans une profusion
d’affects de différentes natures, de multiples origines. L’éthologue
Jakob von Uexküll dans « Mondes animaux et monde humain » décrit la
vision qu’une mouche ou un chien ont probablement d’une rue et il n’est
pas totalement inutile, ni idiot de remarquer que certains de ces
clichés hypothétiques rappellent certaines toiles d’artistes humains
comme Nicolas De Staël notamment. Mais le propos de Nietzsche est
vraiment ailleurs, à savoir dans la stigmatisation de la prétention de
la science humaine à donner des faits naturels une explication
objective, universelle, « UNE », adéquate et « Vraie ». En tant
qu’hommes, nous ne pouvons pas voir la réalité comme un animal (encore
que des peintres comme Cézanne ou Monet travaillent leur vision pour
déconstruire leurs motifs et accéder ainsi à la naïveté plus brute d’un
nerf optique purement impressif et plus linguistique) mais il n’en
demeure pas moins que ces affects animaux « sont ». Nous pourrions les
ressentir si nous nous détachions le plus possible de tout ce qu’il y a
d’humain (c’est-à-dire de linguistique) dans notre perception.
Retenons cette idée et évacuons le langage de nos esprits (pour autant
que cela soit possible, c’est-à-dire en aucune façon pour tout être
humain socialisé). Ce que nous voyons vert pourrait être perçu
autrement. Ce n’est pas ici seulement une question de termes mais de
structure distinctive: c’est à cause de notre langage que nous sommes
rompus à l’habitude de cibler dans telle variation du spectre lumineux
le critère de distinction d’une couleur à une autre couleur. Nous ne
savons pas vraiment si, dans ce spectre en lui-même (tel qu’il est et
pas tel que nous l’appréhendons), telle variation chromatique ne serait
pas davantage différente de telle autre, si finalement le bleu et le
vert ne serait pas suffisamment proche pour se distinguer tout uniment
du rouge. Nous avons tous fait l’expérience d’une couleur dont nous
rendons compte qu’elle pourrait être dite bleue ou verte, sans que cela
nous semble faux. Le présupposé de l’objectivité des différenciations de
couleurs se trouvent donc dans notre langue et pas du tout dans la
nature.
« Ensuite: qu’entendons-nous en général par une loi naturelle? Elle ne nous est pas connue en soi mais seulement dans ses effets, c’est-à-dire par ses relations avec d’autres lois naturelles, qui à leur tour ne nous sont connues qu’en tant que « sommes de relations » ». Aucune loi ne nous apparaît telle qu’elle est dans la nature: ce que nous observons c’est une corrélation répétée de phénomènes dont nous déduisons des relations de causes et d’effets sans nous apercevoir que ces relations sont dans nos esprits et pas dans la nature. Nous criblons ainsi la totalité de ce qui se donne à percevoir de la nature par les sensations de rapports, de lois, d’interactions extrêmement logiques et régulières, non parce que c’est le cas, mais parce que nous métaphorisons nos sensations en images et ces images à leur tour en concepts et en chiffres, en degrés, en unités de mesure. Nous sommes sûrs que l’évaluation précise d’un vent à la force 8 nous dit la vérité de sa force quand elle nous en fournit une métaphore certes utile et vérifiable mais aucunement vraie, puisque ce 8 n’est pas dans le vent lui-même.
Ce passage est très intéressant car il est finalement très Kantien dans tout ce qu’il affirme du pouvoir de constitution de la réalité perçue par le sujet, a fortiori quand il évoque le temps et l’espace qui sont pour Kant les formes a priori de toute perception. Quoi que nous éprouvions par nos sens, nous le saisissons nécessairement au travers de ces deux filtres du temps et de l’espace, par quoi tout phénomène devient mesurable. Nous le situons dans la succession des unités de mesure du temps et dans ce présupposé qu’est la distinction et le comptage des unités, à savoir le nombre. Or, Pour Kant, ces cadres de nos perceptions ne nous permettent de connaître la chose en soi qui ne se trouve pas dans le temps ni dans l’espace.
Mais tout ce qui nous étonne dans la nature réside finalement précisément dans cette limite qu’est l’exclusivité du cadre spatio-temporel de nos perceptions, de telle sorte que ce qui nous semble vraiment remarquable ne l’est qu’au sein d’une dimension qui est déjà « la notre », celle là même d’un esprit humain ayant préalablement chiffré, évalué, situé les phénomènes naturels. Ce qui nous étonne ne nous étonne que dans la mesure où cela « peut nous étonner », c’est-à-dire nous affecter dans le cadre d’une dimension pré-conçu par notre esprit, celle de l’espace et du temps, donc de la succession et de la différence. Quoi de vraiment surprenant dans la succession rapide d’un vent de force 8 à un vent de force 2, si de toute façon la force du vent ne peut souffler que dans la dimension abstraite, humaine, quantifiée d’un monde de chiffres? Nous nous émerveillons dans l’abstraction d’une métaphore chiffrée , dans le passage d’une intensité graduée à une autre intensité graduée sans soupçonner que la puissance du vent suit l’impulsion d’un toit autre dynamisme que celui d’une « graduation ».
Il n’y a finalement rien de merveilleux à ce que les expérimentations scientifiques confirment les observations et les idées des scientifiques car les métaphores conceptuelles régulées par la logique créent ce rêve d’une nature régulière et cohérente dans lequel nous vivons. Il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations. Nous ne percevons que ce qui se donne à percevoir à partir de nos interprétations et si c’est un rêve logique que nous construisons c’est une nature logique que nous habitons. Ce point est fondamental et suffit à marquer (enfin!) La différence fondamentale entre Emmanuel Kant et Friedrich Nietzsche (même si, encore une fois, Schopenhauer est ,entre eux, le philosophe qui fait lien). Pour Kant, le phénomène est bien ce que l’être humain peut objectivement saisir d’une existence nouménale qui lui échappe. Cette universalité des sujets constituants que nous sommes constitue bel et bien une réalité observable, laquelle n’est pas métaphorique. La science progresse, selon Kant, dés qu’elle comprend à quel point c’est à elle de prendre les devants par rapport à une nature qui n’a qu’à se laisser instruite comme un écolier devant le maître d’école. Nous découvrons les propriétés de la nature dés lors que nous l’interrogeons à partir d’une idée qui est dans notre esprit, mais c’est bel et bien « la nature » qu’alors nous perçons à jour. Pour Nietzsche, cela ne saurait être le cas puisque cette dualité entre l’homme et la nature ne lui semble pas valide. Il y a des affects et des métaphores de ces affects lesquels peuvent donner lieu à des représentations de monde diverses dont l’une serait rationnelle, logique, explicable. Mais cette régularité des phénomènes naturels n’est pas dans la nature. Elle est dans notre esprit, dans une certaine façon (plutôt anesthésiante) de se rallier à des métaphores conceptuelles, logiques et numériques. C’est notre imagination qui construit de toute pièce un système solaire dans lequel les orbites, les déplacements de planète et de météorites sont aussi prévisibles et programmables, ce qui ne signifie pas qu’ils ne le soient pas. Ils le sont bel et bien mais à l’intérieur de cette métaphore dans laquelle nous sommes contraints de nous situer.
« Or c’est nous qui produisons celles-ci à l’intérieur et en dehors de nous avec la même nécessité que l’araignée qui tisse sa toile »: quelque chose de la science et surtout de l’empressement un peu panique avec lequel nous souscrivons sans réserve à sa représentation policée, rationnelle de la nature qu’elle décrit ressemble à la nécessité naturelle de l’araignée à tisser sa toile, car c’est bien la ruse de l’intellect qui s’active dans cette perspective programmatique d’un réel logique. Cette conception tien bel et bien du rêve du prématuré grâce auquel il se trouve et se donne des raisons de vivre.
Résumons: nous ne pouvons éprouver de sensations sans les métaphoriser et nous les métaphorisons nécessairement au travers d’un jeu de symboles et de figures spatio-temporelles qui en persistant, en s’inscrivant dans nos habitudes et en jouissant à nos yeux de cette légitimité que donne la longévité, deviennent la science, à savoir ce colombarium de concepts. Les concepts scientifiques sont donc des métaphores artistiques dont on a oublié qu’elle le sont.
« Ensuite: qu’entendons-nous en général par une loi naturelle? Elle ne nous est pas connue en soi mais seulement dans ses effets, c’est-à-dire par ses relations avec d’autres lois naturelles, qui à leur tour ne nous sont connues qu’en tant que « sommes de relations » ». Aucune loi ne nous apparaît telle qu’elle est dans la nature: ce que nous observons c’est une corrélation répétée de phénomènes dont nous déduisons des relations de causes et d’effets sans nous apercevoir que ces relations sont dans nos esprits et pas dans la nature. Nous criblons ainsi la totalité de ce qui se donne à percevoir de la nature par les sensations de rapports, de lois, d’interactions extrêmement logiques et régulières, non parce que c’est le cas, mais parce que nous métaphorisons nos sensations en images et ces images à leur tour en concepts et en chiffres, en degrés, en unités de mesure. Nous sommes sûrs que l’évaluation précise d’un vent à la force 8 nous dit la vérité de sa force quand elle nous en fournit une métaphore certes utile et vérifiable mais aucunement vraie, puisque ce 8 n’est pas dans le vent lui-même.
Ce passage est très intéressant car il est finalement très Kantien dans tout ce qu’il affirme du pouvoir de constitution de la réalité perçue par le sujet, a fortiori quand il évoque le temps et l’espace qui sont pour Kant les formes a priori de toute perception. Quoi que nous éprouvions par nos sens, nous le saisissons nécessairement au travers de ces deux filtres du temps et de l’espace, par quoi tout phénomène devient mesurable. Nous le situons dans la succession des unités de mesure du temps et dans ce présupposé qu’est la distinction et le comptage des unités, à savoir le nombre. Or, Pour Kant, ces cadres de nos perceptions ne nous permettent de connaître la chose en soi qui ne se trouve pas dans le temps ni dans l’espace.
Mais tout ce qui nous étonne dans la nature réside finalement précisément dans cette limite qu’est l’exclusivité du cadre spatio-temporel de nos perceptions, de telle sorte que ce qui nous semble vraiment remarquable ne l’est qu’au sein d’une dimension qui est déjà « la notre », celle là même d’un esprit humain ayant préalablement chiffré, évalué, situé les phénomènes naturels. Ce qui nous étonne ne nous étonne que dans la mesure où cela « peut nous étonner », c’est-à-dire nous affecter dans le cadre d’une dimension pré-conçu par notre esprit, celle de l’espace et du temps, donc de la succession et de la différence. Quoi de vraiment surprenant dans la succession rapide d’un vent de force 8 à un vent de force 2, si de toute façon la force du vent ne peut souffler que dans la dimension abstraite, humaine, quantifiée d’un monde de chiffres? Nous nous émerveillons dans l’abstraction d’une métaphore chiffrée , dans le passage d’une intensité graduée à une autre intensité graduée sans soupçonner que la puissance du vent suit l’impulsion d’un toit autre dynamisme que celui d’une « graduation ».
Il n’y a finalement rien de merveilleux à ce que les expérimentations scientifiques confirment les observations et les idées des scientifiques car les métaphores conceptuelles régulées par la logique créent ce rêve d’une nature régulière et cohérente dans lequel nous vivons. Il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations. Nous ne percevons que ce qui se donne à percevoir à partir de nos interprétations et si c’est un rêve logique que nous construisons c’est une nature logique que nous habitons. Ce point est fondamental et suffit à marquer (enfin!) La différence fondamentale entre Emmanuel Kant et Friedrich Nietzsche (même si, encore une fois, Schopenhauer est ,entre eux, le philosophe qui fait lien). Pour Kant, le phénomène est bien ce que l’être humain peut objectivement saisir d’une existence nouménale qui lui échappe. Cette universalité des sujets constituants que nous sommes constitue bel et bien une réalité observable, laquelle n’est pas métaphorique. La science progresse, selon Kant, dés qu’elle comprend à quel point c’est à elle de prendre les devants par rapport à une nature qui n’a qu’à se laisser instruite comme un écolier devant le maître d’école. Nous découvrons les propriétés de la nature dés lors que nous l’interrogeons à partir d’une idée qui est dans notre esprit, mais c’est bel et bien « la nature » qu’alors nous perçons à jour. Pour Nietzsche, cela ne saurait être le cas puisque cette dualité entre l’homme et la nature ne lui semble pas valide. Il y a des affects et des métaphores de ces affects lesquels peuvent donner lieu à des représentations de monde diverses dont l’une serait rationnelle, logique, explicable. Mais cette régularité des phénomènes naturels n’est pas dans la nature. Elle est dans notre esprit, dans une certaine façon (plutôt anesthésiante) de se rallier à des métaphores conceptuelles, logiques et numériques. C’est notre imagination qui construit de toute pièce un système solaire dans lequel les orbites, les déplacements de planète et de météorites sont aussi prévisibles et programmables, ce qui ne signifie pas qu’ils ne le soient pas. Ils le sont bel et bien mais à l’intérieur de cette métaphore dans laquelle nous sommes contraints de nous situer.
« Or c’est nous qui produisons celles-ci à l’intérieur et en dehors de nous avec la même nécessité que l’araignée qui tisse sa toile »: quelque chose de la science et surtout de l’empressement un peu panique avec lequel nous souscrivons sans réserve à sa représentation policée, rationnelle de la nature qu’elle décrit ressemble à la nécessité naturelle de l’araignée à tisser sa toile, car c’est bien la ruse de l’intellect qui s’active dans cette perspective programmatique d’un réel logique. Cette conception tien bel et bien du rêve du prématuré grâce auquel il se trouve et se donne des raisons de vivre.
Résumons: nous ne pouvons éprouver de sensations sans les métaphoriser et nous les métaphorisons nécessairement au travers d’un jeu de symboles et de figures spatio-temporelles qui en persistant, en s’inscrivant dans nos habitudes et en jouissant à nos yeux de cette légitimité que donne la longévité, deviennent la science, à savoir ce colombarium de concepts. Les concepts scientifiques sont donc des métaphores artistiques dont on a oublié qu’elle le sont.
« C’est le langage, nous l’avons vue…les panneaux les plus disparates » (§11):
Cette deuxième partie (la 3e pour nous) est l’occasion pour Nietzsche
de resituer ces analyses sur la vérité, le langage et ce que l’on
pourrait appeler l’instinct métaphorique dans une perspective très
humaine. Que s’ensuit-il concrètement pour l’être humain, aussi bien au
niveau des types de vérités poursuivies ou pratiquées par les hommes
qu’à celui des activités dans une perspective plus culturelle
(mythologie vs science) et enfin dans la détermination de figures
philosophiques au travers desquelles le Tragique grec s’oppose au
Stoïcien.
Nietzsche reprend donc en les résumant tous les développement précédents sur le langage. Il y a bien un instinct qui est à l’origine de cette quête acharnée du vrai mais il s’en faut de beaucoup que cet instinct soit celui du vraI. Ce que Nietzsche recherche, c’est justement cet instinct au regard duquel une certaine vérité nous apparaît d’ores et déjà comme un mensonge et cela à cause du langage, parce qu’il repose fondamentalement sur des assimilations qui sont des décalages à l’égard de la réalité des sensations et de leur diversité. La comparaison entre la science et l’abeille est précisément à saisir dans le prolongement de cette ambiguïté dans laquelle consiste une perpective Nietzschéenne toujours soucieuse de pointer la source instinctuelle de « l’animal humain » et le très haut niveau d’abstraction des constructions de cette étrange créature. Plus une activité peut sembler intellectuelle, formelle, abstraite, plus elle consiste en réalité dans la profondeur quasi primaire d’un instinct de protection, de dissimulation. Le scientifique comme l’abeille, « construit » et ce qu’il faudrait réaliser c’est la détection claire de tout ce qu’il y a de vital, de primaire dans la science, et cela aussi évidemment que peut (à tort d’ailleurs) nous sembler primaire ou instinctif le travail de l’abeille.
Soyons les « entomologistes » de la science, regardons le laboratoire scientifique comme s’il était lui-même et enfin le cobaye d’une étude faite en laboratoire. Tout comme certains auteurs ont crée des pièces dans lesquelles sont incluses des pièces (« play within the play »), concevons un « Laboratory within the laboratory ». Nous découvrirons alors qu’il s’agit pour le scientifique de caser l’intégralité de ce monde de sensations humaines (ensemble du monde empirique) dans des rangées de plus en plus générales, de plus en plus abstraites, suivant en cela aveuglément la logique linguistique de la conceptualisation. Cet édifice est donc tout à la fois motivé par un instinct profond de protection et par une logique de dissimulation visant à entretenir l’illusion d’une connaissance objective, pure, univoque alors même que rien dans ce bâtiment ne peut être considéré comme autre chose qu’humain, que faisant valoir une logique spécifiquement humaine, à partir de terminologies arbitraires.
Nietzsche reprend donc en les résumant tous les développement précédents sur le langage. Il y a bien un instinct qui est à l’origine de cette quête acharnée du vrai mais il s’en faut de beaucoup que cet instinct soit celui du vraI. Ce que Nietzsche recherche, c’est justement cet instinct au regard duquel une certaine vérité nous apparaît d’ores et déjà comme un mensonge et cela à cause du langage, parce qu’il repose fondamentalement sur des assimilations qui sont des décalages à l’égard de la réalité des sensations et de leur diversité. La comparaison entre la science et l’abeille est précisément à saisir dans le prolongement de cette ambiguïté dans laquelle consiste une perpective Nietzschéenne toujours soucieuse de pointer la source instinctuelle de « l’animal humain » et le très haut niveau d’abstraction des constructions de cette étrange créature. Plus une activité peut sembler intellectuelle, formelle, abstraite, plus elle consiste en réalité dans la profondeur quasi primaire d’un instinct de protection, de dissimulation. Le scientifique comme l’abeille, « construit » et ce qu’il faudrait réaliser c’est la détection claire de tout ce qu’il y a de vital, de primaire dans la science, et cela aussi évidemment que peut (à tort d’ailleurs) nous sembler primaire ou instinctif le travail de l’abeille.
Soyons les « entomologistes » de la science, regardons le laboratoire scientifique comme s’il était lui-même et enfin le cobaye d’une étude faite en laboratoire. Tout comme certains auteurs ont crée des pièces dans lesquelles sont incluses des pièces (« play within the play »), concevons un « Laboratory within the laboratory ». Nous découvrirons alors qu’il s’agit pour le scientifique de caser l’intégralité de ce monde de sensations humaines (ensemble du monde empirique) dans des rangées de plus en plus générales, de plus en plus abstraites, suivant en cela aveuglément la logique linguistique de la conceptualisation. Cet édifice est donc tout à la fois motivé par un instinct profond de protection et par une logique de dissimulation visant à entretenir l’illusion d’une connaissance objective, pure, univoque alors même que rien dans ce bâtiment ne peut être considéré comme autre chose qu’humain, que faisant valoir une logique spécifiquement humaine, à partir de terminologies arbitraires.
On aurait pu s’attendre à ce que l’homme d’action, plus impliqué dans
la réalité brute échappe à cette dissimulation à grande échelle qu’est
la conceptualisation de la vie, mais ce n’est pas le cas. L’instinct de
conservation, de protection de sa santé mentale est premier si bien que
lui aussi est « rationnel ». Si nous avions des yeux suffisamment
décillés pour voir vraiment la réalité brute dans laquelle nous sommes
immergés, nous deviendrions fous. C’est pourquoi l’homme d’action et
plus encore le chercheur se range sous la protection du concept et de la
science, adhérant inconsciemment à une conception rassurante et fausse
de la vérité (linguistique). Déjà se profile à l’horizon la distinction
sur laquelle se clôturera abruptement cette oeuvre (probablement
inachevée), à savoir l’opposition entre l’homme rationnel et l’homme
intuitif, car il importe de saisir ici, en fin, le sens profond de cette
opposition entre deux vérités, celle que l’on pourra appeler
universelle, objective de la science et celle plus intuitive (aléthéia)
de la mythologie, de l’art, de la création. On peut trouver des hommes
assez « intègres » et courageux pour creuser des brèches dans cette
construction scientifique d’un rempart entre nous et la réalité brute.Ce
sont les artistes, mais ils opèrent cette percée au prix de leur
« raison » laquelle n’est qu’une ruse de l’intellect pour se faire
croire que l’on a tout compris au monde quand on en a simplement
construit une i interprétation rassurante. Ami de Cézanne, le docteur
Gasquet rapporte ces paroles du peintre où s’exprime quelque chose de
cette vérité dangereuse de l’art:
« Un grand silence encore. Puis, il me regarde, et je sens ses yeux
qui, jusqu'au fond de moi, par-delà moi, jusqu'au fond de l'avenir,
m'éblouissent. Il a un grand sourire résigné.
Un autre fera ce que je n'ai pu faire, je ne suis, peut-être, que le primitif d'un art nouveau. Puis, une sorte de révolte effarée le traverse.
- C'est effrayant, la vie, ! Et comme une prière, dans le soir qui tombe, je l'entends qui, plusieurs fois, murmure :
Je veux mourir en peignant, mourir en peignant… »
La vérité dont il est question est une vérité du dévoilement, une vérité qui prend le risque effarant de regarder la vie sans protection. Cézanne déconstruit dans les toiles de sa maturité picturale ses motifs pour révéler quelque chose de notre immersion totale dans une nature inhumaine, cruelle, multiple, diverse, foisonnante et chaotique. La peinture comme dit Deleuze, est simplement « une affaire de perception ». Il n’est pas question « d’en rajouter », de réfléchir, encore moins de faire passer un soi-disant message (ultime tentative de la pensée linguistique pour faire rentrer dans le rang l’artiste) mais simplement d’apercevoir ce que les autres ne voient pas: cela peut-être la spirale de Van Gogh ou la touche vitrifiée de Cézanne. Ces nuances sont dans la vie, elles sont la vie, mais nous faisons semblant de n pas les voir pour nous protéger de la puissance débordante et excessive, déraisonnable de la nature.
Un autre fera ce que je n'ai pu faire, je ne suis, peut-être, que le primitif d'un art nouveau. Puis, une sorte de révolte effarée le traverse.
- C'est effrayant, la vie, ! Et comme une prière, dans le soir qui tombe, je l'entends qui, plusieurs fois, murmure :
Je veux mourir en peignant, mourir en peignant… »
La vérité dont il est question est une vérité du dévoilement, une vérité qui prend le risque effarant de regarder la vie sans protection. Cézanne déconstruit dans les toiles de sa maturité picturale ses motifs pour révéler quelque chose de notre immersion totale dans une nature inhumaine, cruelle, multiple, diverse, foisonnante et chaotique. La peinture comme dit Deleuze, est simplement « une affaire de perception ». Il n’est pas question « d’en rajouter », de réfléchir, encore moins de faire passer un soi-disant message (ultime tentative de la pensée linguistique pour faire rentrer dans le rang l’artiste) mais simplement d’apercevoir ce que les autres ne voient pas: cela peut-être la spirale de Van Gogh ou la touche vitrifiée de Cézanne. Ces nuances sont dans la vie, elles sont la vie, mais nous faisons semblant de n pas les voir pour nous protéger de la puissance débordante et excessive, déraisonnable de la nature.
Peut-être comprenons-nous plus facilement ce registre lexical du
cloisonnement: cabane, refuge, rempart, tour, château-fort: tout est bon
pour nous protéger de la puissance d’impact de l’extérieur vrai, du
« Grand Dehors ». C’est aussi la vérité du Da-Sein Heideggerien (par
ailleurs très grand lecteur de Nietzsche). L’artiste exprime « l’être
là » de la présence, que ce soit pour la montagne, les souliers, ou le
visage humain (Bacon). Quelles sont « ces puissances terribles qui le
menacent sans relâche »? Exactement celles que désigne Cézanne quand il
dit: « c’est effrayant la vie! ». Ces panneaux les plus disparates
pourraient donc en un sens, désigner des toiles, mais ce ne serait
sûrement pas le sens exact souhaité ici par l’auteur, qui, comme la
suite va le montrer, évoque bien l’art, mais aussi le mythe, le rêve, et
tout ce qui relève de l’imagination.
Cet instinct qui pousse l’homme à forger….illusionner de toutes les façons (§12): Les flux qui parcourent l’écriture de Nietzsche sont vraiment à l’image de sa conception de la vie et de la volonté de puissance , même si celle-ci ne parviendra à maturité que plus tard dans son oeuvre, car nous voyons bien comment nous, lecteurs, sommes constamment ballotés d’une description plutôt alarmante et desséchante de l’existence à une perspective beaucoup plus vive, rajeunissante, féconde. C’est comme si la pensée de l’écrivain se plaçait à l’unisson de ces forces contradictoires et multiples dont il essaie de suivre à la trace le ou les dynamismes. Nietzsche n’est jamais négativement pessimiste mais il est positivement pessimiste et optimiste, exactement comme le tragique grec dont il fera le portrait à la fin de l’oeuvre en contrepoint de celui du Stoïcien. Quoi qu’on soit, soyons-le pleinement! Vivons-le intensément! Devenons-le parce qu’il n’y a pas d’autre moyen de l’être! Cette citadelle décrite dans le paragraphe précédent (qui fait d’ailleurs écho à la « citadelle intérieure » du Stoïcien Marc-Aurèle) ne parvient pas à étrangler l’instinct vital de l’être humain qui, au sein même de cette contamination de l’intellect abstrait et « sclérosant » de la science, est capable de brouiller la diffusion de cette pathologie en changeant les rubriques, en transgressant les codes, en revitalisant le flux vivant de la métaphorisation.
Cet instinct qui pousse l’homme à forger….illusionner de toutes les façons (§12): Les flux qui parcourent l’écriture de Nietzsche sont vraiment à l’image de sa conception de la vie et de la volonté de puissance , même si celle-ci ne parviendra à maturité que plus tard dans son oeuvre, car nous voyons bien comment nous, lecteurs, sommes constamment ballotés d’une description plutôt alarmante et desséchante de l’existence à une perspective beaucoup plus vive, rajeunissante, féconde. C’est comme si la pensée de l’écrivain se plaçait à l’unisson de ces forces contradictoires et multiples dont il essaie de suivre à la trace le ou les dynamismes. Nietzsche n’est jamais négativement pessimiste mais il est positivement pessimiste et optimiste, exactement comme le tragique grec dont il fera le portrait à la fin de l’oeuvre en contrepoint de celui du Stoïcien. Quoi qu’on soit, soyons-le pleinement! Vivons-le intensément! Devenons-le parce qu’il n’y a pas d’autre moyen de l’être! Cette citadelle décrite dans le paragraphe précédent (qui fait d’ailleurs écho à la « citadelle intérieure » du Stoïcien Marc-Aurèle) ne parvient pas à étrangler l’instinct vital de l’être humain qui, au sein même de cette contamination de l’intellect abstrait et « sclérosant » de la science, est capable de brouiller la diffusion de cette pathologie en changeant les rubriques, en transgressant les codes, en revitalisant le flux vivant de la métaphorisation.
L’instinct qui finalement oeuvre dans la vérité est celui-là: la
métaphorisation des affects et dans cette recherche conceptuelle du vrai
qui catégorise et classifie, il irrigue les anciens canaux creusés d’un
nouvel élan qui éventuellement va détruire les digues, changer les
tracés, redéfinir incessamment les contours. De fait, constatons que la
science est une discipline incroyablement ouverte, capable de se
remettre en cause, de se porter vers de nouveaux objets. Il existe
aujourd’hui des scientifiques qui ne s’offusqueraient aucunement des
charges de Nietzsche contre le dessèchement de la pensée conceptuelle,
qui l’encouragerait peut-être: « L’imagination est plus importante que
la connaissance, dit ainsi Albert Einstein, car la connaissance est
limitée tandis que l’imagination englobe le monde entier. »
Nous sommes d’abord et finalement seulement des interprètes de sensation. Nous créons à partir d’elles des images opérant ainsi des analogies. Ceci est une base et une définition de l’homme indéfectible, première, fondamentale. C’est à cela qu’il faut revenir quand nous nous sentons perdus dans la lecture de Nietzsche. Cet instinct métaphorique est propre au vivant, mais l’intellect humain le file jusqu’à l’usure. Nous dévoilons ainsi le fond métaphorique d’une nature « voilante »: « la nature aime à se cacher » - Héraclite. Cela signifie qu’il n’est pas possible de savoir si en cet instant nous rêvons ou ne rêvons pas. Nietzsche serait un peu comme un lecteur de Descartes qui ne serait jamais sorti de la possibilité du rêve tout simplement parce qu’il ne croit pas que cela ne soit qu’une alternative que l’on devrait émettre juste pour s’en protéger…ce que Descartes, malheureusement, fait. Ce qui est réel c’est que cette alternative « est », qu’elle définit exactement cette propension métaphorique dans laquelle nous consistons. Mais alors, d’où vient que nous soyons persuadés de ne pas rêver? Uniquement de la force des métaphores conceptuelles, rationnelles, scientifiques.
Nous sommes d’abord et finalement seulement des interprètes de sensation. Nous créons à partir d’elles des images opérant ainsi des analogies. Ceci est une base et une définition de l’homme indéfectible, première, fondamentale. C’est à cela qu’il faut revenir quand nous nous sentons perdus dans la lecture de Nietzsche. Cet instinct métaphorique est propre au vivant, mais l’intellect humain le file jusqu’à l’usure. Nous dévoilons ainsi le fond métaphorique d’une nature « voilante »: « la nature aime à se cacher » - Héraclite. Cela signifie qu’il n’est pas possible de savoir si en cet instant nous rêvons ou ne rêvons pas. Nietzsche serait un peu comme un lecteur de Descartes qui ne serait jamais sorti de la possibilité du rêve tout simplement parce qu’il ne croit pas que cela ne soit qu’une alternative que l’on devrait émettre juste pour s’en protéger…ce que Descartes, malheureusement, fait. Ce qui est réel c’est que cette alternative « est », qu’elle définit exactement cette propension métaphorique dans laquelle nous consistons. Mais alors, d’où vient que nous soyons persuadés de ne pas rêver? Uniquement de la force des métaphores conceptuelles, rationnelles, scientifiques.
Nietzsche cite alors cette superbe parabole de Pascal dans laquelle
« un artisan rêvant qu’il est roi est aussi heureux qu’un roi rêvant
qu’il est un artisan » mais il faudrait la prolonger: « parce qu’il
l’est finalement ». Tout comme Tchouang-Tseu ne sait plus bien au final
s’il est un homme qui a rêvé qu’il était un papillon ou un papillon qui
rêve qu’il est un homme, la vie réduite à ce qu’elle est: une suite
d’affects ne nous donne pas, par elle-même, de critère de distinction
entre la veille et le songe.
Qu’est-ce que la « vérité », dés lors? Le dévoilement du voile, la lucidité enfin révèle de ceci que le rêve et la réalité ne se distinguent pas. L’homme éveillé n’est certain de veiller que parce qu’il est dans un rêve rationnel et inversement l’artiste ne se donne ainsi toute latitude d’imaginer que parce qu’il est dans la réalité de ces métaphores rêvées. On peut jouer à plaisir de tous les déplacements de ce chiasme entre fiction et réel, mais ce serait un peu vain, parce que le fond de la pensée de Nietzsche consiste à affirmer la plus grande intensité de la lumière du jour des Tragédiens Grecs que celle, à « contre jour » de la pensée rationalisante et morne d’une science exclusivement conceptuelle.
Qu’est-ce que la « vérité », dés lors? Le dévoilement du voile, la lucidité enfin révèle de ceci que le rêve et la réalité ne se distinguent pas. L’homme éveillé n’est certain de veiller que parce qu’il est dans un rêve rationnel et inversement l’artiste ne se donne ainsi toute latitude d’imaginer que parce qu’il est dans la réalité de ces métaphores rêvées. On peut jouer à plaisir de tous les déplacements de ce chiasme entre fiction et réel, mais ce serait un peu vain, parce que le fond de la pensée de Nietzsche consiste à affirmer la plus grande intensité de la lumière du jour des Tragédiens Grecs que celle, à « contre jour » de la pensée rationalisante et morne d’une science exclusivement conceptuelle.
Si la texture même de l’existence est métaphorisante, vouée par nature à
la transposition continuelle et fondamentale, principielle, alors les
métaphores premières, dans tous les sens que peut revêtir cette
antériorité, à savoir, à la fois, les plus récentes, les plus brutes,
les plus irréductiblement nouvelles, mais aussi les plus antiques, les
plus spontanées dans l’histoire de l’homme, soit la pensée mythologique,
magique, surnaturelle sont les plus « vraies », les plus authentiques,
les plus à mêmes de rendre compte de ce tremblement de l’existence tel
qu’il se manifeste aux premiers existants. Que le surnaturel puisse
ainsi surgir à tout moment nous situe de fait dans une posture
existentielle plus vraie que lorsque nos métaphores, élimées par un long
usage de l’intellect abstrait , a construit autour de nous ce
colombarium de la pensée vide, comme une citadelle de la croyance dans
le « tout est sous contrôle ». Quoi de plus vrai, en effet, que cette
représentation de Dieux tout occupés à nous tromper, à nous manipuler, à
jouer de nous comme si nous n’étions que de simples pions pour nous
faire métaphoriquement comprendre que telle est en effet, la volonté de
puissance?
Mais l’homme lui-même a une tendance invincible à se laisser tromper….à la puissante intuition présente (§13): Il est peu de passages aussi « enjoué », aussi optimiste que celui-ci dans l’oeuvre, car Nietzsche décrit ici la seule « vérité » qui puisse valoir dans une réalité vouée par nature à tromper et à être trompée. Les mythes n’ont jamais consisté à donner à l’homme une sorte d’explication plausible des phénomènes en leur assignant une origine surnaturelle ou divine. Ils sont directement en prise avec cette efficience à la fois première et indépassable de la métaphorisation, un peu comme si l’homme acceptait de croire ce dont il sait, par ailleurs, que c’est une fable. Il n’y a que des fables. Ce monde d’objets que j’imagine dans le prolongement de mes sensations est une fable, et si c’est une fable qui se manifeste universellement pour tous mes semblables, c’est à cause du langage qui ne fait que structurer cette hallucination collective d’un monde d’objets distincts et lisses à l’horizon de tous nos affects. Par conséquent, à chaque fois que je dis qu’il est vrai que je touche ce mur ou que je vois cette chaise, je devrais dire que c’est « courant », c’est l’hallucination commune à laquelle nous adhérons pour nous entretenir dans l’illusion d’une vérité, alors qu’il ne s’agit que d’un sens commun établissant communément une version viable parce que simplement commune.
Mais l’homme lui-même a une tendance invincible à se laisser tromper….à la puissante intuition présente (§13): Il est peu de passages aussi « enjoué », aussi optimiste que celui-ci dans l’oeuvre, car Nietzsche décrit ici la seule « vérité » qui puisse valoir dans une réalité vouée par nature à tromper et à être trompée. Les mythes n’ont jamais consisté à donner à l’homme une sorte d’explication plausible des phénomènes en leur assignant une origine surnaturelle ou divine. Ils sont directement en prise avec cette efficience à la fois première et indépassable de la métaphorisation, un peu comme si l’homme acceptait de croire ce dont il sait, par ailleurs, que c’est une fable. Il n’y a que des fables. Ce monde d’objets que j’imagine dans le prolongement de mes sensations est une fable, et si c’est une fable qui se manifeste universellement pour tous mes semblables, c’est à cause du langage qui ne fait que structurer cette hallucination collective d’un monde d’objets distincts et lisses à l’horizon de tous nos affects. Par conséquent, à chaque fois que je dis qu’il est vrai que je touche ce mur ou que je vois cette chaise, je devrais dire que c’est « courant », c’est l’hallucination commune à laquelle nous adhérons pour nous entretenir dans l’illusion d’une vérité, alors qu’il ne s’agit que d’un sens commun établissant communément une version viable parce que simplement commune.
Cette pseudo-vérité tient davantage de la manifestation
sociologique dite de « l’effet témoin » que d’un quelconque instinct de
vérité. On peut penser ici au film de Lucas Belvaux: « l’effet témoin ».
Les 37 personnes qui ont toutes entendu les cris de la victime tissent
de toute pièce la trame d’une autre réalité, parce que la vérité du cri
les met en face d’une dimension terrifiante dans laquelle l’inconnu peut
surgir à tout moment. Il crée une réalité alternative. Ce point est
fondamental car ce serait commettre une grave erreur que de penser que
les thèses de Nietzsche épouse finalement la perspective de cette
réalité alternative. Le cri en lui-même n’est pas une métaphore, il est
une sensation que tout le monde a entendu. L’émergence d’un monde
terrifiant au sein duquel tout peut arriver est vraie, ne serait-ce que
parce que le trouble qu’il provoque est efficient. L’article récent de
Dorian Astor au sujets des faits alternatifs revendiqués par
l’administration Trump au sujet de son investiture est particulièrement
clair et précis sur ce point:
« Plus radical — ou plus suspicieux — que Kant, Nietzsche en tire la
conséquence que la distinction entre l’en-soi et le phénomène est
elle-même une affabulation, et que la notion de « fait en soi » est une
absurdité. Il n’y a de faits que fabriqués, de factum que fictum —
Extrapolation, interpolation ou interprétation. On n’interprète pas un
fait, c’est le fait qui est une interprétation. À la lettre, il n’y a
pas de fait — il n’y a que de l’interprétation. Or apparemment
(c’est-à-dire, si on la prend au sérieux), Conway affirme au contraire
qu’il y a des faits. Il y en a même davantage que ceux que nous
connaissons, des faits alternatifs aux nôtres. À aucun moment elle ne
suggère qu’un même fait puisse tolérer des interprétations alternatives
(cela, c’est bon pour le débat démocratique et la liberté d’expression),
encore moins qu’il n’y aurait que des interprétations. Il y a d’autres
faits, connus des seuls maîtres du monde, et c’est bien normal. Le
concept de « fait alternatif » ne relève pas d’un quelconque
relativisme, mais d’un dogmatisme grossier.
Il faut ensuite souligner que la formule nietzschéenne « il n’y a pas de
faits » ne veut pas dire que rien ne se donne dans le donné, que ce qui
apparaît n’est qu’un néant. Au contraire, l’apparence est pleine,
généreuse, surabondante ; elle déborde toujours les limites de ce que
nous pouvons en saisir. Qui trop embrasse mal étreint : l’interprétation
est un prélèvement, une sélection drastique, une activité
simplificatrice, et par-là même falsificatrice. Face à la profusion des
multiplicités infinies en devenir qui nous bombardent comme des canons à
particules, nous avons des armes mal réglées qui s’appellent la
connaissance et le langage (seul un dieu pourrait réaliser un réglage
parfait). Ces instruments nous servent à filtrer, trier, ordonner ce
désordre, et nous donnent un sentiment de puissance, l’impression de
dominer ce chaos. Un fait, c’est un petit tiroir dans lequel nous
croyons avoir pu enfermer un fragment de chaos. D’un flux trop grand
pour nous, nous avons fait un objet trop petit. C’est une activité
vitale et instinctive, utile et même indispensable. Mais c’est une
falsification, même si nous ne savons jamais ce qui a été falsifié, et
ce que c’était avant de l’être. »
S’il n’y a pas de faits mais que des interprétations, pourquoi pas
celle-ci (aucune femme n’a crié pour les 37 témoins ou L’investiture de
Trump a réuni plus de personnes que celle d’Obama)? Tout simplement
parce que Kellyanne Conway ou les 37 témoins ne disent pas que leur
version n’est qu’une interprétation mais ils affirment que ce sont les
faits. Elle suggère qu’il y a « d’autres faits » à la lueur desquels
Trump aurait rassemblé plus de monde qu’Obama, là même où Nietzsche
dirait qu’il y a d’autres interprétations, voire qu’il n’y a que des
interprétations. Sur ce fait, il est question de comptage, lequel
consiste déjà en soi dans une certaine interprétation de ce qu’est un
rassemblement de personnes. Il y a des flux dynamiques de vie qui se
libèrent à chaque instant et qui excèdent de toutes parts nos facultés
de perception. Nous croyons tout connaître ce cette débauche d’énergie
tout simplement parce que les filets du langage nous en ramènent « les
plus gros poissons », les étiquettes les plus grossières, les
assimilations les plus caricaturales. L’homme vit de part en part
dans une réalité qui l’excède et le dépasse. Qu’il y ait « d’autres
faits » dans cet évènement que l’investiture de Trump que celui de
l’attroupement de personnes est indiscutable mais cela ne saurait pour
autant signifier qu’il y a plusieurs interprétations possibles de cette
interprétation qu’est le décomptage de personnes. Sous cet angle, il n’y
a qu’une interprétation viable.
Pour les mêmes raisons, les 37 personnes usent pour leur confort de la capacité qu’a le langage de constituer des faits une version qui occulte la sensation la plus vive, à savoir le cri de la femme assassinée. Les interprétations ne signifient pas du tout que l’homme est légitimer à créer toutes les versions qu’il veut de tel ou tel instant, car toute métaphore doit valoir par analogie avec ce qu’elle transpose. L’intensité du cri était telle qu’elle ne pouvait pas ne pas se détacher du Fond perceptif de ce moment.
Ce n’est pas du tout de travestissement de cet acabit dont il est question ici, ne serait-ce que parce que ces mensonges là, ceux de Kellyanne Conway et des 37 témoins sont intéressés, commandés par le confort et l’auto-persuasion idéologique. Le « bonheur » que nous éprouvons à écouter de mythes ou à voir des acteurs de théâtre jouer est une satisfaction pleine, entière et assumée parce que nous savons bien que l’acteur joue mieux le roi que le roi lui-même, ou que le mythe dit mieux que l’explication scientifique le tremblement physique du phénomène, son impact sensible, bref sa vérité. Quelque chose de l’intellect se dévoile dans l’art et la mythologie plus et mieux que dans toute autre activité, mais quoi donc? La vérité de son activité dissimulatrice, théâtrale, tragique, mensongère (si l’on y tient).
Pour les mêmes raisons, les 37 personnes usent pour leur confort de la capacité qu’a le langage de constituer des faits une version qui occulte la sensation la plus vive, à savoir le cri de la femme assassinée. Les interprétations ne signifient pas du tout que l’homme est légitimer à créer toutes les versions qu’il veut de tel ou tel instant, car toute métaphore doit valoir par analogie avec ce qu’elle transpose. L’intensité du cri était telle qu’elle ne pouvait pas ne pas se détacher du Fond perceptif de ce moment.
Ce n’est pas du tout de travestissement de cet acabit dont il est question ici, ne serait-ce que parce que ces mensonges là, ceux de Kellyanne Conway et des 37 témoins sont intéressés, commandés par le confort et l’auto-persuasion idéologique. Le « bonheur » que nous éprouvons à écouter de mythes ou à voir des acteurs de théâtre jouer est une satisfaction pleine, entière et assumée parce que nous savons bien que l’acteur joue mieux le roi que le roi lui-même, ou que le mythe dit mieux que l’explication scientifique le tremblement physique du phénomène, son impact sensible, bref sa vérité. Quelque chose de l’intellect se dévoile dans l’art et la mythologie plus et mieux que dans toute autre activité, mais quoi donc? La vérité de son activité dissimulatrice, théâtrale, tragique, mensongère (si l’on y tient).
Le philosophe allemand Adorno exprime parfaitement ce dévoilement du voile, dans sa définition de l’Art: « la magie affranchie du mensonge d’être vraie. »
Il y a en effet une grande différence entre le gourou utilisant un
subterfuge pour faire croire à ses fidèles qu’il vient d’accomplir un
miracle et le magicien qui ne se fait passer que pour ce qu’il est: un
expert en supercherie, en tromperie. Tromper pour la plaisir de tromper
et d’être trompé: tel est bien la force enfin révélée, enfin gratuite
d ‘un intellect qui ne cache plus ses ruses sans pour autant cesser de
ruser. Ce n’est plus sous la menace de sa conservation que l’être humain
use de cet intellect mais dans la fibre esthétique de sa puissance
fictive, métaphorisante, imaginative. On jouit alors de la force de
transposition d’un mensonge qui dit la vérité de ce qu’il est. On peut
alors dire du mythe ce que Jean Cocteau disait du roman à savoir qu’il
est « un mensonge qui dit toujours la vérité. » De même, Pierre Bourdieu
décrit excellemment la fonction de vérité de nombreux romans qui disent
davantage la vérité d’une époque que toutes les enquêtes sociologiques,
précisément parce qu’elle sont des oeuvres de fiction: « L’ «effet de
réel» est cette forme très particulière de croyance que la fiction
littéraire produit à travers une référence déniée au réel désigné qui
permet de savoir tout en refusant de savoir ce qu’il en est vraiment. »
On en apprend davantage sur le souvenir involontaire en lisant Proust qu’en décryptant tous les ouvrages scientifiques les plus pointus sur la mémoire, précisément parce que Marcel Proust ne fait que « raconter une histoire. » Nietzsche fait une distinction essentielle entre le travestissement et la distorsion. La sécheresse des métaphores conceptuelles, ainsi que l’esprit de sérieux, au très mauvais sens du terme, qui les accompagne porte la marque de cette action déformante, abusive, dommageable à tous égards à l’homme ainsi qu’à la vie elle-même, tandis que les métaphores intuitives telles qu’elles se libèrent dans l’art, la mythologie et la création produisent du travestissement joyeux et sont en phase avec les forces les plus vives de l’univers. Ce n’est pas travestir la vérité que de laisser en soi libre cours à cette efficience authentique et libérée du travestissement, telle qu’elle s’exprime notamment dans les Dionysies, d’abord, dans le théâtre tragique ensuite, puis dans les saturnales, enfin dans le Carnaval tel que nous n’en connaissons aujourd’hui que de très pâles copies (cette pâleur d’ailleurs donne idée de la distorsion de l’esprit de notre époque contemporaine).
On en apprend davantage sur le souvenir involontaire en lisant Proust qu’en décryptant tous les ouvrages scientifiques les plus pointus sur la mémoire, précisément parce que Marcel Proust ne fait que « raconter une histoire. » Nietzsche fait une distinction essentielle entre le travestissement et la distorsion. La sécheresse des métaphores conceptuelles, ainsi que l’esprit de sérieux, au très mauvais sens du terme, qui les accompagne porte la marque de cette action déformante, abusive, dommageable à tous égards à l’homme ainsi qu’à la vie elle-même, tandis que les métaphores intuitives telles qu’elles se libèrent dans l’art, la mythologie et la création produisent du travestissement joyeux et sont en phase avec les forces les plus vives de l’univers. Ce n’est pas travestir la vérité que de laisser en soi libre cours à cette efficience authentique et libérée du travestissement, telle qu’elle s’exprime notamment dans les Dionysies, d’abord, dans le théâtre tragique ensuite, puis dans les saturnales, enfin dans le Carnaval tel que nous n’en connaissons aujourd’hui que de très pâles copies (cette pâleur d’ailleurs donne idée de la distorsion de l’esprit de notre époque contemporaine).
Dans le site « Clio et Calliope", nous trouvons cette description des Dionysies:
« Les Grandes dionysies, voulues par Pisistrate, se déroulaient sur plusieurs jours et avaient lieu à la fin du mois de mars, c’est-à-dire à une période de renouveau de la nature et où Athènes voyait aussi revenir les voyageurs. Elles s’ouvraient, le premier jour, sur une grande procession solennelle en l’honneur de " Dionysos Eleuthereus ", ainsi nommé parce que la statue du Dieu était venue d’Eleuthères, ville qui passait pour être le lieu de naissance de Dionysos. Toute la cité y participait, jusqu’aux prisonniers, qui étaient relâchés sous caution! Des chants et des danses étaient organisés et il y avait même une procession de phallus, symbolisant les bienfaits de Dionysos… Enfin, un sacrifice de taureaux avait lieu, suivi de banquets. Durant les deuxièmes et troisième jours, un concours de dithyrambes ( poèmes lyriques à la louange de Dionysos) était organisé entre les chœurs d’hommes et de jeunes garçons des dix tribus de la cité. Enfin, au cours des quatre derniers jours, un concours dramatique avait lieu, se divisant en trois jours consacrés à la tragédie, suivis d’un dernier consacré à la comédie. »
« Les Grandes dionysies, voulues par Pisistrate, se déroulaient sur plusieurs jours et avaient lieu à la fin du mois de mars, c’est-à-dire à une période de renouveau de la nature et où Athènes voyait aussi revenir les voyageurs. Elles s’ouvraient, le premier jour, sur une grande procession solennelle en l’honneur de " Dionysos Eleuthereus ", ainsi nommé parce que la statue du Dieu était venue d’Eleuthères, ville qui passait pour être le lieu de naissance de Dionysos. Toute la cité y participait, jusqu’aux prisonniers, qui étaient relâchés sous caution! Des chants et des danses étaient organisés et il y avait même une procession de phallus, symbolisant les bienfaits de Dionysos… Enfin, un sacrifice de taureaux avait lieu, suivi de banquets. Durant les deuxièmes et troisième jours, un concours de dithyrambes ( poèmes lyriques à la louange de Dionysos) était organisé entre les chœurs d’hommes et de jeunes garçons des dix tribus de la cité. Enfin, au cours des quatre derniers jours, un concours dramatique avait lieu, se divisant en trois jours consacrés à la tragédie, suivis d’un dernier consacré à la comédie. »
Il convient de penser au « souffle » se répandant dans la cité de ces
périodes exceptionnelles des Dionysies ou des saturnales, transgressant
toutes les lois habituelles, tous les codes et toutes les normes pour
se faire une idée de « cette attitude créatrice répondant à la puissance
intuition présente ». « Le mot n’est pas fait pour elle » dit Nietzsche
au sujet de ces intuitions et cela pointe vers une efficience plus
brute de l’instinct métaphorique, tel qu’il se manifeste dans les fêtes,
dans les travestissements, dans les transes et les libations. Qu’une
vérité se fasse jour dans la cité et finalement contre elle, à
l’occasion de ces festivités, n’est pas douteux, puisque le citoyen s’y
découvre et finalement s’y revendique revêtu d’autres ornements que
ceux, officiels, de sa fonction dans la cité. C’est comme si son
animalité, mais aussi son goût pour le masque et pour le jeu perçait
enfin sous le vernis de son statut de citoyen.
Il y a des époques où l’homme raisonnable et l’homme intuitif vont de pair (§14) Nietzsche n’a jamais souhaité publier cet écrit. Nous ne pouvons donc pas savoir s’il était prévu qu’il se termine de cette façon, mais c’est bien par l’opposition quasiment terme à terme de deux figures que se clôture cette oeuvre, comme si la question de savoir d’où vient cet instinct de vérité trouvait une forme de réponse dans la contradiction entre l’attitude Tragique et l’attitude Stoïcienne. Mais aussi opposée soit-elle, et elles le sont intégralement dans ce dernier §, c’est bel et bien cet instinct de la métaphorisation qui se trouve à l’origine de l’une et de l’autre. Mais pour autant l’une a plus de valeur que l’autre, et nous nous trouvons déjà ici en face de ce que Nietzsche appellera plus tard la transvaluation, à savoir la mise en place d’une nouvelle hiérarchisation des valeurs. C’est tout ce qui fait de l’auteur le contraire d’un Nihiliste, contrairement à la fausse réputation qui lui est parfois attachée, car il n’est pas question de détruire gratuitement mais bien de créer des valeurs autres là où les anciennes sont érodées par l’usage, comme des métaphores filées jusqu’à la corde.
Le Tragique Le Stoïcien
Intuitif Raisonnable
Mépris des concepts. Peur de l’inconnu
Irrationnel Mépris de l’art
Domination de l’art sur la vie Domination de la prévoyance
Amour du travestissement Maitrise de soi par le concept
Ivresse, Créativité Abnégation
Intensification des affects Impassibilité du sage
Transe, Théâtre Ataraxie
Il y a des époques où l’homme raisonnable et l’homme intuitif vont de pair (§14) Nietzsche n’a jamais souhaité publier cet écrit. Nous ne pouvons donc pas savoir s’il était prévu qu’il se termine de cette façon, mais c’est bien par l’opposition quasiment terme à terme de deux figures que se clôture cette oeuvre, comme si la question de savoir d’où vient cet instinct de vérité trouvait une forme de réponse dans la contradiction entre l’attitude Tragique et l’attitude Stoïcienne. Mais aussi opposée soit-elle, et elles le sont intégralement dans ce dernier §, c’est bel et bien cet instinct de la métaphorisation qui se trouve à l’origine de l’une et de l’autre. Mais pour autant l’une a plus de valeur que l’autre, et nous nous trouvons déjà ici en face de ce que Nietzsche appellera plus tard la transvaluation, à savoir la mise en place d’une nouvelle hiérarchisation des valeurs. C’est tout ce qui fait de l’auteur le contraire d’un Nihiliste, contrairement à la fausse réputation qui lui est parfois attachée, car il n’est pas question de détruire gratuitement mais bien de créer des valeurs autres là où les anciennes sont érodées par l’usage, comme des métaphores filées jusqu’à la corde.
Le Tragique Le Stoïcien
Intuitif Raisonnable
Mépris des concepts. Peur de l’inconnu
Irrationnel Mépris de l’art
Domination de l’art sur la vie Domination de la prévoyance
Amour du travestissement Maitrise de soi par le concept
Ivresse, Créativité Abnégation
Intensification des affects Impassibilité du sage
Transe, Théâtre Ataraxie
Qu’est-ce qui se joue de cet instinct de vérité dans ce duel de figures
dont on voit très clairement vers lequel des deux personnages s’oriente
la préférence de l’auteur? Une attitude, un style de vie, que l’on peut
définir de la façon suivante en reprenant la formule de Nietzsche
lui-même: « en n’admettant comme réelle que la vie travestie en
apparence et en beauté ». La référence à la maison, au vêtement et à la
cruche d’argile des grecs de l’antiquité constitue en fait une forme
d’argumentation défendant l’existence de ce style de vie de l’homme des
métaphores intuitives. Si cette figure n’avait pas existé, nous
n’aurions pas trouvé des vestiges de cette gratuité du travestissement
de la vie dans l’art. Or l’architecture, les vêtements, les objets
artisanaux manifestent sans aucune contestation possible un souci
purement esthétique, un culte des apparences. Si le Stoïcien avait
triomphé, nous n’aurions découvert que des reliefs de la vie nécessaire
hantée par le seul spectre de sa propre conservation, car cette
abnégation du stoïcien cache en fait, comme toute adoration de la
raison, une terreur panique devant l’inconnu et la multiplicité
« baroque » (évidement ce terme n’est pas à prendre en tant que courant
artistique puisque il apparaîtra bien plus tard en Europe) des forces de
la vie.
Bien au contraire, tout ce que nous connaissons de la culture grecque de
l’antiquité d’avant Socrate et Platon, nous emplit du sentiment d’une
plénitude, d’une « vraie santé », d’une joie créatrice dans tous les
domaines de l’Art. Rien ne se « retient », la vie créatrice se libère,
s’accomplit dans la jouissance et la douleur, peu importe pourvu que la
sensation ne se retourne pas contre elle-même, ne se reproche pas
d’exister, ne se culpabilise pas d’être et de devenir images, au
pluriel.
Ce que Nietzsche nous invite à faire finalement, c’est à distinguer deux postures à l’égard de cette métaphorisation consubstantielle à la vie: soit l’ignorer et dés lors on en sera victime sans s’en rendre compte, soit la célébrer et on la fera circuler à plein régime dans ses créations, dans ses oeuvres dans son existence en devant ce que l’on est. Le stoïcien est d’autant plus ridicule qu’il joue un rôle sans le savoir. Nietzsche souligne avec une ironie mordante l’impassibilité du stoïcien au plus fort de l’orage, comme s’il n’était que trop évident qu’elle ne peut qu’être simulée, car enfin: il pleut, il tonne et rien ne saurait être plus souhaitable pour l’homme accompli que de vivre en phase avec cette nature indécryptable et pourtant cryptée, inconnaissable et pourtant sentie, voilée et pourtant « vraie » dans et par son voile, comme une Salomé jamais nue dans l’infinité conjuguée et synchrone de ses parures et de ses dévoilements.
Ce que Nietzsche nous invite à faire finalement, c’est à distinguer deux postures à l’égard de cette métaphorisation consubstantielle à la vie: soit l’ignorer et dés lors on en sera victime sans s’en rendre compte, soit la célébrer et on la fera circuler à plein régime dans ses créations, dans ses oeuvres dans son existence en devant ce que l’on est. Le stoïcien est d’autant plus ridicule qu’il joue un rôle sans le savoir. Nietzsche souligne avec une ironie mordante l’impassibilité du stoïcien au plus fort de l’orage, comme s’il n’était que trop évident qu’elle ne peut qu’être simulée, car enfin: il pleut, il tonne et rien ne saurait être plus souhaitable pour l’homme accompli que de vivre en phase avec cette nature indécryptable et pourtant cryptée, inconnaissable et pourtant sentie, voilée et pourtant « vraie » dans et par son voile, comme une Salomé jamais nue dans l’infinité conjuguée et synchrone de ses parures et de ses dévoilements.
Ce que Nietzsche semble avoir en ligne de mire, c’est aussi
l’idéal de l’ataraxie que l’on retrouve tout aussi bien, même s’il l’est
sous des formes différentes, dans le stoïcisme et l’épicurisme.
L’absence de trouble est un leurre, un signe de nihilisme: comment
pourrions-nous tuer en nous le désir? Nietzsche n’hésite pas à la fin de
sa vie à se définir lui-même comme l’anti-thèse absolue de Schopenhauer
qui l’a pourtant beaucoup influencé mais ce point est central dans leur
opposition car le vouloir-vivre est une puissance destructrice pair
Schopenhauer. Alors que le surhomme Nietzschéen n’a pas d’autre objectif
que de célébrer et de consentir à la volonté de puissance. Comment
pourrait-il être question de s’interdire de désirer pour être heureux
quand le désir est en nous cette force prolifique et féconde au gré de
laquelle nous pouvons devenir ce que nous sommes?
Schopenhauer ne désavoue pas cette ascèse du Stoïcien et il s’y retrouve
à bien des titres, puisque le bouddhisme et l’Hindouisme, ces deux
sources d’inspiration préconisent également la cessation de la douleur
pour sortir de cette souffrance qu’est la vie. Nietzsche est un opposant
farouche à ce nihilisme. Et cela se vérifiera par la suite dans la
mesure où l’éternel retour est une intuition totalement opposée au
« Nirvana » Bouddhiste dans la mesure où autant le second décrit la
rupture définitive du cycle des réincarnations de la vie, autant le
second dessine l’infinité d’un consentement suffisamment amoureux de la
vie pour ne jamais se résigner à en sortir.
Le stoïcien « prend la pose » (nous pourrions presque dire qu’il pose pour la statue de la postérité du sage) là où le tragique vit à plein la grâce de chaque instant donné dans le travestissement, dans la création, dans la démesure joyeuse de la célébration. L’oubli est, pour Nietzsche une force positive qui nous permet non seulement de renouveler incessamment nos perceptions de la vie mais aussi de créer sans cesse de nouvelles métaphores à partir des sensations. Le Stoïcien au contraire, se calfeutre suffisamment dans son manteau ou dans « sa citadelle intérieure » contre les coups du sort qu’il se le tient pour « dit » et ne vit rien, toujours raisonnable, si capable d’anticiper les malheurs qu’ils se privent par ce même mouvement de la sensibilité d’accueillir les bonheurs et les jouissances de l’existence.
Conclusion
Le stoïcien « prend la pose » (nous pourrions presque dire qu’il pose pour la statue de la postérité du sage) là où le tragique vit à plein la grâce de chaque instant donné dans le travestissement, dans la création, dans la démesure joyeuse de la célébration. L’oubli est, pour Nietzsche une force positive qui nous permet non seulement de renouveler incessamment nos perceptions de la vie mais aussi de créer sans cesse de nouvelles métaphores à partir des sensations. Le Stoïcien au contraire, se calfeutre suffisamment dans son manteau ou dans « sa citadelle intérieure » contre les coups du sort qu’il se le tient pour « dit » et ne vit rien, toujours raisonnable, si capable d’anticiper les malheurs qu’ils se privent par ce même mouvement de la sensibilité d’accueillir les bonheurs et les jouissances de l’existence.
Conclusion
Cet ouvrage est divisé par l’auteur en deux parties, et nous venons de
réaliser à quel point la seconde, plus courte est marquée par une
dualité, par une confrontation constante entre la science et l’art,
entre le rêve et la réalité, entre le Tragique et le Stoïcien. Nous
pouvons être surpris du fait qu’une oeuvre dont le propos avéré,
revendiqué est de trouver l’origine de cet instinct de vérité dont
l’intellect humain, par ailleurs si ridicule et dérisoire aussi bien à
l’échelle de l’univers que dans sa considération de l’univers se finisse
par une simple opposition de caractères humains, de « figures ».
Mais cela permet précisément de proposer au lecteur une conclusion très concrète quant aux implications de tout ce qui a été traité dans cet ouvrage. Face à ce qui constitue probablement l’affirmation en tous points essentielle de ce livre, à savoir que l’homme est, par nature, « animal métaphorique », plusieurs attitudes se dessinent, mais Nietzsche en privilégient deux opposées sur tout. Nous pouvons choisir de refermer sur nous-mêmes l’efficience supposée d’une liberté intérieure qui cultiverait l’impassibilité, la tempérance, l’abstinence et l’abnégation. Mais nous ne ferons alors qu’être le jouet de cette fibre métaphorique qui nous porte et nous anime. Nous endosserons aux yeux d’un univers parfaitement indifférent le rôle du sage digne et endurant qui supporte et s’abstient, bref nous ne dépasserons jamais le stade du « chameau qui porte » et resterons de « petits hommes ». Mais nous pouvons, au contraire, « transvaluer », détruire ces valeurs fondées sur la conscience et la morale pour célébrer au contraire l’art, la mythologie et la création. C’est cette intuition de la volonté de puissance (même si ce n’est que plus tard, répétons-le, que Nietzsche donnera à cette notion toute son amplitude) que les tragiques grecs ont exaltée dans leurs oeuvres avec une violence et une puissance esthétique inégalées. Il ne saurait être question de revenir en arrière , et encore moins de laisser en nous s’exprimer un penchant nostalgique. Rien ne saurait être plus étranger à la philosophie de Nietzsche. Ce que révèle cette lecture Nietzschéenne de l’origine de la tragédie (à savoir les dionysies), c’est que nous sommes tous des artistes nés, parce que nous sommes d’abord et seulement des créateurs de métaphores. Il n’existe pas pour toute créature vivante de « milieu » qui puisse être autre que celui que produit l’interprétation de ces sensations. Il n’y a pas de « chose en soi », d’existence en soi d’un univers qui serait UNE réalité hors de la multiplicité infinie des interprétations que nous en constituons, et dans ce « nous », il n’y a pas que les hommes.
Mais cela permet précisément de proposer au lecteur une conclusion très concrète quant aux implications de tout ce qui a été traité dans cet ouvrage. Face à ce qui constitue probablement l’affirmation en tous points essentielle de ce livre, à savoir que l’homme est, par nature, « animal métaphorique », plusieurs attitudes se dessinent, mais Nietzsche en privilégient deux opposées sur tout. Nous pouvons choisir de refermer sur nous-mêmes l’efficience supposée d’une liberté intérieure qui cultiverait l’impassibilité, la tempérance, l’abstinence et l’abnégation. Mais nous ne ferons alors qu’être le jouet de cette fibre métaphorique qui nous porte et nous anime. Nous endosserons aux yeux d’un univers parfaitement indifférent le rôle du sage digne et endurant qui supporte et s’abstient, bref nous ne dépasserons jamais le stade du « chameau qui porte » et resterons de « petits hommes ». Mais nous pouvons, au contraire, « transvaluer », détruire ces valeurs fondées sur la conscience et la morale pour célébrer au contraire l’art, la mythologie et la création. C’est cette intuition de la volonté de puissance (même si ce n’est que plus tard, répétons-le, que Nietzsche donnera à cette notion toute son amplitude) que les tragiques grecs ont exaltée dans leurs oeuvres avec une violence et une puissance esthétique inégalées. Il ne saurait être question de revenir en arrière , et encore moins de laisser en nous s’exprimer un penchant nostalgique. Rien ne saurait être plus étranger à la philosophie de Nietzsche. Ce que révèle cette lecture Nietzschéenne de l’origine de la tragédie (à savoir les dionysies), c’est que nous sommes tous des artistes nés, parce que nous sommes d’abord et seulement des créateurs de métaphores. Il n’existe pas pour toute créature vivante de « milieu » qui puisse être autre que celui que produit l’interprétation de ces sensations. Il n’y a pas de « chose en soi », d’existence en soi d’un univers qui serait UNE réalité hors de la multiplicité infinie des interprétations que nous en constituons, et dans ce « nous », il n’y a pas que les hommes.
Quiconque s’intéresse un tant soit peu à ces figures de style que sont
la métaphore, la métonymie, la catachrèse, etc, ne perçoit pas
nécessairement à quel point il entre inconsciemment dans la structure la
plus efficiente de la vie, dans le principe dynamique le plus
opérationnel au sein de ce que le fait d’être et surtout de devenir
implique, quel que soit le règne auquel on appartienne. « La nature aime
à se voiler »: cette énigmatique sentence d’Héraclite pourrait bien
contenir le secret même de notre « être au monde », voire de la réalité,
tout court, car c’est bel et bien dans l’attitude la plus adéquate qui
se puisse adopter face à ce mouvement de perpétuelle transposition de la
vie même que se situe non pas tant la clé de notre bonheur que celle de
notre accession au statut de Surhomme, à savoir au stade de l’enfant
qui, naïvement, dans l’expression d’une expérience éternellement
originelle de la vie, du fait d’exister, déploie la force brutale et
pure de créer.
Nietzsche ne croit pas à l’austérité trop ostentatoire du Stoïcien. Celui-ci joue mal parce qu’il ne se rend pas compte qu’il joue, parce qu’il ne perçoit pas la vérité qui se fait jour dans la façon d’être des Tragiques, des dionysiens, à savoir qu’il n’y a pas lieu de jouer des attitudes qui, en elles-mêmes, sont toujours déjà des « jeux », des masques, des postures. S’imposer à soi-même de porter le masque moral sur un visage qui est déjà en lui-même le masque ou plutôt les masques de la vie métaphorisante devient « lourd », voire ridicule. A l’aune de cette vérité là, l’acteur joue mieux le roi que le roi lui-même parce qu’il l’est « plus », plus intensément, plus modestement, plus esthétiquement (esthesis en grec signifie sensation).
Nietzsche ne croit pas à l’austérité trop ostentatoire du Stoïcien. Celui-ci joue mal parce qu’il ne se rend pas compte qu’il joue, parce qu’il ne perçoit pas la vérité qui se fait jour dans la façon d’être des Tragiques, des dionysiens, à savoir qu’il n’y a pas lieu de jouer des attitudes qui, en elles-mêmes, sont toujours déjà des « jeux », des masques, des postures. S’imposer à soi-même de porter le masque moral sur un visage qui est déjà en lui-même le masque ou plutôt les masques de la vie métaphorisante devient « lourd », voire ridicule. A l’aune de cette vérité là, l’acteur joue mieux le roi que le roi lui-même parce qu’il l’est « plus », plus intensément, plus modestement, plus esthétiquement (esthesis en grec signifie sensation).
Plus profondément encore, l’attitude Stoïcienne est empreinte de cette adoration que des philosophes comme Epictète, Marc-Aurèle portaient au Tout, à cette nature « Une » dont la considération fondait leur panthéisme (Tout est Dieu). Or, plus que toute autre attitude, c’est bien cette soumission de la supposée créature à une totalité qui l’écrase, Dieu, Nature ou Loi qui fait obstruction à notre surhumanité, à notre accession au stade de l’enfant. Etre irrespectueux par nature, naïveté ou manque de temps (trop occupés que nous devrions êtres à jouer, à créer, à devenir): c’est bien là la seule attitude qu’il convient d’opposer à la fausse impassibilité du Stoïcien:
« Il me semble important qu’on se débarrasse du Tout, de l’Unité, de je ne sais quelle force, de je ne sais quel absolu; on ne pourrait manquer de le prendre comme instance suprême, et de le baptiser « Dieu ». Il faut émietter l’Univers, perdre le respect du tout; reprendre comme proche et comme nôtre ce que nous avions donné à l’inconnu et au Tout. » (La volonté de puissance II)
Euh......ça va?
Voilà, je vous dirai bien:"c'est tout pour aujourd'hui mais j'ai peur que vous ne le preniez pas hyper bien....Sérieusement: "prenez votre temps". N'oubliez pas qu'a priori, vous avez déjà travaillé sur la notion de métaphorisation pour travailler le sujet de dissertation ou le texte, donc il y a dans toutes ces explications des passages que vous pouvez zapper.
Je vous souhaite d'excellentes vacances mêmes confinées et j'espère vous retrouver en forme à la Rentrée.
Prenez soin de vous!
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