lundi 29 septembre 2014

"Faut-il préférer le bonheur à la vérité?" - Un traitement possible (1)

(Si vous éprouvez quelques difficultés à vous "lancer", voici un exemple d'introduction et de premiers développements possibles. Il importe de ne retenir de ce qui suit qu'un certain style d'écriture, un ton qui est celui de la dissertation philosophique. Vous pouvez également utiliser les références citées puisqu'elles correspondent exactement à celles que nous étudions depuis deux semaines, mais il serait maladroit et surtout "contre-productif" de reprendre terme à terme les paragraphes qui suivent)

 Tous les hommes recherchent le bonheur, nous dit Pascal, cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. » Mais, nous sommes également en quête de vérité. L’homme est doté de raison et cherche toujours une explication aux phénomènes qui l’entourent. Nous ne nous contentons pas de vivre, nous voulons comprendre l’univers ainsi que le fait de notre propre existence. Cela signifie que tout être humain est nécessairement animé par deux mouvements : celui qui consiste à jouir d’un bien-être authentique et celui qui réside dans la résolution de toutes les énigmes qui entourent notre vie, notre rapport au monde. Mais un esprit en quête de vérité se lance dans un travail infini et se condamne lui-même à l’insatisfaction car nous ne voyons pas comment une pensée humaine pourrait tout élucider de l’univers. Il semble donc nécessaire qu’à un moment donné, nous ayons à choisir entre la vérité et notre bien-être. Dans quelle mesure l’ignorance, l’illusion voire le mensonge ne seraient-ils pas préférables à l’exigence de vérité en ceci qu’ils nous permettraient de jouir d’une vie bonne, agréable et sereine ? N’existe-t-il pas, après tout un impératif de bien-être qui prévaut sur le devoir de vérité ? (de cette introduction, il convient de retenir la forme, la méthode, la succession des trois phases qui nous permettent d'amener le problème) 

 ( Première partie) Lorsque, dans Matrix, Morpheus donne à Néo le choix entre la pilule bleue et la pilule rouge, il lui précise bien qu’ « il ne promet que la vérité ». Cela signifie qu’il n’exclue pas la possibilité que la pilule bleue (un somnifère qui fera oublier à Néo la rencontre et le maintiendra dans la matrice) constitue un choix qui puisse se défendre « d’un autre point de vue ». Et c’est exactement cet autre point de vue qu’exprimera Cypher en affirmant que « Les ignorants sont bénis » quand il posera ses conditions à Smith pour trahir Morpheus. On a beau savoir que les impressions plaisantes que nous ressentons sont fausses, on ne se réjouit pas moins de les éprouver. Mais si les causes de notre satisfaction sont fictives, comment notre satisfaction pourrait-elle ne pas l’être aussi ?
Ce que Cypher s’apprête à faire correspond finalement exactement à ce que le philosophe Robert Nozick, en 1972, appelait « la machine à expériences » : « Supposez qu’il existe une machine à expérience qui soit en mesure de vous faire vivre n’importe quelle expérience que vous souhaitez. Des neuropsychologues excellant dans la duperie pourraient stimuler votre cerveau de telle sorte que vous croiriez et sentiriez que vous êtes en train d’écrire un grand roman, de vous lier d’amitié, ou de lire un livre intéressant. Tout ce temps-là, vous seriez en train de flotter dans un réservoir, des électrodes fixées à votre crâne. Faudrait-il que vous branchiez cette machine à vie, établissant d’avance un programme des expériences de votre existence ? ».
Nous faisons tous l’épreuve, jour après jour, d’une réalité qui ne s’accorde pas nécessairement avec nos souhaits : ce que nous espérons n’arrive pas et ce que nous ne voulons pas arrive. Face à cette discordance, à cette inadéquation fondamentale entre nos désirs et les évènements, Robert Nozick évoque la possibilité de se retirer « dans une bulle », dans une machine conçue pour stimuler les impressions conformes à notre vie rêvée. Après tout, une personne installée devant un écran et jouant à son jeu vidéo préféré ressent les sensations du personnage qu’il incarne. Il suffit de jeter un regard objectif sur les passants pour s’apercevoir que de plus en plus de gens sont moins intéressés aux hommes réels qu’ils croisent physiquement au présent qu’au cercle d’amis auxquels ils envoient des SMS. Nous vivons dans une société dont le développement technologique a rendu effectif la virtualisation des rapports humains ainsi que celle du rapport que nous entretenons avec « le monde ». « Ce qui nous arrive » : c’est ce que nous réceptionnons dans nos messageries, dans nos boîtes de dialogue, ce que nous voyons se dérouler sur nos écrans que cela soit les actualités, les aventures d’un héros de jeu vidéo, le message d’un « ami » que nous ne verrons jamais.  Tout ceci nous fait comprendre que la machine de Nozick, c’est-à-dire l’immersion de notre corps dans une configuration neuronale fictive paramétrée selon notre conception du bonheur n’est en un sens, pas fictive du tout, puisque elle insiste déjà dans notre mode de vie d’européen « moyen ».
Nous évoluons donc déjà dans un mode de vie qui tente d’atténuer voire de détruire tout ce que la réalité suppose de « déconvenue », d’imprévisibilité, de surprise. Puisque le monde n’est pas contrôlable, faisons en sorte de lui substituer « notre monde » avec tous ces différents domaines aussi clairement catalogués et lisibles qu’une page Facebook. Dans quelle mesure, la réalité de notre personnalité ne tiendrait-elle pas précisément dans ce qu’elle recèle d’illisible, de non publiable, de fondamentalement « non  Facebookien » ?
Nous préférons le bien-être d’une bulle de communication virtuelle et de relation aux autres médiatisée que la confrontation effective avec l’imprévisibilité d’un instant présent. Mais ce bien-être correspond-t-il authentiquement avec le bonheur ? Si nous interrogeons l’étymologie, nous sommes bien forcés de répondre : « non ». Bonheur vient, en effet, du vieux français bon « heur », qui lui-même dérive du latin « augurium » : faveur accordée par les Dieux. Le bonheur est donc originellement relié à la chance, à la bonne fortune, au « signe » envoyé par la providence pour manifester une grâce, un regard bienveillant et secourable. Le bonheur, c’est ce qui arrive « de bien », étant entendu que cela arrive « vraiment ». Il se différencie du plaisir parce que contrairement à ce dernier, il englobe l’existence entière de celui qui l’éprouve : on n’est pas heureux de fumer une cigarette ou de manger une tablette de chocolat. On ressent du plaisir à le faire et c’est une réaction (voir le système de récompense). Le bonheur est tout le contraire d’une réaction. On n’est pas heureux de ceci ou de cela, on est heureux d’être, et pas d’avoir telle ou telle chose. Il est parfaitement indiscutable que l’argent ne fait pas le bonheur, et ce n’est pas là l’affirmation de personnes naïves qui seraient en dehors de la réalité (toute personne qui s’épuise à nous faire savoir par quantité de signes extérieurs de richesse qu’elle a tout pour être heureuse ne l’est pas, sans quoi elle ne serait pas si attachée à le faire savoir).
Ce qui pose problème dans la machine de Nozick comme il le dit lui-même dans son livre, c’est à la fois l’isolement et la programmation. On ne peut pas être heureux de vivre autre chose que l’existence même, mais l’expérimentateur de la machine de Nozick « existe-t-il » ? Non, il ne fait que « vivre », exactement comme Cypher qui finalement choisit de renoncer à assumer son existence pour s’offrir à la matrice, c’est-à-dire à un programme qui le réduit de fait à ses fonctions vitales.


"Faut-il préférer le bonheur à la vérité?" - Exercice: la construction du plan



1)    Formulez les idées, les arguments, les exemples et les références dont vous vous voulez vraiment vous servir dans votre dissertation en classant chacun d’eux dans le cadre de l’une de ces trois affirmations :
a)    Il faut préférer le bonheur à la vérité
b)    Il faut préférer la vérité au bonheur
c)    On ne peut pas avoir l’un sans l’autre : un bonheur sans vérité est fictif, une vérité sans bonheur est abstraite et « vide ».

2)    Ces affirmations décrivent un plan possible. A l’intérieur de chacune d’elles, reliez entre eux les différents arguments, exemples ou références que vous avez formulés : si telle idée s’explique par telle autre ou si telle référence de film ou tel texte d’auteur s’inscrivent exactement dans le cadre de telle démonstration, décrivez ce lien en rédigeant une ou plusieurs phrases (il importe de se souvenir ici qu’un argument démontre une thèse, qu’un exemple l’illustre et qu’une référence l’appuie. De ce point de vue, il peut être intéressant de situer d’emblée les textes et les auteurs que vous souhaitez utiliser)

mardi 23 septembre 2014

Faut-il préférer le bonheur à la vérité? Travail de groupe sur les références



Chaque groupe essaie de formuler : 1)  l’idée essentielle du texte qui lui a été attribué 2) l’argumentation utilisée par l’auteur pour justifier sa thèse et 3) ce qui fait de ce passage une référence pertinente pour traiter le sujet : « Faut-il préférer le bonheur à la vérité ? »



Texte  1 de Pascal extrait des « Pensées »

« Mais quand j’ai pensé de plus près et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective et qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près (…)  De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n’est pas qu’il y ait en effet du bonheur, ni qu’on s’imagine que la vraie béatitude soit d’avoir l’argent qu’on peut gagner au jeu ou dans le lièvre qu’on court, on n’en voudrait pas s’il était offert. Ce n’est pas cet usage mou et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu’on recherche ni les dangers de la guerre ni la peine des emplois, mais c’est le tracas qui nous détourne d’y penser et nous divertit. »


Texte 2 de René Descartes extrait de « Lettres à Elisabeth »

« Madame,
Je me suis quelquefois proposé un doute : savoir s'il est mieux d'être gai et content, en imaginant les biens qu'on possède être plus grands et plus estimables qu'ils ne sont, et ignorant ou ne s'arrêtant pas à considérer ceux qui manquent, que d'avoir plus de considération et de savoir, pour connaître la juste valeur des uns et des autres, et qu'on devienne plus triste. Si je pensais que le souverain bien fût la joie, je ne douterais point qu'on ne dût tâcher de se rendre joyeux, à quelque prix que ce pût être, et j'approuverais la brutalité de ceux qui noient leurs déplaisirs dans le vin, ou les étourdissent avec du pétun.  Mais je fais la distinction entre cette joie et souverain bien, qui consiste en l'exercice de la vertu, dont l'acquisition dépend de nous. C'est pourquoi, voyant que c'est une plus grande perfection de connaître la vérité, encore même qu'elle soit à notre désavantage, que l'ignorer, j'avoue qu'il vaut mieux être moins gai et avoir plus de connaissance. Aussi n'est-ce pas toujours lorsqu'on a le plus de gaieté, qu'on a l'esprit plus satisfait; au contraire, les grandes joies sont ordinairement mornes et sérieuses, et il n'y a que les médiocres et passagères, qui soient accompagnées de rire. Ainsi je n'approuve point qu'on tâche à se tromper, en se repaissant de fausses imaginations ; car tout le plaisir qui en revient, ne peut toucher que la superficie de l'âme, laquelle sent cependant une amertume intérieure, en s'apercevant qu'ils sont faux. Et encore qu'il pourrait arriver qu'elle fût si continuellement divertie ailleurs, que jamais elle ne s'en aperçût, on ne jouirait pas pour cela de la béatitude dont il est question, pour ce qu'elle doit dépendre de notre conduite, et cela ne viendrait que de la fortune. »


Texte 3 de Jean Anouilh extrait de « Antigone »

ANTIGONE. − Pourquoi veux-tu me faire taire ? Parce que tu sais que j'ai raison ? Tu crois que je ne lis pas dans tes yeux que tu le sais ? Tu sais que j'ai raison, mais tu ne l'avoueras jamais parce que tu es en train de défendre ton bonheur en ce moment comme un os.
CRÉON. − Le tien et le mien, oui, imbécile !
ANTIGONE. − Vous me dégoûtez tous, avec votre bonheur ! Avec votre vie qu'il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu'ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n'est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite, et que ce soit entier ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d'un petit morceau si j'ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd'hui et que cela soit aussi beau que quand j'étais petite ou mourir.
CRÉON. − Allez, commence, commence, comme ton père !
ANTIGONE. − Comme mon père, oui ! Nous sommes de ceux qui posent les questions jusqu'au bout. Jusqu'à ce qu'il ne reste vraiment plus la plus petite chance d'espoir vivante, la plus petite chance d'espoir à étrangler. Nous sommes de ceux qui lui sautent dessus quand ils le rencontrent, votre espoir, votre cher espoir, votre sale espoir !
CRÉON. − Tais-toi ! Si tu te voyais en criant ces mots, tu es laide.
ANTIGONE. − Oui, je suis laide ! C'est ignoble, n'est-ce pas, ces cris, ces sursauts, cette lutte de chiffonniers. Papa n'est devenu beau qu'après, quand il a été bien sûr, enfin, qu'il avait tué son père, que c'était bien avec sa mère qu'il avait couché, et que rien, plus rien ne pouvait le sauver. Alors, il s'est calmé tout d'un coup, il a eu comme un sourire, et il est devenu beau. C'était fini. Il n'a plus eu qu'à fermer les yeux pour ne plus vous voir. Ah ! vos têtes, vos pauvres têtes de candidats au bonheur ! C'est vous qui êtes laids, même les plus beaux. Vous avez tous quelque chose de laid au coin de l'œil ou de la bouche. Tu l'as bien dit tout à l'heure, Créon, la cuisine. Vous avez des têtes de cuisiniers !


Texte 4 de JMG Le Clézio extrait de son livre : « L’extase matérielle »

« L'idée du bonheur est le type même du malentendu. Pourquoi le bonheur ? Pourquoi faudrait-il que nous soyons heureux ? De quoi pourrait bien se nourrir un sentiment si général, si abstrait, et pourtant si lié à la vie quotidienne ? Quelle que soit l'idée qu'on s'en fait, le bonheur est simplement un accord entre le monde et l'homme; il est une incarnation. Une civilisation qui fait du bonheur sa quête principale est vouée à l'échec et aux belles paroles. Il n'y a rien qui justifie un bonheur idéal, comme il n'y a rien qui justifie un amour parfait, absolu, ou un sentiment de foi totale, ou un état de santé perpétuelle. L'absolu n'est pas réalisable : cette mythologie ne résiste pas à la lucidité. La seule vérité est d'être vivant, le seul bonheur est de savoir qu'on est vivant.
 (…) Il faut résister pour ne pas être entraîné. C'est si facile; l'on se donne un maître à penser, choisi parmi les plus insolites et les moins connus. Puis l'on échafaude, on rebâtit l'édifice que le cynisme avait fait crouler, et on se sert des mêmes éléments. L'histoire de la pensée humaine, est, pour les neuf dixièmes, l'histoire d'un vain jeu de cubes où les pièces ne cessent d'aller et venir, usées, abîmées, truquées, s'ajustant mal. Que de temps perdu ! Que de vies inutiles ! Alors que pour chaque homme, l'aventure est peut-être à refaire entièrement. Alors que chaque minute, chaque seconde qui passe change peut-être du tout au tout le visage de la vérité.
  Rien, rien n'est jamais résolu. Dans le mouvement vertigineux de la pensée, il n'y a pas de fin, il n'y a pas de commencement. Il n'y pas de SOLUTION, parce qu'il n'y a évidemment pas de problème. Rien n'est posé. L'univers n'a pas de clé; pas de raison. »

Texte 5  de Kant extrait de « D’un prétendu droit de mentir par humanité. »
« La véracité (le fait de dire la vérité) dans les déclarations que l’on ne peut éviter est le devoir formel de l’homme envers chacun, quelque grave inconvénient qu’il en puisse résulter pour lui ou pour un autre ; et quoique, en y en altérant la vérité, je ne commette pas d’injustice envers celui qui me force injustement à les faire, j’en commets cependant une en général dans la plus importante partie du devoir par une semblable altération, et dès lors celle-ci mérite bien le nom de mensonge. En effet, je fais en sorte, autant qu’il est en moi, que les déclarations ne trouvent en général aucune créance (croyance), et que par conséquent aussi tous les droits, qui sont fondés sur des contrats, s’évanouissent et perdent leur force, ce qui est une injustice faite à l’humanité en général. »
Texte 6 de Vladimir Jankélévitch extrait de « L’Ironie »
« Toute vérité n'est pas bonne à dire ; on ne répond pas à toutes les questions, du moins on ne dit pas n'importe quoi à n'importe qui. Il y a des vérités qu'il faut manier avec des précautions infinies, à travers toutes sortes d'euphémismes et d'astucieuses périphrases; l'esprit ne se pose sur elles qu'en décrivant de grands cercles, comme un oiseau. Mais cela est encore peu dire : il y a un temps pour chaque vérité, une loi d'opportunité qui est au principe même de l'initiation ; avant il est trop tôt, après il est trop tard. (…) Ce n'est pas tout de dire la vérité, « toute la vérité », n'importe quand, comme une brute : l'articulation de la vérité veut être graduée ; on l'administre comme un élixir puissant et qui peut être mortel, en augmentant la dose chaque jour, pour laisser à l'esprit le temps de s'habituer. La première fois, par exemple, on racontera une histoire ; plus tard on dévoilera le sens de l'allégorie. C'est ainsi qu'il y a une histoire de saint Louis pour les enfants, une autre pour les adolescents et une troisième pour les chartistes ; à chaque âge sa version ; car la pensée, en mûrissant, va de la lettre à l'esprit et traverse successivement des plans de vérité de plus en plus ésotériques (difficiles réservés à des spécialistes).